vendredi 28 octobre 2011

"LE FEUTRE ET LA PLUME" - Texte de Philippe Delerm


"Le feutre et la plume"
Philippe Delerm
Article paru dans le "Nouvel Observateur"
(numéro et date non précisés)

Extraits


Ecritoires, cahiers, cartouches et mines : matériel de scribe au service de la prochaine coulée d'encre et autres plaisirs majuscules.

     D'habitude, j'aime bien écrire en noir, avec un stylo-feutre anonyme, que je glisse ensuite dans la poche de mon jean. Il est toujours sur moi, je le retire pour noter un numéro de téléphone, accroupi devant la fenêtre, comme pour écrire "vraiment". Cette confusion des genres est savoureuse, un rien perverse. L'acte d'écrire s'y trouve en apparence désacralisé, s'inscrit sans rupture dans une fluidité qui abolit les frontières des genres. La pointe feutre est une métaphore de cet arasement : la pointe glisse sur la page sans le moindre effort, dessine parfois autour des mots quelques chevelures incontrôlées - le moindre contact avec la feuille est déjà trace.
     Mais aujourd'hui - on m'a acheté une boîte pleine de cartouches de toutes les couleurs - j'ai repris un vieux stylo à plume, et tout de suite senti que je ne ferai pas la loi. Il a fallu attendre en vain que l'encre descende le long de la plume desséchée, puis dévisser le corps pour presser un peu la cartouche. Une tache est tombée sur la feuille, et bien sûr j'ai égaré tous mes anciens buvards. Alors attendre encore, mais c'était l'occasion de regarder la petite boîte métallique : j'avais choisi rouge caroubier, un rouge un peu châtaigne. [...]
     Le moteur de la pointe feutre grignote la feuille avec une hargneuse efficacité. Le stylo à plume est un tout autre engin : en griffeur lourd, il marque le papier, arrache le bitume. Ca y est, depuis trois lignes j'ai atteint le rouge racoubier. [...]






"LA PREMIERE GORGEE DE BIERE et autres plaisirs minuscules" de Philippe Delerm (Gallimard)


"La première gorgée de bière
et autres plaisirs minuscules"
Philippe Delerm
(Gallimard)
(Dès 12 ans)

Philippe Delerm, professeur de lettres, est né en 1950 à Auvers Sur Oise (ville de Van Gogh, Val d'Oise). Il vit depuis 1975 en Normandie, à Beaumont le Roger (Eure) où il a commencé à écrire. Son livre "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules", publié chez Gallimard en 1997, a connu un immense succès. Chacun retrouve ces petits bonheurs simples qui émaillent notre vie et à côté desquels il ne faut pas passer. Delerm propose là un nouveau genre littéraire, véritable poésie en prose.

Un plaisir délicieux !

Extrait de "Le dimanche soir" - p. 51

     Le dimanche ! On ne met pas la table, on ne fait pas un vrai dîner. Chacun va tour à tour piocher au hasard de la cuisine un casse-croûte encore endimanché - très bon le poulet froid dans un sandwich à la moutarde, très bon le petit verre de bordeaux bu sur le pouce, pour finir la bouteille [...]

Extrait de "Un roman d'Agatha Christie" - p. 72

     Est-ce qu'il y a vraiment tant d'atmosphères dans les romans d'Agatha Christie ? Peut-être qu'on se les invente - simplement parce qu'on se dit : c'est un roman d'Agatha Christie. Oui, la pluie sur la pelouse au-delà des bow-windows, le chintz à ramages vert canard des doubles rideaux, ces fauteuils aux courbes si moelleuses déferlant jusqu'au sol, où sont-ils ? Où sont ces scènes de chasse rouge fuchsia s'arrondissant sur le service à thé, ces rigidités bleuâtres des cendriers en wedgwood ?
     Il suffit qu'Hercule Poirot fasse fonctionner ses petites cellules et tire sur les pointes de ses moustaches : on voit l'orange clair du thé, on sent le parfum mauve et fade de la vieille Mrs Atkins [...]

Extrait de "Le pull d'automne" - p. 57

     C'est toujours plus tard qu'on ne pensait. Septembre est passé si vite, plein de contraintes de rentrée. En retrouvant la pluie, on se disait "Voilà l'automne" ; on acceptait que tout ne soit plus qu'une parenthèse avant l'hiver. Mais quelque part, sans trop se l'avouer, on attendait quelque chose. Octobre. Les vraies nuits de gel, dans la journée le ciel bleu sur les premières feuilles jaunes. Octobre, ce vin chaud, cette mollesse douce de la lumière, quand le soleil n'est bon qu'à quatre heures, l'après-midi, que tout prend la douceur oblongue des poires tombées de l'espalier.
     Alors il faut un nouveau pull. Porter sur soi les châtaignes, les sous-bois, les bogues des marrons, le rouge rosé des russules.     (nb : les russules sont des champignons)

"MUTATIS MUTANDIS" de Juliette (Polydor)

"Mutatis Mutandis"
Juliette
(Polydor)
(Dès 12 ans)

Allons directement dans la cour des "grands" avec Juliette, auteur, musicienne, et interprète extraordinaire ! Certains titres sont à mourir de rire, d'autres plus émouvants, d'autres encore un ravissement intellectuel...



Du matin au soir il faut courir
Dans l'escalier et le monter
Et le descendre et le monter
Au ding ding oppressant
De la clochette qui sonne
Et qui re-sonne
Et qui résonne et qui ordonne
Pas une minute de répit
Il faut croire que la patronne
Ne peut rien faire sans sa bonne

Extrait de "Maudite Clochette !"

Mon amour ma bien aimée
Me voici trop loin de toi
Comment survivre éloigné
De ton coeur et de tes bras
De mon coeur et de mes bras
Tiens, je l'avais oubliée
Cette lettre et qui ma fois
Peut me l'avoir envoyée ?

Extrait de "Une lettre oubliée", en duo avec Guillaume Depardieu

ELLE
Ami vous commencez
A chauffer mes oreilles
Vous voulez m'énerver
Je vous le déconseille
LUI
Et là ! Ma tourterelle
Votre mauvaise foi
Ne vous rend pas plus belle
Ne nous disputons pas
ELLE
Ne pas nous disputer ?
Pour ça je suis d'accord
Si vous reconnaissez...
ENSEMBLE
Que c'est vous qui avez tort !

Extrait de "Mémère dans les Orties", en duo avec François Morel

Enfin nous accostons
Après un dur voyage
Un vieux donjon branlant
Se dresse sur la rive
Le théâtre sans doute
De très anciens carnages
Et l'un d'entre nous dit :
"Restons sur le qui-vive !"

Extrait de "Fantaisie Héroïque"


"MON CARNET DE HAÏKUS" d'Anne Tardy (Gallimard Jeunesse)


"Mon carnet de haïkus"
Anne Tardy
Dessins de Georges Lemoine
(Gallimard Jeunesse)
(Dès 5 ans)

Un très belle et ludique façon
de découvrir les haïkus,
des mots d'une grande douceur,
sensibles et souvent drôles,
et des illustrations absolument ravissantes.

Apaisant pour les enfants !
Apaisant pour les adultes !


Extraits :

La mouette rit,
Un volet claque,
Le vent s'amuse.

L'enfant tremble
Au bord de l'eau.
L'eau n'y peut rien.

Sa grande soeur est morte.
On console ses parents,
Pas lui.

Culottes pour dames !
Sardines fraîches !
Crie le marchand ambulant.

jeudi 20 octobre 2011

"LE CRIME D'HALLOWEEN" d'Agatha Christie (Le Livre de Poche)



"Le crime d'Halloween"
Agatha Christie
(Le Livre de Poche)

(Dès 12 ans)




Agatha Christie :

Agatha Christie (1891 - 1976) rêve, enfant, de devenir cantatrice. Mais d'une très grande timidité, elle préfère exceller dans l'art des énigmes et du suspense. Auteur la plus lue après Shakespeare : 80 romans et autant d'intrigues retorses dans la plus pure tradition britannique ; passionnée de faits divers ; familiarisée aux substances pharmaceutiques dangereuses par sa qualité d'infirmière pendant la Première Guerre Mondiale ; largement inspirée par ses nombreux voyages aux côtés de son second mari, Max Mallowan, archéologue, qu'elle accompagne sur tous ses champs de fouilles d'Irak et de Syrie. Agatha Christie imagine le crime parfait, des énigmes qui tiennent en haleine jusqu'au dénouement final en y mêlant beaucoup d'exotisme, d'humour, et sans jamais craindre de jouer avec tous les clichés anglo-saxons.
"Le cyanure nous apporte consolation et soulagement, menace et mort subite. Craignez les pouvoirs éternels des drogues".                         (cf Magazine Muze Janvier 2006)

L'histoire :

Mrs Ariadne Oliver séjourne chez une de ses amies, Mrs Judith Butler, et sa jeune fille Miranda, à Woodleigh Common, à cinquante kilomètres environ de Londres. Ensemble, elles sont conviées à une Fête des Potirons, le soir d'Halloween, organisée chez Mrs Rowena Drake pour les enfants du village de dix à dix-sept ans. Tout a été pensé et préparé avec soin et efficacité : citrouilles illuminées, guirlandes, jeu de pêche aux pommes, jeu de Snapdragon, miroirs magiques, concours de balais décorés, apparition d'une sorcière avec sa boule de cristal, déguisements, musique et danse, gâteaux et friandises somptueux... Mais le lendemain de la fête, Ariadne Oliver contacte de toute urgence son ami le détective Hercule Poirot. La petite Joyce, seulement âgée de treize ans, a été retrouvée assassinée. Elle s'était très imprudemment vantée la veille d'avoir assisté un jour à un vrai meurtre...

Mon avis :

Un excellent suspense très émouvant car la victime est très jeune. On est là tout à fait dans l'esprit d'Halloween : frissons et humour. Le personnage d'Ariadne Oliver est incroyablement drôle. Dame à l'intelligence vive, douée d'un sens de l'observation pointu, facétieuse, gourmande de pommes, auteur de romans policiers dont le héros récurant est un fameux détective finlandais, grande complice d'Hercule Poirot, Ariadne Oliver n'est pas sans rappeler une certaine Agatha C. On se promène avec un réel plaisir dans la fin des années 1960 avec un duo Poirot/Oliver impeccable. Un sans faute, comme d'habitude pour un Hercule Poirot dont l'âge avançant le rend un peu plus attachant encore.

Un petit livre qui se lit d'une traite. Une histoire parfaite pour la nuit d'Halloween !


"WATERLOO NECROPOLIS" de Mary Hooper (Les Grandes Personnes)

"Waterloo Necropolis"
Mary Hooper
(Les Grandes Personnes)

Rentrée Littéraire Jeunesse 2011
(Dès 12 ans)


Mary Hooper :
Mary Hooper, mariée et mère de deux enfants, est née dans le sud-ouest de Londres, qui sert souvent de cadre à ses romans. La lecture de nouvelles la décide un jour à se lancer dans l'aventure de l'écriture et elle adresse un premier texte à une revue qui le retient pour publication. Mary Hooper n'a dès lors plus cessé d'écrire des romans, qui ont souvent une toile de fond historique. Elle est entre autres l'auteur de "La Messagère de l'au-delà" et d'une trilogie initiée avec "La Maison du magicien".

L'histoire :
1861 - Le malheur ne cesse de s'abattre sur Grace et Lily depuis leur plus jeune âge. Il y eut d'abord l'abandon de leur père, parti en ignorant que Lily, encore bébé, souffrait d'un handicap mental et que sa femme était enceinte de Grace. Puis leur mère mourut alors que les fillettes n'avaient que six et cinq ans. Ensuite, après être passées d'un orphelinat à une institution pour jeunes filles pauvres, d'où elles se sont récemment enfuies, Grace et Lily se retrouvent dans un meublé miteux de Seven Dials, quartier le plus misérable de Londres, survivant de petits boulots. C'est là que Grace, âgée seulement de quinze ans, découvre sa grossesse. Responsable de sa soeur Lily, elle assume seule son accouchement dans une maison sordide. Son enfant est mort-né. La sage-femme, émue par Grace, lui conseille de profiter de l'express funéraire de Waterloo Necropolis pour glisser discrètement le corps de l'enfant dans un cercueil et lui offrir ainsi une sépulture aux seuls frais de son billet de troisième classe. Au cimetière de Brookwood, Grace est abordée par Mrs Unwin, la patronne de l'Entreprise de pompes funèbres, qui lui propose de devenir pleureuse d'enterrement...

Mon avis :
Dès les premières lignes, nous sommes immédiatement plongés dans un univers sombre et glauque à la Dickens, à qui il est d'ailleurs rendu hommage tout au long de cet ouvrage. Dickens était un écrivain très engagé et très en colère contre toutes formes d'injustices sociales. Dans les ruelles obscures des quartiers abandonnés de Londres, se mêlent la crasse, la vermine, les boulots misérables, les mendiants, les malales, les braves gens, les crapules... On s'attendrait presque à croiser, au détour d'une venelle sordide, l'ombre de Jack l'éventreur.

Une histoire dure, cruelle, où la misère est décrite avec un réalisme effrayant. Rebondissements, coups de théâtre, espoirs aussi ténus qu'un fil d'araignée, émotions à vif, donnent à ce roman la puissance dramatique des oeuvres romantiques du XIXème siècle. L'express funéraire de Waterloo Necropolis a des allures de train fantôme dans une brume londonienne lugubre.
Un suspense terrifiant ! Frissons garantis !

A noter :
Un passionnant document à la fin du livre sur : l'express funéraire Necropolis, la mort et le deuil à l'époque victorienne, Victoria et Albert, les pauvres à l'époque victorienne, et Charles Dickens. 

"WATERLOO NECROPOLIS" - Contexte historique









"Waterloo Necropolis"
Mary Hooper
(Les Grandes Personnes)

La Gare de Waterloo "Necropolis" :
Une particularité historique de la gare de Waterloo à Londres (mise en service en 1848 sous le règne de Victoria) est son rôle, à l'origine, de terminus de l'"Express funéraire" qui reliait quotidiennement Londres au cimetière de Brookwood dans le comté de Surrey. Les trains transportant les cercueils partaient de la gare de Londres appelée "Necropolis" située juste à côté de la gare principale. Cette gare "Necropolis" fut totalement détruite sous les bombes la nuit du 16 avril 1941 et jamais reconstruite. Mais l'endroit fascine toujours et il reste aujourd'hui très visité.