vendredi 7 février 2014

jeudi 6 février 2014

"LE DERNIER AMI DE JAURES" de Tania Sollogoub (L'Ecole des Loisirs - Médium)


"Le dernier ami de Jaurès"
Tania Sollogoub
(L'Ecole des Loisirs - Médium)

Dès 13 ans

Rentrée Littéraire - Automne 2013



Tania Sollogoub :
Changer le monde et "prendre ses rêves au sérieux". Ouvrir les frontières aux nomades, bras ouverts. Lutter contre les yeux tristes des filles de Moscou et les espoirs brisés, bras décroisés. Tania Sollogoub y croit, et le fait. Grâce aux mots et aux chiffres (elle enseigne l'économie quand elle n'envoie pas des romans par La Poste). Grâce aussi à la magie des Baba Yaga cachées dans les forêts russes ou dans la boutique de produits du Massif Central du métro Gare du Nord. Après, elle vous emmènera manger des blinis, vous parlera de "Blade Runner". Et vous de rire. Et vous de rêver. Quelque chose aura changé.

Du même auteur, sur ce blog en juin 2013 : "Au pays des pierres de lune" (L'Ecole des Loisirs - Médium)


"Je demande à tous ceux qui prennent au sérieux la vie, si brève même pour eux, qui nous est donnée à tous, je leur demande : qu'allez-vous faire de vos vingt ans ? Qu'allez-vous faire de vos coeurs ? Qu'allez-vous faire de vos cerveaux ?"
Jean Jaurès - Janvier 1914

Jean Jaurès :
Homme politique français né à Castres en 1859. Brillant universitaire, journaliste et député républicain (1885-1889), il fut ensuite député socialiste de 1893 à 1898, puis de 1902 à sa mort. Fondateur en 1904 du journal "L'Humanité", historien, Jaurès fut le véritable leader du socialisme français, surtout après la création de la SFIO* en 1905. Pacifiste militant, il s'attira l'hostilité des milieux nationalistes. Il fut assassiné le 31 juillet 1914, à la veille de la Première guerre mondiale.              
(cf : Le Petit Larousse 2008)

SFIO : Section Française de l'Internationale Ouvrière, désignation du Parti socialiste français de 1905 à 1971.


 

François-Ferdinand de Habsbourg (1863-1914) :
Archiduc d'Autriche, il était le neveu de l'empereur François-Joseph et héritier du trône depuis 1889. Son assassinat à Sarajevo le 28 juin 1914 préluda à la Première guerre mondiale.







"L'Humanité" : Journal fondé en 1904 par Jean Jaurès. Socialiste jusqu'en 1920, organe central du Parti communiste français de 1920 à 1994, le quotidien en reste depuis très proche malgré une ouverture de ses pages à d'autres composantes de la gauche.




L'histoire :
En cet été 1914, à Paris, alors que Jean Jaurès rédige son éditorial pour le journal "L'Humanité" au lendemain de l'assassinat de François-Ferdinand d'Autriche, quatre adolescents se retrouvent au jardin du Luxembourg et sirotent une limonade. Insouciants, Louis, Antoine et Jules devisent sur les conséquences de la mort de l'archiduc et sur la drôle de guerre qui gronde. Paul, lui, ne dit rien. Paul est amoureux. Il pense qu'elle s'appelle Madeleine. Il ne lui a jamais parlé, mais ce corps magnifique qu'en toute innocence elle dévoile chaque soir derrière un rideau mal fermé le bouleverse...

Mon avis :
Le dernier ami de Jaurès, dans le roman de Tania Sollogoub, c'est Paul, quinze ans seulement, un pied dans l'enfance, l'autre dans l'âge adulte. Il est à un moment de sa vie où ses choix, ses rencontres, ses expériences détermineront son existence. Mobilisable, on l'accompagne avec tendresse dans ses premiers émois, ses premiers questionnements, ses premiers engagements. Grâce à lui, on croise avec beaucoup d'émotion et de respect le personnage illustre qu'était Jean Jaurès. Dans un monde qui s'effondre sous un soleil écrasant, il y a cette petite rue de Paris, miroir de notre société à la veille d'une guerre redoutable. Les esprits s'échauffent, se radicalisent, les tensions montent, mais au fond, chacun espère, veut garder confiance, et tremble. Alors on ferme les yeux. On danse dans les guinguettes et on laisse libre court à la sensualité, au désir, à l'amitié, à l'amour.

Un vrai délice ! Un petit bijou !


"On n'enseigne pas ce que l'on sait mais ce que l'on est." - Jean Jaurès

"KINDERZIMMER" de Valentine Goby (Actes Sud)



"Kinderzimmer"
Valentine Goby
(Actes Sud)

Ados / Adultes

Rentrée Littéraire - Automne 2013


Valentine Goby est née en 1974. Elle étudie à Sciences Po puis travaille pour des associations humanitaires à Hanoï et à Manille. Enseignante en lettres et en théâtre, elle décide de se consacrer à l'écriture et a publié plus d'une vingtaine de livres (jeunesse et adultes confondus). Parmi ses thèmes de prédilection, la place des femmes, le regard que porte la société sur leur corps, et comment l'Histoire les affecte.

L'histoire
Suzanne Langlois, ancienne résistante et déportée à Ravensbrück, témoigne dans un lycée. Devant ces jeunes de dix-huit ans, lasse de ce silence face à son histoire à chacune de ses interventions, les mots sortent presque mécaniquement tant elle les a répétés. Pourtant, aujourd'hui, un grain de sable, une élève peu ordinaire. Ses questions fusent, dérangeantes. "Aviez-vous déjà entendu parler de Ravensbrück ? Dans le train, connaissiez-vous la destination ? Quand avez-vous compris que vous alliez à Ravensbrück ? Vous ne saviez pas où vous étiez ? Vous ne saviez rien ce jour-là ?" Et puis cette question, la dernière, fatale : "En fait, vous n'en saviez pas plus sur Ravensbrück alors, que nous maintenant ?" Surprise, Suzanne Langlois se tait et repart chez elle. Elle a besoin de réfléchir, de prendre du recul. Le chagrin, le deuil, la mémoire de "l'autre" sont toujours là. "L'autre", Mila, celle qu'elle est devenue devant l'entrée du camp...

Mon avis :
Une écriture sincère et brute qui touchera certainement les plus jeunes d'entre nous, les lycéens en particulier. Des phrases assénées comme des coups de fouet sur notre émotion à vif. Le thème de la maternité dans un camp de concentration est poignant. Des mots de douleur martelés encore et encore : os, trous, plaies, hurlements, chiens, nudité, urine, excréments, dysenterie, typhus, faim, soif, poux, puanteur, putréfaction... Les corps dans tous leurs états. Le camp, c'est la mort où l'être humain n'a même plus d'ombre.

Magnifique ode à la vie et à la résistance !


A écouter : Le très émouvant "Grand Entretien" de François Busnel, du 11 avril 2013 sur France Inter, consacré à Marie-Jo Chombart de Lauwe, résistante, déportée, puéricultrice de la Kinderzimmer de Ravensbrück, et dont la vie a inspiré ce livre.


"UN HOMME EFFACE" d'Alexandre Postel (nrf/Gallimard)



"Un homme effacé"
Alexandre Postel
(nrf / Gallimard)

Ados / Adultes

Prix Goncourt du premier roman 2013
Prix Landerneau 2013


Alexandre Postel est né en 1982. Professeur de Lettres en classe préparatoire à Paris, "Un homme effacé" est son premier roman.

L'histoire :
Un matin aussi banal que tous les autres, Damien North, timide et peu sociable professeur de philosophie à l'université, découvre que son accès à Internet est refusé. L'après-midi, il est arrêté pour consultation et détention d'images à caractère pédopornographique. L'enfer ne fait soudain que commencer pour ce veuf solitaire, presque invisible jusqu'alors...

Mon avis :
Qu'importe où et quand les faits se déroulent... Qu'importe de ne savoir si cet homme est coupable ou non qu'à la fin du texte... Quant aux crimes commis, nul besoin de les décrire, chacun est suffisamment à même d'en comprendre l'horreur... L'important est de réfléchir sur la brutalité des événements, l'emballement soudain autour d'un seul homme, la présomption d'innocence totalement bafouée, l'impossibilité pour North de se défendre. Tout le monde le lâche : sa famille, ses collègues, la police, les avocats, les médecins... Toute une société s'abat contre lui. Toutes les apparences, même les plus infimes et ordinaires, communes à nous tous, deviennent, contre North, des preuves de sa culpabilité. Où est le vrai ? Où est le faux ? Et nous, qu'en pensons-nous ? Sommes-nous conscients des conséquences si les accusations étaient fausses ? Quel serait notre comportement envers North ? Méfiance ? Dégoût ? Soutien ? Construit en deux parties, "Les jours atroces" et "Les jours féroces", Alexandre Postel dépeint, avec justesse et force, la puissance et la violence des préjugés, des amalgames, de la diffamation, de l'hypocrisie, de la curiosité malsaine, d'Internet, contre une "proie" facile, un personnage victime de sa solitude et de son introversion.

Grave, palpitant, ce livre ne peut pas laisser indifférent !


"LES LUNES DE JUPITER" d'Alice Munro (Points)



"Les lunes de Jupiter"
Alice Munro
(Points)

Ados / Adultes

Prix Nobel de Littérature 2013



Alice Munro est née en 1931 au Canada. C'est là tout ce que l'on sait d'elle. Extrêmement discrète, Alice Munro ne se livre pas. Prix Nobel de Littérature en 2013, elle est la treizième femme couronnée par ce prestigieux trophée qui récompense pour la première fois un auteur de nouvelles, genre littéraire trop souvent considéré comme mineur.

Subtile et profonde, drôle et insolente, si mystérieuse et si limpide à la fois, les thèmes majeurs d'Alice Munro sont l'amour, le désir, la vieillesse et la mort. Elle met en scène des personnages ordinaires, issus d'un milieu social modeste, le plus souvent des femmes blessés mais fortes qui fuient par tous les moyens une vie conjugale douloureuse ou une famille castratrice. Son style, unique, amène de nombreuses interrogations et réflexions et prône un indispensable retour sur soi-même.

Mon avis :
Des histoires simples dans lesquelles chacun de nous peut se retrouver un peu. Les relations femmes/hommes sont compliquées, mais quand le temps passe et que la jeunesse s'efface, c'est encore plus délicat. Les personnages d'Alice Munro sont pris au piège dans les méandres de l'amour et de l'existence, entre soumission, cruauté, lassitude, fatalité, fragilité, désir, combattivité, espoir, fuite, renaissance. Fluide, juste, sensible, souvent sombre mais d'une grande beauté, son écriture presque théâtrale est un peu comme une discussion entre amis. Ses textes n'attendent qu'à être partagés à voix haute.

Admirable !

"EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULE" d'Edouard Louis (Seuil)



"En finir avec Eddy Bellegueule"
Edouard Louis
(Seuil)

Ados / Adultes

Premier roman - Rentrée Littéraire Janvier 2014

Coup de coeur !


Edouard Louis a 21 ans. Il étudie la sociologie à l'Ecole Normale Supérieure. L'an dernier, il dirigeait, à vingt ans, un ouvrage consacré à Pierre Bourdieu, "Pierre Bourdieu : l'insoumission en héritage" (PUF). "En finir avec Eddy Bellegueule" est son premier roman.

L'histoire :
Il n'y a pas de commencement. Tout semble avoir toujours été ainsi dans ce petit village d'à peine mille âmes, perdu au coeur de la campagne picarde. Là-bas, dans les familles d'ouvriers très pauvres, les hommes doivent être des durs, des mâles, savoir prendre des cuites et se battre, en finir vite avec l'école, aller à l'usine, et mettre une fille enceinte (d'un garçon, de préférence !). Les femmes, pour la plupart, donnent naissance à leur premier enfant à dix-sept ans, sont coiffeuses, caissières, aides à domicile ou mères au foyer et, de génération en génération, subissent le machisme avec fatalité. Dans ce paysage où tout est tracé d'avance, la brutalité de la vie quotidienne est marquée par une violence presque naturelle, la misogynie, la haine de l'autre, le racisme, et l'homophobie. Le tout imbibé d'une grande quantité d'alcool. Alors, dans cet univers recroquevillé sur lui-même, lorsqu'Eddy, garçon d'à peine dix ans, montre quelques différences face à une virilité imposée, ce monde, qui d'ordinaire manque cruellement de vocabulaire, est intarissable pour désigner le monstre, l'anomalie, le danger : pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze, pédale douce, baltringue, tapette, fiotte, tafiole, tanche, folasse, grosse tante, tata, ou l'homosexuel. Avant même de comprendre de lui-même qui il est, Eddy va subir de toute part la honte, le dégoût, le mépris, les humiliations, les injures, les coups, la douleur...

Mon avis :
Magnifique, cru, brut, implacable, entre témoignage, roman sociologique (cette part sombre du Nord de la France, pour ceux qui connaissent cette région, est bien réelle) et essai, ce livre d'une force rare remue les tripes. On le lit d'une traite, incapable d'abandonner Eddy. Jamais il ne juge, mais de chacun de ses mots transpire la colère de l'auteur et sa souffrance d'avoir été incompris. L'enfance construit l'adulte que nous sommes. Comme Annie Ernaux dans son oeuvre et Edouard Louis dans cet ouvrage le décrivent très bien, entre ce que nous sommes, ce que nous devenons, entre le milieu social, culturel et intellectuel auquel on appartient aujourd'hui, et entre celui d'où l'on est issu, lorsque le fossé entre ces deux mondes se creuse inéluctablement et que la communication devient impossible, une seule solution s'offre à nous : la fuite. Si cette décision est nécessaire, voire vitale, elle est loin d'être facile à prendre, ni à vivre. Même si l'on a reçu une certaine forme d'amour, amour maladroit ou égoïste, il ne peut faire oublier la douleur physique ni la douleur psychologique de l'incompréhension et du mépris.

Plus qu'une plume, plus qu'un écrivain dont on a hâte de lire le prochain roman, Edouard Louis est un être d'une sensibilité exacerbée et bouleversante que l'on aimerait rencontrer !