mardi 5 septembre 2017

Septembre 2017 - "Campus Novel"


"Les Revenants" de Laura Kasischke (Livre de Poche)


Laura Kasischke est une poétesse et romancière américaine, née en 1961 à Grand Rapids (Michigan). Elle a étudié à l'Université du Michigan et gagné de nombreux prix littéraires pour ses ouvrages de poésie, ainsi que le Hopwood Awards. Elle a également reçu les Bourses MacDowell et Guggenheim. Ses poèmes ont été publiés dans de nombreuses revues. Ses romans "La vie devant ses yeux" et "A suspicious river" ont été adaptés au cinéma. "Esprit d'hiver" a reçu, en 2014, le Grand Prix des Lectrices de Elle. Laura Kasischke vit aujourd'hui dans le Michigan, où elle enseigne l'art du roman au Residential College de l'Université de Ann Arbor.

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L'histoire :

Il y a un an, Shelly Lockes fut témoin d'un accident de voiture. Il faisait nuit. Elle était seule sur la route et elle a été la première à intervenir et à appeler les secours. Dans la presse locale, cet accident est devenu un fait divers retentissant et croustillant car il concernait deux jeunes étudiants de l'université de la ville. Mais les informations données dans les journaux étaient totalement inexactes. Shelly se rappelait très bien ce qu'elle avait vu, et ce n'était pas ce qu'elle lisait dans les pages des quotidiens. Pendant des semaines, elle s'est battue avec les journalistes et la police pour rétablir la vérité. En vain.

En cette rentrée universitaire, Perry et Craig se retrouvent pour une nouvelle colocation. Tous deux sont étudiants en deuxième année au Godwin Honors College. Si aujourd'hui ils sont amis, les premiers mois de leur rencontre, l'année dernière, furent particulièrement tendus. Tout oppose ces deux jeunes gens.

Perry est issu d'une famille modeste mais unie, aimante et fière de lui. Sérieux, bûcheur, un look vestimentaire improbable, les moqueries des autres ne semblent jamais atteindre sa plénitude ni son humanisme. Craig, lui, est un insupportable fils de riches, paresseux, arrogant, souffrant d'un exécrable complexe de supériorité. Très vite, il tomba amoureux de Nicole, amie d'enfance de Perry, étudiante d'excellence au Godwin Honors et adorée de tous, même des enseignants. Personne ne croyait en la sincérité des sentiments de Craig pour Nicole. Puis survint le tragique accident. Craig conduisait la voiture. Nicole perdit la vie. Quelques semaines plus tard, l'annonce du retour de Craig à l'université provoqua une immense vague d'émotion et d'hostilité.

C'est pourquoi, pour cette deuxième année, Perry leur a choisi un logement à l'écart du campus. Craig est anéanti. Inquiet pour son ami, lorsqu'il apprend que le Professeur Mira Polson, spécialiste d'anthropologie culturelle, organise un séminaire sur "La mort, mourir, et les non-morts", bien que réservé aux première année, Perry insiste pour y participer. Peut-être aura-t-il des réponses à ses questions...

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Mon avis :
Un roman choral envoûtant et machiavélique qui ne nous lâche pas de sitôt. Source de réflexion et de méditation passionnantes sur le thème de la mort, il ne peut que nous troubler car il nous met face à notre imaginaire collectif, à nos peurs intimes et à nos croyances. A la frontière entre le réel et le surnaturel, les personnages, pris dans une toile funeste et perverse, tentent vaillamment de trouver la vérité et doivent, pour cela, affronter leurs propres fragilités, leurs propres convictions, mais aussi l'hypocrisie et une certaine forme de complicité du système universitaire américain. Le bras de fer est inégal et la quête de chacun ne sera pas sans dangers...

"Replay" de Ken Grimwood (Points)


Ken Grimwood (Kenneth Milton Grimwood) est un auteur de fiction américain, né en 1944 à Dothan, en Alabama. Ses thèmes de prédilection, que l'on retrouve notamment dans son roman le plus connu, "Replay", sont l'affirmation de soi, la métaphysique et la psychologie. Durant sa jeunesse à Pensacola, en Floride, il se découvre une passion pour la EC Comics (maison d'édition américaine de bande dessinée) et pour le radio journalisme. Le succès de "Replay", Prix World Fantasy du meilleur roman en 1988, l'oblige à quitter la KFWB News 980 de Los Angeles pour se consacrer à l'écriture. Ken Grimwood meurt d'une crise cardiaque dans sa propriété de Santa Barbara, en Californie, en 2003, à l'âge de cinquante-neuf ans.

L'histoire :
1988. Alors qu'il est dans son bureau de la chaîne de radio WFYL, à New York, au téléphone avec sa femme, Jeff Winston succombe soudain à une crise cardiaque. Quarante-trois ans. Pas d'enfant. Mariage raté. Poste à responsabilité mais mal payé. Une vie médiocre, sans passion, sans ambition. Et puis voilà qu'il se réveille en 1963, à Atlanta, le matin d'une interro de littérature américaine, dans cette chambre d'étudiant qu'il partageait alors avec son ami, Martin Bailey. Il a dix-huit ans, et il se souvient de tout jusqu'en 1988...

Mon avis :

"Le sens de la vie est la plus pressante des questions" disait Albert Camus dans "Le Mythe de Sisyphe". C'est précisément cette question philosophique, métaphysique et psychologique que pose le roman "Replay". Pour illustrer sa réflexion, Ken Grimwood rembobine le destin de son héros. Un recul de vingt-cinq années. Ensuite il observe les relations affectives de son personnage, ses pensées, ses valeurs profondes, ses actes et leurs conséquences. Et puis il recommence, encore et encore. A chacune de ses nouvelles "résurrections", Jeff ne reproduira jamais le même scénario. Son âge, dix-huit ans pour les premiers replay, et le lieu (le campus universitaire) ne sont pas des détails anodins. C'est souvent à dix-huit ans qu'un jeune s'émancipe de l'autorité parentale, quelle que soit la génération. Et l'université est en général le théâtre des premières expériences et des premières décisions importantes. 

S'il y avait une réponse à la question posée par Camus, selon Grimwood, ce serait que, au-delà de la fatalité contre laquelle nous ne pouvons rien, chacun d'entre nous puisse définir lui-même le sens à donner à sa vie, définir ses rêves, désirer, en homme et femme libres.

Un chef-d'oeuvre de la littérature américaine !

"Justice poétique" de Amanda Cross (Rivages/Mystère)


Amanda Cross, de son vrai nom Carolyn G. Heilbrun, née en 1926 à East Orange, dans le New Jersey, est une éminente universitaire américaine, spécialiste de la littérature anglaise, du Bloomsbury Group et de l'histoire de la condition féminine, sujets auxquels elle a consacré plusieurs ouvrages qui font autorité. Mariée, mère de trois enfants, Carolyn Heilbrun enseigne la langue anglaise pendant plus de trente ans, de 1960 à 1993, à l'Université de Columbia, où elle est la première femme titulaire d'une chaire dans le département d'anglais.

Parallèlement à sa carrière universitaire, et dans le plus grand secret, depuis 1964, sous le pseudonyme de Amanda Cross, elle publie quatorze romans policiers dont l'héroïne principale, Kate Fansler, est professeur d'université, détective, féministe, politiquement engagée, et amatrice de whisky écossais. Ses intrigues policières sont toujours illustrées de références littéraires.

Carolyn Heilbrun s'est suicidée dans son appartement de New York en 2003. Selon son fils, elle ne souffrait d'aucune maladie. Elle estimait seulement avoir fait son temps.

Le roman "Justice poétique" fait largement référence au poète Wystan Hugh Auden.

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La justice poétique (ou justice immanente) est un procédé littéraire grâce auquel la vertu est récompensée et le vice puni. La justice poétique a été définie en 1678 par un théoricien de la littérature, l'Anglais Thomas Rymer. Le but de ce procédé littéraire est de suggérer au lecteur que le bien triomphe toujours du mal, et qu'il est donc plus sage d'adopter une bonne moralité.

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Wystan Hugh Auden est un écrivain anglais, naturalisé américain (York, 1907 - Vienne, 1973). Lié à Stephen Spender et Christopher Isherwood, il donne à son oeuvre poétique une tournure sociale où passe l'influence de Bertolt Brecht. Etabli en 1939 aux Etats-Unis, Auden abandonne l'inspiration marxiste pour une vision existentielle et chrétienne. "Pour le moment" (1945) est un oratorio de Noël, tandis qu'un bar new-yorkais devient l'occasion d'évoquer la solitude dans une époque privée de foi et de tradition. "L'âge de l'anxiété" (1947), "Le Bouclier d'Achille" (1955), "Hommage à Clio" (1960), "Autour de la maison" (1965) évoquent le jeu et les contrastes de la nature, de l'histoire et de l'homme. Des essais sur Kierkegaard, sur la poésie, particulièrement "La main du teinturier" (1962), couronnent une oeuvre qui reste remarquablement cohérente par le souci de diagnostiquer les maux du monde contemporain ("Mondes secondaires", 1968 ; "Ville sans murailles", 1969 ; "Merci : brouillard, derniers poèmes", 1974).

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L'histoire :

L'université de New York vient de connaître un tragique printemps. Etudiants et policiers se sont violemment affrontés durant de longues semaines et l'institution universitaire ne s'est pas montrée à la hauteur des événements. Seul le Collège d'adultes* mené par son doyen, le Professeur Frogmore, a su faire face avec intelligence et maturité. Pour l'administration et les enseignants de l'université, l'été fut consacré à remettre tout en ordre du mieux possible et préparer le nouveau programme et les prochains cours.

A la rentrée de septembre, le Professeur Kate Fansler est invitée à un déjeuner de travail organisé par le Professeur Frogmore. Des rumeurs laissent entendre que le Collège d'adultes devra bientôt fermer ses portes définitivement. La décision aurait été prise par une obscure instance appuyée par de nombreux professeurs du troisième cycle, persuadés que le Collège d'adultes dévalorise l'excellence de l'université et la valeur de ses diplômes. Le Professeur Frogmore compte bien organiser une résistance, entouré d'universitaires convaincus, comme lui, que toute personne, homme ou femme, si elle fait preuve de motivation et d'une instruction adéquate, puisse reprendre le cours de ses études supérieures à tout moment, quel que soit son âge.

Sans très bien envisager la tournure des choses, sans avoir encore la certitude que la cause est juste, Kate accepte de se lancer dans la lutte. Son compagnon de longue date, l'avocat Reed Amhearst, lui apporte son soutien, et considère même, avec humour, qu'il n'y a pas meilleur moment pour la demander en mariage.

A l'annonce de cette heureuse nouvelle, les collègues de Kate, très nombreux, lui organisent une fort sympathique réception. Hélas, le Professeur Cudlipp, tenace opposant au Collège d'adultes, fait un grave malaise et meurt quelques instants plus tard avant l'arrivée des secours...

* Le Collège d'adultes est une structure parallèle au Collège traditionnel, créée à l'origine pour récompenser les soldats qui s'étaient distingués à la guerre en leur permettant de faire des études. Puis ces écoles se sont rapidement ouvertes à toute personne, sans distinction d'âge ou de sexe, désireuse de reprendre ses études.

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Mon avis :
Ce roman, "Justice poétique", est construit en deux parties. La première est une virulente critique des universités américaines qui, en cette fin des années 1960, ont été secouées par de nombreux mouvements de contestations sociaux et politiques. Elles doivent se réorganiser et se restructurer mais se renouvelleront-elles ? Dans la seconde partie vient s'intégrer une diabolique intrigue policière. Le tout évolue sur fond d'une analyse finement ciselée de l'oeuvre de Auden. Un vrai bijou plus littéraire que policier !

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A lire également :
"Sur les pas de Smiley" (Rivages/Mystère)

L'histoire :

Sur le vol Londres/New York, un homme se réjouit d'être seul. Malheureusement, une femme s'installe à ses côtés. Elle aurait pu être jeune et jolie. Mais non. Elle est âgée, et ronde de surcroît. Ce n'est là que le début de sa longue liste de préjugés odieux et machistes. Par exemple, il s'étonne qu'à aucun moment du voyage, sa voisine ne lui raconte ni sa vie ni ses petits bobos ; qu'à la place d'un magazine sur papier glacé, elle lise Freud et John Le Carré ; qu'au lieu d'une tisane, elle choisisse un aquavit. Elle n'est pas allée non plus quinze fois aux toilettes, c'est lui qui la dérangera le premier. Cette dame surprenante avive sa curiosité. Hélas, à l'aéroport, elle se volatilise, laissant l'homme secrètement déçu.

Quelques mois plus tard, une femme mystérieuse et volontaire va bousculer les règles immuables de la modeste et très conservatrice université Schuyler. Un couple se trouvera pris dans ses mailles. Alors que son mari, l'avocat Reed Amhearst, quitte le bureau du procureur, le temps d'un semestre, pour mettre en place un atelier judiciaire à la faculté de droit, Kate Fansler, professeur de littérature anglaise, se laisse convaincre d'organiser, au sein de la même université que son mari, un cours de littérature conjoint à un cours de droit donné par le jeune Blair Whitson...

Mon avis :
Ce roman engagé dénonce la condition des femmes, notamment dans le milieu universitaire américain, et toutes les formes d'injustices faites aux minorités en général. Généreusement ponctué de citations et de références littéraires, tantôt avec gravité, tantôt avec impertinence et humour, ce texte garde à la fois légèreté et militantisme. C'est aussi un bel hommage à John Le Carré et à l'ensemble de son oeuvre. Et puis, comment ne pas tomber sous le charme d'une héroïne qui ne refuse pas, de temps en temps, un verre de très bon whisky écossais ?

"Stoner" de John Williams (J'ai lu)


John Edward Williams, né en 1922 à Clarksville, au Texas, et mort en 1994 à Fayetteville, en Arkansas, est un universitaire, poète et écrivain américain. Diplômé en lettres, à partir de l'automne 1955, il enseigne la littérature et l'écriture créative à l'Université de Denver. Ses oeuvres les plus connues sont ses romans "Stoner" (1965) et "Augustus" (1972). Ce dernier, non publié en français, est récompensé par le National Book Award en 1973.

"Stoner", traduit par Anna Gavalda, a été publié en 2011 aux éditions Le Dilettante.

L'histoire :
William Stoner est né en 1891 dans une petite ferme du Missouri. Il est l'enfant unique d'un couple de paysans très pauvre. A six ans, il s'occupe des vaches, des cochons et ramasse les oeufs au poulailler. Il va à l'école à douze kilomètres de chez lui. Ses journées sont si longues et si dures qu'à dix-sept ans, il se sent déjà usé. Puis, après le lycée, prêt à reprendre le travail de la terre avec son père, ce dernier, convaincu par l'avis du conseiller rural, propose à son fils de poursuivre des études d'agriculture. A dix-neuf ans, Stoner découvre, ébahi, l'université du Missouri et, durant sa deuxième année, les cours d'Introduction à la littérature du Professeur Sloane qui vont totalement changer son destin...

Mon avis :
Ce roman est tout à fait étonnant. Il nous conte l'histoire d'un homme sans éclats dont la vie médiocre est constellée d'échecs. Et pourtant, rien ne semble l'ébranler. Stoner n'a rien d'un héros shakespearien, n'a rien d'ardent, il n'est pas des plus sympathiques. Mais sa passion pour la littérature fait qu'il se passe quelque chose d'insaisissable avec ce professeur atypique. John Williams travaille son texte comme on travaille la terre : c'est rude, âpre... et à découvrir.