samedi 7 juillet 2018

Juillet 2018 - "Les livres de l'été" (partie 1)


"La Saga des Coughlin : Un pays à l'aube - Ils vivent la nuit - Ce monde disparu" de Dennis Lehane (Rivages)

Dennis Lehane est né en 1965 dans la banlieue de Boston (Massachusetts, Etats-Unis). Il a choisi la ville de Boston comme principale héroïne de ses livres. Qu'il la mette en scène avec le couple de détectives privés, Kenzie et Gennaro ("Un dernier verre avant la guerre") ou qu'il imagine "Mystic River", sur le thème de l'enfance déchirée et de l'amitié trahie, à travers le thriller, le polar mais aussi le roman historique, l'écrivain explore le passé et le présent de cette cité comme dans "Un pays à l'aube" ou "Ils vivent la nuit". Ses livres ont largement été adaptés au cinéma par Clint Eastwood, Ben Affleck ou Martin Scorsese. Il est également scénariste de séries comme "Sur écoute" ou "Bordwalk Empire". Son dernier opus, "Après la chute", paru en octobre 2017, est déjà en cours d'adaptation.


L'histoire :

1918

               "En raison des restrictions sur la liberté de circulation imposées à la ligue majeure de base-ball par le ministère de la Défense pendant la Première Guerre mondiale, les World Series de 1918 furent programmées en septembre et divisées en deux séries de matchs à domicile : les Chicago Cubs devaient organiser les trois premiers et Boston les quatre dernier. Le 7 septembre, après la défaite des Cubs au terme de la troisième rencontre, les deux équipes montèrent donc ensemble à bord du Michigan Central pour un trajet de vingt-sept heures, et Babe Ruth, passablement éméché, se mit à faucher des chapeaux."

Lors d'un arrêt prolongé à Summerford, Ohio, les passagers du train sortent se dégourdir les jambes. Babe Ruth, des Boston Red Sox, s'éloigne du groupe quand il entend, derrière un bosquet, une succession de bruits étrangement familiers. Curieux, il franchit la végétation et découvre avec stupéfaction, au-delà d'un pré, un groupe d'hommes de couleur en train de jouer au base-ball. Il ne tarde pas à remarquer les qualités remarquables de deux des joueurs. Flatté d'être reconnu, Babe Ruth sympathise avec l'équipe et se lance dans le jeu. Mais lorsque d'autres joueurs blancs des Chicago Cubs et des Boston Red Sox s'invitent sur le terrain, l'ambiance n'est plus au match amical, et Babe Ruth adopte une attitude qui n'est pas à son honneur...

*

En ce soir de juillet, le combat entre Danny Coughlin et Johnny Green va clore une manifestation fraternelle d'une journée organisée au sein de la police de Boston, appelée "Boxe & Badges : Deux poings pour l'espoir", et consacrée à recueillir des fonds pour un orphelinat pour enfants infirmes et pour le Boston Social Club. Danny monte le premier sur le ring. C'est là qu'il apprend que son adversaire en est à son troisième match en vingt-quatre heures, dont un perdu par K.O. "Pour payer son loyer" lui explique-t-on. L'issue du combat confirme les inquiétudes de Danny : pour Johnny Green, père de deux enfants, bientôt trois, suivront deux mois d'arrêt de travail, sans salaire, son expulsion de son logement, et le départ de sa femme et des petits...

Mon avis :

A couper le souffle !!! Ce livre de près de 1700 pages, intelligent, foisonnant, captivant, qui n'est pas sans rappeler "Le Parrain" de Mario Puzo, vous tiendra en haleine durant tout votre été si vous le dégustez, un peu moins si vous le dévorez !

Une fresque familiale et historique grandiose, centrée sur la ville de Boston, mais qui traverse toute l'Amérique, de 1918 aux années 1940. Plus qu'un roman, c'est un véritable travail de mémoire que Dennis Lehane a ici réalisé. Il évoque les dates et les événements politiques, sociaux, économiques, culturels, sportifs les plus importants du XXème siècle qui ont forgé les Etats-Unis. Au milieu des personnages fictifs, auxquels nous ne pouvons que nous attacher, nous croisons quelques visages connus. Citons simplement, pour le premier tome, "Un pays à l'aube", le joueur de base-ball George Herman Ruth, dit Babe Ruth, le journaliste et militant communiste John "Jack" Silas Reed, ou encore un certain John Edgar Hoover, futur premier directeur du FBI.

En un mot... Brillantissime !!!

"Journal d'Irlande - Carnets de pêche et d'amour 1977-2003" de Benoîte Groult (Grasset)

Benoîte Groult est née en 1920 à Paris. Elle s'est imposée comme l'une des grandes figures de la littérature féministe française au XXème siècle. Elle a commencé sa carrière en tant que professeur de latin au cours Bossuet. Journaliste, notamment à Elle et Marie-Claire, longtemps jurée du prix Femina, elle a d'abord publié avec sa soeur Flora des livres comme "Journal à quatre mains" (1963), "Le féminin pluriel" (1965), "Il était deux fois" (1967). Plusieurs best-sellers ont suivi, de "La part des choses" (1972) à "La touche étoile" (2006) en passant par "Ainsi soit-elle" (1975) et une aubiographie, en 2008, "Mon évasion". En 2013, Benoîte Groult a fait l'objet d'une belle bande dessinée signée Catel, "Ainsi soit Benoîte Groult", chez Grasset. Elle est décédée en 2016 dans sa maison de Hyères, dans le Var, au bord de la mer qu'elle aimait tant.

Mon avis :

Benoîte Groult a cinquante-sept ans lorsque ce journal intime commence. Il s'ouvre sur l'arrivée de Benoîte et Paul Guimard en Irlande où le couple acquiert une maison de vacances au bord de la mer, un lieu spécialement choisi pour pratiquer la pêche en toute liberté. En plus de la famille, des conjoints, des amants, des maîtresses, des ex..., cette demeure va accueillir des amis, des proches, pour la plupart des grands noms de la vie politique, culturelle, artistique et sportive française. Parmi eux, sans doute le plus prestigieux sera François Mitterrand, Président de la République alors en exercice.

Mais qu'on se le dise, ce "Home Sweet Home" n'est pas une maison de repos ! Et les visiteurs seraient bien avisés de s'en souvenir car, d'une manière ou d'une autre, ils seront entraînés dans le tourbillon. Ici, c'est pêche tous les jours, quoi qu'il advienne, par tous les temps, de bonne ou de mauvaise humeur, et c'est poisson, coquillages et crustacés à tous les repas. Exigeante, sans complaisance, infatigable, impatiente de profiter de chaque instant, débordante de vie et de désirs, la dame a du tempérament. Son caractère est semblable au climat irlandais : imprévisible. Si cet enthousiasme bouillonnant peut être communicatif, il peut aussi s'avérer épuisant, étouffant, castrateur.

Mariés depuis 1952, Benoîte Groult et l'écrivain et journaliste Paul Guimard forment un couple d'intellectuels, de gens de lettres et de culture. Ils partagent ensemble la même passion pour l'écriture et la mer. Sur le modèle de Beauvoir et Sartre, ils se sont engagés à respecter leurs "amours contingentes" respectives mais celles-ci les ont blessés tous les deux plus profondément qu'ils ne l'imaginaient. A l'automne de leur vie, les regrets et les rancoeurs se trahissent en même temps que les premiers signes implacables de la vieillesse.

Depuis longtemps, Benoîte Groult est amoureuse de deux hommes, qui la contraignent aujourd'hui à faire un choix impossible. Elle sait qu'elle est incapable de renoncer à l'intelligence et à la notoriété de Paul. Pourtant, sa façon de se laisser prendre sans lutter dans la toile du déclin du corps l'insupporte. Quant à l'Américain Kurt, pilote d'avion, de dix ans son aîné, son amour de jeunesse et son amant depuis 1945, il n'est pas très futé, n'a aucune conversation, aucun bon goût, sa beauté s'étiole, mais il l'aime comme elle n'a jamais été aimée, la désire et ils font encore l'amour ensemble. A leur âge, cela ne se refuse pas.

Benoîte Groult se livre sans fard. Elle se révèle d'une poigne de fer mais profondément touchante dans ses contradictions. Savoureux !