lundi 6 août 2018

Août 2018 - "Les livres de l'été" (partie 2)


"Quand sort la recluse" de Fred Vargas (Flammarion)

Fred Vargas est née en 1957 à Paris, de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau. La reine du polar français s'est d'abord spécialisée dans l'archéozoologie. Titulaire d'un doctorat d'Histoire, après avoir étudié la peste au Moyen Age, elle signe sous le nom de Fred Vargas son premier roman, "Les jeux de l'amour et de la mort", qui rafle le Prix du roman policier du festival de Cognac en 1986. Cinq ans plus tard, elle fait paraître "L'homme aux cercles bleus" chez Viviane Hamy, premier polar où elle introduit dans son univers le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, héros mythique d'une dizaine d'enquêtes, de "Pars vite et reviens tard" (Prix des lectrices de Elle en 2002) à "Un lieu incertain". "Temps glaciaires" est son treizième "rompol" (comprendre "roman policier"), le premier publié chez Flammarion.

L'histoire :

Au terme d'une enquête éprouvante, Adamsberg s'est envolé vers Grimsey, une petite île islandaise où il se ressource depuis maintenant deux semaines. Apaisé par le silence et la beauté du paysage qui l'entoure, le commissaire a totalement oublié Paris et ses tourments. Mais ce soir, la capitale le rappelle auprès d'elle.

De retour à la Brigade criminelle du XIIIème arrondissement, le commissaire Adamsberg peine à se concentrer sur une affaire guère passionnante que lui exposent ses agents, jusqu'à ce que l'attitude étrange du lieutenant Voisenet attire son attention.

Après le départ de ses collègues, Adamsberg rallume discrètement l'ordinateur de Voisenet et constate que ce dernier est en train de rassembler des informations, des articles de journaux et des forums de discussion au sujet d'une araignée bien particulière d'Amérique du Nord : l'araignée recluse, appelée aussi la recluse brune ou la recluse violoniste. Une araignée soupçonnée d'être responsable de la mort de plusieurs personnes en France depuis près d'un an. Loxosceles reclusa pique soudain l'intérêt du commissaire. 

Cette fois, c'est certain, la Brigade a retrouvé son chef...

Mon avis :

C'est un réel bonheur de partager une nouvelle odyssée en compagnie de l'original commissaire Adamsberg et de sa tout aussi atypique Brigade ! Des aventures toujours improbables et fantasques que tisse la magicienne Fred Vargas. Et nous voilà encore une fois embobinés ! Mais ne nous y trompons pas. Derrière la fantaisie, les sujets sont graves et ils sont traités avec toute la sensibilité et toute l'humanité d'une équipe unie autour d'un chef pittoresque et plus impliqué que jamais !

Une histoire prenante, des personnages diablement attachants, une enivrante folie douce... Un excellent cru, comme d'habitude !

"On se souvient du nom des assassins" de Dominique Maisons (La Martinière)

Dominique Maisons, né en 1971, est l'une des nouvelles révélations du polar français. Son premier thriller, "Le Psychopompe" (réédité chez Pocket sous le titre "Les violeurs d'âme") a été couronné du Grand Prix VSD du polar 2011. "On se souvient du nom des assassins" (La Martinière, 2016), a remporté le Prix Griffe Noire du meilleur roman historique 2016. Son nouveau roman, "Tout le monde aime Bruce Willis", a été publié en avril 2018 aux éditions La Martinière.

Dans son roman "On se souvient du nom des assassins", Dominique Maisons capture l'atmosphère de Paris en 1909, inspiré par la littérature populaire de l'époque. Il reconstitue le contexte social et l'ambiance tendue après la séparation des Eglises et de l'Etat dans un thriller documenté où l'on croise Gaston Leroux ou Alfred Binet.

"La fascination pour le crime dans les grands procès, dans les journaux, prend beaucoup d'ampleur à cette époque, il y a un retournement de la littérature vers de la littérature de genre qui naît à cette époque-là, d'où le titre "On se souvient du nom des assassins" : on commence à faire des vedettes des personnages dont les agissements les auraient auparavant condamnés à l'opprobre et à la plus grande discrétion." - (Dominique Maisons)

(Exposion universelle, Paris, 1909)
L'histoire :

Paris, printemps 1909

La rédaction du quotidien Le Matin bouillonne cet après-midi. Elle accueille l'illustre Max Rochefort, feuilletoniste à succès et vedette incontestée du journal. Ses histoires fidélisent un nombre grandissant de lecteurs. Son dernier roman-feuilleton arrivant à son terme, le conseil d'administration espère battre la concurrence et signer un nouveau contrat avec le créateur de la série "Boulevard du Crime" et du commissaire Nocturnax.

Après une heure de réunion, les deux parties sortent de la salle visiblement très satisfaites. Une des exigences du fameux écrivain est d'avoir à sa disposition, aux frais du journal, un secrétaire particulier. Le lendemain, cette tâche est confiée à Giovanni Riva, commis au service du courrier, un jeune homme travailleur, motivé, cultivé, à l'avenir prometteur. A cette mission s'ajoute celle de rapporter à l'administrateur du Matin tous les faits et gestes de Rochefort, dont la renommée n'est pas que littéraire. Les sorties mondaines parisiennes de l'auteur dandy sont de plus en plus remarquées et son excentricité pourrait impacter la réputation du quotidien.

Lors de son premier rendez-vous au domicile de Max Rochefort, Riva doit d'abord affronter Marguerite, la solide gouvernante lorraine, femme sévère mais bienveillante. Puis, le maître de maison expose à son nouvel assistant ce qu'il attend de lui et lui fait visiter "l'atelier d'écriture", sorte de bibliothèque débordant de documents, où s'active une équipe de trois rédacteurs. Giovanni sera le lien entre "les prête-plume" et "la célébrité"...

(L'Opéra Garnier, Paris)
Mon avis :

Après le meurtre sordide d'un cardinal dans un hôtel luxueux proche de Paris, à l'heure où la France est encore secouée par l'affaire Dreyfus et par la récente loi de séparation des Eglises et de l'Etat, un romancier à succès et son nouvel assistant aux allures d'un Rouletabille vont jouer aux détectives amateurs pour défendre une jeune fille accusée à tort.

Hommage à l'écrivain Gaston Leroux et écrite à la manière des romans-feuilletons de la Belle-Epoque, cette aventure rocambolesque aux multiples rebondissements nous entraîne aux quatre coins du Paris de ce tout début du XXème siècle, des endroits les plus huppés aux bas-fonds les plus glauques de la capitale. Foison de clins d'oeil à des faits et personnages historiques, cette intrigue n'est pas seulement captivante et trépidante. Instructive, elle est aussi une formidable invitation à approfondir nos connaissances sur une époque en pleine ébullition, berceau de progrès majeurs dans tous les domaines : psychiatrie, médecine, médecine légale, techniques scientifiques d'investigation de la police, aéronautique... C'est aussi le temps de la fascination pour l'Orient et l'exotisme en général, l'arrivée du gramophone et du cinématographe, l'installation de l'eau courante, du gaz et de l'électricité, les chantiers du métropolitain, les travaux des grandes avenues du baron Haussmann...

Parmi les très nombreuses personnalités célèbres croisées tout au long de ce roman, nous pouvons citer : l'écrivain Gaston Leroux, le psychologue Alfred Binet, l'aviateur Louis Paulhan, le préfet de police Célestin Hennion et ses Brigades du Tigre, le couturier Paul Poiret.

(Paris, 1909)

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(Le Matin du 19.04.1909)
Le Matin était un journal quotidien français créé en 1883 et disparu en 1944. Racheté par l'homme d'affaires sulfureux Maurice Bunau-Varilla, il fut l'un des quatre grands quotidiens dans les années 1910 et 1920, tirant un million d'exemplaires à la veille de 1914. Sa diffusion baissa à partir des années 1920, pour ne plus atteindre que 300 000 exemplaires à la fin des années 1930, tandis qu'il s'orienta vers l'extrême-droite, devenant collaborationniste sous Vichy. Il fut interdit de parution à la Libération.

Gaston Leroux (1868-1927) est un écrivain et journaliste français. Avocat, chroniqueur judiciaire à l'Echo de Paris, grand reporter au Matin et dreyfusard, il lance la mode des entretiens lors d'un reportage en Russie, dont les textes ont été réunis sous le titre "L'Agonie de la Russie blanche" (1978). En 1907, il publie dans L'Illustration "Le mystère de la chambre jaune" (édité en 1908), dont le héros, le jeune reporter Joseph Rouletabille, devient immédiatement célèbre. L'apport principal de Leroux au roman énigmatique est le meurtre en chambre close. Deux cycles suivent cet essai : celui de Rouletabille ("Le parfum de la dame en noir", 1909) et celui de "Chéri-Bibi". On lui doit encore la "Poupée sanglante" et "Le Fantôme de l'Opéra" (1910).

Alfred Binet (1857-1911) est un psychologue et physiologiste français. Il est le véritable créateur de la psychologie expérimentale française, qu'il orienta d'emblée vers l'étude des activités supérieures. Cherchant un moyen de dépister les enfants anormaux afin d'améliorer leur enseignement, il inaugure la méthode des tests mentaux, créant ainsi, avec le psychiatre Théodore Simon, la première Echelle métrique de l'intelligence (1905, puis 1908) qui porte leur nom (échelle Binet-Simon). Celle-ci a pour but de mesurer le développement de l'intelligence des enfants en fonction de l'âge (âge mental).

Louis Paulhan est un pionnier français de l'aviation né le 19 juillet 1883 à Pézenas (Hérault) et mort le 10 février 1963 à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques).

Célestin Hennion (1862-1915) est un préfet de police français. Il est célèbre pour avoir modernisé la police française au début du XXème siècle avec le soutien de Georges Clémenceau dit "le Tigre". En tant que directeur de la Sûreté générale, il est le créateur des fameuses Brigades du Tigre, ancêtres de la police judiciaire. Pour ces actions, il est connu comme le "père de la police moderne".

Paul Poiret (1879-1944) est un grand couturier français, connu pour ses audaces. Considéré comme un précurseur du style Art-Déco, il crée la maison de couture qui porte son nom en 1903.

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"Lumière morte" de Michael Connelly (Calmann-Lévy)

Michael Connelly est né en 1956 à Philadelphie (Etats-Unis). Lauréat du Prix Pulitzer comme chroniqueur judiciaire, il fait sensation avec "Les égouts de Los Angeles" (1992), où évolue son inspecteur Harry Bosch, souvent en conflit avec ses supérieurs dans sa recherche de la vérité. Les références à la peinture ou à la littérature - comme Edgar Allan Poe dans "Le Poète" (1996) - permettent à Connelly de transcender le roman noir. Il obtient divers prix aux Etats-Unis puis en France, dont le Grand Prix de littérature policière en 1999 pour "Créance de sang".

Le personnage de Hieronymus "Harry" Bosch est né en 1950. Homme taciturne, vétéran du Vietnam où il "nettoyait" les galeries souterraines creusées par les Vietcongs, Bosch a un fichu caractère, des amours compliquées, père d'une adolescente, Maddy, une passion pour le jazz, un penchant pour l'alcool et un prénom original : Hieronymus (Connelly s'est inspiré du peintre flamand Jheronimus Van Aken, dit Jérôme Bosch). Sa mère, prostituée, a été assassinée sur Hollywood Boulevard (hommage à James Ellroy). Son père, J. Michael Haller, est avocat, ainsi que son demi-frère, Mickey Haller, héros d'une autre série de Connelly ("La Défense Lincoln").

Connelly a créé d'autres séries, l'une autour de Terry McCaleb, agent du FBI, et l'autre autour du journaliste Jack McEvoy. Plusieurs de ces différents protagonistes sont parfois réunis dans une intrigue commune.

L'histoire :

Une jeune femme est retrouvée morte, assassinée dans son appartement. L'enquête est confiée aux inspecteurs Harry Bosch, Kizmin Rider et Jerry Edgar, du LAPD (Los Angeles Police District). La victime s'appelait Angella Benton. Elle n'avait que vingt-quatre ans. Elle était assistante de production pour la société hollywoodienne Eidolon depuis à peine six mois. Très rapidement, Bosch et son équipe sont en mesure d'affirmer que le meurtre a été mis en scène.

Trois jours plus tard, le tournage d'un film est la cible d'une fusillade violente et meurtrière au cours de laquelle deux millions de dollars en liquide sont volés. La société de production du film n'est autre que Eidolon. La police fait immédiatement le rapprochement avec la mort d'Angella Benton. Le lendemain, l'affaire est retirée à Bosch pour être confiée à Jack Dorsey et Lawton Cross des "Vols et Homicides".

Quelques mois après les faits, alors qu'ils déjeunent dans un bar, Dorsey et Cross se retrouvent au coeur d'un braquage. Dorsey est abattu. Cross est gravement blessé. Il en restera lourdement handicapé et souffrant de pertes de mémoire. Personne ne reprendra l'enquête des deux inspecteurs.

Près de quatre années se sont écoulées quand Harry Bosch, à la retraite du LAPD depuis huit mois et à présent détective privé, reçoit un appel émouvant de Lawton Cross. Des souvenirs lui reviennent partiellement.

Le temps est venu pour Bosch d'ouvrir son carton de vieux dossiers, une douzaine d'affaires non résolues, dont celle du meurtre d'Angella Benton...

Mon avis :

"Lumière morte" est un épisode charnière dans la série des Harry Bosch. Le héros est à un tournant important de sa vie et n'a pas le droit à l'erreur. Plus sombre, écrit à la première personne du singulier, il est inéluctablement plus intime, plus intérieur, proche de la confidence. A présent livré à lui-même, sans la protection des institutions, Bosch se retrouve seul face à ses contradictions. Flic dans l'âme, la volonté de rendre justice aux victimes chevillée au corps, mais électron libre et souvent en conflit avec la hiérarchie, quel détective privé sera-t-il ? Comment envisage-t-il sa nouvelle carrière et ses relations avec ses semblables ? Dans sa résolution sur fond de jazz (toujours !), cette affaire va lui apporter quelques éléments de réponse.

Sans doute l'un des meilleurs romans de Michael Connelly par cette affinité et cette authenticité qu'il a su créer entre le lecteur et l'enquêteur.

Afin de rassurer les nouveaux venus dans l'univers de Michael Connelly, il est important de préciser que l'auteur apporte à son intrigue toutes les informations nécessaires pour que la lecture soit fluide et agréable à l'adresse des "initiés" comme de celle des "profanes".