jeudi 10 novembre 2016

Prochaines présentations : mi-décembre 2016





"Joyeux Noël !"

Des livres à offrir...

"Le livre des haïku" de Jack Kerouac (La Table Ronde) (Edition bilingue)


"La part de zen qui a influencé mon écriture est le zen contenu dans le kaïku, comme je l'ai dit, ces poèmes en trois vers de dix-sept syllabes écrits il y a des centaines d'années par des types comme Bashô, Issa, Shiki, et il y a des maîtres récents. Une phrase courte et douce avec un saut de pensée soudain est une sorte de haïku ; il y a là beaucoup de liberté et d'amusement à s'y laisser surprendre soi-même, à laisser l'esprit sauter de la branche de l'oiseau."
Jack Kerouac


          Alors j'inventerai
               Le genre du haïku américain :
               Le simple tercet rimé -
          Dix-sept syllabes ?
          Non, comme je le dis, des Pops américains -
          De simples poèmes de trois vers
Jack Kerouac (Notes de lecture, 1965)

Jack Kerouac est un écrivain américain (Lowel, Massachusetts, 1922 - Saint Petersburg, Floride, 1969).

Fils d'immigrés canadiens français d'origine bretonne et normande, Jack Kerouac, après un passage éclair à l'université Columbia, essentiellement consacré au football, est tour à tour matelot, pompiste, serveur, cueilleur de coton, déménageur, manoeuvre. Se posant, d'emblée, hors de tout establishment, il se veut autodidacte.

En 1944, il rencontre Allen Ginsberg et William Burroughs, compagnons d'escapades nocturnes au gré de l'alcool et du jazz be-bop de Charlie Parker. C'est alors qu'il s'attelle à son premier roman "Avant la route" (publié en 1950, en partie autobiographique, en partie fantasmagorique). En 1947, il fait la connaissance de celui qui devient son "jumeau", de trois ans plus jeune, Neal Cassady. Tous deux sillonnent les routes des Etats-Unis. Sous le nom de Dean Moriarty, Neal Cassady est l'inspirateur de "Sur la route" (1957). Dactylographié en trois semaines par Kerouac sur un rouleau de telex, le roman lui apporte la célébrité et devient le manifeste de la beat generation.

Obsédé par les grands mythes américains, soucieux de ne pas séparer l'entreprise littéraire d'une expérience vitale, il a donné une oeuvre partagée entre l'évocation de ses origines québécoises ("Docteur Sax", 1959 ; "Visions de Gérard", 1963 ; "Vanité de Duluoz", 1968) et l'appel au continent américain, inauguré par "La Ville et la métropole" (1950), suivi par "Sur la route". L'espace américain est insuffisant ; il appelle d'autres fuites et d'autres expériences, celle de la bohème ("Les Souterrains", 1958), celle du bouddhisme ("Les Clochards célestes", 1958), celle de l'errance mystique ("Les Anges vagabonds", 1965), et le retour à des lieux emblématiques ("Big Sur", 1962), dits sous la forme poétique ("Mexico City Blues", 1959) ou selon la recherche généalogique et l'attente de l'illumination ("Satori à Paris", 1966). Le simple voyage ("Le Vagabond solitaire", 1960), la transcription onirique ("Le Livre des rêves", 1961), l'explicite commentaire religieux ("Les Ecritures de l'éternité d'or", 1960) attestent l'insatisfaction constante et l'effort pour réformer le moi et le monde.

Fils de Whitman, Rimbaud des villes américaines, Kerouac reste la figure de l'échec exemplaire : le sens du réel, l'attention au rythme, la fraternité des démunis le cèdent au choix de la ruine et de la déchéance par l'alcool, pour faire de l'oeuvre de la révolte et du souvenir le témoignage constant du déracinement américain et de l'incertitude de toute parole.

Miné par l'alcool, la benzédrine et autres substances, il est mort à 47 ans sans avoir pu concrétiser son rêve : relier ses oeuvres, à la façon de Balzac ou de Proust, sous un titre générique, "La Légende des Duluoz". S'étant désolidarisé du mouvement beat, il se définissait comme "un artiste, un conteur, un écrivain dans la grande tradition française, et non le porte-parole d'un million de voyous."

Mon avis :
Soyons honnêtes, nous sommes très loin des grands maîtres japonais classiques auxquels l'écrivain se référait. La poésie, la profondeur, la subtilité, ces frissons que doivent provoquer des haïkus manquent cruellement. Toutefois, ces textes ont ceci de très intéressant qu'ils nous rapprochent de Kerouac, de son état d'esprit, de ses états d'âme, de l'homme qu'il a été.

                    Savez-vous pourquoi mon nom est Jack ?
                    Pourquoi ?
                    Voilà pourquoi.

                          Mémère dit : "Les planètes sont
                          espacées pour que les gens
                          se fichent la paix."

                     Je suis allé dans les bois
                     pour méditer -
                     Il fait trop froid

"La vitesse foudroyante du passé" de Raymond Carver (L'Olivier)

Raymond Carver est un écrivain américain (Clatskanie, Oregon, 1938 - Port Angeles, Etat de Washington, 1988). Souvent situées dans le Nord-Ouest, sur la côte pacifique, ses nouvelles mettent en scène des personnages de prolétaires qui doivent beaucoup à son expérience personnelle. Les limites de leur vie banale, rongée par le chômage, l'alcool ou les problèmes de couple, se reflètent dans une écriture dépouillée qui évite la psychologie et les effets et privilégie les détails. Son minimalisme désespéré a profondément influencé les écrivains américains des années 1980 ("Tais-toi, je t'en prie", 1976 ; "Parlez-moi d'amour", 1981 ; "Les Vitamines du bonheur", 1983). "Les Feux" (1983) rassemble des poèmes, des essais et des nouvelles. "Qu'est-ce que vous voulez voir" a été publié à titre posthume en 2000.

Mon avis :
On regrette un peu que l'édition de ce recueil ne soit pas bilingue, car il nous manque la musicalité des mots et des rimes de la langue originale. Néanmoins, la traduction française nous livre de très beaux textes poétiques dans lesquels l'auteur confie ses pensées les plus profondes, des instantanés de sa vie quotidienne dans ce qu'elle a d'ordinaire, ou d'extraordinaire parfois, ses amours, ses ruptures, ses souvenirs d'enfance, la mort, sa passion pour la pêche, la nostalgie du passé...

Un ouvrage très émouvant et bouleversant que l'on referme avec tristesse !

          "Le meilleur moment de la journée"
    
                    Fraîches nuits d'été. 
                    Fenêtres ouvertes.
                    Lampes allumées.
                    Des fruits dans le bol.
                    Et ta tête sur mon épaule.
                    Ce sont les moments les plus heureux de la journée.

                    Avec les premières heures du matin,
                    bien sûr. Et juste
                    avant le déjeuner.
                    Et l'après-midi, et 
                    les premières heures du soir.
                    Mais j'aime vraiment

                    les nuits d'été.
                    Davantage, je crois,
                    que tous ces autres moments.
                    Les tâches du jour accomplies.
                    Quand personne ne peut plus nous joindre alors. 
                    Ni jamais.

"La Grande Enigme" de Tomas Tranströmer (Le Castor Astral) (Edition bilingue) - Prix Nobel de Littérature 2011



La circulation fourmillante des autoroutes
et la circulation silencieuse
des revenants.
Plus loin : les masques de la tragédie dans le vent
contraire
et le vacarme de la vitesse - plus loin :
l'assaut

où s'évaporent les derniers mots d'amour -

Tomas Tranströmer - "Sentiers", 1973


On marche longtemps et on écoute et on arrive au moment où les frontières s'ouvrent
ou plutôt
où tout devient frontière. Une place découverte plongée dans l'obscurité. Des gens sortent groupés des bâtiments faiblement éclairés tout autour. Une rumeur.

Tomas Tranströmer - "Baltiques", 1974


Tomas Tranströmer (1931-2015) est un poète suédois et lauréat du Prix Nobel de Littérature 2011.

"A travers ses images condensées, translucides, il nous donne un accès neuf à la réalité" avait expliqué le comité Nobel pour expliquer son choix.

Né en 1931 à Stockholm, Tomas Tranströmer a d'abord suivi une formation en psychologie qui l'a conduit à exercer toute sa vie en prison, auprès des handicapés, des toxicomanes. Parallèlement, il se fait connaître en Suède dès 1954, à l'âge de 23 ans, avec la parution d'un premier recueil de poèmes intitulé "17 poèmes". Ainsi commence une oeuvre assez limitée, un peu plus d'une dizaine de recueils à ce jour, traduite en près de soixante langues. 

En France, son principal éditeur est Le Castor Astral. De "Prières laïques" en questionnements plus sombres, entre visions oniriques et sens aigu du réel, la nature y tient une place déterminante et à travers elle s'exprime une interrogation sur la place de l'individu dans le monde.

Homme discret, récompensé par de nombreux prix internationaux, il s'exprimait d'autant moins qu'il était partiellement paralysé et aphasique depuis 1990. Il vivait à Stockholm et passait une partie de son temps à écouter de la musique et à jouer du piano. Il a néanmoins publié deux nouveaux recueils depuis cet accident. Ont suivi, en 1996, la parution de ses oeuvres complètes "Baltiques ; La Gondole chagrin". "La Grande Enigme", recueil de quarante-cinq haïkus, est son dernier livre paru en 2004. Tomas Tranströmer est décédé en 2015 à l'âge de 83 ans.

Mon avis :
Entre terre et mer, entre ombres et lumières, le poète observe le monde, écoute, ressent, vit, vibre avec toute sa sensibilité, mais surtout avec toute son humilité face à une Nature indomptable. 

Un ouvrage admirable !

          Extraits :

                               Porté par l'obscurité.
                               Je croise une grande ombre
                               dans une paire d'yeux.

                    Vent immense et paisible
                    de la bibliothèque marine.
                    Où je peux reposer.

                               Renne en plein soleil.
                               Les mouches cousent et cousent encore
                               son ombre sur le sol.

"Huit poètes écossais contemporains" - Anthologie (L'Harmattan)


Angus Calder (1942-2008) a été professeur de littérature à l'université de Nairobi (Kenya) pendant trois ans, puis il a enseigné à l'Open University d'Edimbourg de 1979 jusqu'à sa retraite en 1993 où il publia son premier recueil de poèmes.

          "Début septembre"

               On croit traverser
               le Forth toucher
               les coquelicots des champs du Fife.

               Roses immenses
               comme des vitraux.

               Arbres aux mouchetures feuille-morte
               habillés comme pour
               une nuit à l'opéra.

               La lumière est si riche
               de détails généreux

               que la lame de rasoir
               de l'air froid
               ne semble pas si importante.
   
Angela McSeveney (1964-) a vécu enfant à Galashiels, dans les Scottish Borders, au sud d'Edimbourg. Elle a d'abord publié ses poésies dans des revues et des anthologies. Puis, en 1992, elle a fait paraître son premier recueil "Coming out with it".

          "Piercing"

               Comme je trouve enfin le courage
               d'entrer, il m'amène
               dans une petite pièce au fond,

                je lui donne l'argent
                et je dégrafe mes vêtements.
                Il me dit où il faut m'allonger.

                Cela fait bizarre
                que je ne connaisse pas son nom,

                mais du moins je porte des sous-vêtements
                dans lesquels je serais heureuse
                de rencontrer le Créateur.

                Tout en m'anesthésiant
                il fait des remarques sur mon nombril
                et sa profondeur convenable.

                Dehors dans la rue le samedi matin
                je porte discrètement ma retouche sous mes vêtements.

                Plus tard quand j'enlève le pansement
                mon nombril et le bouton
                sont noirs de sang

                et c'est comme si je venais de naître.

George Gunn (1956-) vient du Caithness, dans les Highlands, région de l'Ecosse qui mêle culture celtique et culture scandinave et qui sont la sève et l'inspiration du poète.

          Extrait de "Dernière récolte orcadienne"

               1
                La lune est pleine encore cette nuit
                comme son visage est une danse orange
                les vagues lugubres dissolvent leur propre insistance
                les mouettes fuselées caressent leur face de rocher

                 la lune est emportée maintenant vers un silence bleu

Colin Donati (1962-) est né à Dalbeattie, à deux pas du Solway Firth (frontière entre l'Angleterre et l'Ecosse). Il étudie d'abord la méditation pendant six ans, puis publie, en 1997, ses poésies dans nombre d'anthologies et de revues littéraires. En 2002 paraît son premier recueil "Rock is Water, or a History of the theories of Rain".

          "La soirée au bord de la rivière"

               Le guépard est en l'air
               dans le bond final ;
               l'antilope à ce moment
               esquive rapidement vers le ruisseau ;

               plus loin vers l'est
               sur le sol d'une maison en bois dans une plaine alluviale
               entourée de chiens qui dorment

               deux hommes se concentrent
               sur une partie d'échecs

W.N. Herbert (1961-) est né à Dundee. Poète et enseignant en Création littéraire, il a reçu de très nombreux prix britanniques pour sa poésie.

          Extrait de "Chuchoter à travers la glace"

               Mon peuple croit que c'est
               afin de parler
               avec les dieux
               que je dois entrer
               dans ce lieu de terreur,
               et pour cette raison
               il me craint et,
               craignant cette crainte,
               il me déteste aussi.
               Mais ce n'est pas le cas.

                Quand je suis là
                c'est comme si
                j'avais été pressé
                entre deux nappes de glace
                fondant et se reformant à mesure
                qu'elles absorbent
                la chaleur de ma peau
                et de mes entrailles
                jusqu'à me tenir
                parfaitement, comme
                une hache de cuivre est tenue
                dans son moule.

                Dans ce lieu je vois
                des figures déformées marcher
                et parler dans la neige,
                grogner et
                se frapper les côtes,
                mais ce sont les voisins
                et non pas les dieux.
                Grands comme des ours
                ils habitent déjà
                le lieu de terreur.

Gael Turnbull (1928-2004) est né à Edimbourg et a vécu en Angleterre, aux Etats-Unis, et au Canada où il a publié ses premiers poèmes.

          "Non"

               Non, le soleil ne remplit pas l'aurore de braises

               et les étoiles ne sont pas des diamants lancés par poignées à
               travers le firmament

               et la lune est une croûte de cratères gelés, et non pas une boule
               phosphorescente ni une perle trempée de lumière

               et mon coeur n'est pas un fourneau, mais plutôt une pompe et
               mes pensées sont claires et détachées, non pas des chevaux
               indomptés sans rêne ni bride

               et non, lorsque tu me regardes dans les yeux, ce n'est pas
               comme les vagues se brisant sur le rivage... se brisant toujours
               pour la première fois.

SB Kelly est un critique littéraire né à Falkirk, entre Edimbourg et Stirling. Il s'intéresse beaucoup à la poésie expérimentale.

          Extrait de "L'Edimbourg de Bone"

               Les incidents que je vais raconter s'offrent comme note en bas
               de page :
               D'une manière ou d'une autre j'étais au milieu d'un labyrinthe 
               d'allées,
               disparaissant dans des entrées à l'obscurité impénétrable,
               de longs passages menant à des escaliers intérieurs encore plus
               obscurs,
               cela, et beaucoup d'autres passages sauvages.
               Après leurs escaliers sans fin,
               franchissez ces portes impressionnantes et vous êtes tout de suite
               au grenier.
          
Gavin Bowd est né en 1966. Il a passé son enfance entre les Scottish Borders et Hong-Kong et a étudié à St Andrews et Paris. Il a été membre des partis communistes anglais et français de 1981 à 1991. Sa poésie s'inspire des poètes comme, entre autres, Eugène Guillevic, Kenneth White, Rimbaud, et Michel Houellebecq dont il est d'ailleurs le traducteur anglais.

          "Un oiseau rare"

               Vous ne comprenez pas :
               un oiseau rare est un oiseau perdu.
               Vous regardez et remarquez mon plumage,
               vous écoutez mes cris étranges
               seul sur une cime luxuriante.

               Un oiseau rare est un oiseau perdu.
               Comprenez : de mauvais vents d'ouest
               m'ont éloigné d'une femelle.
               Des souvenirs fleuris d'un pays lointain
               sont plus rapides que mes ailes.

Mon avis :
De très intéressantes découvertes, un beau voyage littéraire, et un coup de coeur personnel pour Angus Calder...

"Intégrale" (14 CD) de Juliette (Universal/Polydor)

Juliette Noureddine, communément appelée Juliette, d'origine kabyle, est née à Paris en 1962 et s'installe à Toulouse à l'âge de treize ans. Son père est saxophoniste à l'orchestre du Capitole de Toulouse. Elle baigne dans un univers musical, aux influences aussi variées que le jazz, la musique arabe, la chanson populaire et la musique classique. Aux études universitaires de musicologie et de lettres, elle préfère chanter dans les bars et les cabarets en interprétant Brel, Vian ou Piaf. 

En 1985, elle inaugure les Découvertes de Jeunes Talents du festival de Bourges. Le festival de Lormes et les Francofolies de La Rochelle l'accueilleront aussi en 2004. Très présente sur scène, et fan de Jean Guidoni, elle assure la première partie du chanteur en 1990 et rencontre à cette occasion Pierre Philippe, parolier du chanteur avec lequel elle continue de collaborer par la suite. Passionnée par la scène et le contact avec le public, entre 2005 et 2006, elle effectue de nombreuses tournées en France, au Canada et au Japon, et se produit sur différentes scènes de Paris. 

Eclectique et curieuse, Juliette expérimente la lecture de textes littéraires, écrit un livre, "Mensonges et autres confidences", et produit une émission sur France Musique intitulée "Juliette ou la clé des sons". Outre ses talents d'écrivain et d'animatrice, elle signe la mise en scène du spectacle de François Morel, "Un soir, des lions" au théâtre du Rond-Point à Paris. 

Artiste émouvante et drôle, Juliette explore toutes les émotions. En 2016, le CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée) a nommé Juliette Noureddine à la présidence de la commission du Fonds d'Aide au Jeu Vidéo. Elle vient également de faire la mise en scène du nouveau spectacle musical de François Morel "La vie (titre provisoire)", au théâtre du Rond-Point depuis le 4 octobre.

Mon avis :

Paroles, musique et interprétation jubilatoires !!! De la poésie pure ! De l'humour, de la fantaisie... A la fois joyeux et émouvant... Entre le romantisme fantastique du XIXème siècle et l'ambiance des cabarets et des cirques de la Belle Epoque... Un beau rayon de folie... Une "Intégrale" précieuse et gourmande de mots, de Lettres, de vin...

Juliette chante aussi Victor Hugo, Norge, Henri-Georges Clouzot, Robert Desnos, Baudelaire...

On pleure sur "Une lettre oubliée", duo avec le regretté Guillaume Depardieu, et on rit sur "Mémère dans les orties", duo avec son complice François Morel...

Un ravissement !!!

Ecoutez si vous le voulez "Rimes féminines"...
https://www.youtube.com/watch?v=oeR4YmZcSbQ

ou encore... "Le Diable dans la bouteille"...

jeudi 29 septembre 2016

Prochaines présentations : début novembre 2016





"Vers et prose sans frontières"

"Les vagues" de Virginia Woolf (Le Livre de Poche) - Traduit par Marguerite Yourcenar


Virginia Woolf (1882-1941) est une figure marquante de la société littéraire londonienne et du Bloomsbury Group. Virginia Stephen grandit dans une famille recomposée (d'un premier mariage, sa mère a quatre enfants et son père une fille), dont le père, à la personnalité fantasque, reste longtemps le modèle. Elevée dans une atmosphère très cultivée, enfant elle est déjà d'une nature très angoissée. Elle a treize ans lorsque sa mère décède d'une grippe. Elle plonge alors dans une grave dépression dont elle ne se remettra jamais. A la mort de son père, son rythme créatif s'accélère. Elle est l'auteur de romans en rupture avec les règles classiques littéraires et qui se veulent des "tableaux impressionnistes des méandres de l'âme" : "La traversée des apparences" (1915), "La chambre de Jacob" (1922), "Mrs. Dalloway" (1925), "La promenade au phare" (1927), "Les vagues" (1931), "Les années" (1937). Influencée par Proust et Joyce, elle tente de rendre sensible la vie mouvante de la conscience et de saisir les impressions fugitives et quotidiennes dans ses ouvrages, où l'action et l'intrigue ne jouent presque aucun rôle. Grâce au soutien permanent de son mari, Leonard Woolf, elle édite également chez Hogarth Press de grands auteurs étrangers, notamment Sigmund Freud. Mais sa souffrance psychique est trop forte : elle se suicide en se jetant dans une rivière.

Soliloque :
1) Entretien de quelqu'un avec lui-même.
2) Discours de quelqu'un qui, en compagnie, est seul à parler.

Mon avis :

Lire un ouvrage de Virginia Woolf est à la fois exaltant et éprouvant. Est-il vraiment nécessaire de rappeler que l'écriture de Virginia Woolf est un sublime écrin recelant d'inestimables joyaux de poésie, de délicatesse et de culture ? Lire cette langue d'une grande puissance littéraire, et pourtant simple et accessible, est bouleversant. Toutefois, le propos est plus complexe car il s'appuie sur une réflexion très dense, exploitée jusqu'au plus profond du possible, et constante de la première à la dernière ligne. Ce qui oblige le lecteur à maintenir une certaine concentration, mais c'est un exercice on ne peut plus stimulant et enrichissant.

On ignore où... On ignore quand, à quelle saison... La brume matinale recouvre de son voile éphémère une maison blanche, belle et calme, blottie au milieu des arbres, tournée vers la mer, là-bas, à l'horizon. Le sable de la plage est lentement caressé par le va-et-vient des vagues... Une journée ensoleillée va se dérouler sous nos yeux, métaphore de la vie, de l'aube au crépuscule...

Entre soliloques* et dialogues, six personnages, issus d'un milieu social privilégié, évoquent des souvenirs qu'ils partagent depuis l'enfance, non dans le récit des événements mais dans ce qu'ils ont ressenti au moment des faits, et ce qu'ils ressentent aujourd'hui. C'est pour chacun un voyage intérieur intense et douloureux.

La solitude, la jalousie, l'amitié, la fuite, la peur, le rapport aux autres, les premiers émois, les rêves, les fantasmes... Bernard, Suzanne, Rhoda, Neville, Jilly et Louis ne refoulent rien. Dans cette sorte de jeu impitoyable de la mémoire, "qui suis-je ?" est leur véritable question.

Les six amis affrontent leurs conflits intérieurs, leurs pensées les plus profondes, révèlent leur Moi. Peu à peu, ils réalisent la médiocrité de leur vie. Ensemble, et sans doute inconsciemment, ils ont entretenu une certaine complaisance avec l'ennui, l'introspection, l'indifférence aux autres. Et surtout, ils ont négligé un septième personnage, disparu trop tôt, le vrai héros de ce roman, Perceval. Du groupe, il était la carte de la chaleur humaine, de la générosité et de la curiosité qui leur manquent à tous.

Virginia Woolf nous entraîne dans les vagues de la vie, nous malmène, nous bouscule jusqu'à ce que nous perdions pied. Puis nous redépose sur la plage, nous laisse à peine le temps de nous apaiser, de reprendre nos esprits, et nous emporte à nouveau dans les flots de son âme. Les vagues déferlent et balaient tout sur leur passage, y compris l'insouciance. C'est une oeuvre pessimiste, mais ô combien admirable !


Extrait :
"Le mariage, la mort, les voyages, l'amitié, dit Bernard, la ville et la campagne, et les enfants, et tout le reste : une substance dont les mille facettes sont taillées à même les ténèbres, une fleur aux mille pétales. Arrêtons-nous un instant : contemplons notre oeuvre. Laissons-la resplendir au pied des ormes. Une vie. Voilà... C'est fini... C'est éteint."

"La femme gelée" d'Annie Ernaux (Folio)


Annie Ernaux est une romancière française née à Lillebonne en 1940. Des "Armoires vides" (1974) à "La honte" (1997), en passant par "Ce qu'ils disent ou rien" (1977), "La femme gelée" (1981), "La place" (Prix Renaudot 1984), "Une femme" (1988) et "L'événement" (2000), elle décrit, sans déploration mais avec une précision chirurgicale, la banalité d'une expérience, la sienne, mais sur bien des points commune à nous tous : au fond du café-épicerie de ses parents, une adolescente échappe, avec une culpabilité douloureuse, aux déterminismes familiaux en accédant à la culture littéraire grâce à l'école. Sa langue toute en litotes* et en ellipses* explore et superpose les différents registres de l'oralité, populaire et distinguée. Dans ses derniers textes, Annie Ernaux se fait la diariste de plus en plus minimaliste et impudique de son expérience amoureuse, dans des "récits vrais" sans concession, dont le style épuré se veut sans détours ni dérision protectrice, au plus près des émotions et des sensations douloureuses.

LitoteFigure de rhétorique consistant à affaiblir l'expression de la pensée pour laisser entendre plus qu'on ne dit.

Ellipse :
1) Dans certaines situations de communication ou dans certains énoncés, omission d'un ou de plusieurs éléments de la phrase, sans que celle-ci cesse d'être compréhensible.
2) Raccourci, sous-entendu, procédé allusif.

L'histoire :
Les femmes qui ont entouré son enfance et son adolescence ne ressemblaient en rien aux fées du logis présentées dans les magazines de mode de l'époque, les années 1940 à 1960. Ces femmes fortes, volontaires, courageuses, qui parlaient haut, soumises à aucun homme ni à aucun diktact visant à faire d'elles "de parfaites ménagères", ignorantes des "bonnes manières"... ces femmes-là ont été les modèles d'Annie Ernaux. Au sein du couple parental, du fait du commerce, les tâches domestiques étaient naturellement partagées, et les filles, de l'avis de sa mère comme de son père, avaient autant le droit d'étudier que les garçons. Mais au lycée privé religieux où l'auteur était scolarisée, on lui enseignait une autre vie : fuir la gent masculine, devenir une jeune fille distinguée et studieuse, une jeune femme discrète et convenable, une future épouse suffisamment éduquée mais point trop pour ne pas porter ombrage au chef de famille. Pour l'écrivain, par le simple fait d'être issue d'un milieu social modeste, par le simple fait d'être une femme, le chemin des études sera douloureux, semé d'embûches, d'humiliations et de questions sans réponses. Dans cette société conservatrice, difficile pour une femme de revendiquer sa liberté sans s'attirer des foudres zélées. Malgré sa volonté de ne pas tomber dans le piège, la narratrice se retrouve, juste avant le capes, étudiante, mariée et mère d'un petit garçon. Continuer ou arrêter ses études... La carrière ou la famille... Choix cornélien entre la raison et ses rêves... Choix qui ne s'impose qu'aux femmes...

Mon avis :
Avec une grande justesse et toute sa sensibilité, Annie Ernaux raconte le parcours d'une jeune étudiante dans une société prise en étau entre un fort conservatisme et des mouvements féministes naissants. Un récit édifiant sur l'émancipation de la femme, un combat commencé il y a déjà plusieurs décennies, et la tristesse (et la colère !) de constater qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, de murs à abattre.

"Annie Ernaux est une exploratrice qui sort au grand jour des faits et des sentiments vécus. Loin de bâtir une autobiographie, elle parle de nous, entre le gouffre, la honte et la lucidité. Elle nous voit et nous accompagne dans une lutte perpétuelle contre l'oubli et le silence, pour "sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais". Avec elle, nous sommes vivants."
Christine Ferniot - Magazine "Lire - Avril 2016"

"Pensées secrètes" de David Lodge (Rivages)


David Lodge est un écrivain britannique brillant né à Londres en 1935. Elevé au sein d'une famille catholique de classe moyenne, coincée entre l'aristocratie et le prolétariat, David Lodge a passé son enfance et son adolescence à lire des comics et des auteurs anglais comme Jerome K. Jerome, Evelyn Waugh et Graham Greene. Très attiré par la fiction, il se lance à quinze ans dans l'écriture de romans et de nouvelles avant d'entreprendre des études de littérature. En 1960, il obtient son premier poste à l'université de Birmingham et publie depuis régulièrement des essais, dans lesquels il analyse la richesse et la variété de la littérature anglo-américaine.

Mais, parallèlement à ces essais et à une carrière universitaire poursuivie jusqu'en 1987, David Lodge est aussi un romancier à la production abondante, inventeur du "picaresque académique", selon la formule d'Umberto Eco, se moquant tranquillement des universitaires qu'il fréquente. Pour Lodge, le roman est le prétexte de rencontres hilarantes. Dans "La Chute du British Museum" (1965), il met en scène les pérégrinations comiques d'un homme pris dans le brouillard londonien. Texte de l'enfance, "Hors de l'abri" (1975), est le récit le plus autobiographique de l'auteur, roman d'apprentissage et roman international, marqué par l'influence de "Dedalus" de Joyce, et des "Ambassadeurs" de James. En 1980, il obtient le prix du Whitbread Book of the Year pour "Jeux de maux".

Ecrivain intarissable, il poursuit une oeuvre à la fois drolatique et amère, de "Changement de décor" (1975) à "Un tout petit monde" (1984), peinture féroce des congrès universitaires, de "Jeu de société" (1988) à "Nouvelles du Paradis" (1991). Dans "Thérapie" (1995), il brosse le portrait d'un scénariste à succès livré à toutes les thérapies possibles pour sortir de sa dépression. "Pensées secrètes" (2000) est un réjouissant badinage entre une romancière et un spécialiste des sciences cognitives. "La Vie en sourdine" (2008) évoque les affres de la vieillesse. Autant d'oeuvres où l'auteur associe un sens aigu de l'observation à une grande verve satirique. Il a écrit également des ouvrages critiques ("L'Art de la fiction", 1992 ; "Dans les coulisses du roman", 2007).

"Enregistrons les atomes à mesure qu'ils affluent à l'esprit et dans l'ordre où ils affluent."
Virginia Woolf (citée dans ce roman)

L'histoire :
A la fin des années 1980, Ralph Messenger avait acheté un dictaphone pour noter le plus fidèlement possible ses pensées à mesure qu'elles venaient. Il s'en souvient. C'était au duty-free de l'aéroport de Londres Heathrow. Il se rendait à un colloque sur "La vue et le cerveau" à San Diego, en Californie. Il avait omis un détail : comment donner à transcrire à la dactylographe des microcassettes sur lesquelles, au milieu de réflexions sérieuses et pertinentes, on a enregistré ses ébats au lit avec une très belle jeune femme rencontrée à ce colloque ? Une seule solution : les retranscrire lui-même. Ce qui est fastidieux pour Ralph ! Huit ans plus tard, on le retrouve. Il est en train d'installer un logiciel de reconnaissance vocale (en remplacement de son vieux dictaphone) sur l'ordinateur de son bureau de professeur, spécialiste des sciences cognitives, à l'université de Gloucester.
Helen Reed, écrivain de renom, a été invitée par l'université de Gloucester à assurer, ce second semestre, des cours de création littéraire à un groupe d'étudiants de la faculté de lettres. Son unique expérience d'enseignante sont les cours du soir ouverts à tous qu'elle donnait à Morley College, institut de formation continue où enseigna Virginia Woolf. En ce dimanche matin pluvieux, après s'être installée dans une petite maison toute neuve, de style scandinave, qui lui a été attribuée, Helen décide de marcher un peu dans ce campus vide et silencieux. De la fenêtre de son bureau, Ralph aperçoit cette belle et mystérieuse inconnue. Il fera sa connaissance quelques jours plus tard lors d'une soirée entre collègues organisée chez lui par son épouse. S'engagera alors entre le scientifique et la littéraire un jeu de séduction à la fois sensuel, physique et intellectuel...

Mon avis :
De quoi est fait l'esprit ? Comment fonctionne la conscience ? Comment l'activité du cerveau se traduit-elle en pensée ? La conscience appartient-elle à l'art ou à la science ? Et si l'intelligence artificielle telle que la rêvent les scientifiques existait, la conscience serait-elle un "problème qu'il faut résoudre" ? Qu'en serait-il des sentiments comme la joie, la tristesse, la jalousie, l'ennui ? Qu'en serait-il de l'amour, appelé "structure d'attachement" en sciences cognitives ? Qu'en serait-il de la séduction, de la sensualité, de la sexualité ? Et bien d'autres questions encore...
On se doit de souligner que le travail de vulgarisation des sciences cognitives réalisé dans ce roman par David Lodge est remarquable. Sans se départir de son humour britannique très spirituel, il nous propose une réflexion riche et approfondie sur la pensée et la conscience au moyen de cinq genres littéraires différents : les soliloques (pensées enregistrées de Ralph), le journal intime de Helen, le roman épistolaire (échanges de courriels), le récit classique à la troisième personne du singulier incluant des dialogues, et les nouvelles à chute (les exercices donnés par Helen à ses étudiants).

Un ouvrage excitant, inquiétant parfois, très instructif. Après sa lecture, on ne cesse d'y penser, on y réfléchit encore très longtemps et on ne regarde plus, on n'écoute plus le monde ni les personnes qui nous entourent de la même façon...

Clin d'oeil :
Souci du détail de l'auteur, la femme de Ralph Messenger, Carrie, a fait des études d'histoire de l'art et son mémoire était sur Berthe Morisot (1841-1895), peintre française. David Lodge rappelle ainsi que dans son tableau "La Psyché" (ou "Le Miroir") (1876), Berthe Morisot a créé une scénographie capable de rendre compte de la complexité de la vie intérieure et de la vie quotidienne. Elle préfigure ainsi la poétique de l'intime qui se développera ensuite dans le roman du début du XXème siècle en Europe.

Extrait
(Helen) "Le métier d'écrivain vous met à nu, d'une façon ou d'une autre. Même si l'oeuvre n'est pas ouvertement autobiographique, elle révèle indirectement vos peurs, vos désirs, vos fantasmes, vos priorités."

"Hôpital psychiatrique" de Raymond Castells (Rivages/Noir)


Raymond Castells est un psychologue clinicien français. Son roman "Hôpital psychiatrique" est inspiré de faits réels : en France, durant la Seconde Guerre mondiale, des hôpitaux psychiatriques ont abrité simultanément des soldats allemands, des résistants, des collaborateurs et des malades mentaux.

L'auteur explique que le choix de ce contexte historique lui a permis de replacer la description du fonctionnement actuel des établissements psychiatriques, avec les dérives de certains membres d'un personnel médical et soignant omnipotent face à des patients psychologiquement affaiblis.

L'histoire :
Le jeudi 6 mai 2010, Louise et Louis se rappellent cette nuit du 24 décembre 1942. Profitant d'un énorme chahut durant la Messe de Minuit à la chapelle de l'hôpital psychiatrique de Murmont, les deux amants s'évadent de l'asile après y avoir mis le feu. Il y aura 2450 victimes parmi lesquelles des malades, des infirmières, des gardiens, des soldats de la Wehrmacht, des légionnaires, des résistants et des collaborateurs.
Ils racontent leur histoire qui commence en février 1937. Louis a dix-sept ans quand un juge décide de le sortir de la prison où il est incarcéré pour l'interner "chez les fous"...

Mon avis :
Un page-turner efficace sur fond d'Histoire qui mêle romanesque, document et témoignage. Comme le précise l'auteur, "les pathologies mentales sont parmi les plus complexes à soigner, ne serait-ce qu'à cause du déni de leur maladie par ceux qui en souffrent, de la difficulté pour l'entourage à authentifier cette maladie, et pour le praticien à l'identifier et à l'éradiquer sans pouvoir agir sur ses causes". Dur, glaçant, mais très intéressant !

vendredi 12 août 2016

Prochaines présentations : fin septembre 2016





"Littérature de l'Intime"

Voyage en "Country Noir"


Le "Country Noir" est une expression américaine que la langue française traduit de plusieurs manières : "polar rural", "polar campagnard", "polar champêtre". En réalité, aucune de ces formulations ne semble vraiment convenir.

Le "Country Noir" dénonce l'Amérique provinciale et ses hypocrisies. Il se confond souvent avec le "Nature Writing", qui remonte à Henry David Thoreau et qui mêle observation de la nature, écologie, considérations autobiographiques et exploration de l'âme humaine. Nombreux auteurs, comme Jim Harrison, David Vann ou d'autres, se retrouvent d'ailleurs inscrits dans les deux genres.

Contrairement à ce que l'on peut imaginer, ce n'est pas un genre nouveau. Il naît dans les années 1930 avec William Faulkner, premier romancier du Sud, à travers les douze romans qu'il consacre à un lieu imaginaire, le comté de Yoknapatawpha au Mississippi, et dans lesquels il est en quête de l'identité culturelle de l'Amérique.

Dans les années 1950, les écrivains du Sud cherchent le salut d'une terre maudite. Carson McCullers dépeint la solitude des innocents, seuls capables de lucidité ("La Ballade du café triste", nouvelles, 1951). Flannery O'Connor adopte une perspective rédemptrice et dénonce la tiédeur et l'aveuglement des bien-pensants face à la misère du monde ("Les braves gens ne courent pas les rues", nouvelles, 1955). Eudora Welty se passionne pour le rôle de la mémoire ("La fille de l'optimiste", Prix Pulitzer 1973).


Le genre se poursuit dans les années 1990 avec Cormac McCarthy ("De si jolis chevaux", 1992). Mais on découvre le terme pour la première fois dans le titre même d'un roman de Daniel Woodrell. L'auteur accole à son roman "Give us a kiss" ("Faites-nous la bise") le sous-titre "a country noir" pour souligner la violence de l'intrigue sur fond d'Amérique profonde. L'expression sera ensuite reprise par la critique pour désigner tous les romans (et pas seulement les romans policiers) se déroulant en milieu rural, dans une atmosphère angoissante et brutale.

Dans sa formule célèbre, André Malraux a dit que l'écriture de Faulkner permettait "l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier". De fait, les particularités des romans "Country Noir" (leur structure tragique, un milieu reculé, l'isolement, la marginalité, la loi du silence, les problématiques familiales, les liens étroits entre les personnages, la contradiction entre la beauté de la nature et la laideur de l'âme humaine) mettent souvent en échec l'enquête.

Terrorisme, crise économique, financière et immobilière sans précédent, élection du premier président Noir, prises de conscience écologiques... les écrivains américains tentent de comprendre ce début du XXIème siècle avec ses tragédies et ses espoirs. De nouvelles voix s'élèvent, venues de Californie, du Sud profond ou des montagnes rocheuses. La littérature américaine s'épanouit, avec la découverte de terres, réinventées dans les romans. Le Nord-Michigan de Jim Harrison ("Nord-Michigan"), le Sud de Brad Watson ("Le paradis perdu de Mercury"), les Grandes Plaines de Dan O'Brien ("Wild Idea"), l'Alaska de David Vann ("Sukkwan Island").

Héritage du western, le "Country Noir" donne la parole aux laissés-pour-compte des territoires ruraux, au milieu d'une nature "préservée" ou en friche.

Le succès de ce genre littéraire se répercute également en Europe, depuis quelques années déjà, dans les pays scandinaves (l'Islande d'Indridason ; la Scanie, province de Suède, de Mankell), en Ecosse (les romans "Tartan Noir" de Val McDermid, la tétralogie des "Shetland" d'Ann Cleeves), en Grande-Bretagne (la lande du Northumberland d'Ann Cleeves) et en France où certains désignent Fred Vargas comme ayant posé les premières pierres du genre avec son roman "L'armée furieuse" (Viviane Hamy, 2011) dont l'intrigue se passe dans un petit village normand. Plus récemment, on a pu découvrir Sandrine Collette, qui aime situer ses romans dans un univers rural ("Il reste la poussière", Denoël) ; et Benoît Minville, dont le roman "Rural noir" (Gallimard) oscille entre le polar de terroir français et le "redneck*" américain.

*(redneck = rustre, péquenaud)



Craig Johnson

Craig Johnson est un écrivain américain né en 1961. Il vit à Ucross, à quelques miles de Buffalo, dans le Wyoming, état le moins peuplé des Etats-Unis, avec son épouse, Judy, leurs chevaux, leurs chiens et leurs chats. Comme son héros, il a construit lui-même son ranch. Il y travaille depuis l'âge de vingt ans.
La nature à perte de vue, il contemple les collines et au loin les Big Horn Mountains. Autour de bons whiskys et bourbons, Craig Johnson adore discuter avec ses amis shérifs et Indiens qu'il connaît depuis longtemps. Il aime cette nation indienne, apprécie ses traditions, et entend les inquiétudes de ces femmes et de ces hommes appartenant aux réserves des Crows et des Cheyennes.
Grand lecteur, son maître est Tony Hillerman et ses modèles sont Steinbeck, Faulkner, Dickens et Hugo. Il avoue s'être inspiré du persnnage de Jean Valjean pour façonner son héros, le shérif Walt Longmire, large carrure, fort, juste, courageux, et meilleur ami de l'Indien Henry Ours Debout.
Dans son oeuvre, Craig Johnson mêle relations familiales, intrigues policières, sociologie, place des Indiens dans l'Amérique contemporaine, respect de la nature et humour. Adaptées à la télévision, les histoires du shérif Longmire (quatre saisons pour l'instant) rencontrent un très beau succès. Mais même s'il participe parfois aux scénarios, Craig Johnson préfère garder ses distances pour se consacrer en toute liberté à l'écriture de ses romans. Toutefois, il accueille chez lui, une fois pas an, l'équipe du tournage et l'acteur principal, Robert Taylor, pour un barbecue.

Quelques mots sur le personnage principal :
Walter Longmire et son épouse Martha, natifs et amoureux du Wyoming, ont acheté un terrain et un ranch "en kit" face aux Big Horn Mountains. Lorsque les lieux sont enfin habitables, Martha meurt des suites d'un cancer. Walt reste seul avec leur fille Cady, aujourd'hui avocate à Philadelphie. Shérif du comté d'Absaroka (comté fictif) depuis vingt-cinq ans, ancien Marine, il est passé par le Vietnam avec son ami d'enfance, l'Indien Cheyenne Henry Ours Debout, aujourd'hui propriétaire du bar de la ville, le "Red Pony". Walt Longmire, fidèle en amitié, respectueux des droits, de la justice, et contre toute forme de violence, est un colosse au charme irrésistible, doté de beaucoup d'humour, de délicatesse et de touchantes maladresses. Sa nouvelle adjointe, la belle Victoria Moretti, au caractère pourtant bien trempé, ne peut rien lui refuser. Particulièrement entêté, seule Ruby, la réceptionniste du bureau, en poste depuis plus longtemps que lui, peut parfois le raisonner. Parfois...

Tous les romans de Craig Johnson sont publiés aux Editions Gallmeister.

"Little Bird"
La jeune Cheyenne Melissa Little Bird, déficiente mentale, a été violée et martyrisée par quatre adolescents, élèves au même lycée qu'elle. Melissa est la nièce de Henry Ours Debout, le meilleur ami du shérif Longmire qui, ému et horrifié par ce crime, en fait une affaire personnelle et met tout en oeuvre pour arrêter les coupables. Mais lorsque ceux-ci n'écopent que d'une courte peine de prison avec sursis à la suite d'un procès bâclé, le shérif et la famille de la victime se sentent bafoués. Deux ans plus tard, le corps d'un des agresseurs, Cody Pritchard, est découvert dans la plaine, vers les pâturages d'hiver. La carabine d'un modèle rare utilisée pour l'abattre et la plume placée avec soin sur le cadavre excluent l'accident de chasse. La mise en scène macabre ressemble beaucoup à une vengeance communautaire. Pour Walt Longmire, proche des Indiens et respectueux de leur culture, l'enquête s'annonce affectivement douloureuse...

"Le camp des morts"
Il y a quelques années, le shérif Walter Longmire perdait Martha, sa compagne et son amour d'enfance, emportée par un cancer. Il a élevé seul leur fille Cady, aujourd'hui avocate à Philadelphie. Il y a quelques semaines, Vonnie Hayes, première femme après Martha pour qui il ressentait plus que de l'amitié, s'est donné la mort. Alors, lorsque Lucian Connally, son ami et ancien shérif de la ville, lui apprend que la personne, comme lui résidente du Foyer des Personnes dépendantes, décédée ce soir, était son épouse, et lorsque Connally dénonce avec force un assassinat, Longmire est le plus à même de comprendre le chagrin du vieil homme et d'écouter patiemment l'histoire de son idylle secrète commencée cinquante ans auparavant avec Mari Baroja, une jeune Basque très belle...

"L'Indien Blanc"
Henry Ours Debout est invité à exposer sa collection de photographies mennonites* et à donner une conférence à Philadelphie. Le shérif Walter Longmire profite du voyage de son meilleur ami pour rendre visite à sa fille, avocate dans cette grande métropole. Chaussé de ses bottes de cow-boy, coiffé de son inséparable chapeau, son chien sans laisse à ses côtés, il fulmine quand on l'appelle "le Texan". Cady était vraiment la seule capable de l'entraîner ainsi "en ville" où il étouffe ! Ce soir, tous deux vont dîner avec Lena Moretti, la mère de son adjointe Victoria. Walt ne l'a encore jamais rencontrée et n'est pas très à l'aise. Et voilà que Cady lui annonce qu'elle ne pourra pas se joindre à eux à cause d'un dossier urgent à terminer ! Réticent, le shérif se dirige vers le lieu de rendez-vous, un restaurant italien. Finalement, Lena Moretti s'avère être de très charmante compagnie. Elle est belle, spontanée, drôle, partage les mêmes sensibilités que lui, et la soirée se déroule au mieux. C'est alors qu'Anthony Moretti, un des fils de Lena, lui aussi officier de police, apporte une très mauvaise nouvelle. Cady vient d'être victime d'un grave accident. Elle a été transportée à l'hôpital, dans le coma. Son petit-ami, Devon Conliffe, avocat comme elle, dont Walt devait faire la connaissance le lendemain, semble être impliqué dans la chute de la jeune femme...

Mennonites : Groupe chrétien issu de la Réforme qui, considérant le baptême des enfants comme nul à cause de l'absence de tout acte personnel de foi, rebaptise les adultes. Les mennonites refusent également de prêter serment et d'effectuer un service militaire. Leur doctrine vise à restituer l'Eglise des apôtres en organisant des communautés de "purs" autour de règles de vie totalement conformes aux commandements du Christ. Ecartant toute emprise des autorités politiques et religieuses, ces communautés vivent séparées du monde.

Mon avis :
Des romans qui font un bien fou ! Apaisantes, relaxantes, drôles, légères, de belles balades dans des paysages grandioses... si les histoires de Craig Johnson sont tout ceci à la fois, elles n'en sont pas pour autant superficielles. Par l'intermédiaire de ses deux héros, le shérif Longmire et l'Indien Henry Ours Debout, l'auteur évoque les traumatismes de la guerre du Vietnam et ne cache pas son opinion sur la façon dont est traitée la communauté indienne. Les réserves, exclues du monde des Blancs par leur autonomie (administrations, écoles...), sont des formes de ghettos. Chômage, pauvreté, suicides, alcoolisme, drogue, jeux, prostitution, violence, racisme, entraînent la perte de repères culturels et l'illusion que ressembler aux Blancs est pour les Indiens le salut vers leur liberté... ou leur vengeance.
Chaque enquête n'est pas l'oeuvre d'un seul homme, ni d'un "super-héros", ni d'un flic dépressif alcoolique. Longmire, aux allures d'un Athos des "Trois Mousquetaires" de Dumas, ou d'un Jean Valjean des "Misérables" d'Hugo (références citées par Craig Johnson), est "normal", sympathique, compétent, et il aime la littérature. Humain, il a aussi quelques vilains défauts, il se trompe parfois, et sans son équipe et les atouts de chacun, rien ne serait possible.

Lectures parfaites pour les vacances... et plus encore !!!

"La colline des potences" de Dorothy M. Johnson (Gallmeister) - Nouvelles

Dorothy Marie Johnson est née en 1905 dans l'Iowa et a passé son enfance dans la petite ville de Whitefish, dans le Montana. Après ses études, elle s'installe à New York et travaille quinze ans comme rédactrice dans des magazines féminins tout en publiant ses premières nouvelles. Peu après la Seconde Guerre mondiale, elle retourne vivre dans le Montana où elle enseignera à l'école de journalisme de l'Université de Missoula. En 1959, elle est faite membre honoraire de la tribu Blackfoot. Elle meurt en 1984.

Elle est l'auteur de nombreuses nouvelles, dont plusieurs seront adaptées au cinéma, comme :
  • "La colline des potences" (1959), réalisé par Delmer Daves, avec Gary Cooper et Maria Schell
  • "L'homme qui tua Liberty Valance" (1962), réalisé par John Ford, avec James Stewart et Vera Miles
  • "Un homme nommé Cheval" (1970), réalisé par Elliot Silverstein, avec Richard Harris

Ce recueil est présenté pour la première fois dans son intégralité, trois nouvelles étant jusqu'à présent restées inédites en français.

Il était une fois dans l'Ouest américain...

"Une soeur disparue" :
Une petite fille Blanche, âgée de six ans, a été enlevée par les Indiens. Quarante ans plus tard, elle est libérée par l'armée américaine. Ses soeurs, nées après sa disparition, préparent son retour à la maison...

"Une dernière fanfaronnade" :
La ballade des pendus...

"Au réveil j'étais un hors-la-loi" :
Willie Jackson est un jeune cow-boy gentil, fauché et très naïf, toujours embarqué dans de sales histoires à son insu. La chance tournera-t-elle un jour en sa faveur ?

"L'homme qui connaissait le Buckskin Kid" :
Qu'est devenu Buckskin Kid, l'un des plus célèbres bandits de l'Ouest, disparu sans laisser de trace il y a un demi-siècle ? Tous les hommes d'un certain âge se vantent de l'avoir connu. Tous, sauf John Rossum...

"Un présent sur la piste" :
Un homme nommé Caleb, ensanglanté et sans connaissance, est découvert dans un champ par deux frères. Accueilli et soigné par la famille des jeunes garçons, Caleb se remet lentement de ses blessures. Et de vagues souvenirs de ces lieux et de ces gens, qu'il croyait ne pas connaître, lui reviennent...

"Une époque de grandeur" :
L'été de ses dix ans, Buck fut engagé par la fille de Cal Crawford pour veiller sur son père âgé, aveugle, à l'esprit affaibli. La plupart des gens la surnommaient "Face de singe" car elle était à moitié indienne par sa mère. D'abord humilié d'être au service de la "sauvage", Buck va vivre un été inoubliable et fondateur...

"Journal d'aventure" :
Observateur dans des camps de chercheurs d'or, puis dans un village Crow, attaqué par des Cheyennes, blessé, la jambe cassée, Edward Morgan se réfugie dans une grotte et se prépare à mourir. Il écrit son testament...

"L'histoire de Charley" :
Charity est décédée. Sa belle-fille, Leona, accepte de se charger de la nécrologie pour les obsèques. Mais elle réalise très vite qu'elle ignore beaucoup de choses de la vie de sa belle-mère. Aussi demande-t-elle de l'aide à Duke, le mystérieux second mari de Charity...

"Une squaw traditionnelle" :
Aujourd'hui, la nouvelle route de High Valley est inaugurée à grands renforts de fanfares et de parades. Lorsque les Indiens défilent, dignes sur leurs magnifiques montures et dans leurs tenues traditionnelles, Miss Bunny croit reconnaître, en tête du cortège, Mary Waters, une Squaw avec qui elle a grandi il y a bien des années de cela...

"La colline des potences" :
La petite ville de Skull Creek n'est pas une ville comme les autres. C'est un camp de chercheurs d'or. Bons, brutes, doux, dingues, rêveurs, voleurs, courageux, paresseux, religieux, filles de joie... Tous sont réunis dans un même fol espoir : trouver le filon et devenir millionnaires. Lorsque la jeune et délicate Elizabeth, blessée, est recueillie à Skull Creek après l'assassinat de son père dans l'attaque de leur diligence, le fragile équilibre de la ville vacille dangereusement et le destin de chaque personnage s'en trouve bouleversé...

Mon avis :
Plaines arides à perte de vue, cow-boys et Indiens, shérifs et hors-la-loi légendaires, vols de bétail et attaques de banques, hommes d'honneur et femmes puissantes... Ces dix aventures humaines nous content l'histoire d'une époque âpre et mythique, celle de l'Ouest américain. Sous la plume pure et libre de Dorothy M. Johnson, ces dix westerns nous prennent aux tripes. Une grande femme de lettres américaine que l'on redécouvre avec un véritable bonheur !