Elizabeth Gaskell (1810-1865) fait partie de la talentueuse cohorte des romancières anglaises du XIXe siècle, aux côtés de Jane Austen, Charlotte, Emily et Anne Brontë, et George Eliot. Fille et femme de pasteurs unitariens, elle découvre à Manchester la misère ouvrière. "Mary Barton" (1848) est un plaidoyer pour la réconciliation des classes grâce à l'influence des femmes, mais aussi une des premières évocations de la révolte dans le monde ouvrier.
Ce roman vaut à l'auteure les foudres du patronat anglais mais l'amitié de Charles Dickens. Ce dernier l'embauche dans son journal Household Words où elle publie "Cranford" (1853), chronique villageoise pleine de finesse et d'humour qui connait un immense succès, puis "Nord et Sud" (1855), où l'Angleterre traditionnelle rencontre la modernité des régions industrialisées à travers l'idylle qui se noue entre une fille de pasteur et un jeune industriel. La même hantise de tout ce qui sépare (le Nord du Sud, les riches des pauvres, la ville de la campagne, les vieux des jeunes, les femmes entre elles) se retrouve dans "Ruth" (1853), histoire moralisatrice d'une fille-mère en faveur de l'égalité sexuelle. Elle écrit aussi de nombreuses nouvelles ("Cousine Phyllis").
Outre Charles Dickens, Elizabeth Gaskell se lie aussi d'amitié avec George Eliot, avec qui elle entretient une correspondance, avec Charlotte Brontë, dont elle écrira la biographie après sa disparition ("Life of Charlotte Brontë", 1857), et avec Florence Nightingale.
Une crise cardiaque l'emporte brutalement en 1865, à cinquante-cinq ans, et interrompt la publication de son dernier livre et son projet le plus ambitieux, "Epouses et Filles", qui paraissait en feuilleton dans le Cornhill Magazine.
L'histoire :
Margaret Hale, fille de pasteur, a été élevée avec beaucoup de bienveillance à Londres, chez sa tante maternelle, Mrs Shaw, veuve d'un général, et sa cousine Edith. Cette dernière, à dix-neuf ans, vient d'épouser le jeune et beau capitaine Lennox. Aussi, Margaret s'en retourne-t-elle au presbytère de ses parents, à Helstone, charmant village de la campagne verdoyante du Sud de l'Angleterre.
Loin de regretter le luxe, la mode et le bruit de Londres, Margaret apprécie la plénitude des journées, le calme, la beauté et l'air pur de la nature, les longues marches à travers les bois et les champs par tous les temps, et la gentillesse des paroissiens.
Pourtant, quelques saisons ont passé et Margaret n'a pu que constater la maussaderie de sa mère, son ennui dans cette contrée reculée, et l'attitude étrange de son père, constamment pensif et soucieux. Un soir, Mr Hale se confie enfin à sa fille.
Ses doutes, non sur sa Foi mais sur sa tâche au sein de l'Eglise anglicane, sont si profonds qu'il a donné sa démission. Dans deux semaines, la famille devra quitter Helstone et le Hampshire. Un des amis de Mr Hale lui a proposé un poste de précepteur à Milton-Northern, dans le Darkshire.
Le choc est brutal et douloureux pour Mrs Hale. Certes, l'agitation de la capitale lui manquait parfois. Mais jamais elle ne s'imaginait devoir un jour respirer les fumées des usines et des manufactures, ni vivre entre les murs noircis des modestes maisons industrielles du Nord de l'Angleterre, ni perdre son statut social et ses domestiques, ni ne plus voir le respect et l'affection dans le regard des autres mais le mépris et l'humiliation.
Tandis que Mr Hale et Margaret recherchent en ville le plus agréable logis possible qui apaiserait le désarroi de leur épouse et mère, Mrs Hale se repose du voyage dans un hôtel de la station balnéaire de Heston, à quelques kilomètres de Milton. C'est au salon de ce gîte que Margaret rencontre pour la première fois Mr Thornton, riche industriel et futur employeur de son père...
"Il fallait bien les jolies tapisseries claires des chambres pour réconcilier les Hale avec Milton. Il en eût fallu davantage - mais c'est impossible. Les épais brouillards jaunes de novembre s'étaient installés ; et la vue de la plaine dans la vallée, enserrée dans la courbe du fleuve, était masquée lorsque Mrs Hale arriva dans son nouveau domicile."
Mon avis :
L'histoire d'amour que l'auteure met habilement en premier plan est un charme qui opère délicieusement et nous envoûte à merveille pour mieux nous entraîner vers le fond même du roman. Elizabeth Gaskell dénonce avec force les travers de son époque, l'Angleterre victorienne. Elle dénonce une révolution industrielle au seul profit de l'argent, au seul profit d'une poignée d'hommes, au mépris de l'humain et au mépris de l'environnement. Elle dénonce, bien sûr, la condition des femmes qui, elles, ne bénéficient d'aucune révolution, et pose l'une des premières pierres à l'édifice du féminisme. Les peintures qu'elle nous offre de la luxuriante campagne du Sud sont ravissantes et poétiques. Quant aux scènes de la vie industrielle, inspirées de Manchester et sa banlieue, sont bouleversantes de réalisme. Une oeuvre remarquable et stupéfiante de modernité !
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