"La vraie couleur de la vanille"
Sophie Chérer
(L'Ecole des Loisirs - Médium)
Dès 12 ans
Sophie Chérer habite en Lorraine où elle est née en 1961. C'est là, entourée d'arbres centenaires et d'écureuils, qu'elle écrit des romans, des articles, des nouvelles, rédige des quatrièmes de couverture pour ses collègues, compose les cinq premiers titres de la série "Mon écrivain préféré", élève sa fille et cultive son jardin. Après avoir voulu être juge, elle est devenue journaliste et écrivain. Pourtant, la question de l'injustice reste au coeur de ses préoccupations, que ce soit dans "Ambassadeur de Sparte à Byzance", "L'huile d'olive ne meurt jamais" ou "A ceux qui nous ont offensés" (L'Olivier). Sophie Chérer est une personne douée d'une énergie considérable et d'un humour à toute épreuve. En 2002, elle a publié "L'enjoliveur", un roman en hommage à son tuteur, Jean Giono. En 2005, le conte "L'ogre maigre et l'enfant fou" a été adapté pour la scène par une troupe de théâtre de l'Ile de la Réunion.
L'histoire :
Une nuit de décembre 1830, Ferréol Beaumont fait un cauchemar. Il se voit en compagnie d'un petit garçon Noir à qui on coupe brutalement la main. Le lendemain, tel un enfant capricieux qui exige un nouveau jouet, il décide de prendre sous son aile un nouveau-né, Noir, orphelin de parents esclaves. Ferréol, héritier d'une plantation familiale de canne à sucre sur l'Ile Bourbon (ancien nom de l'Ile de la Réunion) et de dizaines d'esclaves, est passionné de livres et de botanique, et pense très sincèrement être un "bon maître Blanc".
Le petit bonhomme à la peau noire et douce et qui sent bon le bébé, il faut lui trouver un nom. Les botanistes donnent des noms aux plantes pour les honorer. Les planteurs Blancs donnent des noms aux esclaves pour les humilier, pour se moquer d'eux. Des noms de dieux, empereurs, héros (Jupiter, Zéphir...) ; de vertus (Minutie, Généreux...) ; de villes (Bayonne...) ; de mois et de jours (Janvier, Lundi...) ; de noms grecs (Philogène, Scholastique*...) ; de calembours (Groné, Pacape...)...
Mais Ferréol, lui, ne veut pas faire cela. L'enfant portera le nom du Saint Patron de son jour de naissance et qui signifie, en vieil anglais, "le riche protecteur" : Edmond.
Ferréol ne lui apprendra jamais à lire ni à écrire, parce que c'est ennuyeux et difficile. En revanche, il lui enseignera tout ce qu'il sait en botanique...
*La "Scholastique" (scolastique) désigne l'enseignement de la théologie et de la philosophie dans les universités au Moyen Age. Clin d'oeil à la Rwandaise Scholastique Mukasonga, Prix Renaudot 2012 pour son livre "Notre-Dame du Nil" (Gallimard).
Mon avis :
Ce livre, admirable et fort, conte l'histoire vraie, dramatique, douloureuse, et totalement méconnue, d'Edmond Albius, orphelin, Noir, et esclave, mais aussi génie de la botanique. En 1841, sur l'Ile de la Réunion, à peine âgé de onze ans, Edmond fait une découverte miraculeuse. Trahi, abandonné, il n'en récoltera jamais les fruits ni la reconnaissance. Personnage oublié, seul Marcel Proust mentionne son nom à la fin de "Du côté de Guermantes". Traité comme un petit singe savant, si seulement son maître lui avait appris à lire et à écrire, le destin d'Edmond Albius eut sans doute été différent !
Ce texte décrit avec délicatesse et sensibilité toute la complexité d'une relation, au XIXème siècle, entre un Blanc, héritier d'une plantation et d'esclaves, mais dont la passion se trouve ailleurs, et un enfant Noir, esclave, qui touche du doigt la liberté et l'honneur mais ne recevra ni l'une ni l'autre.
Magnifique, très instructif, et poignant !