mercredi 27 janvier 2021

Janvier 2021 - "Le premier roman de..."

 

"Alabama 1963" de Ludovic Manchette et Christian Niemiec (Le cherche midi)

Ludovic Manchette et Christian Niemiec sont installés à Plouhinec, en Bretagne, depuis quelques années. Ils sont traducteurs. Ils adaptent en français les dialogues de films et séries américains. Sortant de ce cadre de travail, ils ont entrepris d'écrire ensemble leur premier roman, "Alabama 1963".

L'histoire :

Birmingham, Alabama ~ Août 1963

Dee Dee Rodgers, une fillette de onze ans, a disparu. Malgré leurs visites répétées au poste de police, les parents ont le sentiment que rien n'est fait pour retrouver leur enfant. Voilà maintenant six jours qu'ils vivent dans une angoisse atroce grandissante. Les battues organisées par les amis et les voisins n'ont abouti à aucune piste, à aucun indice, à aucune information. Si Dee Dee avait été blanche, toute la ville et les alentours se seraient émus de sa disparition, et la police et les médias locaux se seraient très largement mobilisés.

Désespérés, Ellis et Lottie Rodgers requièrent les services d'un détective privé blanc. Ancien policier, depuis deux ans, Bud Larkin a sombré dans l'alcool et se laisse totalement aller. Le bureau, dans lequel il cohabite avec son chat et son chien, travaille peu et cuve son whisky, est une poubelle. L'état de Bud attriste tant ses ex-collègues que ces derniers ont embauché, à son insu et pour lui venir en aide, une femme de ménage, noire, Adela Cobb...

Mon avis :

L'intrigue traverse toute l'année 1963 aux Etats-Unis. Elle traverse plus particulièrement l'Alabama, état profondément ségrégationniste, où des événements importants se sont déroulés cette année-là et ont marqué l'Histoire (les premières émeutes raciales et les débuts des mouvements contre la ségrégation, l'admission d'étudiants noirs à l'université, l'attentat à la bombe perpétré par le Ku Klux Klan qui tua quatre fillettes noires dans une église, les discours sur les droits civiques de Kennedy et de Martin Luther King...).

Formidable hommage à Dashiell Hammett et Raymond Chandler, ce roman noir passe habilement de la légèreté au drame. Il jouit d'une histoire solide, de personnages attachants et séduisants, d'un humour aussi subtil et sensible que mordant et caustique, et de dialogues délectables. Une réussite !

mercredi 20 janvier 2021

"Glory" de Elizabeth Wetmore (Ed. Les Escales)

Elizabeth Wetmore est née à Odessa (Texas, Etats-Unis). Avant de se consacrer à l'écriture, elle a travaillé dans un bar, a enseigné l'anglais, a conduit un taxi, a rédigé des mémoires de psychologie... Elle a aussi vécu quelques temps dans une cabane dans les bois à l'extérieur de Flagstaff, en Arizona, alors qu'elle travaillait comme animatrice de musique classique. Elle se sent chez elle dans le désert comme près de la mer ou sur le flanc d'une montagne. Elle vit à Chicago mais rêve d'être bicoastale (bi-côtière) des lacs Michigan et Travis. Elizabeth Wetmore a suivi des cours d'écriture et a obtenu des bourses d'études au sein de plusieurs programmes universitaires prestigieux. "Glory" est son premier roman.

L'histoire :
Lentement, Gloria reprend conscience, le visage plaqué sur le sable, nue, le corps disloqué, le corps en sang. C'est le matin du dimanche 15 février 1976. Le jour se lève sur ce champ pétrolifère, au milieu de nulle part, trop loin de chez elle, trop loin d'Odessa. Dans son pick-up, l'homme dort encore, ivre mort. A l'horizon, une ferme, la dernière chance de survie pour Gloria. Hier, c'était la Saint Valentin. Hier, tous les rêves étaient possibles. Une nuit de cauchemar plus tard, Gloria, quinze ans, d'origine mexicaine, a été violée et ne sera plus jamais Gloria. Désormais, elle s'appellera Glory...

Mon avis :
Elizabeth Wetmore a choisi de concentrer son récit sur "l'après", sur les séquelles d'une violente agression sexuelle, sur les répercussions de ce crime au sein d'une petite communauté texane des années 1970. Sept regards au féminin, non seulement sur les faits mais sur la place des filles et des femmes dans une société majoritairement machiste, misogyne et raciste. Un très beau roman "coup de poing", féroce, féministe et implacable !!!

Un regret néanmoins : que de fautes dans l'édition papier (orthographe, grammaire, conjugaison, lettres et mots manquants...) !

mercredi 13 janvier 2021

"Le Dit du Mistral" d'Olivier Mak-Bouchard (Ed. Le Tripode)


Prix Première Plume 2020


Olivier Mak-Bouchard a grandi dans le Luberon. Il vit désormais à San Francisco.

Un Dit :
Mot, remarque, maxime. Au Moyen-Age, pièce de vers sur un sujet familier.

L'histoire :
Après une violente nuit d'orage, deux voisins se retrouvent face au mur qui sépare leurs propriétés. La chute d'un cerisier a brisé quelques mètres de la construction, mais surtout, elle a mis à jour de nombreux objets, visiblement anciens, datant probablement de l'époque gallo-romaine. Les deux hommes décident de garder cette découverte secrète et de réaliser leurs propres fouilles archéologiques. Mais les apprentis "Indiana Jones" ne s'étaient pas préparés aux événements et aux émotions qui allaient suivre...

Mon avis :
Un très étonnant voyage dans le temps en Provence, dans l'ombre de Pagnol, Giono et Bosco. Une belle et poétique histoire, riche en symboles, peuplée de personnages légendaires, mythiques, imaginaires, ou tout droit sortis de songes ou d'hallucinations. Au gré du mistral, ce Maître-Vent, ce dieu enfant, un homme s'unit - par quel mystère ? - aux Quatre éléments. Sans oublier le jeu sibyllin de l'énigmatique Hussard, le chat blanc aux pattes noires. Une plume du terroir, dans le sens le plus noble du terme, drôle et vivante, à découvrir impérativement...

jeudi 7 janvier 2021

"Ohio" de Stephen Markley (Albin Michel)

 
Grand Prix de littérature américaine 2020


Stephen Markley est né en 1983. Il est originaire de l'Ohio. Il s'impose avec ce premier roman comme un formidable cartographe de l'Amérique contemporaine et de ses fractures, dans la lignée de Jonathan Franzen. Son roman est en cours d'adaptation télévisée.

L'histoire :

Le 13 octobre 2007, sous un vent glacial, la petite ville de New Canaan, dans l'Ohio, rend hommage à l'un de ses fils, le jeune caporal Richard Jared Brinklan, tué en Irak en avril dernier.

Six ans plus tard, en été 2013, quatre anciens amis d'enfance et camarades de lycée de Rick, par le plus grand des hasards, en apparence, vont se retrouver à New Canaan et vont devoir faire face à leurs fantômes.

Bill Ashcraft, viré à cause de son alcoolisme et de sa toxicomanie de l'association de protection de l'environnement pour laquelle il travaillait, revient de la Nouvelle Orléans, transportant, caché dans sa voiture, un mystérieux paquet... Stacey Moore, étudiante en littérature, partie de New Canaan pour ses études mais aussi pour assumer son homosexualité, est à la recherche de son amie Lisa... Danny Eaton, vétéran d'Irak où il a perdu un oeil, lutte contre un stress post-traumatique et veut retrouver son premier amour, Hailey... Tina Ross, le corps et l'esprit brisés depuis les violences sexuelles subies pendant son enfance, est rongée par un funeste désir de vengeance...

Mon avis :

... Et puis Ben Harrington, musicien au destin tragique... Kaylyn, Matt, Lisa, Todd, Hailey, Bethany... Et bien d'autres personnages secondaires, et autant de portraits saisissants dans ce roman choral crépusculaire, très pessimiste sur la nature humaine, et pourtant d'une beauté extraordinaire !

Critique sans concession d'une société politique, sociale et économique américaine contemporaine complexe, d'un réalisme cru et percutant, Stephen Markley n'élude aucun sujet sous sa plume alerte et acérée, mêlant humour corrosif, colère et désillusion. Brillant !