vendredi 7 décembre 2018

Décembre 2018 - "La Nouvelle-Orléans"




2018 - Tricentenaire de La Nouvelle-Orléans

(La Nouvelle-Orléans, 1803)

En ce mois de décembre 2018 s'achève une joyeuse année durant laquelle La Nouvelle-Orléans a célébré trois cents ans d'une histoire singulière, complexe, métissée, romantique, artistique, ensorcelante. Les festivités ont commencé le 5 janvier par son jumelage avec la ville française d'Orléans.

Bâtie sur le delta du Mississippi, terre de bayous, devenue capitale du jazz et des jambalayas, La Nouvelle-Orléans a été fondée en 1718 par un Français, Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville. Elle a été baptisée ainsi en hommage au duc Philippe d'Orléans, régent du jeune roi Louis XV. Aujourd'hui plus grande ville de Louisiane, cet héritage colonial se résume surtout à une fête, Mardi Gras, et aux noms des rues étrangement familiers : Bordeaux, Saint-Louis, Toulouse, Chartres... toutes groupées dans le quartier historique du Vieux Carré.

Sous domination espagnole au XVIIIème siècle, puis vendue aux Etats-Unis par Napoléon Bonaparte en 1803, La Nouvelle-Orléans s'est nourrie de ce brassage de cultures française, espagnole et afro-américaine. C'est à de dernier groupe de population que l'on doit l'émergence du blues et du jazz en Louisiane.

Les peuples amérindiens, cajuns et créoles ont eux aussi beaucoup influencé la culture locale. Ils ont importé des Caraïbes leurs rites vaudous et une gastronomie très riche. Ainsi, la ville possède quantité de restaurants où l'on peut déguster un sandwich aux écrevisses, des haricots rouges, des beignets et des paellas créoles.

Puis les vagues successives d'immigration (Irlande, Italie, Allemagne, Grèce, Vietnam...) ont renforcé le multiculturalisme de la ville aux nombreux surnoms (NOLA, Big Easy, la Ville en forme de croissant, le Paris du Mississippi, la Ville flottante...). Environ 135 festivals et des dizaines de parades et de défilés sont organisés chaque année.

Mais La Nouvelle-Orléans a aussi subi l'une des pires catastrophes naturelles de son histoire, l'ouragan meurtrier Katrina en 2005. Depuis, la ville a su se reconstruire. Et ce climat tropical parfois dévastateur lui vaut un paysage d'une beauté exceptionnelle.

(Sazerac cocktail)

"Who's happy ?" de Hugh Coltman (Okey/Sony)

Hugh Coltman, né en 1972, est un chanteur et musicien britannique, vivant en France, ancien leader du groupe blues-rock The Hoax avant de se muer en songwriter folk-pop puis en quadragénaire explorateur du plus beau patrimoine du jazz.

Sacré "Voix de l'année" aux Victoires du jazz 2017 pour son album "Shadows - Songs of Nat King Cole" (Okey/Sony), après cet hommage au grand crooner, Hugh Coltman est parti à La Nouvelle-Orléans enregistrer de nouvelles compositions avec, en plus de ses compagnons de route habituels, un brass band local et le guitariste, et co-réalisateur de l'album, Freddy Koella.

Des drums qui dansent comme dans un des légendaires enterrements de La Nouvelle-Orléans, des cuivres gorgés de soul, des guitares mêlant blues et folk... Hugh Coltman s'est offert un écrin sublime pour onze chansons dans lesquelles il fait entendre sa voix chaleureuse de routier des sentiments et de grand connaisseur des émotions humaines, toujours indulgent pour l'amoureux du soir, le paumé de l'aube ou le mélancolique du plein soleil... "Who's happy ?" demande son dernier album, paru chez Okey/Sony. "Personne et chacun" semble-t-il répondre...


Mon avis :
Ambiance jazz, blues, soul, folk, l'esprit de La Nouvelle-Orléans envoûte ce très bel album d'une chaleur apaisante et joyeuse. A découvrir et à écouter très vite !!!

"Carnaval" de Ray Celestin (10/18)

Ray Celestin vit à Londres. Après avoir étudié l'art et les langues asiatiques, il devient scénariste pour la télévision et publie plusieurs nouvelles. Il s'impose dans le thriller avec son premier roman, "Carnaval", élu Meilleur premier roman de l'année 2015 par l'Association des écrivains anglais de polar. Annoncé comme le premier épisode d'une tétralogie dont chaque volet sera consacré à une ville, "Carnaval" est basé sur l'histoire réelle d'un tueur en série qui sévit en 1919 à La Nouvelle-Orléans, "le Tueur à la hache". Le second roman, "Mascarade", paru aux Editions 10/18 en 2018, lui aussi inspiré de faits réels, a pour toile de fond le Chicago des années 1930.

L'histoire :

La Nouvelle-Orléans, mai 1919...

Après une nuit blanche alcoolisée, le journaliste John Riley arrive péniblement au New Orleans Times-Picayune. Dans l'état dans lequel il se trouve, il ne pourra se concentrer sur aucun article, aussi se plonge-t-il dans la lecture d'un courrier des lecteurs de plus en plus nombreux depuis le début, il y a quelques mois, des attaques meurtrières du Tueur à la hache. Soudain, une lettre attire son attention. Signée du Tueur à la hache, elle annonce de nouvelles agressions mardi prochain à minuit quinze. Authentique ou non, le document paraîtra le lendemain...

Un mois plus tôt...

A l'ouest du Quartier Français, un cortège funèbre, accompagné de cinq fanfares, revient du cimetière dans une atmosphère de carnaval et d'ivresse. A l'écart de la procession, une jeune femme, Ida Davis, recherche parmi les musiciens Lil' Lewis Armstrong. Voilà tellement longtemps qu'ils ne se sont pas vus... la joie de Lewis culpabilise Ida car c'est l'ambition personnelle plus que l'affection qui l'amène auprès de son ami d'enfance.

Ida a dix-neuf ans. Deux ans plus tôt, elle avait rejoint la Pinkerton, célèbre agence privée de détectives et d'agents de sécurité, avec la promesse du patron d'un travail de terrain, mais cela n'a jamais été concrétisé. Reléguée au rôle de secrétaire, Ida n'a pas renoncé pour autant à son rêve et veut faire ses preuves. De sa propre initiative, elle compte interroger un témoin dans l'affaire du Tueur à la hache, une certaine Millicent Hawkes, infirmière des Romano, les précédentes victimes dont elle a découvert les corps.  Inexpérimentée, Ida préférerait être assistée d'une personne de confiance. Lewis accepte d'aider son amie...

En cette matinée brumeuse, dans une petite rue de Little Italy, se presse une foule de policiers, de journalistes, de voisins et de badauds. Une modeste épicerie sicilienne est devenue scène de crime. Les propriétaires, Monsieur et Madame Maggio, deux quinquagénaires sans histoires, ont été massacrés au milieu de la nuit par le Tueur à la hache. Toujours le même modus operandi : pas d'effraction, pas de vol, pas d'agression sexuelle, pas de cris, et une carte de tarot déposée sur chaque dépouille, ici la carte de la Justice et la carte du Jugement. Le lieutenant détective Michael Talbot dirige l'enquête...

A une trentaine de kilomètres de la ville, Luca D'Andrea, ancien inspecteur de la police de La Nouvelle-Orléans condamné en 1914 pour corruption, est libéré au petit matin. Arrivé la veille d'Angola, pénitencier de Louisiane, la seule personne qui l'attende à sa sortie du centre de transit est ce maudit journaliste, John Riley, qui se fait un plaisir de lui donner des nouvelles de la ville : les crimes du Tueur à la hache et l'enquête dans laquelle patauge son ancien protégé, le traître qui l'a dénoncé, le lieutenant détective Michael Talbot...

Mon avis :

Ce captivant roman noir, hommage à Hammett et Chandler, dépeint une ville à la fois ensorcelante et inquiétante. Une ville au lendemain de la Première Guerre mondiale avec le douloureux retour de soldats américains et afro-américains fracassés par ce qu'ils ont vécu en France. Une ville pluriculturelle à l'héritage colonial lourd. Une ville pleine de contradictions, complexe, sulfureuse, partagée entre puritanisme et vaudou, prohibition et quartiers chauds, ségrégation raciale et naissance du jazz. Une ville menacée par un ouragan et terrorisée par un tueur sanguinaire qui sévit depuis plusieurs mois. Une ville qui, quoi qu'il advienne, ne renonce pas à aimer, à danser, à chanter, à vivre chaque jour dans une atmosphère de carnaval.

L'enquête est menée parallèlement par quatre personnages qui apportent très agréablement à l'histoire leur touche personnelle et leurs motivations individuelles : le lieutenant Talbot joue sa carrière et sa famille dans cette affaire ; l'ex-flic corrompu, Luca D'Andrea, rachète sa liberté et règle une dernière dette en tentant de démasquer celui qui met à mal le "commerce" d'un parrain de la mafia néo-orléanaise ; le journaliste John Riley flaire le scoop ; Ida, jeune "Hammett" en jupon, a l'étoffe d'une vraie détective et investigue avec détermination. L'ensemble se dévore avec plaisir.

Coup de coeur !!!

"Nos disparus" de Tim Gautreaux (Points/Grands Romans)

Tim Gautreaux, surnommé aux Etats-Unis "le Conrad des bayous", est un romancier et nouvelliste, né en 1947 à Morgan City, en Louisiane. Fils d'un capitaine de remorqueur sur le Mississippi, il est venu sur le tard à la littérature. Professeur à l'université de Louisiane du Sud, il a publié des nouvelles dans Atlantic Monthly, le New Yorker, Harper's et GQ avant de révéler, en 1996, un talent immense avec un recueil de nouvelles intitulé "Same place, same things". Adoubé et encouragé par des auteurs comme James Lee Burke ou Robert Olen Butler, Gautreaux est ensuite passé au roman. Il reçoit le Prix John Dos Passos en 2005.

Oeuvres traduites en français :
     - "Le dernier arbre" (Seuil, 2013)
     - "Nos disparus" (Seuil, 2014)
     - "Fais-moi danser, beau gosse" (Seuil, 2016)

L'histoire :

Le 11 novembre 1918, quatre mille soldats américains débarquent à Saint-Nazaire, en France. Parmi eux, Sam Simoneaux, de La Nouvelle-Orléans, vingt-trois ans, marié, père d'un petit garçon décédé d'une fièvre à l'âge de deux ans. Venus pour se battre, les soldats sont accueillis par les rires et les chants. Ce n'est pas leur arrivée que les Français fêtent ainsi, mais l'Armistice. La guerre est finie.

Dans un premier temps, les Américains sont envoyés en renfort dans les hôpitaux de Paris où ils prennent de plein fouet les horreurs que cette guerre a causées sur les hommes. Puis, en janvier 1919, ils ont pour mission de nettoyer un champ de bataille de l'Argonne, dans l'est du pays. Ils y découvrent un enfer, un paysage de désolation inimaginable, une puanteur indescriptible, et des milliers d'obus encore intacts à faire exploser. La tâche est impossible et elle ne s'arrêtera que lorsque l'un des obus tombera par accident sur une maison, blessant une fillette.

A son retour de France, Sam est embauché chez Krine, grand magasin de quatre niveaux sur Canal Street à La Nouvelle-Orléans. Deux ans plus tard, en 1921, il est responsable d'étage et mène une vie confortable et heureuse avec son épouse. Jusqu'au drame. Ce jour-là, alors qu'il effectue sa vérification quotidienne des ampoules de tous les lustres du magasin, un couple l'interpelle. Leur petite fille de trois ans et demi, Lily, a échappé à leur surveillance. Après une recherche effrénée à travers tous les rayons, Sam la retrouve dans une cabine d'essayage, déguisée en garçon, ses cheveux blonds coupés courts, en compagnie d'une femme d'un certain âge. Mais il n'a pas le temps d'intervenir. Un coup violent à la tête l'assomme. Il reprend connaissance trois jours plus tard, Lily a disparu, et il n'a plus de travail...

Mon avis :
Un magnifique roman, généreux et dense, sur l'enfance et la transmission, proche d'un conte social et historique planté dans La Nouvelle-Orléans des années 1920, l'ensemble porté par la vitalité du jazz néo-orléanais, les flots ondoyants du Mississippi et l'ambivalente beauté de la Louisiane !

"Le dieu des cauchemars" de Paula Fox (Joëlle Losfeld)

Paula Fox est une romancière américaine, née en 1923 à New York. Fille d'un père irlandais et d'une mère espagnole, elle a grandi en Californie, à Cuba et au Québec. Après des études à l'université de Columbia, qu'elle a abandonnées pour se consacrer au piano, elle a exercé divers métiers, dont celui de reporter en Europe. Dans les années 1960, elle a enseigné à l'université de New York et de Pennsylvanie et a commencé à écrire à cette époque. Auteur d'une vingtaine de livres pour enfants et adolescents, abordant les mêmes thèmes que ses romans "adultes" (les faux-semblants, la douleur de l'abandon, la lutte des femmes), son oeuvre a été couronnée par le Prix Andersen en 1978. Redécouverte en 1996 par l'écrivain américain Jonathan Franzen ("Les corrections", "Freedom"), l'éditrice Joëlle Losfeld participera à sa notoriété en France en traduisant et publiant ses romans : "Le dieu des cauchemars" (sélection Prix Femina, 2004), "Personnages désespérés" (2004), "La légende d'une servante" (sélection Prix Femina, 2005), "Pauvre Georges" (2006), "Côte Ouest" (2007), ses mémoires,"Parures d'emprunt" (2008), "Les enfants de la veuve" (2010). Paula Fox est décédée en 2017 à Brooklyn. Elle était la grand-mère de la rockeuse Courtney Love.

L'histoire :

Poughkeepsie (Etat de New York), printemps 1941...

Une lettre, reçue ce matin, annonce à Helen la mort de son père, Lincoln Bynum. Eleveur de chevaux de course ruiné, Bynum avait quitté le domicile conjugal treize ans plus tôt, abandonnant un ranch vide à sa femme et à sa fille alors âgée d'une dizaine d'années. Si sa mère est bouleversée, Helen n'éprouve pas la même peine pour ce père qu'elle a si peu connu. Accablée de chagrin, la mère demande à Helen de se rendre à La Nouvelle-Orléans afin de retrouver sa soeur, actrice, et de la ramener auprès d'elle, le temps d'apaiser sa tristesse.

La Nouvelle-Orléans (Louisiane), quelques jours plus tard...

C'est la première fois que Helen vient à La Nouvelle-Orléans. Elle découvre des couleurs, des parfums, des fleurs, des fruits, des légumes et des poissons qu'elle n'avait encore jamais vus, des sons et des instruments de musique qu'elle ne connaissait pas, une moiteur et une langueur qui n'existent nulle part ailleurs, mais surtout, un sentiment de liberté qu'elle n'osait imaginer. La jeune femme s'imprègne de cette ambiance nouvelle, goûte à d'étonnants mets, se laisse envoûter par la ville. Au bout d'une semaine, elle se rappelle sa Tante Lulu. Il serait raisonnable de lui rendre enfin visite.

Mais la danseuse de music-hall d'antan a perdu de sa superbe. Vieillie, abîmée par les excès, alcoolique, et le coeur brisé, la flamboyante rousse dont sa nièce se souvenait est étendue, nue, dans le lit d'une chambre crasseuse, ivre-morte. Helen prend soudain conscience que sa tante ne reviendra jamais à Poughkeepsie. En l'envoyant à La Nouvelle-Orléans, sa mère le savait. C'était une façon de se débarrasser de sa fille, d'éloigner d'elle cette enfant qu'elle espérait tant être la raison du retour de son mari, mais cet espoir est mort avec Lincoln Bynum...

Mon avis :

Une jeune fille, bouleversante de naïveté, quitte l'emprise d'une mère tantôt aimante, tantôt fantasque, pour découvrir une ville ensorcelante où tout semble facile. Elle est accueillie chaleureusement par un groupe d'intellectuels, d'artistes et de gens de lettres, et croit en leur amitié et leur sincérité. Mais derrière la distinction, les belles manières et le luxe ostensible se cache la cruauté froide et perverse d'une entre-soi artificiel et indifférent au reste du monde.

Une écriture sensible et poétique pour ce très beau roman sur les désillusions.

vendredi 2 novembre 2018

Novembre 2018 - "Ils ont écrit la Grande Guerre"


"Dans la guerre" d'Alice Ferney (J'ai lu)

Alice Ferney est née en 1961 à Paris. Diplômée de l'ESSEC et docteur en économie, elle commence à écrire en 1987. Son premier roman, "Le ventre de la fée", paraît en 1993 chez Actes Sud. Ses thèmes se partagent selon deux axes : d'une part la différence des sexes, la maternité et le sentiment amoureux ; d'autre part l'Histoire, la guerre, l'engagement.

En 2016, son roman "L'élégance des veuves" est adapté au cinéma dans le film "Eternité", réalisé par Tran Anh Hung, avec Audrey Tautou, Bérénice Béjo et Mélanie Laurent.

L'histoire :
Ce dimanche 2 août 1914 est un jour sombre. Dans toute la campagne landaise, comme dans tout le pays, le tocsin annonce la mobilisation. Pour Félicité et Jules, la séparation est une déchirure. Félicité ne peut imaginer la vie à la ferme sans la force et l'amour de son mari. Quant à Jules, il a le sentiment d'abandonner, bien malgré lui, son épouse aimante, leur petit garçon de deux ans, Antoine, son frère, Petit-Louis, jeune homme de dix-sept ans déficient mental, et son fidèle colley, Prince. A sa douleur s'ajoute son inquiétude de laisser sa famille et la propriété aux mains de sa mère, Julia, veuve tyrannique pour qui seule compte la terre...

Mon avis :
Un roman introspectif fort et dense dans lequel, pendant les quatre années que dure cette guerre d'une violence inouïe, les personnages sont pris dans un tourbillon d'émotions, de tourments, d'interrogations, de réflexion et de méditation. A chaque page, la tension dramatique croît, puise jusqu'au tréfonds de l'âme humaine et nous émeut aux larmes. Les héros et héroïnes, humains ou animaux, sont extrêmement attachants. Un livre profondément bouleversant.

"A l'Ouest rien de nouveau" de Erich Maria Remarque (Le Livre de Poche)

Erich Maria Remarque est un écrivain né en 1898 à Osnabrück (Allemagne). Engagé volontaire en 1916, blessé en 1918, il exerce divers métiers après la guerre, puis trouve sa voie dans le journalisme et la littérature. Son roman "A l'Ouest rien de nouveau" (1929) connaît un succès mondial, est traduit en 32 langues et est adapté au cinéma dès 1930. Mais il subit aussi de violentes attaques et est interdit en Allemagne dès 1933. Exilé, Remarque vit dès lors en Suisse et aux Etats-Unis. Son second très grand succès, "Arc de triomphe" (1946), se passe en 1938-1939 dans les milieux de l'émigration allemande à Paris. Déchu de sa nationalité allemande en 1938, Erich Maria Remarque est naturalisé américain en 1947. Il meurt en 1970 à Locarno (Suisse).

Tout comme "L'adieu aux armes" d'Hemingway, paru la même année (1929), "A l'Ouest rien de nouveau" veut témoigner pour cette "génération anéantie par la guerre, même si elle a échappé à ses obus". Le héros, Paul Bäumer, passe directement des bancs de l'école à la caserne, puis au front, où il est tué dans une des dernières escarmouches. Confronté à la réalité de la guerre, il prend conscience du caractère mensonger des idéaux qu'on lui avait prêchés et découvre une fraternité des hommes par-delà les frontières.

L'histoire :

Ils sont Allemands. Ils sont partis à cent-cinquante au front. Quinze jours plus tard n'en sont revenus que quatre-vingts. Alors pour les survivants, le calcul est simple, c'est double-ration de fricot, de tabac et de miel artificiel. Katczinsky, à quarante ans, est le plus âgé. Tjaden, Müller, Kropp, Leer, Westhus, Detering, Kemmerich, et le narrateur, Paul Bäumer, n'ont pas vingt ans, et pourtant, face aux "jeunes recrues", ils font figure de vétérans.

Derrière les baraquements, à l'abri des obus, les latrines communes, évidemment sans portes, accueillent une vingtaine d'hommes. Passée la gêne des premiers jours, l'endroit est devenu - pour combien de temps encore ? - le plus en sécurité ; "le rapport des chiottes", c'est là où les soldats se retrouvent pour se reposer, discuter, boire, jouer aux cartes...

"Nous ne combattons pas, nous nous défendons contre la destruction."

Mon avis :
Erich Maria Remarque décrit admirablement, avec une puissance extraordinaire, et sans la moindre haine envers l'ennemi, l'épouvantable chaos, l'horreur indicible aux familles, aux civils. Il décrit aussi, et surtout, ce lien exceptionnel, indéfectible qui unit les frères d'armes et sans lequel tous deviendraient fous.

L'actrice Marlène Dietrich, un temps la compagne de Remarque et son amie jusqu'à sa mort, a dit de l'écrivain : "Il a une capacité que peu d'hommes possèdent : celle de comprendre les émotions de l'existence."

"Cris" de Laurent Gaudé (Le Livre de Poche)

Laurent Gaudé est né en 1972 à Paris. Romancier, nouvelliste et dramaturge, il a reçu, en 2003, le Prix Goncourt des lycéens et le Prix des libraires pour "La mort du roi Tsongor" (Actes Sud), puis, en 2004, le Prix Goncourt pour son roman "Le Soleil des Scorta" (Actes Sud).

Mon avis :

Un roman choral poignant dans lequel les personnages témoignent de la sauvagerie du front. Il y a Jules, le permissionnaire, tenaillé par l'angoisse de retrouver les civils, leurs regards mêlés de dégoût et de pitié, leur méconnaissance de la réalité des combats... Il y a les camarades : Marius, Boris, le médecin, le lieutenant Rénier... Il y a aussi "le gazé", ce blessé anonyme piégé dans un trou d'obus... Et d'autres encore... Face à l'insoutenable, tous racontent la solidarité, la fraternité, le dépassement de soi, le courage, la bravoure, mais également la peur, les doutes, le désespoir, la folie.

Un livre contre l'oubli. Longtemps après sa lecture, les cris sont toujours là...

"Le chagrin des vivants" de Anna Hope (Folio)

Anna Hope est née en 1974 à Manchester (Royaume-Uni). En l'espace de deux romans, "Le chagrin des vivants" et "La salle de bal", elle s'est imposée comme l'une des voix majeures de la littérature contemporaine d'outre-Manche. Diplômée d'Oxford et profondément influencée par les récits modernistes à la façon de Virginia Woolf, elle a choisi de donner la parole aux sans-voix de l'Histoire, privilégiant les marginaux aux héros. Son dernier roman, "La salle de bal", raconte une histoire d'amour poignante entre deux patients d'un asile psychiatrique.

L'histoire :

Dimanche 7 novembre 1920

A Arras, dans le nord de la France, un colonel, un sergent et un simple soldat, à bord d'une ambulance, s'engagent en pleine nuit vers ce qu'il reste des tranchées. Le colonel indique un endroit. Ils s'arrêtent, descendent du véhicule, creusent le sol gelé, et déterrent un corps sans plaques d'identité...

A Londres...

Hettie et Diana, danseuses de compagnie pour les anciens soldats, ont rendez-vous dans un club. Hettie est présentée à Gus, son compagnon pour la soirée, gentil garçon mais mal à l'aise et très mauvais danseur. Après quelques tours de piste périlleux, Gus se propose d'aller chercher des boissons fraîches au bar. Pendant ce temps, Ed, un très bel homme, invite Hettie pour un one-step. A l'inverse de Gus, Ed est sûr de lui, charmeur et a le sens du rythme. La musique se termine. Ed s'évanouit dans la foule et Gus revient avec une limonade...

Dans son petit appartement qu'elle partage avec son amie Doreen, Evelyn se dépêche. Elle doit retrouver son frère Edward à la gare. Ils se rendent chez leurs parents, près d'Oxford, pour le déjeuner d'anniversaire de leur mère. Mais Ed n'arrive pas et Evelyn lui en veut de la laisser seule affronter le mépris de la famille, bourgeoise et conservatrice, pour ses activités au bureau des pensions de guerre...

Ada et Jack terminent leur petit-déjeuner, puis Jack part passer la journée au jardin ouvrier. Demain, cela fera vingt-cinq ans qu'ils sont mariés. Ada est en train de débarrasser la table de la cuisine lorsque se présente à la porte d'entrée de la maison un jeune homme, blessé, sale, un de ces nombreux soldats démobilisés, sans le sous, devenus mendiants ou camelots pour un peu de nourriture, une veste ou des chaussures. Partagée entre le haut-le-coeur et la pitié, Ada le laisse entrer. La scène est étrange, dérangeante. Ada décide de lui acheter un lot de lavettes inutiles pour qu'il s'en aille au plus vite. Mais le pauvre garçon est soudain pris de convulsions. Dans son délire, il prononce un mot : "Michael". Ada est sous le choc. C'est le prénom de son fils disparu. Elle retient le vagabond, le presse de questions, mais il ne parle plus et s'enfuit...

Mon avis :

Cette histoire intense relate cinq jours. Du premier, le 7 novembre 1920, où le corps d'un soldat anonyme est déterré d'un champ du nord de la France et mis en bière, au dernier, le 11 novembre 1920, où les funérailles, à Londres, de ce Soldat inconnu, rassembleront des milliers de Britanniques, dont une majorité de femmes. Cinq jours essentiels dans la vie de trois d'entre elles : Hettie, Evelyn et Ada. A travers elles, nous découvrons les multiples contrecoups de la guerre, la profonde césure entre la vie d'avant et la vie d'après, dans un pays en pleine reconstruction mais dont la douleur du deuil est encore terriblement vive. Les pertes humaines ont été considérables et aucune famille n'a été épargnée.

L'écriture d'Anna Hope est belle, d'une grande sensibilité, et les émotions qu'elle provoque en nous sont profondes et bouleversantes. Après ce premier roman parfaitement réussi, on a qu'une envie : se plonger passionnément dans son nouveau roman, "La salle de bal" (Gallimard), Grand Prix des lectrices de "Elle" 2018. 

lundi 1 octobre 2018

Octobre 2018 - "Asylum"


"Chez les fous" d'Albert Londres (Arléa)

Albert Londres est né en 1884 à Vichy. Il monte à Paris et commence sa carrière de journaliste au Matin en 1906.

En 1914, réformé, il se rend à Reims, pendant le bombardement de la ville, comme correspondant de guerre, et dénonce dans son journal ses démêlés avec la censure militaire ("Contre le bourrage de crâne"). Il entre ensuite au Petit Journal dans lequel il va publier de nombreux reportages, avant de rejoindre Excelsior qui l'envoie en URSS ("Dans la Russie des soviets").

En 1922, il se rend au Japon et en Chine et en ramène une série d'articles qui connaîtra un grand succès ("La Chine en folie").

En 1923, il entreprend une enquête sensible sur le bagne de Cayenne ("Au bagne"), qui, publiée dans le Petit Parisien, aura un tel retentissement qu'elle aboutira à la fermeture du pénitencier de Saint-Laurent-du-Maroni. Un autre témoignage, lié à l'épouvante du bagne guyanais, lui est alors fourni par Dieudonné, bagnard en cavale au Brésil, que le reporter ramènera avec lui en France, et dont il obtiendra finalement la réhabilitation ("L'homme qui s'évada"). Soumises elles aussi au travail forcé, les prostituées françaises d'Argentine sont pour Albert Londres l'occasion d'un reportage dans le "milieu" ("Le chemin de Buenos Aires"). Après le bagne civil de Cayenne, le journaliste va régler son compte au bagne militaire, dont il dénonce une fois encore avec véhémence les abus ("Dante n'avait rien vu") ; après une longue polémique avec les autorités, tous les pénitenciers militaires sont abolis.

C'est l'impossibilité d'entrer dans la Mecque, où il comptait réaliser un "scoop", qui conduit le grand reporter sur les bords de la mer Rouge, où il passe quelques jours sur un boutre avec les plongeurs miséreux qui risquent leur vie pour ramener les très recherchées huîtres perlières ("Les pêcheurs de perles").

En 1926, il décide de s'intéresser de plus près à Marseille, d'où il est souvent parti pour ses lointains reportages ("Marseille, porte du Sud").

On peut être grand reporter et s'intéresser aux événements nationaux, et c'est ainsi qu'Albert Londres couvre le Tour de France en 1928 ("Les forçats de la route").

En France encore, il parvient à pénétrer l'univers des hôpitaux psychiatriques, où la contrainte, les brutalités et l'horreur sont la norme ("Chez les fous").

Toujours pour le Petit Parisien, il se rend au Sénégal et au Congo et dénonce l'esclavage pur et simple auquel sont soumis les ouvriers noirs sur les chantiers de construction des voies ferrées ("Terre d'ébène").

En 1929, au moment où l'antisémitisme gagne partout du terrain, il enquête en Israël et dans toute l'Europe centrale sur le devenir du peuple élu ("Le Juif errant est arrivé"). Puis, dans les Balkans, il tente de comprendre ce qui pousse les nationalistes macédoniens au terrorisme ("Les Comitadjis").

C'est en rentrant de Shanghai, en 1932, où il était allé enquêter sur les "triades" chinoises, l'opium et les réseaux de trafiquants, et d'où, avait-il câblé, "il ramenait de la dynamite", qu'Albert Londres trouva la mort dans l'incendie du paquebot Georges-Philippar, en mer Rouge.


Le Prix Albert Londres a été créé en 1932 par Florise Martinet-Londres, en souvenir de son père. Il récompense un jeune journaliste de moins de quarante ans. Il a été décerné pour la première fois en 1933 et couronne chaque année, à la date anniversaire de la mort d'Albert Londres (16 mai 1932), le meilleur "Grand Reporter de la presse écrite" et, depuis 1985, le meilleur "Grand Reporter de l'audiovisuel". Parmi les nombreux lauréats, on peut citer Bernard Guetta (1981), Sorj Chalandon (1988) ou Anne Nivat (2000).


Mon avis :

En mai 1925 paraissait dans le Petit Parisien un reportage édifiant signé par Albert Londres. Après les bagnes, puis le Tour de France cycliste, le journaliste choisissait de s'intéresser aux asiles d'aliénés français.

Mais la tâche fut rude car il ne reçut aucune autorisation pour visiter les hôpitaux ou rencontrer les soignants et les patients. L'administration invoquait le secret professionnel et les ministres le droit de censure. Le préfet de la Seine n'ouvrait que les portes des cuisines et les directeurs des structures refusaient tout net de discuter avec un reporter. Quant à simuler la folie, c'était faire offense à la perspicacité des médecins.

Pourtant, le sujet était loin d'être anodin, déjà à cette époque, et Albert Londres ne renonça pas. Le pays comptait quatre-vingt mille malades pour seulement quatre-vingts établissements, et la psychiatrie n'était qu'à ses balbutiements. Tour à tour dans le rôle d'un parent, d'un interne, d'un gardien, ou encore d'un assistant de dentiste, le journaliste opiniâtre parvint à infiltrer suffisamment de services et à recueillir assez de confidences pour livrer son enquête et ouvrir une fenêtre sur ceux que le monde extérieur d'alors rejetait.

"Rejetait" ? Ce témoignage terrible nous laisse horrifiés, abasourdis, tétanisés. Certes, ces articles datent du siècle dernier. Ils ont été écrits il y a près de cent ans. Depuis, les soins médicaux ont évolué de manière considérable. Mais qu'en est-il de notre regard sur les malades souffrant de troubles psychiatriques ? De nos jours, la question reste posée et doit être réfléchie tant individuellement que collectivement...

"Caché dans la maison des fous" de Didier Daeninckx (Folio)

Didier Daeninckx est né en 1949 à Saint-Denis. De 1966 à 1975, il travaille comme imprimeur dans diverses entreprises, puis comme animateur culturel avant de devenir journaliste dans plusieurs publications municipales et départementales.

En 1983, il publie "Meurtres pour mémoire", première enquête de l'inspecteur Cadin, qui retrace la manifestation des Algériens en octobre 1961 et la répression policière qui fit une centaine de morts. L'année suivante paraît "Le géant inachevé" : un crime étrange perturbe la préparation du carnaval d'Hazebrouck. Une jeune femme est assassinée, et le géant qu'elle confectionnait est également la cible du tueur mystérieux.

"La der des ders" a pour toile de fond la Première Guerre mondiale : Varlot, qui s'en est sorti indemne - cauchemars mis à part - doit enquêter sur la moralité de la femme du colonel Fantin de Lasaurdière.

De nombreux romans noirs suivent, dont "La mort n'oublie personne" dans lequel un jeune historien se replonge dans les jours troubles de l'histoire de la Résistance. Dans "Lumière noire", à la suite d'une bavure policière à l'aéroport de Roissy, Yves Guyot découvre comment la raison d'Etat peut se substituer à la recherche de la vérité.

Dans "Mort au premier tour", c'est encore l'inspecteur Cadin qui enquête, au lendemain des élections municipales de mars 1977, sur l'assassinat d'un militant écologiste sur le chantier de la centrale nucléaire de Marcheim, en Alsace.

Avec "Zapping", Didier Daeninckx propose une série de destins sur lesquels la télévision a exercé son influence, avant, pendant, après et parfois parallèlement à ses émissions.

"Cannibale", inspiré par un fait authentique, se déroule pendant l'Exposition universelle de 1931, tout en mettant en perspective les révoltes qui devaient avoir lieu un demi-siècle plus tard en Nouvelle-Calédonie.

Ecrivain engagé, Didier Daeninckx est l'auteur de plus d'une trentaine de romans et recueils de nouvelles. Plusieurs de ses ouvrages ont été publiés dans des collections destinées à la jeunesse, d'autres lui ont donné l'occasion de travailler avec des artistes réputés comme le photographe Willy Ronis ou les dessinateurs Assaf Hanouka, Mako, Guttierez, Tignous et Jacques Tardi.

Il a obtenu de nombreux prix (Prix populiste, Prix Mystère de la critique, Prix Louis Guilloux, Prix Goncourt du livre de jeunesse...). En 1994, la Société des Gens de Lettres lui a décerné le Prix Paul Féval de littérature populaire pour l'ensemble de son oeuvre. En mars 2012, le Prix Goncourt de la nouvelle lui a été attribué pour "L'espoir en contrebande".

L'histoire :

1943
Denise, étudiante en philosophie à l'Université de Clermont-Ferrand, travaille parallèlement pour le Mouvement national contre le racisme, un réseau de résistance qui vise à placer dans des familles d'accueil des enfants juifs, mais aussi des militants en cavale et des parachutistes blessés.

Lorsque, suite à des dénonciations, la Gestapo procède à mille deux cents arrestations à l'université, Denise, fille de commerçants juifs, doit fuir Clermont-Ferrand. Elle rejoint la Lozère et l'Hôpital de Saint-Alban où elle est hébergée et reçue avec gentillesse et chaleur. Intéressée et sensible, elle est d'abord chargée de redonner vie à la bibliothèque abandonnée depuis trop longtemps, puis très vite lui est confiée l'animation d'un groupe d'enfants.

Discrète et à l'écoute, Denise partage des instants privilégiés et intimes avec ses compagnons d'infortune illustres tels que le psychiatre Lucien Bonnafé, directeur de l'asile, et son épouse Jeanne, le psychiatre François Tosquelles et son épouse Elena, et le poète Paul Eluard et son épouse Nusch...

Mon avis :
Entre réalité et fiction, Didier Daeninckx nous offre un formidable roman poétique, littéraire, généreux et humain. Une émouvante manière aussi de se souvenir de Denise Glaser, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître mais qui a marqué le paysage audiovisuel et culturel français des années 1960 et 1970.

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Denise Glaser, née en 1920 à Arras (Pas-de-Calais) et morte en 1983 à Paris, est une productrice et présentatrice de télévision française, particulièrement connue pour l'émission musicale Discorama, diffusée de 1959 à 1975.

Lucien Bonnafé (1912-2003) est un psychiatre désaliéniste français qui a élaboré et mis en place la politique de secteur psychiatrique.

François Tosquelles (Francesc Tosquelles Llaurado) (1912-1994) est un psychiatre catalan. Il est l'un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle, mouvement qui, de Saint-Alban sur Limagnole (Lozère) à La Borde (Loir-et-Cher), a influencé fortement la psychiatrie et la pédagogie depuis la seconde moitié du XXème siècle.

Eugène Grindel, dit Paul Eluard (1895-1952) est un poète français. L'un des principaux membres du surréalisme, il aspira à rénover les techniques du langage tout en cherchant un moyen d'accéder à l'inconscient. Poète de la Résistance sous l'Occupation, il devint le symbole d'un idéal de liberté et de fraternité.

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"L'étrange disparition d'Esme Lennox" de Maggie O'Farrell (10/18)

Maggie O'Farrell est née en 1972 à Coleraine, en Irlande du Nord. Elle a grandi entre le Pays de Galles et l'Ecosse. A l'âge de huit ans, elle contracte un virus qui la déscolarise pendant un an. Cet événement sera repris dans l'un de ses romans, "La distance entre nous", récompensé par le Prix Somerset-Maugham en 2005. Après des études littéraires à l'Université de Cambridge, elle a exercé de nombreux emplois, notamment celui de critique littéraire et de journaliste à Hong Kong. Elle a également enseigné l'écriture créative. Face au succès de son premier roman, "Quand tu es parti", en 2000, elle prend la décision d'abandonner sa carrière de rédactrice en chef des pages littéraires de l'Independant on Sunday pour se consacrer à l'écriture. Son dernier roman, "Assez de bleu dans le ciel", a été publié chez Belfond en 2017. Elle vit à Edimbourg avec son mari, l'écrivain britannique William Sutcliffe ("Vacances indiennes", "Une semaine avec ma mère"), et leur fils.

L'histoire :

Iris Lockhart est une jeune femme libre, célibataire, sans enfants, et des amants à qui elle ne demande rien d'autre que d'être ce qu'ils sont. Le seul homme qui tienne une réelle place dans son coeur est son frère par alliance, Alex. Professionnellement, elle a une boutique de vêtements d'occasion, et les affaires marchent plutôt bien.

Ce matin, lorsqu'elle arrive au magasin, elle trouve dans sa boîte aux lettres, au milieu d'un tas de factures, un courrier qu'elle ne prend pas le temps de lire mais les mots "réunion" et "Euphemia Lennox" attirent son regard. Ceci est d'autant plus troublant que dans la journée, elle reçoit un appel - une erreur de numéro de toute évidence - d'un homme souhaitant lui parler d'une certaine Euphemia Lennox qu'elle ne connait pas du tout.

C'est le lendemain que lui tombe sur la tête une nouvelle dont elle ne peut contester la véracité et qui la laisse totalement épouvantée. Sa grand-mère paternelle, Kathleen Lockhart, née Lennox, à présent atteinte de la maladie d'Alzheimer, n'est pas fille unique comme elle l'a toujours affirmé. Elle a une soeur, Euphemia, placée depuis soixante ans à l'asile d'aliénés de Cauldstone, ici, à Edimbourg. Dans quelques jours, l'établissement fermera définitivement ses portes. Les patients doivent être repris en charge par les familles. Et Iris a été désignée par sa grand-mère comme curatrice d'une grand-tante dont elle ignorait l'existence, dont le nom n'a même jamais été prononcé devant elle...

Mon avis :
Inspiré de faits réels, ce roman choral s'empare du lecteur dès les premières pages et prend au coeur par ses thèmes graves et douloureux. Trois voix à écouter. Trois destins de femmes. L'une, souffrant de la maladie d'Alzheimer, est torturée par son passé. L'autre, célibataire, trentenaire, viscéralement attachée à son indépendance, fait soudain face à son histoire familiale. Et la troisième, Esme, maillon principal de la chaîne, n'a qu'une question : pourquoi est-elle enfermée et traitée comme folle depuis soixante-et-un ans ? Esme, bouleversante lorsqu'elle évoque son enfance et sa jeunesse en Inde, puis le retour de la famille en Ecosse, un pays dont elle découvre la froideur du climat et la rigueur des convenances de ces années 1930. Esme, instinctive, spontanée, bien trop en avance pour une époque où les pères, les frères ou les maris étaient maîtres de la vie des femmes et où les internements forcés et de complaisance étaient monnaie courante. L'écriture de Maggie O'Farrell est sobre, tout en finesse, tout en délicatesse. Un roman profondément émouvant.

"Le silence des agneaux" de Thomas Harris (Pocket)

Prix Bram Stoker du meilleur roman 1988
Grand Prix de littérature policière 1991
Prix Mystère de la critique 1991


Thomas Harris est un écrivain américain né en 1940 à Jackson, dans le Tennessee. Il étudie à l'université de Baylor, à Waco, Texas, tout en travaillant comme reporter pour le News Tribune. Dans les années 1960, Thomas Harris envoie ses premiers textes à des magazines, des nouvelles macabres qui se distinguent par un sens aigu du détail. Après l'obtention de son diplôme, en 1964, il devient reporter pour l'Associated Press à New York. Jusqu'en 1974, il couvre les affaires criminelles aux Etats-Unis et au Mexique, lesquelles seront la matière première de ses romans.

Après le succès de "Black Sunday", son premier roman publié en 1975, Thomas Harris se consacre entièrement à l'écriture. Il met six ans à écrire son deuxième roman, "Dragon rouge", publié en 1981, qui introduit le serial killer le plus populaire de la littérature : Hannibal Lecter, dit "Hannibal le cannibale".

La suite de ce livre, "Le silence des agneaux", est un immense succès, et son adaptation cinématographique en 1991 entre dans légende hollywoodienne avec cinq oscars : meilleur film, meilleur réalisateur (Jonathan Demme), meilleur scénario adapté (Ted Tally), meilleur acteur (Anthony Hopkins) et meilleure actrice (Jodie Foster). C'est aussi la première fois qu'à l'écran est donné un premier rôle de scientifique à une femme. Le personnage de Clarice Starling inspirera, deux ans plus tard, celui de Dana Scully pour la série "X-Files" (qui fête ses vingt-cinq ans cette année).

L'histoire :

Tous les services du FBI sont débordés. Ils sont à la recherche d'un tueur en série, baptisé par les médias "Buffalo Bill", auteur du meurtre sadique de cinq femmes dont les corps ont été retrouvés partiellement écorchés.

Doublement diplômée en psychologie et en criminologie, la jeune Clarice Starling poursuit une formation au département des sciences du comportement du FBI à l'école de Quantico. Alors qu'elle s'entraîne au stand de tir, le chef du département, l'agent spécial Jack Crawford, la convoque à son bureau. Brillante étudiante, elle se voit chargée d'une mission extrêmement sensible. Elle doit rencontrer, à l'hôpital psychiatrique de Baltimore, un assassin hors du commun, psychiatre d'une redoutable intelligence, le Docteur Hannibal Lecter, surnommé "Hannibal le cannibale". Le FBI travaille à la création d'une base de données qui vise à établir un profil psychologique des cas encore non résolus. Pour cela, les plus grands criminels actuellement en prison ont été interrogés. Mais Lecter refuse toujours de répondre au questionnaire. Peut-être l'agent Starling saura-t-elle le convaincre.

A Baltimore, Clarice doit d'abord affronter la vanité et la misogynie du directeur de l'hôpital d'Etat, le Docteur Frederick Chilton, avant d'être conduite à la cellule d'Hannibal Lecter. La réputation du psychiatre n'est pas usurpée. Aucun détail ne lui échappe. Bien qu'il apprécie la politesse de la jeune femme, l'entretien est un échec. Clarice est sur le point de partir lorsqu'elle est victime de l'excitation sexuelle d'un autre détenu. Insupporté par la vulgarité de cet acte, Lecter décide d'aider la jeune recrue. Jack Crawford n'a pas envoyé auprès de lui son meilleur élément pour un simple sondage. Ce qui préoccupe le FBI en ce moment est de coincer Buffalo Bill. Le psychiatre va le livrer à Clarice, et à elle seule. Intention sincère ? Ou jeu pervers ?

Mon avis :
Un roman à l'intrigue impeccable. Une enquête menée au pas de course qui ne laisse aucune place aux émotions ni aux hésitations. Clarice Starling est fragilisée par son manque d'expérience, troublée par ce lien ambigu tissé avec Hannibal Lecter, mais aussi stimulée par l'urgence de retrouver vivante la dernière victime enlevée par Buffalo Bill, poussée par son désir de ne pas décevoir le chef Crawford et motivée par son ambition personnelle à conduire à son terme une affaire rarement offerte à une jeune recrue. Les échanges entre le Docteur Lecter et l'agent Starling sur la psychiatrie sont absolument... savoureux...!!!

vendredi 7 septembre 2018

Septembre 2018 - "Country Noir & Nature Writing"


"Dérive sanglante" de William G. Tapply (Gallmeister)

William G. Tapply est né en 1940 à Waltham, dans le Massachusetts. Diplômé de Harvard en 1963, il fut successivement professeur d'Histoire au lycée, professeur d'écriture, collaborateur à divers magazines. Il publia par ailleurs une quarantaine de livres en vingt-cinq ans dont une vingtaine de romans policiers. Grand amateur de pêche à la mouche, il collaborait régulièrement à des magazines de pêche américains. Il a enseigné la littérature à l'université Clark et vivait à Hancock, dans le New Hampshire. Il est décédé d'une leucémie en juillet 2009 alors que paraissait aux Etats-Unis "Dark Tiger", troisième volet des aventures de Stoney Calhoun, une série policière dont il avait commencé la rédaction en 2004 ("Dérive sanglante", "Casco Bay" et "Dark Tiger", chez Gallmeister).

L'histoire :

Il y a cinq ans, Stoney Calhoun sortait de l'hôpital d'Arlington (Virginie) sourd d'une oreille, souffrant de graves pertes de mémoire et ne sachant où aller. Poussé par son instinct, il prit la direction du Maine. Dans les environs de Portland, il eut le sentiment étrange de reconnaître des lieux et des paysages. Il acheta une parcelle de terrain au beau milieu des bois et, à la manière de Thoreau*, construisit sa cabane près de la rivière.

De sa vie précédant son hospitalisation, il n'a toujours aucun souvenir, mais quel que fut son passé, aujourd'hui il mène une existence paisible et heureuse, au plus près de la nature, avec son épagneul breton Ralph**, son anthologie de la littérature américaine, et son job. Il travaille dans un magasin d'articles de chasse et de pêche avec Kate Balaban, la patronne, et aussi sa maîtresse dont il est très amoureux, et son meilleur ami, Lyle McMahan, un étudiant en Histoire qui connaît la région comme sa poche. Tous les trois sont guides de pêche.

Ce matin, un homme aux cheveux blancs, environ soixante-dix ans, un certain Fred Green, se présente à la boutique. Il est en quête d'une personne compétente pouvant l'emmener pêcher la truite sauvage impérativement ce jour car il n'a pas d'autres disponibilités. Du genre frimeur, Green ne plait pas du tout à Calhoun. Bien que ce soit son tour, Calhoun pense aussitôt à Lyle pour le remplacer. L'étudiant, ravi de gagner un peu d'argent, ne se fait pas prier pour récupérer la sortie. Professionnel, Lyle prépare rapidement l'itinéraire et l'équipement, puis prend la route avec le client pour une journée de randonnée.

Le lendemain, personne n'a de leurs nouvelles. Lyle et Green ne sont pas rentrés. Calhoun culpabilise et se lance avec ardeur à la recherche de son ami...


* Henry David Thoreau (1817-1862) : philosophe, naturaliste, poète américain, auteur de "Walden ou la vie dans les bois"

** Ralph : allusion à Ralph Waldo Emerson (1803-1882), essayiste, philosophe, poète et chef de file du mouvement transcendantaliste américain du début du XIXème siècle, grand ami de Thoreau


Mon avis :
Des références aux plus belles plumes naturalistes américaines... De magnifiques peintures des rivières et des forêts du Maine si chères à Thoreau... Des personnages attachants et bienveillants... Un héros imparfait mais sincère dans sa quête de la vérité sur la mort de son ami, dans sa quête de la vérité sur sa propre histoire, dans sa quête de valeurs solides sur lesquelles il puisse se reposer sans crainte... Un très beau pêle-mêle d'émotions, de mystère et d'humour... Un énorme coup de coeur et une profonde tristesse de savoir que nous ne partagerons que trois aventures avec le charmant et charmeur Stoney Calhoun...

"Là où les lumières se perdent" de David Joy (Sonatine)

David Joy, né à Charlotte (Caroline du Nord) en 1983, est l'auteur de trois romans et plusieurs nouvelles. Ses écrits ont notamment paru dans certains magazines et journaux américains. "Là où les lumières se perdent", finaliste de l'Edgar Award et acclamé par la critique, est sont premier roman traduit en France. David Joy vit à Webster en Caroline du Nord.

En cette Rentrée Littéraire 2018 paraît son nouveau roman, "Le poids du monde", chez Sonatine.

L'histoire :

C'est une petite ville plantée au fin fond des Appalaches, en Caroline du Nord. Entourées de montagnes, les terres sont si arides que rien n'y pousse. Ceux qui restent à The Creek ne peuvent que s'y perdre.

Jacob McNeely a dix-huit ans. Aujourd'hui c'est la cérémonie de remise de diplômes au lycée Walter Middleton. Mais ce n'est pas pour lui. Du haut du château d'eau, il observe la scène et reconnaît Maggie Jennings, son amie d'enfance, son amour inaccessible. Elle est Juliette. Il est Roméo.

Les parents de Jacob sont divorcés. Son père est un baron de la drogue puissant et craint dans la région. Sa mère est une junkie. Des études pour Jacob ? A quoi bon ! Jamais il ne quittera le coin. Son avenir ici est tout tracé : travailler pour papa, et plus tard hériter des affaires. Pour l'heure, il obéit aux ordres du boss et se défonce à tout ce qu'il veut, tant qu'il ne touche pas à la cristal meth. C'est la règle absolue et le paternel tuerait quiconque l'enfreindrait, même son propre fils. La cristal meth rend plus bavard que n'importe quelle autre substance et c'est dangereux pour le business...

Mon avis :
Jacob sait depuis l'enfance qu'aucun de ses rêves ne sera jamais réalisé. Fataliste, prisonnier de la montagne, prisonnier de sa famille, il s'apprête à endosser un héritage lourd de conséquences qu'il n'a pas souhaité et dont il n'est pas responsable. Peut-il échapper à son destin ? Quels choix doit-il faire ? C'est une question universelle que pose David Joy, celle de l'héritage familial, de la transmission.
Violence, torpeur, renoncement, désespoir... Ce roman est une tragédie déchirante et magnifique... On en sort totalement ébranlé... Un écrivain que l'on ne va pas lâcher de sitôt !

"Cry father" de Benjamin Whitmer (Gallmeister)

Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l'Ohio et au nord de l'Etat de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne paraisse son premier roman, "Pike", en 2010. Il vit aujourd'hui avec ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d'histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver. Ses auteurs préférés sont Harry Crews, James Crumley et Donald Ray Pollock. Son second roman, "Cry father", est sorti en 2014.

L'histoire :

Patterson Wells ne s'est jamais remis de la mort de son petit garçon, Justin. Si son ex-femme, Laney, puise sa force dans sa bataille judiciaire contre le médecin responsable du décès de leur fils, Patterson, lui, a choisi la fuite. Elagueur, à bord de son Ford Ranger, il parcourt tout le pays, avec pour seule compagnie Sancho, son chien. Après les cyclones, les tremblements de terre, les inondations, il dégage les routes et les réseaux électriques. Il noie son chagrin dans les zones sinistrées et dans les bars miteux. Ses moments de paix sont ceux qu'il passe avec son fils à travers les lettres qu'il lui écrit chaque soir dans des cahiers d'écolier.

De longs mois se sont écoulés. Avant son prochain contrat, épuisé, Patterson vient se reposer dans sa cabane du Colorado, que lui a vendue son ami Henry, éleveur de chevaux. Hélas, aux premiers instants de son séjour, il croise le chemin du fils d'Henry, Junior, un être instable et écorché vif...

Mon avis :

Ce livre est un coup de poing à l'estomac ! Roman sur la paternité, brutal, crépusculaire, il scotche par sa puissance ! L'auteur y dresse le portrait de trois pères : Patterson, Henry et Junior. Patterson et Junior vont s'engager dans un compagnonnage toxique, une attraction destructrice qui ne s'explique que par leurs douleurs respectives.

Si leur relation et leurs actes semblent sombrer dans une forme de folie morbide, les lettres que Patterson continue d'adresser à son fils défunt sont paradoxalement les seuls liens, forts et émouvants, avec la vie.

Un texte brillant et bouleversant !


A découvrir également : "Pike"

lundi 6 août 2018

Août 2018 - "Les livres de l'été" (partie 2)


"Quand sort la recluse" de Fred Vargas (Flammarion)

Fred Vargas est née en 1957 à Paris, de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau. La reine du polar français s'est d'abord spécialisée dans l'archéozoologie. Titulaire d'un doctorat d'Histoire, après avoir étudié la peste au Moyen Age, elle signe sous le nom de Fred Vargas son premier roman, "Les jeux de l'amour et de la mort", qui rafle le Prix du roman policier du festival de Cognac en 1986. Cinq ans plus tard, elle fait paraître "L'homme aux cercles bleus" chez Viviane Hamy, premier polar où elle introduit dans son univers le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, héros mythique d'une dizaine d'enquêtes, de "Pars vite et reviens tard" (Prix des lectrices de Elle en 2002) à "Un lieu incertain". "Temps glaciaires" est son treizième "rompol" (comprendre "roman policier"), le premier publié chez Flammarion.

L'histoire :

Au terme d'une enquête éprouvante, Adamsberg s'est envolé vers Grimsey, une petite île islandaise où il se ressource depuis maintenant deux semaines. Apaisé par le silence et la beauté du paysage qui l'entoure, le commissaire a totalement oublié Paris et ses tourments. Mais ce soir, la capitale le rappelle auprès d'elle.

De retour à la Brigade criminelle du XIIIème arrondissement, le commissaire Adamsberg peine à se concentrer sur une affaire guère passionnante que lui exposent ses agents, jusqu'à ce que l'attitude étrange du lieutenant Voisenet attire son attention.

Après le départ de ses collègues, Adamsberg rallume discrètement l'ordinateur de Voisenet et constate que ce dernier est en train de rassembler des informations, des articles de journaux et des forums de discussion au sujet d'une araignée bien particulière d'Amérique du Nord : l'araignée recluse, appelée aussi la recluse brune ou la recluse violoniste. Une araignée soupçonnée d'être responsable de la mort de plusieurs personnes en France depuis près d'un an. Loxosceles reclusa pique soudain l'intérêt du commissaire. 

Cette fois, c'est certain, la Brigade a retrouvé son chef...

Mon avis :

C'est un réel bonheur de partager une nouvelle odyssée en compagnie de l'original commissaire Adamsberg et de sa tout aussi atypique Brigade ! Des aventures toujours improbables et fantasques que tisse la magicienne Fred Vargas. Et nous voilà encore une fois embobinés ! Mais ne nous y trompons pas. Derrière la fantaisie, les sujets sont graves et ils sont traités avec toute la sensibilité et toute l'humanité d'une équipe unie autour d'un chef pittoresque et plus impliqué que jamais !

Une histoire prenante, des personnages diablement attachants, une enivrante folie douce... Un excellent cru, comme d'habitude !

"On se souvient du nom des assassins" de Dominique Maisons (La Martinière)

Dominique Maisons, né en 1971, est l'une des nouvelles révélations du polar français. Son premier thriller, "Le Psychopompe" (réédité chez Pocket sous le titre "Les violeurs d'âme") a été couronné du Grand Prix VSD du polar 2011. "On se souvient du nom des assassins" (La Martinière, 2016), a remporté le Prix Griffe Noire du meilleur roman historique 2016. Son nouveau roman, "Tout le monde aime Bruce Willis", a été publié en avril 2018 aux éditions La Martinière.

Dans son roman "On se souvient du nom des assassins", Dominique Maisons capture l'atmosphère de Paris en 1909, inspiré par la littérature populaire de l'époque. Il reconstitue le contexte social et l'ambiance tendue après la séparation des Eglises et de l'Etat dans un thriller documenté où l'on croise Gaston Leroux ou Alfred Binet.

"La fascination pour le crime dans les grands procès, dans les journaux, prend beaucoup d'ampleur à cette époque, il y a un retournement de la littérature vers de la littérature de genre qui naît à cette époque-là, d'où le titre "On se souvient du nom des assassins" : on commence à faire des vedettes des personnages dont les agissements les auraient auparavant condamnés à l'opprobre et à la plus grande discrétion." - (Dominique Maisons)

(Exposion universelle, Paris, 1909)
L'histoire :

Paris, printemps 1909

La rédaction du quotidien Le Matin bouillonne cet après-midi. Elle accueille l'illustre Max Rochefort, feuilletoniste à succès et vedette incontestée du journal. Ses histoires fidélisent un nombre grandissant de lecteurs. Son dernier roman-feuilleton arrivant à son terme, le conseil d'administration espère battre la concurrence et signer un nouveau contrat avec le créateur de la série "Boulevard du Crime" et du commissaire Nocturnax.

Après une heure de réunion, les deux parties sortent de la salle visiblement très satisfaites. Une des exigences du fameux écrivain est d'avoir à sa disposition, aux frais du journal, un secrétaire particulier. Le lendemain, cette tâche est confiée à Giovanni Riva, commis au service du courrier, un jeune homme travailleur, motivé, cultivé, à l'avenir prometteur. A cette mission s'ajoute celle de rapporter à l'administrateur du Matin tous les faits et gestes de Rochefort, dont la renommée n'est pas que littéraire. Les sorties mondaines parisiennes de l'auteur dandy sont de plus en plus remarquées et son excentricité pourrait impacter la réputation du quotidien.

Lors de son premier rendez-vous au domicile de Max Rochefort, Riva doit d'abord affronter Marguerite, la solide gouvernante lorraine, femme sévère mais bienveillante. Puis, le maître de maison expose à son nouvel assistant ce qu'il attend de lui et lui fait visiter "l'atelier d'écriture", sorte de bibliothèque débordant de documents, où s'active une équipe de trois rédacteurs. Giovanni sera le lien entre "les prête-plume" et "la célébrité"...

(L'Opéra Garnier, Paris)
Mon avis :

Après le meurtre sordide d'un cardinal dans un hôtel luxueux proche de Paris, à l'heure où la France est encore secouée par l'affaire Dreyfus et par la récente loi de séparation des Eglises et de l'Etat, un romancier à succès et son nouvel assistant aux allures d'un Rouletabille vont jouer aux détectives amateurs pour défendre une jeune fille accusée à tort.

Hommage à l'écrivain Gaston Leroux et écrite à la manière des romans-feuilletons de la Belle-Epoque, cette aventure rocambolesque aux multiples rebondissements nous entraîne aux quatre coins du Paris de ce tout début du XXème siècle, des endroits les plus huppés aux bas-fonds les plus glauques de la capitale. Foison de clins d'oeil à des faits et personnages historiques, cette intrigue n'est pas seulement captivante et trépidante. Instructive, elle est aussi une formidable invitation à approfondir nos connaissances sur une époque en pleine ébullition, berceau de progrès majeurs dans tous les domaines : psychiatrie, médecine, médecine légale, techniques scientifiques d'investigation de la police, aéronautique... C'est aussi le temps de la fascination pour l'Orient et l'exotisme en général, l'arrivée du gramophone et du cinématographe, l'installation de l'eau courante, du gaz et de l'électricité, les chantiers du métropolitain, les travaux des grandes avenues du baron Haussmann...

Parmi les très nombreuses personnalités célèbres croisées tout au long de ce roman, nous pouvons citer : l'écrivain Gaston Leroux, le psychologue Alfred Binet, l'aviateur Louis Paulhan, le préfet de police Célestin Hennion et ses Brigades du Tigre, le couturier Paul Poiret.

(Paris, 1909)

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(Le Matin du 19.04.1909)
Le Matin était un journal quotidien français créé en 1883 et disparu en 1944. Racheté par l'homme d'affaires sulfureux Maurice Bunau-Varilla, il fut l'un des quatre grands quotidiens dans les années 1910 et 1920, tirant un million d'exemplaires à la veille de 1914. Sa diffusion baissa à partir des années 1920, pour ne plus atteindre que 300 000 exemplaires à la fin des années 1930, tandis qu'il s'orienta vers l'extrême-droite, devenant collaborationniste sous Vichy. Il fut interdit de parution à la Libération.

Gaston Leroux (1868-1927) est un écrivain et journaliste français. Avocat, chroniqueur judiciaire à l'Echo de Paris, grand reporter au Matin et dreyfusard, il lance la mode des entretiens lors d'un reportage en Russie, dont les textes ont été réunis sous le titre "L'Agonie de la Russie blanche" (1978). En 1907, il publie dans L'Illustration "Le mystère de la chambre jaune" (édité en 1908), dont le héros, le jeune reporter Joseph Rouletabille, devient immédiatement célèbre. L'apport principal de Leroux au roman énigmatique est le meurtre en chambre close. Deux cycles suivent cet essai : celui de Rouletabille ("Le parfum de la dame en noir", 1909) et celui de "Chéri-Bibi". On lui doit encore la "Poupée sanglante" et "Le Fantôme de l'Opéra" (1910).

Alfred Binet (1857-1911) est un psychologue et physiologiste français. Il est le véritable créateur de la psychologie expérimentale française, qu'il orienta d'emblée vers l'étude des activités supérieures. Cherchant un moyen de dépister les enfants anormaux afin d'améliorer leur enseignement, il inaugure la méthode des tests mentaux, créant ainsi, avec le psychiatre Théodore Simon, la première Echelle métrique de l'intelligence (1905, puis 1908) qui porte leur nom (échelle Binet-Simon). Celle-ci a pour but de mesurer le développement de l'intelligence des enfants en fonction de l'âge (âge mental).

Louis Paulhan est un pionnier français de l'aviation né le 19 juillet 1883 à Pézenas (Hérault) et mort le 10 février 1963 à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques).

Célestin Hennion (1862-1915) est un préfet de police français. Il est célèbre pour avoir modernisé la police française au début du XXème siècle avec le soutien de Georges Clémenceau dit "le Tigre". En tant que directeur de la Sûreté générale, il est le créateur des fameuses Brigades du Tigre, ancêtres de la police judiciaire. Pour ces actions, il est connu comme le "père de la police moderne".

Paul Poiret (1879-1944) est un grand couturier français, connu pour ses audaces. Considéré comme un précurseur du style Art-Déco, il crée la maison de couture qui porte son nom en 1903.

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