jeudi 7 juin 2018

Juin 2018 - Faits divers et de société"


"La mésange et l'ogresse" de Harold Cobert (Plon/Points)

Harold Cobert est un écrivain français. Titulaire d'un doctorat de lettres, il publie, aux éditions Séguier, une série d'ouvrages consacrée à Mirabeau intitulée "Mirabeau, le fantôme du Panthéon". En 2007 paraît "Le reniement de Patrick Treboc", aux éditions Jean-Claude Lattès, son premier roman, qui raconte le destin d'un professeur intègre, criminel par accident, libéré de prison grâce à une émission de téléréalité qu'il a lui-même inventée. Suivront d'autres romans dont "Un hiver avec Baudelaire", "L'entrevue de Saint-Cloud" (Héloïse d'Ormesson), et "Jim" (Plon).

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Les faits :
Michel Fourniret, surnommé "le forestier des Ardennes", "l'ogre des Ardennes", "le tueur des Ardennes", "le monstre des Ardennes", a été condamné, en 2008, à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour cinq meurtres et deux assassinats de jeunes filles, âgées de douze à vingt-deux ans, en France et en Belgique. Des enquêtes se poursuivent pour d'autres affaires. Son épouse, Monique Olivier, est accusée de complicité de meurtre et de non-dénonciation de meurtre. Elle a été jugée en même temps que son compagnon et a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de vingt-huit ans.

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L'histoire :

Jeudi 19 avril 2001
          17h13 - Han-sur-Lesse (Belgique)

Il pleut. Raphaëlle Evert, vingt-et-un ans, rentre chez elle à vélo lorsqu'un homme, la soixantaine, à bord d'une camionnette blanche, l'oblige à s'arrêter et insiste pour la raccompagner chez elle au prétexte de lui éviter de rouler sous la pluie. La jeune femme refuse fermement. Contrarié, l'homme redémarre. Mais quelques mètres plus loin, la camionnette est de nouveau stationnée sur le bas-côté de la route. Effrayée, Raphaëlle s'enfuit à travers champs. Néanmoins, elle a eu le réflexe de mémoriser le numéro de la plaque d'immatriculation. De retour chez elle, avec son père, elle porte plainte au commissariat. Le propriétaire de la camionnette, Michel Fourniret, est entendu. Mais comme il n'y a eu aucune violence, l'affaire reste sans suite. Furieux, le père de Raphaëlle se rend un soir au domicile de Fourniret et lui met son poing dans la figure.

Jeudi 26 juin 2003
          15h03 - Cirey (Belgique)

Après l'école, Louise Lemaire, treize ans, est enlevée par un homme d'environ soixante ans et jetée à l'arrière d'une camionnette blanche. L'homme démarre. Il est seul. Grâce à un courage extraordinaire, Louise parvient à s'échapper à un moment où le véhicule ralentit sa course.

Une femme, au volant de sa voiture, aperçoit l'adolescente en train de faire des grands signes sur la route nationale et s'arrête immédiatement près d'elle. Louise lui raconte ce qu'elle vient de vivre. Bouleversée, la conductrice la prend sous sa protection. Ensemble, elles repèrent la camionnette blanche, notent son numéro de plaque d'immatriculation et foncent au commissariat. Le propriétaire du véhicule est un Français, un certain Michel Fourniret, déjà connu des services de police.

          16h27 - Dinant (Belgique)

Mona Desmet, quatorze ans, est abordée par un homme, barbe et cheveux grisonnants, d'allure soignée. Il demande son chemin. Elle monte dans sa camionnette blanche pour mieux le guider. Elle lui montre le chemin, puis l'homme la ramène chez elle et repart. Mona ignore qu'elle vient de partager quelques longues minutes avec l'un des plus redoutables prédateurs sexuels. Par chance, pour une raison inexplicable, les griffes du monstre ne se sont pas refermées sur elle.

Le lendemain, Fourniret est écroué. L'affaire est confiée à Jacques Debiesme, commissaire de Dinant...

Mon avis :
Monique Fourniret, mésange ou ogresse ? C'est ce que cherche à comprendre Harold Cobert dans ce roman remarquable de justesse et de retenue. Sous la forme de monologues intérieurs, Monique Fourniret et Jacques Debiesme se répondent, confient leurs pensées intimes, dévoilent un pan de leur vie personnelle et familiale. Monique Fourniret, tantôt épouse abusée, tantôt épouse complice. Jacques Debiesme, commissaire à la tête d'une équipe épuisée par une enquête longue, compliquée, décourageante à de nombreux égards, face à un couple démoniaque, complexe, d'une froideur et d'une perversité insoutenables. Sans aucun voyeurisme, sans aucun détail sordide, sans aucune vulgarité, l'auteur n'oublie pas pour autant d'évoquer les jeunes filles, leur calvaire et la douleur des familles. Il nous rappelle que si l'oeuvre est purement fictive, elle s'inspire de victimes et de faits tristement réels.

"Sale temps pour le pays" de Michaël Mention (Payot & Rivages)

Michaël Mention est un écrivain français né en 1979 à Marseille. Enfant, il se passionne pour le dessin. Adolescent, il réalise plusieurs bandes dessinées. Etudiant, il intègre un atelier d'écriture et rédige de nombreuses chroniques satiriques, avant d'écrire son premier roman ("Le rhume du pingoin") qui paraît en 2008. Passionné de rock, de cinéma et d'histoire, sa trilogie policière consacrée à l'Angleterre ("Sale temps pour le pays", 2012 ; "Adieu demain", 2014 ; "...Et justice pour tous", 2015) a été récompensée par le Grand Prix du roman noir au festival international de Beaune en 2013 (pour "Sale temps pour le pays") et par le Prix Transfuge meilleur espoir polar en 2015 (pour "...Et justice pour tous"). Depuis, il varie les univers, de la fresque sportive au survival en passant par le polar historique. "Power", son dixième roman, publié en avril 2018, revient sur le Black Panther Party.

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Les faits :
"Sale temps pour le pays" est inspiré de l'un des pires criminels de l'histoire du Royaume-Uni, Peter William Sutcliffe, "l'éventreur du Yorkshire". Arrêté le 3 janvier 1981, il a été condamné la même année à vingt peines de prison à vie pour le meurtre de treize femmes, prostituées pour la plupart, et pour sept tentatives de meurtre, actes commis entre 1975 et 1980 dans le Yorkshire, région du nord de l'Angleterre. Il est détenu à l'hôpital psychiatrique de haute sécurité de Broadmoor (sud-est de l'Angleterre) où il a été transféré en 1984, souffrant de schizophrénie paranoïaque.

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L'histoire :

22 mars 1979
Dennis Vaughn, directeur du Daily Mirror de Manchester, et l'inspecteur George Knox, de la Police de Wakefield, reçoivent une lettre signée "Jack l'éventreur". Après une année de silence, il est de retour.

Tout commence le 21 janvier 1976 lorsque le corps d'une jeune femme de trente-deux ans, mariée, mère de trois enfants, prostituée occasionnelle, est retrouvé dans un terrain vague à Leeds. Emily Oldson est la première victime de celui que les journaux surnommeront "l'éventreur du Yorkshire"...

Mon avis :

Ce roman nous immerge dans la société britannique politique, sociale, économique, culturelle et artistique de la fin des années 1970.

Michaël Mention suit scrupuleusement la chronologie d'une enquête éprouvante, difficile, ralentie, malgré l'énorme implication des policiers, par de nombreux dysfonctionnements, et dans un pays en pleine crise : mouvements antiroyalistes, récession, grèves des ouvriers, manifestations de chômeurs, émeutes, montée du nationalisme, scandales de corruption et de racisme au sein de la police, puis la nomination de Margaret Thatcher à la tête d'un gouvernement conservateur et autoritaire.

L'auteur entrouvre également une fenêtre sur la vie privée des enquêteurs, montrant ainsi l'impact et les conséquences dévastatrices d'une telle affaire sur eux-mêmes, sur leur quotidien, sur leur famille.

Brillant !

"La Maladroite" d'Alexandre Seurat (Babel/Le Rouergue)

Alexandre Seurat est un écrivain français né en 1979. Il est professeur de lettres à Angers. "La Maladroite", publié en 2015, est son premier roman.

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Les faits :
La petite Marina Sabatier, huit ans, est décédée un soir d'août 2009, battue à mort par son père et sa mère, effroyable terme d'une vie de maltraitance subie par l'enfant. A l'issue d'un procès en juin 2012 à la cour d'assises de la Sarthe, les parents ont été condamnés à trente ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté de vingt ans pour actes de torture et de barbarie ayant entraînés la mort de leur fille. Au-delà de la responsabilité directe des deux parents, des interrogations ont également été soulevées sur les dysfonctionnements, les défaillances, voire les négligences des institutions qui, malgré de nombreux signaux d'alerte transmis par des personnes ayant côtoyé Marina, n'ont pas pu empêcher la mort de la fillette.

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L'histoire :
Une photographie sur un avis de recherche. Son visage s'affiche partout en France. Diana. Huit ans. Petite princesse au destin tragique. Ceux qui ont croisé son douloureux et macabre chemin témoignent...

Mon avis :
On passe de la colère à la sidération, de la culpabilité à une effroyable impuissance. Au centre de cette confusion de sentiments, il y a une enfant martyrisée, et sa mort, inéluctable. Un roman choral glaçant, nécessaire, bouleversant hommage à toutes les petites "Diana".

"Qui a tué mon père" d'Edouard Louis (Seuil)

Edouard Louis est un écrivain français né en 1992 à Amiens. En 2013, il dirige l'ouvrage collectif "Pierre Bourdieu. L'insoumission en héritage" aux Presses Universitaires de France. Puis il crée et dirige, en 2014, la collection "Des mots" aux PUF. La même année, il publie son premier roman, "En finir avec Eddy Bellegueule" (Seuil), en grande partie autobiographique, dans lequel il raconte sa famille et son milieu social d'origine. En 2016 paraît "Histoire de la violence" dans lequel il témoigne d'un viol dont il a été victime un soir de Noël. Son troisième roman, "Qui a tué mon père", sorti en mai 2018, revient sur sa relation avec son père.

L'histoire :

Scène de théâtre.

"Un père et un fils sont à quelques mètres l'un de l'autre dans un grand espace, vaste et vide."

Après plusieurs mois passés loin de lui, le narrateur rend visite à son père, quelque part dans le nord de la France, au bord de la mer. C'est pour lui un choc de découvrir un quinquagénaire qui n'est plus que l'ombre de lui-même, éreinté par la maladie. Grâce à quelques confidences de sa mère, le fils a appris récemment que son père, lorsqu'il était jeune, se parfumait et aimait danser. S'égrainent alors des souvenirs de son enfance, des souvenirs d'un père alcoolique, colérique, obsédé par tout ce qui définit la masculinité, et pourtant, en contradiction avec les règles qu'il imposait, pris en flagrant délit d'émotion à certaines occasions...

Mon avis :

Ce roman court, construit comme une pièce de théâtre en trois actes, semble être le troisième et le dernier volet d'une trilogie commencée par "En finir avec Eddy Bellegueule" et par "Histoire de la violence". Edouard Louis y apparaît plus apaisé, mais sa colère et son engagement sont toujours aussi profonds et sincères.

Les deux premières parties racontent sa réconciliation avec un père à présent en très mauvaise santé. Un père broyé par un accident du travail et une vie de pauvreté. Un père qui, au contact de son fils adulte, se découvre et libère progressivement ses émotions, si longtemps retenues car signes de faiblesse.

Le troisième chapitre est plus politique. Parenthèse à son histoire personnelle, Edouard Louis dénonce ceux qui, à ses yeux, sont les responsables de ces violences sociales, de cette inhumanité, de la souffrance de son père, c'est-à-dire les plus hautes autorités de l'Etat, de droite comme de gauche.

"Ce sont les enfants qui transforment leurs parents, et pas le contraire" cite-t-il un ami à la fin de son texte. C'est, en conclusion, l'espoir d'Edouard Louis pour son père et lui dans leur nouvelle relation.

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A découvrir :


"En finir avec Eddy Bellegueule" (Points/Seuil)

L'histoire :
Il n'y a pas de commencement. Tout semble avoir toujours été ainsi dans ce petit village d'à peine mille âmes, perdu au coeur de la campagne picarde. Là-bas, dans les familles d'ouvriers très pauvres, les hommes doivent être des durs, des mâles, savoir prendre des cuites, se battre, en finir vite avec l'école, aller à l'usine, et mettre une fille enceinte. Les femmes, pour la plupart, donnent naissance à leur premier enfant à dix-sept ans, sont coiffeuses, caissières, aides à domicile ou mères au foyer et, de génération en génération, subissent le machisme avec fatalité. Dans ce paysage où tout est tracé d'avance, la brutalité de la vie quotidienne est marquée par une violence presque naturelle, la misogynie, la haine de l'autre, le racisme, et l'homophobie. Le tout imbibé d'une grande quantité d'alcool. Alors, dans cet univers recroquevillé sur lui-même, lorsque Eddy, garçon d'à peine dix ans, montre quelques différences face à la virilité imposée, ce monde, qui d'ordinaire manque cruellement de vocabulaire, est intarissable pour désigner le monstre, l'anomalie, le danger : pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze, pédale douce, baltringue, tapette, fiotte, tafiole, tanche, folasse, grosse tante, tata, ou l'homosexuel. Avant de comprendre de lui-même qui il est, Eddy va subir de toute part la honte, le dégoût, le mépris, les humiliations, les injures, les coups, la douleur...

Mon avis :
Magnifique, cru, brut, implacable !

"Histoire de la violence" (Points/Seuil) 

L'histoire :
Edouard, le narrateur, s'est laissé convaincre de venir "se reposer" quelques jours chez sa soeur Clara dans le nord de la France. Mais les paysages brumeux et tristes qu'il aperçoit du train lui renvoient en pleine figure des souvenirs d'enfance et d'adolescence qu'il s'efforce depuis tant d'années de chasser de sa mémoire. Une fois auprès de Clara et installé chez elle, il lui confie pour la première fois le viol et la tentative de meurtre dont il a été victime il y a un an, durant la nuit de Noël. Plus tard dans la soirée, Edouard surprend une conversation. Sa soeur raconte à son mari, à sa manière, avec ses mots, avec son interprétation des faits, son agression à lui. Soudain, la réalité n'est plus la même. Edouard se sent heurté, dépossédé de son histoire...

Mon avis :
Qui d'Edouard ou de Clara est le véritable narrateur de ce roman en partie autobiographique ? Les deux, bien sûr, car l'un est le miroir déformant de l'autre. Leur façon de raconter les mêmes faits s'opposent, se répondent, se complètent, pour finalement ne faire qu'une voix dans le récit d'un événement violent, dans le récit de toute une vie de violence. Un texte brut, écrit dans l'urgence de trouver des réponses. Un regard impitoyable et féroce tant sur la société contemporaine que sur l'auteur envers lui-même.

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