jeudi 2 février 2017

Février 2017 - "Le roman policier"


"Six fourmis blanches" de Sandrine Collette (Livre de Poche)


Sandrine Collette est née en 1970. Elle a suivi des études de philosophie, avant de soutenir une thèse de doctorat en science politique. Chargée de cours à l'université de Nanterre, elle se passionne pour la restauration de vieilles maisons en ruine. Grande amatrice de chevaux, elle vit à mi-temps dans le Morvan, du côté du mont Beuvray. C'est en 2013 qu'elle voit son premier roman, "Des noeuds d'acier", publié, un ouvrage plébiscité par la presse et les libraires pour lequel elle reçoit le Grand prix de littérature policière. Sa maîtrise du thriller et sa personnalité aux antipodes des clichés du polar français se confirmeront avec un roman noir dans le milieu viticole, "Un vent de cendres", et ce terrifiant survival montagnard, "Six fourmis blanches".

L'histoire :
Six Français, Lou, Elias, Arielle, Lucas, Marc et Etienne, la trentaine en moyenne, ont gagné un trekking de trois jours sur des sommets enneigés en Albanie. Aucun d'eux n'a l'expérience de la montagne ni l'entrainement physique nécessaire à ce genre d'épreuve sportive. En faisant leur connaissance, leur guide ne cache sa perplexité. Après un solide petit-déjeuner et quelques premiers conseils, l'aventure commence. Les randonneurs amateurs, inconscients de ce qui les attend, chahutent comme des enfants...

Mon avis :
Un thriller à vous glacer les os ! Au coeur des montagnes enneigées se perpétuent de terrifiantes croyances et des rituels sanglants. Deux histoires au suspense insoutenable se racontent, en parallèle. Celle de ce groupe de touristes insouciants, ignorant qu'une fois engloutis dans ce paysage majestueux, grandiose, plus rien n'est prévisible, tout peut arriver, même le pire. Et celle de ce personnage essentiel dans la mythologie de la région, le "sacrificateur", le "sorcier", "celui qui a le don", le chasseur du mal, Mathias. Paralysé de froid et de peur, impossible au lecteur de lâcher cette aventure cauchemardesque et formidablement narrée !

"Les nuits de Reykjavik" d'Arnaldur Indridason (Points)


Arnaldur Indridason est né à Reykjavik (Islande) en 1961. Diplômé en Histoire, il est journaliste et critique de cinéma. Il est l'auteur de romans noirs couronnés de nombreux prix prestigieux, publiés dans trente-sept pays.
Vient de paraître "Dans l'ombre", premier tome de la "Trilogie des ombres", qui s'étendra de 1941 à 1944. Le second opus, "Femme de l'ombre", est prévu pour octobre prochain, et le troisième pour mars 2018.
"Les nuits de Reykjavik" est la onzième aventure d'Erlendur traduite en français, mais on le découvre ici jeune, lors de sa toute première enquête.

"Je suis un auteur de romans policiers originaire d'Islande. Mon détective, Erlendur, est un solitaire d'âge moyen, très mélancolique, père de famille lamentable, mais détective convenable. Il aime boire de la Chartreuse fabriquée par des moines français, et je ne sais vraiment pas pourquoi, si ce n'est que la Chartreuse est mentionnée dans un de ses romans islandais favoris, de façon quelque peu amusante."

L'histoire :

Il est trois heures du matin quand le central signale une plainte pour tapage nocturne. Sur les lieux, Erlendur pressent quelque chose de plus grave et insiste pour visiter la maison où tout semble calme, en apparence. Et son instinct ne l'a pas trompé. Une femme, couverte de coups, gît sans connaissance sur le sol du salon. Le mari violent est arrêté mais il sera libéré dans la même nuit, les jours de sa compagne n'étant pas en danger... pour cette fois.

A l'aube, Erlendur rentre enfin chez lui. Il ne peut s'empêcher de penser à Hannibal, un pauvre diable qui n'a jamais quitté son esprit. A Reykjavik, d'anciennes tourbières sont devenues des terrains de jeu pour les enfants. Il s'y forme parfois des mares plus ou moins vastes et profondes. Il y a un an, dans un de ces trous nauséabonds, trois copains ont découvert le corps d'un vieil homme. Alors en patrouille, Erlendur fut le premier agent arrivé sur place et il identifia Hannibal, un clochard bien connu des services et auquel il s'était attaché au fil du temps. Taux d'alcoolémie élevé, aucune trace de lutte, l'enquête conclut rapidement à une noyade accidentelle. Mais pour le jeune policier de vingt-huit ans, ce n'est pas si simple...

Mon avis :

Erlendur passe ses nuits à patrouiller, assurer les affaires courantes (conduites en état d'ivresse, tapages nocturnes, bagarres à la sortie des bars et boîtes de nuit, violences conjugales, cambriolages...), et rédiger les procès-verbaux. Jeune policier, il se distingue néanmoins de ses collègues par l'attention qu'il porte aux gens et par le temps qu'il leur accorde. Sa différence est de suivre son instinct, de ne négliger aucune victime, d'avoir compris qu'une enquête n'est pas que l'application d'une technique mais qu'il faut y intégrer la psychologie et l'écoute. C'est un excellent détective en devenir que nous observons : efficace, obstiné, opiniâtre, humain, proche des autres, sensible aux parcours brisés. Des qualités qui le feront remarquer auprès de la Criminelle. Mais ce perfectionnisme et cette farouche détermination seront aussi les fossoyeurs de sa vie sentimentale et familiale. 

Un rythme volontairement posé, paisible, pour une affaire délicate et douloureuse autour des sans-abri, et qui, bien sûr, nous met face à notre propre regard et nos contradictions sur la pauvreté et les violences qui nous entourent.

"911" de Shannon Burke (10/18)


Sélection Prix SNCF du polar 2017


Shannon Burke est né dans l'Illinois. Il est scénariste et écrivain. Diplômé de l'Université de Caroline du Nord à Chapell Hill, il a été pendant cinq ans ambulancier à Harlem (New York). Il vit à présent à Knoxville (Tennessee) avec sa femme et ses deux fils. Après "Manhattan Grand-Angle", "911" est son second roman.

"Lorsque plus rien n'a de sens, y compris la vie ou la mort d'autrui, vous n'êtes plus qu'à un pas du mal. Et ce putain de pas est terriblement facile à franchir."

L'histoire :
Au début des années 1990, Ollie Cross est un étudiant de vingt-trois ans. Il prépare le concours d'admission à l'école de médecine auquel il a déjà échoué à deux reprises, non à cause de ses connaissances, d'ailleurs excellentes, mais pour son manque d'assurance. Afin de progresser plus efficacement, il vient d'intégrer une équipe d'ambulanciers chevronnés dans le quartier le plus difficile de New York, Harlem. Il travaille avec Rutkovsky, vingt ans d'expérience, efficace, professionnel, mais cynique et blasé. Jour après jour, Ollie va être le témoin du pire, d'atrocités "ordinaires". Jeunes, vieux, enfants, à chaque instant tous peuvent être victimes directes ou collatérales de violences de toutes natures...

"Vous n'aurez bientôt pour seul paysage que celui des quartiers insalubres, les exclus, les sans-abri, les fous, les toxicomanes, les malades, les mourants et les morts... Vous serez témoins de toutes les saloperies qu'on cache à la majeure partie de la population. Vous en ferez partie. Et viendra un moment où, par impuissance, par désespoir, par colère, vous serez tentés de céder à toute cette misère et toute cette laideur. Je ne peux pas vous enseigner comment réagir à cette tentation, pas plus que je peux vous apprendre à gérer l'après. Parce que ce n'est pas une question de formation médicale. C'est une question de force de caractère. C'est l'éternelle lutte du bien contre le mal."

Mon avis :
Oppressant et haletant comme un thriller, ce roman est une sorte de journal de bord. Le personnage principal, un jeune homme empli de questionnements sur lui-même et sur son avenir professionnel, témoigne des horreurs auxquelles les ambulanciers sont confrontés au quotidien. Comment ces hommes résistent-ils à cet abîme qui sépare "la réalité de leur travail", ces images qu'ils n'oublieront jamais, et "l'autre réalité", à l'extérieur, la vie "normale", la famille, les amis, ceux à qui ils ne peuvent rien dire. Le narrateur raconte des histoires humaines terribles, implacables, parfois si à la frontière du grotesque que seul le fou-rire permet de continuer. Dans ce monde, celui qui ne cède pas au burn-out ou à la folie est un héros.

Un texte "coup de poing" brut, redoutable et extraordinaire !

"Gravesend" de William Boyle (Rivages/Noir)


Sélection Prix SNCF du polar 2017


William Boyle est né à Brooklyn (New York). Il vit à Gravesend, dans le sud de Brooklyn, où il est disquaire, spécialiste de rock indépendant américain. Son roman "Gravesend" est paru en France en 2016 dans la collection "Rivages/Noir" dont il est le numéro 1000. L'écrivain revendique les influences de Flannery O'Connor, Larry Brown, Charles Willeford et Harry Crews.

L'histoire :
A Plumb Beach, Brooklyn, un adolescent, Duncan, harcelé par la même bande depuis l'école primaire, est victime d'un crime homophobe. Ses meurtriers écopent d'une peine de prison jugée exemplaire pour l'époque. Seize ans plus tard, Ray Boy, l'un des criminels, est libéré. Conway, le frère de Duncan, est fou de rage et décide de venger définitivement la mort de son frère. Conway est un piètre tireur. Son entraîneur et ami, l'ancien policier McKenna, lui conseille la réflexion et la patience. Conway ne lâche pas l'affaire. Un détective privé lui a fourni l'adresse de Ray Boy et il part lui régler son compte immédiatement. Mais les événements qui se déroulent chez Ray Boy dépassent tout ce que Conway avait pu imaginer...

Mon avis :
Près de deux décennies après les faits, un meurtrier revient sur les lieux de son crime. Le frère de la victime n'a qu'une idée en tête : la vengeance. Victime et meurtrier sont tous deux des enfants du même quartier de Brooklyn, Gravesend, où vit une communauté majoritairement d'origine italienne. L'influence de cette culture italienne se reconnaît de diverses façons, mais plus encore dans celle d'appréhender les événements douloureux. La règle, c'est le silence, la fierté, la dignité, la foi et la famille. Construit au départ autour d'une simple vendetta, le récit va beaucoup plus loin. Progressivement, de nouveaux personnages entrent en scène. Ils racontent leur parcours, leurs souvenirs, leurs émotions. Ils viennent tous de Gravesend et ils ont tous été affectés, d'une manière ou d'une autre, y compris ceux qui sont nés après la tragédie, par la mort d'un des leurs provoquée par l'un des leurs, seize ans auparavant. Le passé impacte considérablement le présent. L'histoire est inextricable et son issue ne peut être que dramatique.

Un roman très noir, très beau et brillamment écrit !