mercredi 25 août 2021

Août 2021 - "Les Sagas de l'été"

 

"Le Goût du bonheur : Gabrielle" de Marie Laberge (Pocket)

Marie Laberge est une dramaturge, romancière, comédienne, scénariste et metteure en scène née en 1950 au Québec. Après des études en journalisme, elle se consacre aux activités théâtrales et entre au Conservatoire d'art dramatique du Québec. Elle joue dans différentes pièces de théâtre à Québec, avant de faire de la mise en scène et d'enseigner l'art dramatique. Auteure d'une vingtaine de pièces et de plusieurs romans - dont "Le Goût du bonheur", trilogie parue aux éditions Anne Carrière en 2006 et vendue à plus de 500 000 exemplaires au Québec -, Marie Laberge édifie depuis plus de vingt ans une oeuvre riche en émotions, caractérisée par sa fine analyse du tourment affectif, s'ancrant solidement dans la réalité et l'histoire du Québec, et qui lui vaut une large audience tant au Québec qu'en Europe. En 2016, elle a publié "Ceux qui restent", chez Stock, suivi, en 2017, du "Poids des ombres", chez le même éditeur. 

"Gabrielle" (877 pages) est le premier tome de la trilogie "Le Goût du bonheur". Suivent "Adélaïde" (949 pages) et "Florent" (1103 pages).


L'histoire :

Ile d'Orléans, 1930

Depuis trois ans, Gabrielle, ses cinq jeunes enfants (Adélaïde, Fabien, Béatrice, Rose et Guillaume) et sa soeur Germaine, célibataire, viennent passer les vacances d'été à Sainte-Pétronille, sur l'île d'Orléans, en aval de la ville de Québec, dans l'estuaire du fleuve Saint-Laurent, dans la maison qui appartenait autrefois à ses parents. Edward Miller, son mari, heureux de rejoindre sa famille, l'est plus encore depuis que sa femme lui a annoncé qu'elle était enceinte de leur sixième enfant. Outre la joie d'accueillir un nouveau bébé, cela veut dire, pour les époux, une pause estivale bienvenue durant laquelle ils pourront s'aimer librement.

Car, contrairement aux usages, Gabrielle et Edward ont fait un véritable mariage d'amour et se désirent mutuellement. Face aux conventions sociales, morales et religieuses puritaines et rigoristes de l'époque, leur bonheur conjugal et l'éducation partagée et tendre qu'ils offrent à leurs enfants sont regardés avec  un mélange d'envie, de suspicion, d'incompréhension, voire de totale réprobation. Leur fille aînée, Adélaïde, à seulement sept ans, suscite bien des reproches à cause de sa sensibilité affirmée, son caractère obstiné et son amitié pour le petit Florent, fils délaissé d'une domestique.

Si Gabrielle insuffle à ses enfants sa joie de vivre et sa générosité, Edward, toujours présent à ses côtés, est un parent investi et attentif au bonheur de sa famille. De père canadien français catholique et de mère américaine d'origine irlandaise, élevé dans l'Amérique protestante, revenu ensuite au Québec où il a épousé une jeune fille canadienne française catholique, sa culture plurielle pèse sans doute favorablement sur son ouverture d'esprit peu commune pour sa génération. Avocat spécialisé en droit commercial, son cabinet bénéficie, hélas, du krach boursier de New York en 1929. Chaque jour, Edward est confronté à des détresses humaines terribles. Les faillites se multiplient. Chômage et misère sociale broient des milliers de vies.

C'est dans ce contexte dramatique que les Miller vont apporter leur aide à Georgina, l'autre soeur de Gabrielle, à son mari Hector, entrepreneur ruiné par la crise, et à leurs deux filles, Reine et Isabelle, adolescentes habituées au confort matériel et financier...

Mon avis :

Tous les ingrédients du genre sont réunis dans cette saga familiale romanesque intelligente et qui porte bien son titre, "Le Goût du bonheur", car oui, c'est bien du bonheur que cette histoire diffuse page après page. Dans l'Histoire sans être un roman historique, contée en français québécois à la musicalité savoureuse, cette fresque suit dans leurs joies et leurs peines une poignée de personnages vibrants et attachants, avec en tête le couple "Gabrielle et Edward" diablement sensuel et sympathique, et dépeint à échelle humaine la société québécoise de la première moitié du XXème siècle et les mouvements sociaux et économiques qui l'ont agitée.

C'est avec beaucoup de plaisir que je continue dès maintenant l'aventure avec "Adélaïde" et "Florent" !!! ♡♡♡

mercredi 18 août 2021

"Bellefleur" de Joyce Carol Oates (Livre de Poche)

Joyce Carol Oates est née en 1938. Elle a publié son premier roman en 1963. Son père travaillait pour la General Motors et c'est à Detroit, au début des années 1960, qu'elle découvre la violence des conflits sociaux et raciaux. Devenue professeure de littérature à l'université de Princeton, elle poursuit la plus prolifique des carrières littéraires : une trentaine de romans ("Le Jardin des délices", 1967 ; "Un amour noir" et "Man Crazy", 1999 ; "Blonde", 2000), des nouvelles ("Mariages et Infidélités", 1972), des pièces de théâtre, des essais ("Contraires", 1981), de la poésie. Son oeuvre analyse des personnages incertains de leur identité et prisonniers de la mécanique sociale, en quête d'un sens qui ne peut venir que d'une action toujours placée dans le cadre de rapports humains qui relèvent tous de la prédation.

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Héraclite d'Ephèse

Philosophe grec (vers 550 - vers 480 avant J.-C.). Sa philosophie est fondée sur le changement, la transformation, qu'il appelle "flux". L'être est fait tout entier de cette mobilité qui unit dans son élan les éléments contraires au moyen de ce que Héraclite appelle le "logos", qui est à la fois lutte et union des contraires.

"L'Obscur". Tel est le surnom dont Héraclite a été affublé dès l'Antiquité, et dont il ne s'est jamais défait. Son caractère ténébreux semble avoir en partie contribué à cette réputation. L'homme, qui vient d'une famille illustre originaire d'Ephèse (en Ionie), se serait toujours opposé à la démocratie et passe volontiers pour un misanthrope sombre et hautain auprès de ses contemporains. C'est cependant aussi et surtout son écriture qui est difficile, non seulement par son refus délibéré de toute ponctuation mais encore parce qu'elle est porteuse d'une pensée dont le sens est loin d'être toujours explicite. Exprimée à travers les quelques "Fragments" qui nous restent, les formules d'Héraclite sont en effet souvent des phrases sèches et sentencieuses ou des aphorismes qui laissent une large place à l'interprétation. On connaît le fameux "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" qui dit l'irréversibilité des choses et leur changement perpétuel, mais que signifie exactement la formule "Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions : c'est la royauté d'un enfant" ?

Avec Parménide dont il est le contemporain, Héraclite est l'autre grande figure des premiers temps de la philosophie. Les deux sages, pourtant, adoptent des positions philosophiques radicalement opposées dans la mesure où l'intuition fondamentale d'Héraclite est celle du mouvement sans cesse renouvelé, du devenir universel. Pour lui, rien ne demeure ce qu'il est à l'identique mais passe en son contraire, et l'on ne peut donc pas considérer que telle ou telle chose "est" ainsi plutôt qu'autrement puisque tout devient, continuellement. L'ordre du monde - qu'il appelle logos - est le produit d'un équilibre instable entre les éléments, d'une guerre permanente symbolisée par le feu, qui apparaît comme le principe fondamental de l'univers. Le feu est en effet ce qui donne naissance et ce qui détruit en même temps ; il est par excellence ce qui amène le mouvement.

Deux millénaires plus tard, Hegel dira son admiration pour Héraclite pour avoir eu l'intuition de cette tension, de cette conflictualité et finalement de cette identité des contraires, qui infusera largement sa propre conception de la pensée dialectique.

(cf Philosophie Magazine)

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Extrait :

"Car il existe, d'après l'énorme monographie intitulée Une hypothèse sur l'antimatière, écrite par le professeur Bromwell G. Bellefleur, des fissures dans la matière du temps, des "portes" qui relient cette dimension à un univers de miroir composé d'êtres identiques (et pourtant non apparentés, opposés, totalement distincts).
[...]
Une hypothèse sur l'antimatière. Huit cents pages, longues, denses, recouvertes de la petite écriture chaste et rigoureuse des Bellefleur, et de centaines d'équations, de graphiques, de croquis et de griffonnages impatients, désespérés, qui donnent l'image de la sombre thèse de l'ouvrage. Préfacée par une observation d'Héraclite, énigmatique et librement traduite, sur la nature du temps : ou plutôt, sur la nature de notre conception du temps."


L'histoire :

Le temps a fait son oeuvre sur les pierres du manoir des Bellefleur, communément appelé "le château". Construit par Raphael Bellefleur au début du XIXe siècle sur les rives du Lac Noir, dans le Comté de Chautauqua (Etat de New York), mal entretenu et endommagé par les intempéries, les mauvaises herbes, les animaux sauvages et les nuisibles, si le château a perdu de sa superbe, il a été et restera la demeure d'une longue lignée de Bellefleur. Aujourd'hui, il réunit dans ses entrailles encore cinq générations. Son style gothique et surchargé, ainsi que la personnalité fantasque, trouble et mélancolique de la famille alimentent depuis toujours les plus folles rumeurs et superstitions.

Ce soir d'automne, les murs vétustes de la vieille bâtisse viennent d'essuyer un violent orage qui a terrifié les plus jeunes et inquiété les plus âgés. Alors que le vent s'apaise et que chacun rejoint enfin sa chambre, Leah, la jeune épouse de Gideon Bellefleur, dans un geste généreux, et peut-être imprudent, ouvre la porte à un inconnu. Pour le reste de la famille, c'est une malédiction...

Mon avis :

Il y a tant à dire sur ce roman !!! Lecture au long cours (971 pages), l'histoire se compose d'une mosaïque de plusieurs dizaines de courts chapitres et autant de récits et d'anecdotes sur chacun des membres de la famille Bellefleur sur sept générations. Les descriptions sont précises et soignées. Teintées de magie et de fantastique, elles dégagent une atmosphère singulière. C'est dense, mystérieux, labyrinthique, angoissant, et terriblement excitant !!!

On chemine à travers le temps, thème narratif du livre. Joyce Carol Oates se réfère à la philosophie d'Héraclite et s'appuie sur une réflexion nourrie autour de cette thématique : le temps objectif (la chronologie, l'astronomie, le climat, le cycle menstruel, la maternité), le temps subjectif (la psychologie, l'émotion, le vécu, la perception du temps), la mesure du temps (la durée).

En illustration, la romancière évoque des essais publiés par son personnage Bromwell Bellefleur dans "La Revue de l'étude du temps", l'édredon "La pendule céleste" cousu par Mathilde, ou bien encore la grosse montre de Gideon. Elle ajoute à son ambiance gothique et horrifique de nombreux clins d'oeil et allusions à un texte de son enfance qui lui est cher, "Alice au pays des merveilles" de Lewis Carroll (le chat, la paire de gants, la montre, la marre aux larmes - ici l'étang du Vison -, le bestiaire, les anniversaires, le miroir, le jeu de cartes...).

Brillant, évidemment !!!


A lire également de Joyce Carol Oates :

mercredi 11 août 2021

"Saga parisienne" : "Un balcon sur le Luxembourg (1942-1958)" + "D'une rive à l'autre (1959-1981)" + "Au rendez-vous de L'Heure bleue (1981-2003)" de Gilles Schlesser (Pocket)



Gilles Schlesser est un écrivain français né en 1944. Il est le fils d'André Schlesser, un des fondateur du célèbre cabaret parisien L'Ecluse (1951-1975), et le père de Thomas Schlesser, historien de l'art. Auteur de plusieurs romans, dont les polars "Mortelles voyelles" (2010), "La mort n'a pas d'amis" (2013), "Mortel Tabou" (2014), "Sale Epoque" (2015) et "La Liste Héraclès" (2016) aux éditions Parigramme, Gilles Schlesser a également publié "Le Cabaret ❞rive gauche❞ " et une biographie de Mouloudji aux éditions de L'Archipel (2009).

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Contexte historique :

Lorsque la guerre commence en septembre 1939, la France est sous la Troisième République et son président est Albert Lebrun. Edouard Daladier est président du Conseil et ministre de la Défense nationale. Alors qu'Hitler est en train de conquérir l'Europe, l'armée française reste passive, à l'exception de quelques avancées en Sarre optant pour une stratégie défensive grâce à la ligne Maginot. C'est la "drôle de guerre". 

Le 22 mars 1940, Paul Reynaud remplace Daladier à la tête du gouvernement. Le 28, il signe avec le Royaume-Uni un accord par lequel les pays s'engagent réciproquement à ne pas signer de paix séparée avec l'Allemagne. Mais l'armée allemande progresse. Reynaud démissionne et le président Lebrun nomme le maréchal Philippe Pétain à la tête d'un nouveau gouvernement. Celui-ci demande aussitôt l'armistice, signée avec l'Allemagne le 22 juin 1940. La France va être coupée en deux, la zone nord, dite "zone occupée", administrée par la Wehrmacht, et la zone sud, dite "zone libre", sous contrôle de l'Etat français. Le 2 juillet, Pétain déplace le gouvernement français de Bordeaux, qui est dans la zone occupée, pour l'établir à Vichy.

Dès l'annonce de l'armistice, Charles de Gaulle rallie Londres et appelle à la Résistance et à continuer le combat aux côtés du Royaume-Uni ("appel du 18 juin 1940") : c'est la naissance de la France libre. De 1940 à 1944, la France est divisée entre régime de Vichy et Résistance.

Les Allemands occupent Paris le 14 juin 1940, investissent les plus beaux bâtiments et l'oriflamme nazie flotte partout. Les Parisiens vont connaître la dictature, les pénuries, les rationnements, le froid, la faim, la peur, les persécutions et les rafles de Juifs. Jusqu'à la Libération le 24 août 1944.



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Le début de "Saga parisienne" :

Paris, 1942

La famille Ormen est originaire de Fontenay-aux-Roses, dans la banlieue sud de Paris. Le père, Valentin, y vit toujours, dans sa villa, avec sa seconde épouse, Odette Russier. C'est grâce à la Première Guerre mondiale que l'entreprise de polissage de métaux Ormen a prospéré. Le pays avait besoin d'obus. Puis, sa plus grande usine, à Bagneux, a été bombardée par les Allemands en juin 1940. Malgré cette perte, les Ormen restent fortunés.

Quand elle a épousé Valentin, Odette avait un fils d'une dizaine d'années, Olivier, de père inconnu. De sa première union, Valentin Ormen a eu quatre enfants : Pierre, Jean-Noël, Amédée et Amélie qui ont aujourd'hui entre dix-huit et trente ans. Sous la pression de Pierre, seize ans à l'époque du remariage de son père, Valentin a renoncé à adopter Olivier.

Quand Jean-Noël a rejoint Londres après l'appel du général de Gaulle, Amédée, lui, voulait ouvrir une salle de sport. Alors son père lui a offert une bâtisse à retaper à Levallois. Valentin deviendrait fou s'il apprenait que son troisième fils s'est rapproché d'une bande de malfrats collaborateurs et que le sous-sol de la salle de sport sert d'entrepôt pour des biens pillés aux Juifs.

Pierre Ormen, l'aîné de la fratrie, habite au cinquième étage d'un immeuble rue de Vaugirard, près du jardin du Luxembourg et du palais du Luxembourg devenu état-major de la Luftwaffe. Blessé à la jambe au front de septembre 1939 en région sarroise pendant la "drôle de guerre", romancier et agent de liaison pour la Résistance, Pierre est marié à Ariane, couturière et créatrice de costumes pour le théâtre. Ils ont trois jeunes enfants, Marie et les jumeaux Julien et François.

Les voisins de Pierre et Ariane sont Isidore et Eliane Bronville, de leurs vrais noms Isaac et Esther Bronstein. Le couple a deux enfants, David et Sarah, et un troisième petit bientôt. Isaac Bronstein, proche d'Odette Ormen-Russier, est notaire et collectionneur de tableaux de maîtres qui ornent les murs des deux appartements du quatrième étage que sa famille occupe.

Au sixième étage, dans une chambre de bonne, loge Amélie Ormen. Partie de la villa de Fontenay-aux-Roses après une violente dispute avec son père, Pierre s'est proposé de veiller sur sa petite soeur.

Dans l'immeuble, tout le monde s'entraide. Les Bronstein partagent de la nourriture et Ariane Ormen rapporte des vieux costumes de L'Atelier qui les réchauffent tous quand il fait trop froid.

Les mois passent. Et puis en juillet, les drames se succèdent.

Un soir, Amélie se plaint soudain de terribles maux de ventre et perd beaucoup de sang. Sa belle-soeur comprend très vite la situation. La jeune fille met au monde une petite fille. Personne n'avait rien remarqué et Amélie refuse de croire à sa grossesse et à cette naissance. Si l'enfant se porte bien, l'état psychique de sa mère est inquiétant. Son hospitalisation en soins psychiatriques est indispensable. Elle est suivie par un ami de la famille Ormen, le Docteur Bompart. Ce dernier juge nécessaire de révéler à Pierre que sa soeur a été violée neuf mois plus tôt par un homme qu'il connaît bien.

Quelques jours plus tard, dénoncés, Isaac, Esther, David, Sarah et le nourrisson Rebecca Bronstein sont arrêtés et emmenés au Vélodrome d'Hiver par des policiers et des gendarmes français, et tous leurs objets de valeur, dont "L'Heure bleue", une oeuvre de Picasso, sont emportés. Pierre et Amélie n'ont rien pu faire pour empêcher cette tragédie qui aura raison du fragile équilibre familial que tentait de maintenir Valentin Ormen...

Mon avis :

Lire ce roman, c'est un peu comme feuilleter une encyclopédie illustrée ou les archives d'un journal. Tous les événements marquants de l'époque évoquée sont cités. Non sans nostalgie parfois, nous croisons toutes les personnalités du monde artistique, littéraire, intellectuel, musical, politique et économique du moment, et un certain nombre de produits de consommation populaires nous reviennent en mémoire. Les références sont particulièrement abondantes. C'est agréable, intéressant et instructif. Mais ce n'est pas suffisant pour être captivant. L'écriture trop froide, trop factuelle met les sentiments à distance. L'ensemble manque de dynamisme romanesque et les personnages peinent à émouvoir. De plus, le deuxième tome contient beaucoup de répétitions du premier. Aussi, je n'ai pas poursuivi plus loin.


📚 Dans un genre similaire, je ne saurais que trop vous conseiller le formidable Prix Goncourt des Lycéens 2009 "Le Club des Incorrigibles Optimistes" de Jean-Michel Guenassia (Livre de Poche), et le délicieux Prix Marguerite-Duras 2008 "Les Années" d'Annie Ernaux (Folio)

mercredi 4 août 2021

"Le fils" de Philipp Meyer (Livre de Poche)

 
Prix Littérature-monde étranger 2015
Finaliste du Prix Pulitzer de la fiction 2014


Philipp Meyer est un écrivain américain né en 1974 à New York et qui a grandi dans la banlieue de Baltimore. Il est reconnu comme l'un des écrivains les plus doués de sa génération. Lauréat du Los Angeles Times Book Prize pour son premier roman, "Un arrière-goût de rouille" (Denoël, 2010), il a rencontré un formidable succès avec son deuxième livre, "Le fils", salué par l'ensemble de la presse américaine comme l'un des cinq meilleurs romans de l'année 2013. Finaliste du Prix Pulitzer de la fiction en 2014, le roman sera traduit en plus de vingt langues.

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Quelques mots sur le Texas...



Le Texas est le plus vaste Etat (en dehors de l'Alaska) des Etats-Unis d'Amérique. L'Ouest, aride, appartient aux Grandes Plaines, formées de plateaux étagés (Llano Estacado, plateau d'Edwards, plateau Comanche). L'Est, humide, comprend une partie de la plaine côtière. Des deltas forment une plaine marécageuse bordée de lagunes fermées par des cordons littoraux. Houston reste la ville la plus dense bien qu'Austin en soit la capitale. La particularité du Texas est qu'il appartient à plusieurs ensembles régionaux : à la Sun Belt (économie), au Far West (paysages et folklore) et au Sud (histoire et culture).

Austin

Avant l'arrivée des Européens, le Texas était la terre de plusieurs peuples indiens : Alabamas, Apaches, Aranamas, Atakapas, Caddos, Comanches, Coahuiltecans, Cherokees, Chactas, Coushattas, Hasinais, Jumanos, Karankawas, Kickapous, Kiowas et Wichitas.

Quanah Parker - Chef des Comanches

Découvert par les Espagnols au XVIe siècle, le territoire releva de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne jusqu'en 1821, puis devint un Etat de la République fédérale mexicaine. Le Texas connut alors une forte colonisation américaine (comme les "Old Three Hundreds", colonie de 300 familles implantées par Stephen Fuller Austin) et s'opposa à la dictature du général mexicain Santa Anna. Du 23 février au 6 mars 1836, l'armée mexicaine assiège et prend d'assaut le Fort Alamo dont tous les défenseurs sont tués. Parmi eux, Davy Crockett, James Bowie et William Barret Travis. Santa Anna sera vaincu à son tour sur les rives du fleuve San Jacinto. République indépendante éphémère, le Texas fut incorporé aux Etats-Unis en 1845.


6 mars 1836 - Fort Alamo



Davy Crockett










David, dit Davy Crockett (Rogersville, Tennessee, 1786 - Fort Alamo, Texas, 1836), député du Tennessee et membre du Congrès, soldat trappeur et héros populaire de l'histoire américaine)


Etat esclavagiste, le Texas participa aux côtés des Etats confédérés d'Amérique à la guerre de Sécession (1861-1865), puis connut une expansion lors des années de course aux champs pétrolifères. La population a plus que triplé depuis 1920 (croît naturel, immigration d'autres Etats de l'Union et du Mexique), progression liée à l'essor économique. A l'agriculture (céréales, coton, fruits), parfois irriguée, et surtout à l'élevage (bovins) et à l'exploitation du sous-sol (le tiers du pétrole et la moitié du gaz naturel du pays) se sont ajoutées les branches de transformation (chimie, agroalimentaire), des industries de pointe (aéronautique, électronique), implantées notamment dans les deux métropoles majeures, Dallas et Houston.


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"Le fils" de Philipp Meyer :

Comment résumer un tel chef-d'oeuvre sans prendre le risque d'en dévoiler un seul élément-clé ?

"Le fils" est une fresque ambitieuse et flamboyante qui balaie toute l'Histoire du Texas, terre de plusieurs peuples indiens avant l'arrivée des Européens, jusqu'à nos jours. Pour son récit, Philipp Meyer s'appuie sur le destin de trois membres d'une même famille. Trois époques. Trois générations. Trois voix.

La voix d'Eli McCullough, dit "le Colonel". Fondateur de la dynastie et pour toujours son maillon fort, Eli McCullough est né le 2 mars 1836, jour où fut ratifiée la déclaration d'indépendance du Texas. Enlevé à l'adolescence par les Comanches, ses trois années de captivité lui forgeront une carapace de fer.

La voix de Peter McCullough, fils maudit d'Eli. Sa sensibilité, son humanité et sa volonté de ne pas ressembler à son père lui feront prendre d'autres chemins que ceux tracés par le Colonel et, pour cela, ce dernier, être inflexible et sans pitié, le reniera.

Et enfin, la voix de Jeanne Anne, petite-fille de Peter, le renégat, et arrière-petite-fille d'Eli, le patriarche, qu'elle a connu très vieux, qu'elle vénère, et à qui elle ressemble beaucoup. Milliardaire, à la tête d'un empire financier dans l'industrie du pétrole, femme puissante dans un monde généralement réservé aux hommes, aujourd'hui âgée de quatre-vingt-six ans, elle se souvient de son enfance, jette un regard froid et amer sur son parcours professionnel et sur sa vie personnelle, et s'interroge sur l'avenir de la famille McCullough et sur les conséquences inéluctables du passé.

Végétations luxuriantes, animaux sauvages, rivières, roches, désert, serpents, pêche, chasse, bisons, mustangs, ranchs, éoliennes, champs pétrolifères, guerres, Indiens, colons, Texans, Mexicains, secrets, haines, bravoure, poésie, littérature... Philipp Meyer, dont on salue le travail de documentation en amont, réunit tout cela, et plus encore, dans ce western moderne violent, réaliste et vertigineux.

Plus qu'un coup de💛, ce roman devient désormais un de mes "Indispensables" et j'embarquerais volontiers pour une seconde lecture afin d'en recueillir toute sa sève !!!