mercredi 27 mai 2020

Mai 2020 - "Littérature Européenne"


"Sur les ossements des morts" d'Olga Tokarczuk (Libretto)

Olga Tokarczuk est née à Sulechow, en Pologne, en 1962. Elle a étudié la psychologie à l'université de Varsovie. Romancière polonaise la plus traduite à travers le monde, elle est reconnue à la fois par la critique et par le public. Récompensée une première fois en 2008 par le prix Niké (équivalent polonais du Goncourt) pour "Les Pérégrins" (éditions Noir sur Blanc), elle l'est une seconde fois en 2014 pour son roman "Les Livres de Jakob" (éditions Noir sur Blanc) retraçant le parcours de dissidents juifs au XVIIIe siècle. En 2018, elle est lauréate du Prix international Man-Booker. En 2019, elle reçoit le Prix Nobel de littérature au titre de l'année 2018. Celui-ci avait été reporté d'un an à la suite d'un scandale mêlant accusations de viol et de harcèlement sexuel, de conflits d'intérêts et de délit d'initié impliquant des membres de l'Académie. Olga Tokarczuk a été distinguée pour "une imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, représente le franchissement des frontières".

L'histoire :

C'est un hameau dressé sur un plateau à la frontière avec la Tchéquie. De ces quelques maisons isolées, trois seulement sont occupées à l'année. En hiver, d'octobre à avril, lorsque la neige est abondante et le vent glacial, Janina, Matogo et Grand Pied sont seuls.

Janina, ingénieure des ponts et chaussées à la retraite, enseignante à ses heures, passionnée de l'oeuvre de William Blake, est un peu la gardienne de la résidence quand les estivants sont partis. Sa ferveur pour l'astrologie lui vaut quelques railleries sur sa santé mentale. Elle n'en a cure. Un jour ils devront l'écouter.

Au beau milieu de cette nuit hivernale, Janina est brusquement sortie de son sommeil par Matoga. Ce dernier, inquiet de voir de la lumière encore allumée si tard chez son voisin, est allé vérifier et a découvert Grand Pied mort dans sa cuisine. Avant que la police arrive, il a besoin de l'aide de Janina pour déplacer le défunt sur son divan et l'habiller décemment. Bien qu'il fut une mauvaise personne, Grand Pied doit être traité avec humanité. En le manipulant, ce qu'observent Janina et Matoga les amènent à penser que leur voisin s'est étouffé avec un petit os, probablement d'une biche braconnée...

Mon avis :
La vieillesse, la mort, l'humanité, la terre, la nature, la biodiversité, la condition animale, les astres... sont quelques-uns des nombreux sujets abordés dans ce roman engagé, redoutable de beauté, d'intelligence, de poésie, de profondeur, teinté de fantaisie et d'une bonne part d'humour.

mercredi 20 mai 2020

"Les Petites Filles et la Mort" d'Alexandre Papadiamantis (Babel)

Alexandre Papadiamantis est un écrivain grec né et mort à Skiathos (1851-1911). Fils d'un pope de Skiathos, il vit comme un tâcheron des lettres entre Athènes et son île natale, où il meurt dans la pauvreté. Ses débuts sont marqués par de médiocres romans historiques jusqu'à ce que, avec "Christos Milionis" (1885), il trouve enfin sa voie : la nouvelle. Il en écrit près de deux cents, publiées dans les journaux de l'époque. Conservateur, marqué par l'orthodoxie, il décrit, en un mélange unique de langue savante, liturgique et de dialecte, le destin de ses compatriotes. Beaucoup de ces textes sont purement alimentaires, et la construction est souvent négligée. Pourtant, certains récits sont des réussites, comme "La Meurtrière" (ou "Les Petites Filles et la Mort") (1903), considérée comme son chef-d'oeuvre, où il évoque la situation de la femme dans la société grecque rurale, mais aussi le problème du mal, dans un esprit qui rappelle Dostoïevski, dont il a traduit "Crime et châtiment" à partir du français. Ses développements lyriques sur la nature, son évocation nostalgique de la vie rurale grecque et son attachement à la religion orthodoxe, dans lesquels les Grecs se retrouvent, ont fait de lui un écrivain national.

L'histoire :
Khadoula, surnommée Yannou la Franque ou Francoyannou, a aujourd'hui une soixantaine d'années. Après avoir été la domestique de ses parents, elle fut l'esclave de son défunt mari et reste la servante de ses enfants, ses garçons particulièrement, et de ses petits-enfants. Mariée à dix-sept ans, mère de quatre fils et de trois filles, déjà grand-mère d'une fillette et d'un garçonnet, la voilà depuis quelques jours à nouveau l'aïeule d'une fille, malade de surcroît. La naissance d'une fille est une malédiction pour l'époque. Le poids de ce malheur pèse lourdement sur les épaules de Khadoula. Connue dans la région pour fabriquer des tisanes, des onguents, des remèdes, et chasser le mauvais oeil, pendant de nombreuses années elle a fouillé les montagnes et les vallons à la recherche de "l'herbe à faire des garçons" ou de "l'herbe à rendre stérile". En vain. Alors elle n'a plus qu'un choix possible : libérer, à sa manière, toutes ces fillettes d'un avenir inéluctable de servitude...

Mon avis :
Dans ce paysage rural et rude de la Grèce du XIXe siècle, entre conte populaire et drame sociétal, ce roman dépeint le destin tragique d'une femme que le désespoir pousse à commettre l'innommable. Réflexion aux résonances contemporaines sur la condition des femmes et des petites filles, ce portrait de Khadoula, dressé dans une langue rare et fabuleuse, est d'une beauté déchirante.

mercredi 13 mai 2020

"Cette nuit, je l'ai vue" de Drago Jancar (Libretto)



Drago Jancar est né en 1948 à Maribor, en Slovénie. Journaliste opposé au régime yougoslave, il est incarcéré en 1974. Scénariste, éditeur puis romancier, il est reconnu dans le monde entier et traduit en plus de vingt langues. Lauréat de nombreux prix (Prix Herder en 2003, Prix européen de littérature en 2011), c'est avec "Cette nuit, je l'ai vue" (Prix du meilleur livre étranger en 2014) qu'il rencontre un large public en France.


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La Yougoslavie est un ancien Etat de l'Europe méridionale, constitué, de 1945-1946 à 1992, de six Républiques fédérées (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie, Slovénie).

La Slovénie :
Au cours du XIXe siècle, des parties de l'Empire des Habsbourg habitées par des populations de langue slovène finissent par recevoir le nom de Slovénie. En avril 1941, le territoire slovène est occupé par l'Italie, l'Allemagne et la Hongrie. Très vite, les Partisans organisent la résistance qui mène à la libération en 1945, puis à la création de la République fédérative populaire (puis socialiste) de Yougoslavie, placée sous le contrôle de Tito et du parti communiste. La Slovénie en fait partie, ainsi que la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie. En 1991 et 1992, quatre des républiques fédérales deviennent indépendantes : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine. En 1991, la Slovénie devient la République de Slovénie. Puis, en 2004, elle rejoint l'OTAN et l'Union Européenne. En 2007, elle abandonne sa monnaie, le tolar, pour l'euro. En 2011, le nombre de ses habitants passe la barre des deux millions. La Slovénie est appréciée pour ses montagnes, ses pistes de ski et ses lacs. Elle compte 355 sites naturels ou semi-naturels ayant une grande valeur patrimoniale par la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent.


Ljubljana :
En 1918, la région rejoint le royaume des Serbes, Croates et Slovènes. En 1929, elle devient la capitale de la province yougoslave de la Banovine de la Drave. Durant la Seconde Guerre mondiale, la ville est occupée par les Italiens, qui en font le chef-lieu de leur province de Lubiana ; en 1943, après la capitulation italienne, elle est occupée par les Allemands. La ville est alors entourée de plus de 30 km de barbelés et les collaborateurs slovènes affrontent les partisans communistes. Depuis 1985, un sentier commémoratif entoure la ville là où se trouvait le rideau de fer. Après la Seconde Guerre mondiale, la ville devient la capitale de la République socialiste de Slovénie en intégrant la Yougoslavie et ce jusqu'à l'indépendance du pays en 1991. Depuis, elle est la capitale de la Slovénie qui a intégré l'Union européenne depuis 2004.

Maribor :
En 1941, après la conquête de la Yougoslavie, la Basse-Styrie, dont fait partie la ville, est annexée par l'Allemagne nazie. Adolf Hitler, qui souhaite germaniser totalement la région, visite la ville en grande pompe où une réception en son honneur se tient dan le château de la ville. La ville, centre industriel important notamment pour la fabrication d'armes, est régulièrement bombardée par les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. De nombreux Slovènes sont expulsés vers la Croatie et la Serbie actuelles. D'autres sont déportés vers des camps de concentration allemands. Le but nazi est d'éradiquer les populations slovènes ou slaves de la région. En réponse, la résistance composée de Partisans voit le jour. La ville, très proche de l'Autriche, profite les années suivantes de sa position centrale entre l'Europe occidentale et l'Europe de l'Est.

(cf : Wikipedia, Encyclopédie Larousse en ligne, cndp.fr, cairn.fr)

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L'histoire :

Cette nuit de mai 1945, à Maribor, dans un camp de prisonniers officiers de l'Armée Royale gardé par les Anglais, il l'a vue... Veronika... belle, troublante, vivante... Il se souvient de leur première rencontre huit ans auparavant...

Ljubljana, printemps 1937
Lorsque son supérieur, le major Ilic, lui donne sa nouvelle mission, pour le lieutenant Stevan Radovanovic, commandant d'un escadron de cavalerie, c'est la stupéfaction, voire même une humiliation. Durant les deux mois à venir, il sera le moniteur d'équitation particulier de l'épouse de Leo Zarnik, personnage riche, puissant et ami du major Ilic. Stevan anticipe déjà les moqueries de ses hommes et l'impact déplorable de cette histoire sur son autorité. Mais il n'imaginait pas la beauté, l'intelligence, la force de caractère, l'esprit de liberté de Veronika Zarnik...

Mon avis :
Un roman historique sombre et totalement captivant qui flirte habilement avec le roman noir. Dans un pays déchiré et ensanglanté, cinq voix racontent Veronika Zarnik, femme indomptable, courageuse, envoûtante, et qui hantera à jamais leurs souvenirs.

mercredi 6 mai 2020

"Bleu de Delft" de Simone van der Vlugt (10/18)

Simone van der Vlugt est une romancière néerlandaise née en 1966. Professeure de néerlandais et de français, elle s'est fait un nom dans littérature jeunesse avant de s'attaquer à l'univers du thriller et du roman historique. Récompensée par de nombreux prix, elle vit de sa plume depuis plusieurs années.

L'histoire :

Mars 1654

A De Rijp, petit village des Pays-Bas, Catrijn a du mal à se plier aux usages. Porter le deuil pendant plusieurs semaines, c'est au-dessus de ses forces. Personne n'ignore que Govert était un ivrogne et un mari violent. Malgré cela, les rumeurs se répandent et elles ne s'arrêtent plus seulement à la tenue vestimentaire de la jeune veuve. Peu importe pour Catrijn. Sa décision est prise. Depuis l'enfance, elle rêve de vivre à la ville. L'occasion lui est enfin donnée. Locataire de la ferme, après la vente aux enchères de son mobilier et de son bétail, un petit pécule en poche, elle part tenter sa chance à Alkmaar où un poste de domestique l'attend.

Le voyage est long. Elle arrive exténuée à l'auberge de ses amis Brecht et Melis pour apprendre que la personne qui avait promis de l'embaucher est décédée il y a deux jours. Pendant une semaine, Catrijn cherche un travail sans relâche. En vain. Son amie Brecht lui suggère de mettre en avant ses talents de dessinatrice pour créer sa propre affaire de peinture sur céramique. Mais l'entreprise est complexe. Il faudra payer sa formation puis être acceptée par la guilde. L'urgence est de trouver d'abord un emploi. C'est alors qu'un client de l'hôtel l'aborde et lui dit que son frère a besoin d'une intendante sérieuse. Il vit à Amsterdam...

Mon avis :
Un roman à l'intrigue convenue et attendue mais qui se lit sans ennui. On y croise toutes les figures picturales marquantes de l'école hollandaise et du siècle d'or néerlandais : Rembrandt van Rijn, Johannes Vermeer, Frans Hals. On découvre avec beaucoup d'intérêt la naissance de la fameuse faïence de Delft, joyaux national inspiré des porcelaines chinoises importées grâce au puissant commerce maritime de ce XVIIe siècle. Quant à l'épidémie de peste meurtrière qui ravagea la région d'Amsterdam en 1664, elle a de tragiques similitudes avec le temps présent...

vendredi 1 mai 2020

"Ida Brandt" de Hermann Bang (Libretto)

Hermann Bang (1857-1912) est l'un des plus grands auteurs danois de la fin du XIXe siècle. Célèbre pour ses portraits féminins, il a suscité l'admiration de nombreux artistes européens, comme Klaus Mann, Robert Musil ou Claude Monet. Il publie notamment "Les Quatre Diables" en 1890 et "Mikaël" en 1904, tous deux parus chez Libretto. "Ida Brandt", son chef d'oeuvre, a été édité pour la première fois en 1896.

Après avoir sans succès tenté une carrière de comédien, il se tourne vers le journalisme. Critique littéraire, il s'intéresse à la littérature moderne, à Zola, aux Goncourt et au naturaliste danois Topsoe, cherchant, au-delà du roman d'analyse et du récit traditionnel, une forme nouvelle de roman objectif et "scénique", où l'auteur, sans laisser deviner sa présence, ferait "voir" action et personnages. Il aboutit ainsi à un roman "impressionniste", proche de l'art de Jonas Lie, et qui évoque aussi bien les tourments dus à son homosexualité que l'atmosphère désillusionnée de la fin du siècle. "Races sans espoir" (1880), suivi de "Phèdre" (1883), joue ainsi sur le thème de l'hérédité, familier à Zola et que Bang retrouva dans "Les Revenants" d'Ibsen. Son art s'affine dans "Nouvelles excentriques" (1885), "Existences tranquilles" (1886) et "Stuc" (1887), qui marque avec "Tine" (1889) un sommet de son oeuvre. S'il reste surtout fidèle à l'oeuvre brève avec les nouvelles de "Sous le joug" (1890) et des "Quatre Diables" (1890), il connaît le succès avec deux romans, "Ludvigsbakke" ("Ida Brandt" en français) (1896) et "Mikaël" (1904). Son dernier récit sera un "roman d'artiste", "Les Sans-patrie" (1906). Il a aussi laissé des "Poèmes" (1891), des pièces et des articles sur le théâtre (il fut un excellent metteur en scène), ainsi que des ouvrages autobiographiques ("Maison blanche, maison grise", 1901).


Dès le début, il (Hermann Bang) avait l'intention de dédier Ida Brandt aux infirmières de l'hôpital communal où il avait lui-même séjourné. Dans la préface, rédigée à Paris, il décrit deux infirmières de garde qui passent la nuit assises devant une table en bois, telles qu'il les avait observées depuis sa chambre de malade. De temps à autre, elles lèvent la tête de leur ouvrage pour fixer en silence la flamme de la lampe "avec des yeux dont le regard porte au loin, au-delà du présent, vers les régions ô combien lointaines de souvenirs ignorés". Il songe au flot de malades qui, grâce aux soins prodigués par ces femmes, retrouvent la santé et se dépêchent d'oublier les mains qui les ont soignés et soutenus - c'est pourquoi, en signe de gratitude, il adresse son livre "là où celui-ci avait germé".

(Extrait de la préface de Jens Christian Grondahl)


L'histoire :

Années 1890, Copenhague

L'hôpital est comme une ruche. Son bourdonnement est régulier. Chacun s'active dans son rôle. Chacun est le rouage d'une mécanique bien huilée : du garçon de salle au médecin en chef, en passant par le précieux coup de main des patients valides à l'abnégation et au dévouement des infirmières. Ida Brandt est l'une d'elles, gentille, généreuse, charmante, impeccable. Pendant ses temps de pause, Ida s'isole pour lire une lettre d'Olivia. Les mots de son amie d'enfance la ramènent au Ludvigsbakke, domaine dont son père tant aimé était le régisseur et où elle a passé des années privilégiées et heureuses...

Mon avis :
Ida Brandt est un mystère. Fillette sage, obéissante, sérieuse. Jeune femme introvertie, discrète, transparente aux yeux de tous. Trop bonne, trop honnête, trop ingénue, trop passive. Suspecte pour les uns, proie facile pour d'autres, elle agace autant qu'elle émeut. Peinture douloureuse de la société danoise austère et puritaine du XIXe siècle...