vendredi 7 décembre 2018

Décembre 2018 - "La Nouvelle-Orléans"




2018 - Tricentenaire de La Nouvelle-Orléans

(La Nouvelle-Orléans, 1803)

En ce mois de décembre 2018 s'achève une joyeuse année durant laquelle La Nouvelle-Orléans a célébré trois cents ans d'une histoire singulière, complexe, métissée, romantique, artistique, ensorcelante. Les festivités ont commencé le 5 janvier par son jumelage avec la ville française d'Orléans.

Bâtie sur le delta du Mississippi, terre de bayous, devenue capitale du jazz et des jambalayas, La Nouvelle-Orléans a été fondée en 1718 par un Français, Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville. Elle a été baptisée ainsi en hommage au duc Philippe d'Orléans, régent du jeune roi Louis XV. Aujourd'hui plus grande ville de Louisiane, cet héritage colonial se résume surtout à une fête, Mardi Gras, et aux noms des rues étrangement familiers : Bordeaux, Saint-Louis, Toulouse, Chartres... toutes groupées dans le quartier historique du Vieux Carré.

Sous domination espagnole au XVIIIème siècle, puis vendue aux Etats-Unis par Napoléon Bonaparte en 1803, La Nouvelle-Orléans s'est nourrie de ce brassage de cultures française, espagnole et afro-américaine. C'est à de dernier groupe de population que l'on doit l'émergence du blues et du jazz en Louisiane.

Les peuples amérindiens, cajuns et créoles ont eux aussi beaucoup influencé la culture locale. Ils ont importé des Caraïbes leurs rites vaudous et une gastronomie très riche. Ainsi, la ville possède quantité de restaurants où l'on peut déguster un sandwich aux écrevisses, des haricots rouges, des beignets et des paellas créoles.

Puis les vagues successives d'immigration (Irlande, Italie, Allemagne, Grèce, Vietnam...) ont renforcé le multiculturalisme de la ville aux nombreux surnoms (NOLA, Big Easy, la Ville en forme de croissant, le Paris du Mississippi, la Ville flottante...). Environ 135 festivals et des dizaines de parades et de défilés sont organisés chaque année.

Mais La Nouvelle-Orléans a aussi subi l'une des pires catastrophes naturelles de son histoire, l'ouragan meurtrier Katrina en 2005. Depuis, la ville a su se reconstruire. Et ce climat tropical parfois dévastateur lui vaut un paysage d'une beauté exceptionnelle.

(Sazerac cocktail)

"Who's happy ?" de Hugh Coltman (Okey/Sony)

Hugh Coltman, né en 1972, est un chanteur et musicien britannique, vivant en France, ancien leader du groupe blues-rock The Hoax avant de se muer en songwriter folk-pop puis en quadragénaire explorateur du plus beau patrimoine du jazz.

Sacré "Voix de l'année" aux Victoires du jazz 2017 pour son album "Shadows - Songs of Nat King Cole" (Okey/Sony), après cet hommage au grand crooner, Hugh Coltman est parti à La Nouvelle-Orléans enregistrer de nouvelles compositions avec, en plus de ses compagnons de route habituels, un brass band local et le guitariste, et co-réalisateur de l'album, Freddy Koella.

Des drums qui dansent comme dans un des légendaires enterrements de La Nouvelle-Orléans, des cuivres gorgés de soul, des guitares mêlant blues et folk... Hugh Coltman s'est offert un écrin sublime pour onze chansons dans lesquelles il fait entendre sa voix chaleureuse de routier des sentiments et de grand connaisseur des émotions humaines, toujours indulgent pour l'amoureux du soir, le paumé de l'aube ou le mélancolique du plein soleil... "Who's happy ?" demande son dernier album, paru chez Okey/Sony. "Personne et chacun" semble-t-il répondre...


Mon avis :
Ambiance jazz, blues, soul, folk, l'esprit de La Nouvelle-Orléans envoûte ce très bel album d'une chaleur apaisante et joyeuse. A découvrir et à écouter très vite !!!

"Carnaval" de Ray Celestin (10/18)

Ray Celestin vit à Londres. Après avoir étudié l'art et les langues asiatiques, il devient scénariste pour la télévision et publie plusieurs nouvelles. Il s'impose dans le thriller avec son premier roman, "Carnaval", élu Meilleur premier roman de l'année 2015 par l'Association des écrivains anglais de polar. Annoncé comme le premier épisode d'une tétralogie dont chaque volet sera consacré à une ville, "Carnaval" est basé sur l'histoire réelle d'un tueur en série qui sévit en 1919 à La Nouvelle-Orléans, "le Tueur à la hache". Le second roman, "Mascarade", paru aux Editions 10/18 en 2018, lui aussi inspiré de faits réels, a pour toile de fond le Chicago des années 1930.

L'histoire :

La Nouvelle-Orléans, mai 1919...

Après une nuit blanche alcoolisée, le journaliste John Riley arrive péniblement au New Orleans Times-Picayune. Dans l'état dans lequel il se trouve, il ne pourra se concentrer sur aucun article, aussi se plonge-t-il dans la lecture d'un courrier des lecteurs de plus en plus nombreux depuis le début, il y a quelques mois, des attaques meurtrières du Tueur à la hache. Soudain, une lettre attire son attention. Signée du Tueur à la hache, elle annonce de nouvelles agressions mardi prochain à minuit quinze. Authentique ou non, le document paraîtra le lendemain...

Un mois plus tôt...

A l'ouest du Quartier Français, un cortège funèbre, accompagné de cinq fanfares, revient du cimetière dans une atmosphère de carnaval et d'ivresse. A l'écart de la procession, une jeune femme, Ida Davis, recherche parmi les musiciens Lil' Lewis Armstrong. Voilà tellement longtemps qu'ils ne se sont pas vus... la joie de Lewis culpabilise Ida car c'est l'ambition personnelle plus que l'affection qui l'amène auprès de son ami d'enfance.

Ida a dix-neuf ans. Deux ans plus tôt, elle avait rejoint la Pinkerton, célèbre agence privée de détectives et d'agents de sécurité, avec la promesse du patron d'un travail de terrain, mais cela n'a jamais été concrétisé. Reléguée au rôle de secrétaire, Ida n'a pas renoncé pour autant à son rêve et veut faire ses preuves. De sa propre initiative, elle compte interroger un témoin dans l'affaire du Tueur à la hache, une certaine Millicent Hawkes, infirmière des Romano, les précédentes victimes dont elle a découvert les corps.  Inexpérimentée, Ida préférerait être assistée d'une personne de confiance. Lewis accepte d'aider son amie...

En cette matinée brumeuse, dans une petite rue de Little Italy, se presse une foule de policiers, de journalistes, de voisins et de badauds. Une modeste épicerie sicilienne est devenue scène de crime. Les propriétaires, Monsieur et Madame Maggio, deux quinquagénaires sans histoires, ont été massacrés au milieu de la nuit par le Tueur à la hache. Toujours le même modus operandi : pas d'effraction, pas de vol, pas d'agression sexuelle, pas de cris, et une carte de tarot déposée sur chaque dépouille, ici la carte de la Justice et la carte du Jugement. Le lieutenant détective Michael Talbot dirige l'enquête...

A une trentaine de kilomètres de la ville, Luca D'Andrea, ancien inspecteur de la police de La Nouvelle-Orléans condamné en 1914 pour corruption, est libéré au petit matin. Arrivé la veille d'Angola, pénitencier de Louisiane, la seule personne qui l'attende à sa sortie du centre de transit est ce maudit journaliste, John Riley, qui se fait un plaisir de lui donner des nouvelles de la ville : les crimes du Tueur à la hache et l'enquête dans laquelle patauge son ancien protégé, le traître qui l'a dénoncé, le lieutenant détective Michael Talbot...

Mon avis :

Ce captivant roman noir, hommage à Hammett et Chandler, dépeint une ville à la fois ensorcelante et inquiétante. Une ville au lendemain de la Première Guerre mondiale avec le douloureux retour de soldats américains et afro-américains fracassés par ce qu'ils ont vécu en France. Une ville pluriculturelle à l'héritage colonial lourd. Une ville pleine de contradictions, complexe, sulfureuse, partagée entre puritanisme et vaudou, prohibition et quartiers chauds, ségrégation raciale et naissance du jazz. Une ville menacée par un ouragan et terrorisée par un tueur sanguinaire qui sévit depuis plusieurs mois. Une ville qui, quoi qu'il advienne, ne renonce pas à aimer, à danser, à chanter, à vivre chaque jour dans une atmosphère de carnaval.

L'enquête est menée parallèlement par quatre personnages qui apportent très agréablement à l'histoire leur touche personnelle et leurs motivations individuelles : le lieutenant Talbot joue sa carrière et sa famille dans cette affaire ; l'ex-flic corrompu, Luca D'Andrea, rachète sa liberté et règle une dernière dette en tentant de démasquer celui qui met à mal le "commerce" d'un parrain de la mafia néo-orléanaise ; le journaliste John Riley flaire le scoop ; Ida, jeune "Hammett" en jupon, a l'étoffe d'une vraie détective et investigue avec détermination. L'ensemble se dévore avec plaisir.

Coup de coeur !!!

"Nos disparus" de Tim Gautreaux (Points/Grands Romans)

Tim Gautreaux, surnommé aux Etats-Unis "le Conrad des bayous", est un romancier et nouvelliste, né en 1947 à Morgan City, en Louisiane. Fils d'un capitaine de remorqueur sur le Mississippi, il est venu sur le tard à la littérature. Professeur à l'université de Louisiane du Sud, il a publié des nouvelles dans Atlantic Monthly, le New Yorker, Harper's et GQ avant de révéler, en 1996, un talent immense avec un recueil de nouvelles intitulé "Same place, same things". Adoubé et encouragé par des auteurs comme James Lee Burke ou Robert Olen Butler, Gautreaux est ensuite passé au roman. Il reçoit le Prix John Dos Passos en 2005.

Oeuvres traduites en français :
     - "Le dernier arbre" (Seuil, 2013)
     - "Nos disparus" (Seuil, 2014)
     - "Fais-moi danser, beau gosse" (Seuil, 2016)

L'histoire :

Le 11 novembre 1918, quatre mille soldats américains débarquent à Saint-Nazaire, en France. Parmi eux, Sam Simoneaux, de La Nouvelle-Orléans, vingt-trois ans, marié, père d'un petit garçon décédé d'une fièvre à l'âge de deux ans. Venus pour se battre, les soldats sont accueillis par les rires et les chants. Ce n'est pas leur arrivée que les Français fêtent ainsi, mais l'Armistice. La guerre est finie.

Dans un premier temps, les Américains sont envoyés en renfort dans les hôpitaux de Paris où ils prennent de plein fouet les horreurs que cette guerre a causées sur les hommes. Puis, en janvier 1919, ils ont pour mission de nettoyer un champ de bataille de l'Argonne, dans l'est du pays. Ils y découvrent un enfer, un paysage de désolation inimaginable, une puanteur indescriptible, et des milliers d'obus encore intacts à faire exploser. La tâche est impossible et elle ne s'arrêtera que lorsque l'un des obus tombera par accident sur une maison, blessant une fillette.

A son retour de France, Sam est embauché chez Krine, grand magasin de quatre niveaux sur Canal Street à La Nouvelle-Orléans. Deux ans plus tard, en 1921, il est responsable d'étage et mène une vie confortable et heureuse avec son épouse. Jusqu'au drame. Ce jour-là, alors qu'il effectue sa vérification quotidienne des ampoules de tous les lustres du magasin, un couple l'interpelle. Leur petite fille de trois ans et demi, Lily, a échappé à leur surveillance. Après une recherche effrénée à travers tous les rayons, Sam la retrouve dans une cabine d'essayage, déguisée en garçon, ses cheveux blonds coupés courts, en compagnie d'une femme d'un certain âge. Mais il n'a pas le temps d'intervenir. Un coup violent à la tête l'assomme. Il reprend connaissance trois jours plus tard, Lily a disparu, et il n'a plus de travail...

Mon avis :
Un magnifique roman, généreux et dense, sur l'enfance et la transmission, proche d'un conte social et historique planté dans La Nouvelle-Orléans des années 1920, l'ensemble porté par la vitalité du jazz néo-orléanais, les flots ondoyants du Mississippi et l'ambivalente beauté de la Louisiane !

"Le dieu des cauchemars" de Paula Fox (Joëlle Losfeld)

Paula Fox est une romancière américaine, née en 1923 à New York. Fille d'un père irlandais et d'une mère espagnole, elle a grandi en Californie, à Cuba et au Québec. Après des études à l'université de Columbia, qu'elle a abandonnées pour se consacrer au piano, elle a exercé divers métiers, dont celui de reporter en Europe. Dans les années 1960, elle a enseigné à l'université de New York et de Pennsylvanie et a commencé à écrire à cette époque. Auteur d'une vingtaine de livres pour enfants et adolescents, abordant les mêmes thèmes que ses romans "adultes" (les faux-semblants, la douleur de l'abandon, la lutte des femmes), son oeuvre a été couronnée par le Prix Andersen en 1978. Redécouverte en 1996 par l'écrivain américain Jonathan Franzen ("Les corrections", "Freedom"), l'éditrice Joëlle Losfeld participera à sa notoriété en France en traduisant et publiant ses romans : "Le dieu des cauchemars" (sélection Prix Femina, 2004), "Personnages désespérés" (2004), "La légende d'une servante" (sélection Prix Femina, 2005), "Pauvre Georges" (2006), "Côte Ouest" (2007), ses mémoires,"Parures d'emprunt" (2008), "Les enfants de la veuve" (2010). Paula Fox est décédée en 2017 à Brooklyn. Elle était la grand-mère de la rockeuse Courtney Love.

L'histoire :

Poughkeepsie (Etat de New York), printemps 1941...

Une lettre, reçue ce matin, annonce à Helen la mort de son père, Lincoln Bynum. Eleveur de chevaux de course ruiné, Bynum avait quitté le domicile conjugal treize ans plus tôt, abandonnant un ranch vide à sa femme et à sa fille alors âgée d'une dizaine d'années. Si sa mère est bouleversée, Helen n'éprouve pas la même peine pour ce père qu'elle a si peu connu. Accablée de chagrin, la mère demande à Helen de se rendre à La Nouvelle-Orléans afin de retrouver sa soeur, actrice, et de la ramener auprès d'elle, le temps d'apaiser sa tristesse.

La Nouvelle-Orléans (Louisiane), quelques jours plus tard...

C'est la première fois que Helen vient à La Nouvelle-Orléans. Elle découvre des couleurs, des parfums, des fleurs, des fruits, des légumes et des poissons qu'elle n'avait encore jamais vus, des sons et des instruments de musique qu'elle ne connaissait pas, une moiteur et une langueur qui n'existent nulle part ailleurs, mais surtout, un sentiment de liberté qu'elle n'osait imaginer. La jeune femme s'imprègne de cette ambiance nouvelle, goûte à d'étonnants mets, se laisse envoûter par la ville. Au bout d'une semaine, elle se rappelle sa Tante Lulu. Il serait raisonnable de lui rendre enfin visite.

Mais la danseuse de music-hall d'antan a perdu de sa superbe. Vieillie, abîmée par les excès, alcoolique, et le coeur brisé, la flamboyante rousse dont sa nièce se souvenait est étendue, nue, dans le lit d'une chambre crasseuse, ivre-morte. Helen prend soudain conscience que sa tante ne reviendra jamais à Poughkeepsie. En l'envoyant à La Nouvelle-Orléans, sa mère le savait. C'était une façon de se débarrasser de sa fille, d'éloigner d'elle cette enfant qu'elle espérait tant être la raison du retour de son mari, mais cet espoir est mort avec Lincoln Bynum...

Mon avis :

Une jeune fille, bouleversante de naïveté, quitte l'emprise d'une mère tantôt aimante, tantôt fantasque, pour découvrir une ville ensorcelante où tout semble facile. Elle est accueillie chaleureusement par un groupe d'intellectuels, d'artistes et de gens de lettres, et croit en leur amitié et leur sincérité. Mais derrière la distinction, les belles manières et le luxe ostensible se cache la cruauté froide et perverse d'une entre-soi artificiel et indifférent au reste du monde.

Une écriture sensible et poétique pour ce très beau roman sur les désillusions.