mercredi 30 décembre 2020

Décembre 2020 - "Voyage dans l'Histoire"

 

"Nord et Sud" de Elizabeth Gaskell (Points - Grands romans)

Elizabeth Gaskell (1810-1865) fait partie de la talentueuse cohorte des romancières anglaises du XIXe siècle, aux côtés de Jane Austen, Charlotte, Emily et Anne Brontë, et George Eliot. Fille et femme de pasteurs unitariens, elle découvre à Manchester la misère ouvrière. "Mary Barton" (1848) est un plaidoyer pour la réconciliation des classes grâce à l'influence des femmes, mais aussi une des premières évocations de la révolte dans le monde ouvrier. 

Ce roman vaut à l'auteure les foudres du patronat anglais mais l'amitié de Charles Dickens. Ce dernier l'embauche dans son journal Household Words où elle publie "Cranford" (1853), chronique villageoise pleine de finesse et d'humour qui connait un immense succès, puis "Nord et Sud" (1855), où l'Angleterre traditionnelle rencontre la modernité des régions industrialisées à travers l'idylle qui se noue entre une fille de pasteur et un jeune industriel. La même hantise de tout ce qui sépare (le Nord du Sud, les riches des pauvres, la ville de la campagne, les vieux des jeunes, les femmes entre elles) se retrouve dans "Ruth" (1853), histoire moralisatrice d'une fille-mère en faveur de l'égalité sexuelle. Elle écrit aussi de nombreuses nouvelles ("Cousine Phyllis").

Outre Charles Dickens, Elizabeth Gaskell se lie aussi d'amitié avec George Eliot, avec qui elle entretient une correspondance, avec Charlotte Brontë, dont elle écrira la biographie après sa disparition ("Life of Charlotte Brontë", 1857), et avec Florence Nightingale.

Une crise cardiaque l'emporte brutalement en 1865, à cinquante-cinq ans, et interrompt la publication de son dernier livre et son projet le plus ambitieux, "Epouses et Filles", qui paraissait en feuilleton dans le Cornhill Magazine.

L'histoire :

Margaret Hale, fille de pasteur, a été élevée avec beaucoup de bienveillance à Londres, chez sa tante maternelle, Mrs Shaw, veuve d'un général, et sa cousine Edith. Cette dernière, à dix-neuf ans, vient d'épouser le jeune et beau capitaine Lennox. Aussi, Margaret s'en retourne-t-elle au presbytère de ses parents, à Helstone, charmant village de la campagne verdoyante du Sud de l'Angleterre.

Loin de regretter le luxe, la mode et le bruit de Londres, Margaret apprécie la plénitude des journées, le calme, la beauté et l'air pur de la nature, les longues marches à travers les bois et les champs par tous les temps, et la gentillesse des paroissiens.

Pourtant, quelques saisons ont passé et Margaret n'a pu que constater la maussaderie de sa mère, son ennui dans cette contrée reculée, et l'attitude étrange de son père, constamment pensif et soucieux. Un soir, Mr Hale se confie enfin à sa fille.

Ses doutes, non sur sa Foi mais sur sa tâche au sein de l'Eglise anglicane, sont si profonds qu'il a donné sa démission. Dans deux semaines, la famille devra quitter Helstone et le Hampshire. Un des amis de Mr Hale lui a proposé un poste de précepteur à Milton-Northern, dans le Darkshire.

Le choc est brutal et douloureux pour Mrs Hale. Certes, l'agitation de la capitale lui manquait parfois. Mais jamais elle ne s'imaginait devoir un jour respirer les fumées des usines et des manufactures, ni vivre entre les murs noircis des modestes maisons industrielles du Nord de l'Angleterre, ni perdre son statut social et ses domestiques, ni ne plus voir le respect et l'affection dans le regard des autres mais le mépris et l'humiliation.

Tandis que Mr Hale et Margaret recherchent en ville le plus agréable logis possible qui apaiserait le désarroi de leur épouse et mère, Mrs Hale se repose du voyage dans un hôtel de la station balnéaire de Heston, à quelques kilomètres de Milton. C'est au salon de ce gîte que Margaret rencontre pour la première fois Mr Thornton, riche industriel et futur employeur de son père...

"Il fallait bien les jolies tapisseries claires des chambres pour réconcilier les Hale avec Milton. Il en eût fallu davantage - mais c'est impossible. Les épais brouillards jaunes de novembre s'étaient installés ; et la vue de la plaine dans la vallée, enserrée dans la courbe du fleuve, était masquée lorsque Mrs Hale arriva dans son nouveau domicile."

Mon avis :
L'histoire d'amour que l'auteure met habilement en premier plan est un charme qui opère délicieusement et nous envoûte à merveille pour mieux nous entraîner vers le fond même du roman. Elizabeth Gaskell dénonce avec force les travers de son époque, l'Angleterre victorienne. Elle dénonce une révolution industrielle au seul profit de l'argent, au seul profit d'une poignée d'hommes, au mépris de l'humain et au mépris de l'environnement. Elle dénonce, bien sûr, la condition des femmes qui, elles, ne bénéficient d'aucune révolution, et pose l'une des premières pierres à l'édifice du féminisme. Les peintures qu'elle nous offre de la luxuriante campagne du Sud sont ravissantes et poétiques. Quant aux scènes de la vie industrielle, inspirées de Manchester et sa banlieue, sont bouleversantes de réalisme. Une oeuvre remarquable et stupéfiante de modernité !

mercredi 23 décembre 2020

"Un bûcher sous la neige" de Susan Fletcher (J'ai lu)

Susan Fletcher est née à Birmingham en 1979. Son premier roman, "La fille de l'Irlandais" (2004), a été couronné par deux prix littéraires les plus prestigieux attribués en Grande-Bretagne : le Whitbread et le Betty Trask Award. Elle publie ensuite "Avis de tempête" (2007), "Un bûcher sous la neige" (2010) et "Les reflets d'argent" (2012). Elle est aussi chercheuse à l'Université de Worcester et vit à Stratford-Upon-Avon.

***

Un peu d'Histoire de l'Ecosse...

XIVe siècle - XVe siècle :
Au cours de la guerre de Cent ans, l'Ecosse s'engage avec les Stuart dans l'alliance française. Le pays entre dans une longue période de convulsions internes.

XVIe siècle :
La réforme religieuse de John Knox fait de nombreux adeptes dans l'aristocratie qui s'oppose alors à la monarchie, demeurée catholique.

1567 :
La reine Marie Stuart doit abdiquer en faveur de son fils Jacques VI.

1603 :
A la mort d'Elisabeth 1ère, celui-ci devient roi d'Angleterre sous le nom de Jacques 1er, réunissant à titre personnel les Couronnes des deux royaumes. Son autoritarisme en matière religieuse et en politique le rend très impopulaire.

1625 :
Son fils, Charles 1er, lui succède. Très vite, le roi se heurte au Parlement, où s'organise l'opposition puritaine.

1629-1639 :
Charles 1er gouverne sans Parlement avec les deux ministres Strafford et Laud.

1639 :
La politique religieuse favorable à l'anglicanisme provoque le soulèvement de l'Ecosse presbytérienne.

1640 :
Pour obtenir des subsides, le roi est obligé de convoquer le Long Parlement.

1642-1649 :
La révolte du Parlement aboutit à une véritable guerre civile, remportée par l'armée puritaine, dirigée par Olivier Cromwell.

1649 :
Charles 1er est exécuté.

1649-1658 :
Cromwell instaure le régime personnel du Protectorat, ou Commonwealth (1653), et triomphe des Provinces-Unies et de l'Espagne.

1658-1659 :
Son fils, Richard Cromwell, lui succède, mais démissionne peu après.

1660-1688 :
La dynastie Stuart est restaurée. Les règnes de Charles II (1660-1685), puis de son frère, Jacques II (Jacques VII pour les Ecossais, converti au catholicisme) (1685-1688), sont de nouveau marqués par des conflits avec le Parlement, ce qui suscite l'intervention de Guillaume d'Orange.

1688 :
A la suite de la révolution dite "glorieuse", Jacques II s'enfuit en France.

1689-1701 :
Le Parlement offre la Couronne à Marie II Stuart (fille de Jacques II, protestante) et à son mari, le Hollandais Guillaume d'Orange (Guillaume III).

1689 :
Déclaration des droits. Les libertés traditionnelles sont consolidées, tandis que les tendances protestantes s'accentuent.

13 février 1692 - Le Massacre de Glencoe :


Le Massacre de Glencoe s'est déroulé dans la vallée de Glen Coe, tôt dans la matinée du 13 février 1692, à l'époque de la Glorieuse Révolution et du jacobitisme. Le massacre débuta en trois endroits de Glen Coe : Invercoe, Inverrigan et Achacon, mais les meurtres s'étendirent à toute la vallée lors de la fuite des MacDonald. Trente-huit hommes du clan Donald de Glencoe furent tués par ceux à qui ils avaient accordé l'hospitalité et quarante femmes et enfants moururent de froid après l'incendie de leurs maisons. Les assassins, cent vingt hommes de troupe loyalistes, sous le commandement de Robert Campbell, avaient été envoyés par des conseillers du roi d'Angleterre Guillaume III pour collecter l'impôt. Ces hommes avaient été accueillis chez les habitants, cordialement reçus, avaient partagé leur table et leur logis pendant deux semaines. Le massacre de Glencoe devint un élément de propagande jacobite, qui devait trouver un écho particulier cinquante ans plus tard, lors des soulèvements de 1745.

1701 :
L'Acte d'établissement exclut les Stuart de la succession au profit des Hanovre.

1702-1714 :
Sous le règne d'Anne Stuart (soeur de Marie II Stuart et belle-soeur de Guillaume III), la guerre de la Succession d'Espagne renforce la puissance maritime anglaise.

1707 :
L'Acte d'union lie définitivement les royaumes d'Ecosse et d'Angleterre.

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L'histoire :

Ecosse, 18 février 1692

A Edimbourg, où il séjourne cet hiver, bruisse quelque horrible rumeur venue des Highlands. Un massacre d'une épouvantable violence aurait été perpétré à Glencoe. Par qui ? Pourquoi ? Pour des raisons politiques ? religieuses ? guerre de clans ? Curieux de connaître la vérité, le révérend irlandais Charles Leslie éprouve la nécessité de se rendre dans cette vallée sauvage et reculée.

Une semaine plus tard, l'ecclésiastique arrive à Inverary et s'installe dans une chambre bien chauffée d'une auberge modeste. Très vite, il apprend qu'une pauvresse a déjà été condamnée et attend l'heure de sa mort, enchaînée dans un cachot obscur, humide et crasseux. Elle était à Glencoe au moment des meurtres et son péché est d'avoir tout vu et entendu des noms qu'elle ne doit pas répéter. Dès que la fonte de la neige permettra au bois de brûler, elle périra sur le bûcher. Comme une sorcière. Car elle en est une, c'est une évidence. Malgré sa répugnance envers ces créatures du Diable, le révérend Leslie tient à recueillir son témoignage...

Mon avis :

Sur fond de faits réels (le massacre de Glencoe le 13 février 1692) et de conflits politiques et religieux majeurs en Ecosse à cette époque, Susan Fletcher mêle habilement plusieurs genres littéraires pour amener une réflexion fouillée sur la condition des femmes au XVIIe siècle.

Corrag, "la sorcière", "la gueuse", "la putain", livre de sa vie et des terribles épreuves que subirent sa grand-mère, sa mère et elle-même, femmes sans père et sans mari, libres, ingénieuses et clairvoyantes, un récit sublime, intime et poignant.

Quant au révérend Leslie, les confidences qu'il partage avec son épouse bien aimée, restée en Irlande, à travers leur correspondance, vont révéler en lui sa part d'ignorance et mettre à mal nombre de ses certitudes.

Un très beau roman, sensible, bouleversant, émouvant. On le referme la gorge serrée. Coup de 💖!

mercredi 16 décembre 2020

"L'allée du Roi" de Françoise Chandernagor (Folio)

Françoise Chandernagor est une femme de lettres française, née en 1945 à Palaiseau (Essonne) dans une famille de maçons creusois alliés aux descendants d'un esclave indien affranchi. Mère de trois enfants, elle a toujours partagé sa vie entre Paris et le Limousin.

Après un diplôme de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et une maîtrise de droit public, elle entre à vingt-et-un ans à l'Ecole Nationale d'Administration (ENA), d'où elle sort deux ans plus tard "major" de sa promotion. Elle est la première femme à obtenir ce rang. Elle intègre alors le Conseil d'Etat où elle va exercer différentes fonctions juridictionnelles, notamment celles de Rapporteur Général, chargé du rapport public, mais également, à l'extérieur du Conseil d'Etat, des responsabilités administratives dans le domaine économique.

Parallèlement, elle accepte à titre bénévole des missions dans divers organismes caritatifs ou culturels ; elle assure notamment la vice-présidence de la Fondation de France jusqu'en 1988. En 1994, elle quitte l'administration pour se consacrer à l'écriture.

Depuis 1981, date à laquelle elle a publié "L'allée du Roi", Françoise Chandernagor a écrit douze romans (parmi lesquels "La Sans Pareille", "L'archange de Vienne", "L'enfant aux loups", "L'enfant des Lumières", "La première épouse", "La chambre", "Couleur du temps") ; les uns peignent la société contemporaine, les autres sont des romans "dans l'Histoire". Plusieurs ont été traduits dans une quinzaines de langues, et deux d'entre eux - "L'allée du Roi" et "L'enfant des Lumières" - ont fait l'objet d'adaptations télévisuelles. Elle a aussi publié trois essais ("Maintenon", "Liberté pour l'histoire" en collaboration avec Pierre Nova, "Quand les femmes parlent d'amour") et une pièce de théâtre ("L'allée du Roi", représentée à Bruxelles en 1993-1994 et en 2008 avec Jacqueline Bir ; à Paris en 1994-1995 avec Geneviève Casile et en 2009 avec Marie-Christine Barrault).

Depuis 1995, Françoise Chandernagor est membre de l'Académie Goncourt.

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Louis XIV le Grand, dit le Roi-Soleil (1638-1715), roi de France (1643-1715), de la dynastie des Bourbons, fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche.

Devenu roi à l'âge de cinq ans, celui qu'on appellera le "Roi-Soleil" est marqué par les troubles de la Fronde et subit l'influence de sa mère Anne d'Autriche, la Régente, et de son conseiller, le cardinal Mazarin. A la mort de ce dernier, le jeune roi affirme sa volonté de gouverner seul (absolutisme). Aidé de Colbert, Louis XIV s'attelle à l'unification et à la centralisation du gouvernement et de l'administration. Chef de l'Eglise de France, il révoque l'édit de Nantes promulgué par son aïeul et persécute les protestants, dont il provoque l'exode massif.

Protecteur des arts et des lettres, il fait de Paris et de Versailles, où il fixe sa cour, des hauts lieux du classicisme, qui voient une floraison exceptionnelle d'artistes (Le Brun, Le Nôtre...) et d'écrivains (Racine, Boileau, Molière...).

A l'extérieur, son action est motivée par un souci de renforcer les frontières stratégiques du royaume, la défense du catholicisme en Europe et des prétentions à la couronne d'Espagne. Disposant d'une diplomatie et d'une armée sans rivales, il trouve en un certain nombre de grands militaires, comme Turenne et Vauban, et en Louvois, son ministre de la Guerre, les artisans de sa politique.

Le XVIIe siècle européen est souvent nommé le "Siècle de Louis XIV" tant il est vrai qu'il y a laissé son empreinte glorieuse. Pourtant, quand il meurt au bout d'un règne de soixante-douze ans, il laisse un royaume exsangue.


Madame de Maintenon, née Françoise d'Aubigné, ou plus rarement d'Aubigny (1635-1719), épouse morganatique de Louis XIV, est la petite-fille du poète Agrippa d'Aubigné. Sa jeunesse est marquée par l'emprisonnement de son père, Constant, faux-monnayeur et assassin, et par un exil en Martinique (1645-1647). Elle est éduquée par une tante dans le calvinisme puis confiée à une autre parente, catholique. Placée chez les Ursulines, elle abjure le protestantisme (1649). En 1652, elle épouse le romancier, poète et dramaturge français Paul Scarron.

Devenue veuve (1660), elle est prise sous la protection de Madame de Montespan et devient gouvernante des bâtards royaux (1669). Intelligente et réfléchie, elle est appréciée de Louis XIV auprès duquel elle s'emploie à jouer le rôle d'une "sultane de conscience". Titrée marquise de Maintenon (1674), elle devient dame d'atours de la Dauphine en 1680. Son influence grandissant, elle ramène Louis XIV à ses devoirs d'époux en ruinant les faveurs de Madame de Montespan, et à ses devoirs de chrétien.

Après la mort de la reine, elle épouse secrètement le roi (1683) et continue de mener une vie discrète et dévote. Consultée par le roi sur les affaires, elle a exercé une influence politique qui reste difficile à évaluer et qui a été surestimée : si elle a, sans conteste, imposé l'austérité à la Cour et influé sur la politique religieuse du roi, encourageant la persécution des protestants et approuvant la révocation de l'édit de Nantes (1685), elle n'a, en revanche, fait que pousser discrètement ses sympathies (Fénelon, Louis Antoine de Noailles).

Après la mort de Louis XIV (1715), elle se retire à Saint-Cyr, dans la Maison royale de Saint-Louis, qu'elle avait fondée en 1686 pour assurer l'éducation des jeunes filles pauvres appartenant à la noblesse. Elle y décède en 1719, quatre ans après le roi, à l'âge de quatre-vingt-trois ans.

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L'histoire :

A plus de quatre-vingts ans, Madame de Maintenon vit retirée à Saint-Cyr, dans la douce quiétude de la Maison royale de Saint-Louis. En cette fin d'après-midi, elle écrit ce qui sera sans doute son dernier manuscrit qu'elle destine à la future jeune femme que deviendra Marie de la Tour, aujourd'hui pensionnaire de Saint-Cyr, petite fille intelligente, curieuse et malicieuse, à qui la Marquise s'est attachée, et qui ressemble en bien des points à l'enfant que fut Françoise d'Aubigné. Dans sa lettre, Madame de Maintenon se souvient de son long et remarquable destin.

Françoise d'Aubigné naît en 1635 à la prison de Niort où son père, Constant d'Aubigné, voleur et assassin, purge sa peine. Sa mère, Jeanne, sans le sou, enceinte et deux fils aînés à nourrir, a trouvé refuge chez un des gardiens où elle accouche d'une fille qu'elle haïra jusqu'à sa mort, mais, catholique, elle fait baptiser le bébé.

Confiée aux Villette, ses oncle et tante, huguenots farouches, couple sévère mais bienveillant, Françoise passe une enfance heureuse dans la campagne poitevine.

"Cette pastorale peut sembler sans ragoût à des esprits relevés. Rien n'est ennuyeux à contempler comme le bonheur et la vertu. Cependant, j'ai été plus heureuse dans ce temps qu'en aucun autre de ma vie et, si j'avais eu seulement la moitié de la dot que reçurent mes cousines, j'aurais avec plaisir poursuivi cette vie-là dans quelque château du voisinage, épousant, comme elles, un Fontmort ou un Sainte-Hermine. Dieu ne le voulut pas ainsi et me réservait pour un autre destin."

A huit ans, son père gracié, Françoise est reprise par ses parents. La famille embarque pour un triste séjour en Martinique, puis un retour à La Rochelle, quatre années plus tard, dans la misère absolue. De nouveau remise aux bons soins des Villette, l'enfant y reçoit une éducation huguenote plus poussée encore que la première fois. Sa marraine, Madame de Neuillan, fervente catholique, en a ouï-dire et obtient de la reine-mère Anne d'Autriche une lettre de cachet pour récupérer la fillette. Cette dernière n'est pas docile. Dure, impatiente et lasse de son rôle d'éducatrice, Madame de Neuillan envoie sa filleule rebelle chez les Ursulines à Niort, mais, du fait de frais de pension impayés, Françoise revient chez elle. La petite sera parfaite pour travailler à l'écurie.

L'hôtel de Neuillan, à Niort, ne désemplit pas. Tous les beaux esprits de la province y accourent. Françoise d'Aubigné s'apprivoise, observe, écoute, apprend beaucoup sur la géométrie, la géographie, l'astronomie, découvre le grec et le latin, lit des romans, et retient les noms de tous ces "Jean-des-lettres" tels que Pascal, Balzac, Ménage ou Clérambault. Mais, obéissant à sa marraine qui trouve ces lectures dangereuses, l'adolescente doit y renoncer à contre-coeur, et retourner chez les Ursulines, à Paris cette fois. 

La jeune Françoise d'Aubigné ignore alors que d'ici peu, elle sera présentée à Monsieur Scarron, grand érudit, la plume la plus célèbre de la capitale et auteur d'un roman burlesque, "Le Roman comique", dont le Tout-Paris parle...

"Telle quelle, je plus et ma personne finit auprès de Monsieur Scarron ce que mes lettres avaient commencé. Il fut assez touché pour s'inquiéter de mon avenir. J'étais sans dot et sans parents. Il y avait donc peu d'apparence qu'un homme me recherchât en mariage ni qu'un couvent m'acceptât. Je n'avais pas encore fait moi-même de grandes réflexions sur cette triste situation. J'avais seize ans et me berçais de l'illusion des lendemains."

Mon avis :

Une éblouissante biographie, certes romancée, mais remarquablement détaillée et généreuse. On ne peut que saluer l'impressionnant travail de documentation accompli en amont par Françoise Chandernagor. Sa langue est riche, belle, et sa passion pour la Marquise de Maintenon communicative. Je ressors de cette oeuvre conséquente, puits d'informations, un peu étourdie, entre épuisement et ravissement, regrettant de ne pas être un esprit aussi brillant que tous ceux ici croisés. Les pages consacrées à Scarron sont, d'un point de vue littéraire, absolument exquises. L'aventure est fabuleuse et grande est mon envie de découvrir "L'Allée du Roi", adaptation pour la télévision réalisée en 1995 par Nina Companeez, avec la merveilleuse Dominique Blanc (Marquise de Maintenon), Didier Sandre (Louis XIV), Valentine Varela (Madame de Montespan) et Michel Duchaussoy (Scarron).


mercredi 9 décembre 2020

"Les pierres sauvages" de Fernand Pouillon (Points)


Prix des Deux-Magots - 1965

Fernand Pouillon est né en 1912 à Cancon (Lot-et-Garonne). Architecte et urbaniste français, diplômé en 1941, il a été l'élève d'Eugène Beaudouin et assistant d'Auguste Perret. Il fut l'un des grands bâtisseurs des années de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale en France. Il a réalisé de nombreux équipements et bâtiments publics à Marseille, Aix-en-Provence, en région parisienne, en Algérie, ainsi qu'en Iran. Ses réalisations se caractérisent par une insertion dans le site, un équilibre des masses né de proportions harmoniques rigoureuses, des matériaux nobles - y compris dans le logement social - et la collaboration d'artistes sculpteurs, céramistes, paysagistes.

En 1960, Fernand Pouillon connaît une grave épreuve (malade, condamné en 1963 pour malversations financières, radié à vie par l'ordre des architectes français), épreuve au cours de laquelle il écrit "Les pierres sauvages" et "Mémoires d'un architecte". Ne pouvant plus construire en France, il est contraint à l'exil et, en 1964, il s'installe en Algérie où il entame vingt ans d'activité professionnelle intense. Amnistié en juin 1971 par le président de la République Georges Pompidou, il est réintégré à l'ordre des architectes français en 1978. A son retour en France, il est fait officier de la Légion d'honneur par le président de la République François Mitterrand en 1984 et commence une nouvelle carrière d'architecte. Fernand Pouillon est décédé en 1986 au château de Belcastel (Aveyron).

"Fernand Pouillon (1912-1986) est assurément la figure la plus romanesque de l'architecture française du XXe siècle. Les fastes de sa vie privée et ses démêlés judiciaires ont défrayé la chronique. Ils ont aussi motivé l'écriture de deux ouvrages cultes, "Les pierres sauvages" (1964) et "Mémoires d'un architecte" (1968), qui révèlent un remarquable conteur. L'oeuvre bâtie, elle, est exceptionnelle par son ampleur, ses qualités de composition et de construction. Mis au ban de sa profession pour avoir osé défier l'industrie du béton armé, Fernand Pouillon a démontré, en Provence d'abord, puis en Algérie, dans la région parisienne et en Iran, la compatibilité de la construction en pierre de taille et du logement de masse. La reconstruction du Vieux-Port de Marseille, la résidence Climat de France à Alger, celles du Point-du-Jour à Boulogne-Billancourt et du Parc à Meudon constituent aujourd'hui des repères importants dans l'histoire de l'habitat."
(culture.gouv.fr)

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"Fraîchement taillée la pierre est claire, chaude, ocre jaune, avec le temps elle deviendra grise et dorée. La lumière semble y déposer tour à tour les couleurs du prisme, gris composé, imprégné de soleil."


Quelques mots d'Histoire...

🔸 Frédéric Ier Barberousse (1122-1190) fut un empereur germanique (1155-1190) de la dynastie des Hohenstaufen. En 1160, il fit reconnaître par le concile de Pavie (considéré comme illégitime) l'antipape Victor IV (1159-1164), l'opposant au pape Alexandre III lui-même soutenu par Louis VII, roi de France, et Henri II Plantagenet, roi d'Angleterre. Frédéric Ier voulut restaurer l'autorité impériale mais se heurta en Italie à la Ligue lombarde, qui le défit à Legnano (1176) et lui imposa la paix. Il se noya en Cilicie pendant la troisième croisade. A partir du XVIe siècle, il devint le symbole des espérances populaires et nationales du peuple allemand.

🔸 Alexandre III, pape de 1159 à 1181, lutta contre Frédéric Barberousse, à qui il opposa la Ligue lombarde, et convoqua le troisième concile du Latran (1179).

"Le plan, dessin à deux dimensions, ne doit pas se juger : image représentative d'une incomplète synthèse, il est l'itinéraire d'une promenade imaginaire."



🔸  L'abbaye du Thoronet a été édifiée entre 1160 et 1230. Elle est, avec Silvacane et Sénanque, l'une des trois abbayes cisterciennes de Provence. Chef-d'oeuvre en péril après la Révolution, sa restauration débute en 1841. La pureté et la simplicité des volumes, essentiellement dictées par l'organisation de la vie communautaire, inspirent des générations d'architectes. Le Corbusier le site en 1953 : "A l'heure du béton brut, bénie, bienvenue et saluée soit, au cours de la route, une telle admirable rencontre". Elle inspira, en littérature, Fernand Pouillon pour son roman "Les pierres sauvages" en 1964, et le poète belge Henry Bauchau, en 1966, pour son recueil de poèmes "La pierre sans chagrin".

"Où tous ne voient qu'un métier, qu'une simple organisation due à la connaissance des techniques, tu substitues un système instinctif. Dans le choix des murs ce matin, donc de la taille de la pierre élémentaire, tu prétends que sentiments, instinct, expérience sont intimement liés sans que tu puisses arriver à dégager la part du métier et de l'imagination, du coeur et de la sage économie."

🔸  Les religieux cisterciens, du nom de l'abbaye de Cîteaux, où leur ordre se constitua en tout début du XIIe siècle, appartiennent à une branche monastique dérivée de l'ordre de Saint-Benoît. C'est en 1098, en effet, qu'un bénédictin, Robert, abbé de Molesmes, au diocèse de Langres, s'établit dans la forêt de Cîteaux, au sud de Dijon, en vue d'y restaurer, avec son prieur Aubry et son futur successeur, l'Anglais Etienne Harding, l'idéal monastique dans son austérité primitive. En 1112, un jeune seigneur bourguignon nommé Bernard y rejoignit les réformateurs, accompagné d'une trentaine de parents et compagnons.

En 1115, Bernard fut envoyé par Harding à Clairvaux, en Champagne, afin d'y fonder une filiale qui devint, pour le nouvel ordre, un centre de rayonnement plus important même que Cîteaux. Les "moines blancs", comme on les appelait pour les distinguer des "moines noirs" qu'étaient les bénédictins, rivalisèrent alors avec ceux-ci par le nombre de leurs fondations et par leur influence dans la chrétienté. Au milieu du XIIe siècle, ils comptaient en Europe environ 350 couvents, dont près de la moitié pour la branche bernardine de Clairvaux.

A partir du XIVe siècle, l'ordre cistercien connut une décadence croissante. Il en sortit grâce à une nouvelle réforme, entreprise en 1664 par Armand de Rancé, abbé de la Grande-Trappe, en Normandie, qui imposa à ses moines une règle plus rigoureuse. Ainsi naquit la branche cistercienne dite "des trappistes", nettement séparée de la branche non réformée dite "de la commune observance". Cependant, lors de Vatican II, les deux branches collaborèrent en vue d'aménager leurs règles respectives.

Les cisterciens se sont aussi distingués des autres ordres monastiques par l'architecture de leurs monastères. Parmi leurs plus belles abbayes, on peut citer celles de Fontenay et de Pontigny en Bourgogne, celles de Sénanque et de Silvacane en Provence, celle du Thoronet dans le Var et celle d'Alcobaça au Portugal.


"L'architecture garde une partie de son mystère, ne le découvre que par fragments et ne le livre que lorsque tous les volumes ont occupé leur place. L'oeuvre en cours est une discussion, décevante ou pleine de promesses. Nous cherchons des arguments. Nous écoutons les résonances sans encore en connaître la fin. Toutes ces émotions ne peuvent être prévues et connues entièrement à l'avance. Cela est bon ; un chantier sans anxiété serait comme une vie sans souffrance."

🔸  La vie dans une abbaye cistercienne :
  • L'organigramme se présente ainsi : l'abbé à la direction, puis le prieur dans le rôle de second, ensuite viennent le maître des novices, le sacristain, le chantre, l'infirmier, le cellérier, l'hôtelier, le portier.
  • La Règle est un ensemble de règlements tant sur le plan spirituel que matériel.
  • Le moine est d'abord novice confié au moine responsable. Un an après, jour pour jour, il prononce ses voeux de pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité, et reçoit la robe (longue en laine blanche avec capuchon) et la tonsure.
  • Les convers sont des religieux non tonsurés, séparés des moines, régis par une Règle simplifiée.

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L'histoire :
Dans son journal, Frère Guillaume consigne tous les événements les plus marquants, en lien avec sa mission ou plus personnels, depuis son arrivée au Thoronet, en mars 1161, en compagnie de deux autres moines cisterciens, Frère Bernard et Frère Benoît. Frère Guillaume a reçu l'ordre de construire un nouveau monastère dans ce coin isolé de la vallée de l'Argens...

Mon avis :
Un roman étonnant et fascinant qui demande un abandon total à la démarche de l'auteur et aux côtés du narrateur, Frère Guillaume, moine architecte et bâtisseur à la sensibilité taillée dans le vif et d'une extrême exigence. Son journal couvre une période allant de mars à décembre 1161. Neuf mois de gestation d'un ouvrage d'art colossal. Un travail acharné et de tous les dangers imposé aux hommes et aux bêtes, une lente agonie pour nombre d'entre eux. Un rapport à la pierre proche de la sensualité, mais aussi d'une grande brutalité. Dans ce texte empreint de philosophie et de poésie, l'auteur, architecte et urbaniste lui-même, voue une indéniable passion à son métier et donne à la maîtrise technique une dimension artistique et humaine. Remarquable découverte !

"[...] le passant reviendra un jour et dira : "Tiens, c'est déjà fini, ils sont allés bien vite." Il n'aura pas vu le travail dans la boue, les cailloux, par centaines de mille, taillés douloureusement des années, la roche qui résiste aux coups acharnés. Il n'aura pas pensé à la chaux qui brûle, à la roue qui écrase, aux cordes qui cassent, à la chaleur étouffante, au vent de sable qui blesse les yeux, et qui pousse l'homme en équilibre ; la pluie pénétrante, aux mains bleuies et maladroites, au gel qui détruit le travail de la veille, à l'erreur humaine qui bâtit pour démolir, à l'outil oublié qui tombe et tue."

mercredi 2 décembre 2020

"Les chevelues" de Benoît Séverac (10/18 - Grands détectives)


Grand Prix littéraire de la ville de Toulouse - 2008
Prix de la ville de Saint-Lys - 2008
Prix du polar Calibre 47 - 2009


Benoît Séverac est né en 1966 à Versailles. Il est auteur de romans et de nouvelles en littérature noire et policière adulte et jeunesse. Il a aussi écrit pour le cinéma et la bande dessinée. Ses romans ont remporté de nombreux prix, certains ont été traduits aux Etats-Unis ou adaptés au théâtre. Ils font la part belle à un réalisme psychologique et une observation sensible du genre humain. Ni bains de sang, ni situations malsaines. L'enquête policière n'est souvent qu'un prétexte à une littérature traversée par des thèmes profonds et touchants, et une étude quasi naturaliste de notre société. Dès qu'il le peut, il collabore à divers projets mêlant arts plastiques (calligraphie contemporaine, photographie) et littérature. Dans le domaine cinématographique, il a participé à l'écriture du scénario de "Caravane", un court métrage de Xavier Franchomme, et présenté trois documentaires sur France 3 dans la série Territoires Polars.
 
"Les chevelues" est son premier roman. Il a été suivi de "Rendez-vous au 10 Avril" (Pocket, 2018). "Le Chien arabe" (Prix de l'Embouchure 2016) a paru à la Manufacture de Livres, puis chez Pocket en 2017 sous le titre "Trafics". Après "115", publié chez les mêmes éditeurs, "Wazhazhe", son premier roman commun avec Hervé Jubert, a paru en 2018 aux éditions Le Passage. Benoît Séverac est également l'auteur de cinq romans chez Syros, dont "Une caravane en hiver" (2018).

L'histoire :
Sous le règne de l'empereur Auguste, Lugdunum Convenarum - actuelle Saint-Bertrand de Comminges dans les Pyrénées - est une cité intégrée à la nouvelle province Aquitaine, région stratégique aux confins de la Narbonnaise, entre l'Ibérie et l'Aquitaine récemment pacifiée. Le Romain Hadrianus Trevius en est le premier magistrat et sa stratégie d'associer les Gaulois à l'essor de la communauté à permis d'apaiser les tensions entre les deux peuples. Hélas, le meurtre de Cracius Vespasianus, sulfureux jeune ambassadeur de Rome, fils d'un riche noble romain et futur époux de Staia, la fille aînée d'Hadrianus, risque de faire basculer cette paix fragile. Le centurion Valerius Falco est chargé de démasquer au plus vite le ou les criminels. Le premier magistrat, quant à lui, habité par de grandes ambitions politiques, n'a qu'une hâte : classer l'affaire...

Mon avis :
Le début était prometteur mais très vite l'enthousiasme s'émousse. L'enquête manque de complexité et de dynamisme. L'intrigue - trop simple - est surtout prétexte à placer tous les mots latins du lexique. Certes c'est instructif, mais pesant. En revanche, les portraits psychologiques des personnages sont formidablement réussis, soignés et authentiques dans leurs diversités. L'auteur explore toutes les facettes de leur personnalité : leurs forces, leurs faiblesses, leurs comportements, leurs sentiments, leurs façons de penser, leurs actions à titre individuel ou au sein d'un groupe. Il pose des questions profondes qui, immanquablement, nous taraudent également.

jeudi 26 novembre 2020

Novembre 2020 - "Ils ont écrit la guerre"

 

"Le Siècle : La Chute des géants + L'Hiver du monde + Aux portes de l'éternité" de Ken Follett (Livre de Poche)


Ken Follett
est né à Cardiff (pays de Galles, Royaume Uni). Diplômé en philosophie de l'University College de Londres, il travaille comme journaliste à Cardiff puis à Londres avant de se lancer dans l'écriture. En 1978, "L'Arme à l'oeil" devient un best-seller et reçoit l'Edgar des auteurs de romans policiers d'Amérique. Ken  Follett ne s'est cependant pas cantonné à un genre ni à une époque : outre ses thrillers, il a signé des fresques historiques, tels "Les Piliers de la Terre", "Un monde sans fin", "Le Siècle". Ses romans sont traduits en plus de vingt langues et plusieurs d'entre eux ont été portés à l'écran. Ken Follett vit aujourd'hui à Londres.



***

Au tout début de l'histoire...

22 juin 1911

Billy Williams fête aujourd'hui ses treize ans, comme son meilleur ami Tommy Griffiths. Pour tous les deux, c'est aussi leur premier jour de travail à la mine d'Aberowen, dans le sud du pays de Galles.

Ethel Williams, soeur de Billy, a dix-huit ans. Elle est bonne depuis l'âge de treize ans à Ty Gwyn, le château des Fitzherbert.

***

Janvier 1914

Le comte Fitzherbert, dit Fitz, très bel homme de vingt-huit ans, et sa femme Bea, princesse russe, vont recevoir à Ty Gwyn le roi George V, la reine et vingt autres invités de marque. Les domestiques sont d'autant plus fébriles que l'intendante, Mrs Jevons, est tombée malade. Ethel Williams est désignée pour la remplacer temporairement. A seulement vingt-et-un ans, sera-t-elle compétente ? Elle le sera au-delà des espérances du comte Fitzherbert, même lorsque survint cette tragique explosion à la mine. C'est elle qui proposa au roi et à la reine de rencontrer les familles des victimes et le geste fut apprécié. De ce jour, Ethell prit définitivement le poste d'intendante.

***

Février 1914

A sa grande surprise, le comte Fitzherbert est convoqué à Londres, à la section étrangère du Secret Service Bureau. Sa réception en l'honneur du roi a été remarquée, tout comme son prochain voyage en Russie en compagnie de son épouse et de Gus Dewar, fils d'un sénateur américain en visite en Europe. Au vu de la situation géopolitique mondiale sous haute tension, Fitz est recruté pour fournir aux services secrets britanniques des informations sur les affaires militaires russes. Le comte accepte la mission.

*

Grigori Pechkov est contremaître à l'usine de construction mécanique Poutilov, la plus grande entreprise industrielle de Saint-Pétersbourg. Aujourd'hui, son atelier reçoit la visite d'un directeur accompagné d'un couple, un comte anglais et son épouse russe, et d'un Américain. Lorsqu'il reconnaît la Princesse Bea, le sang de Grigori ne fait qu'un tour mais le jeune homme parvient à maîtriser son émotion et masquer sa haine. Etre reconnu signifierait, pour son frère Lev et lui, la fin de leur rêve de partir bientôt en Amérique.

Grigori et Lev Pechkov tiennent la Princesse Bea et son frère le Prince Andreï pour responsables de l'exécution sommaire et cruelle de leur père quand ils étaient enfants. Cet événement poussa leur mère à se battre et à dénoncer l'injustice jusqu'à sa mort, quelques années plus tard, abattue par les carabiniers du Tsar Nicolas II lors du "dimanche rouge" le 9 janvier 1905.

Dans cet état d'esprit de vengeance inassouvie, ce soir-là, sur le chemin qui le ramène chez lui après le travail, lorsque Grigori aperçoit deux policiers en train de brutaliser une jeune fille, il n'hésite pas à s'interposer malgré les risques qu'il encourt.

***

Mars 1914

A Aberowen, six semaines après le coup de grisou qui tua huit mineurs et fit de nombreux blessés, les veuves viennent de recevoir de la compagnie minière un ordre d'expulsion de leurs maisons...

***

Mon avis :

Une formidable fresque historique qui balaie tout le XXe siècle, ses conflits majeurs, toutes les batailles, les victoires, les défaites aussi, en suivant le destin de cinq familles et leurs descendants, en Europe, en Russie et aux Etats-Unis...

Point d'envolées lyriques, ni de discours philosophiques, ni de réflexions métaphysiques, ce n'est pas le style de Ken Follett, mais une épopée romanesque très documentée sans jamais être indigeste, un rythme soutenu et constant, de beaux personnages attachants aussi sombres soient-ils, et tous les atouts de ce genre littéraire : amours, amitiés, passions, jalousies, haines, rivalités, intrigues politiques, jeux de pouvoir...

"La Chute des géants" (1911 à 1924), "L'Hiver du monde" (1933 à 1961), "Aux portes de l'éternité (1961 à 1989), les trois tomes peuvent se lire séparément. Ce qui permet de choisir la période qui nous intéresse le plus. Mais quel que soit l'ordre de lecture, l'ensemble - qui, détail à prendre en compte, représente près de 3400 pages - est totalement saisissant et captivant. On ne résiste pas au désir d'approfondir certains sujets, de rechercher un complément d'information sur un nom, un titre, un lieu, une date, un événement...

Passionnant et instructif, un duo qui me séduit totalement !

mercredi 18 novembre 2020

"Glaise" de Franck Bouysse (Livre de Poche)

Franck Bouysse est un écrivain né en 1965 à Brive-la-Gaillarde. Il a enseigné la biologie et l'horticulture avant de se consacrer à sa passion pour l'écriture. Ses romans "Grossir le ciel" (2014), "Plateau" (2016) et "Glaise" (2017) ont rencontré un large succès, public comme critique, et remporté de nombreux prix littéraires. Il partage aujourd'hui sa vie entre Limoges et un hameau de Corrèze.

L'histoire :

Dès que l'ordre de mobilisation générale fut donné, en août 1914, tous les hommes valides et les chevaux furent envoyés loin de Saint-Paul de Salers, petit village d'Auvergne. La vie et la terre étaient à présent entre les mains des femmes, des enfants, des vieillards et des infirmes. Personne ne manqua de courage.

En montant vers Le Puy Violent, trois fermes sont les plus isolées. Il y a celle des Valette. Ils sont quatre. Le père Valette est une brute et craint de tous. La mère, Irène, est une coriace. Eugène, leurs fils unique, est à la guerre. Le couple accueille sans bonté d'âme leur jeune et jolie nièce Anna et sa mère, Hélène. Plus loin, il y a la ferme de Léonard et sa femme Lucie, soixante-dix ans tous les deux. Et au-dessus encore, il y a la ferme des Lary. Victor, le père, est au front. Il reste la mère, Mathilde, son fils de quinze ans, Joseph, et la grand-mère, Marie. Joseph a beaucoup d'affection pour Léonard. L'aide du vieil homme, son expérience et ses conseils sont précieux pour la famille Lary...

Mon avis :
Je referme ce roman le coeur battant à tout rompre, submergée d'émotions, le regard perdu dans les paysages grandioses qui viennent de m'être offerts, un de ces instants rares de communion avec une histoire, avec un texte, avec un auteur. La plume poétique et profonde de Franck Bouysse devient scalpel quand elle dissèque minutieusement l'attitude des personnages en pleine confusion ou en plein déni de leurs sentiments. Les combats ne se livrent pas que sur les champs de bataille. Poignant !

mercredi 11 novembre 2020

"Madame, vous allez m'émouvoir" de Lucie Tesnière (J'ai lu)

Lucie Tesnière est née en 1979 et vit à Bruxelles. Elle commence par travailler dans le domaine des énergies renouvelables. En 2012, elle découvre les lettres de son arrière-grand-père, Paul Cabouat, médecin des tranchées pendant la Grande Guerre. Elle entame alors une enquête qui va la mener sur les traces de sa famille tout au long des deux guerres mondiales, et changer le cours de sa vie. En fouillant dans les archives et en interrogeant les descendants, elle met au jour des histoires incroyables, mêlant Résistance, collaboration, amours, amitiés et trahisons. Lucie Tesnière accompagne des gens dans l'écriture de leurs vies.

***

"Ah madame, vous allez m'émouvoir...". C'est ainsi que s'adresse un témoin à Lucie Tesnière venue recueillir ses souvenirs à propos de son arrière-grand-père Paul Cabouat.

Lucie Tesnière a trente-trois ans en 2012. Elle vit à Bruxelles et travaille dans le développement des énergies renouvelables en Europe. Ce 14 juillet, elle est en France, à Nîmes, auprès de Mamou, sa grand-mère qui, à quatre-vingt-douze ans, se remet d'une crise cardiaque et peste d'être contrainte à rester assise dans son fauteuil. Que faire pour la distraire ?

Mamou aime regarder des photographies. Lucie a l'idée de sortir les vieux albums. Parmi eux, elle découvre une boîte contenant cinq carnets datés de 1914 à 1916. Ce sont des lettres de Paul, le père de Mamou, recopiées avec soin par Marguerite, la mère de Paul (grand-mère de Mamou).

De retour à Bruxelles, piquée par la curiosité, Lucie appelle des membres de sa famille, les interroge sur Paul, et apprend que Jules, son arrière-arrière-grand-père, père de Paul, a écrit ses Mémoires. Au plus vite, elle récupère les manuscrits chez une grand-tante à Paris. Il s'agit de vingt-trois cahiers, rédigés dans les années 1930-1940. Jules y a consigné les lettres de ses fils Paul et François et tout ce qu'ils ont raconté - avec son insistance - sur la Guerre des Tranchées. Paul était médecin, François lieutenant. Le premier livret commence en août 1914.

Enthousiasmée par ces précieux témoignages, encouragée par sa mère et sa grand-mère, Lucie décide d'approfondir les recherches et, pourquoi pas, publier un livre en 2014 pour le Centenaire de la Première Guerre mondiale. En congé sabbatique, elle revêt le costume de détective, et la voilà partie pour plusieurs mois d'enquête et de voyages à travers la France auprès de personnes souvent âgées de plus de quatre-vingts ans.

En 1914, Jules Cabouat est professeur de droit à l'université, installé à Caen après avoir fui l'annexion de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne en 1871. Ce samedi 1er août, le tocsin annonce l'ordre de mobilisation générale...

***

Mon avis :
Un livre touchant et palpitant qui mêle très naturellement le passé et le présent. L'écriture est simple, spontanée, contemporaine, souvent drôle. Mais ne nous y trompons pas, Lucie Tesnière ne cache pas ses doutes, les émotions sont fortes et les témoignages poignants. Le récit familial traverse les deux conflits mondiaux. Des voiles se lèvent et la tension est palpable. Jean, François, Paul et les autres ne sont pas que des noms sur un arbre généalogique ou dans un manuel d'histoire. L'humain et toute sa complexité sont au centre de ce passionnant document qui séduira, à n'en point douter, toutes les générations.

mercredi 4 novembre 2020

"En attendant Eden" de Elliot Ackerman (Gallmeister)

Elliot Ackerman est né en 1980 à Los Angeles. Vétéran du Corps des Marines, ancien membre des forces spéciales, il a effectué cinq missions en Afghanistan et en Irak. Ecrivain le plus décoré de sa génération, journaliste, il a été finaliste du National Book Award. Il partage son temps entre New York et Washington D.C.

L'histoire :
Il y a trois ans, dans la vallée du Hamrin, en Irak, un Humvee sauta sur une mine. De tous les occupants du véhicule militaire, un seul a survécu. Eden. Rapatrié au centre des grands brûlés de San Antonio, mutilé, inconscient, dans un état désespéré, pas un jour ne s'est écoulé, depuis, sans que sa femme, Mary, ne soit présente auprès de lui, délaissant sa propre vie, délaissant leur fille Andy qu'Eden n'a pas eu le temps de connaître...

Mon avis :
Un roman déchirant et éprouvant qui donne la parole à la fois aux vivants, aux morts, et à ceux qui sont entre ces deux mondes. L'ensemble est d'une bouleversante sincérité. Les mots sont justes, pudiques, mais la vérité, comme souvent, est crue et brutale. Un texte magnifique...

mercredi 28 octobre 2020

Octobre 2020 - "Halloween is coming"

 

"La Maison des Damnés" de Richard Matheson (J'ai lu)

Richard Burton Matheson, né en 1926 à Allendale, dans le New Jersey, et mort en 2013 à Calabasas, en Californie, est un écrivain et scénariste américain. Ses genres de prédilection sont la science-fiction et l'épouvante. 

Diplômé de journalisme de l'Université du Missouri en 1949, sa carrière débute en 1950, avec la publication dans un magazine de SF de sa nouvelle "Le Journal d'un monstre", l'histoire d'un enfant qui hait ses parents. Considéré aujourd'hui comme un classique, ce récit a aussitôt établi sa renommée. Fait rare au vu de la sa longueur exceptionnelle, sa carrière n'a jamais connu d'éclipse.

Les fifties ont consacré le jeune auteur. C'est la décennie qui voit paraître ses deux romans les plus populaires à ce jour : "Je suis une légende" (1954) et "L'homme qui rétrécit" (1956). Deux individus confrontés, l'un à la perte de la civilisation, l'autre à sa propre décroissance. Ces livres connurent un gros succès au cinéma. On ne compte pas moins de trois adaptations de "Je suis une légende".

Parallèlement, Richard Matheson a fait partie des scénaristes de l'âge d'or de la télévision. Dans les années 1960 et 1970, il collabore aux grandes séries télévisées : "La Quatrième dimension" (1959-1964), "Star Trek", "Night Gallery" et, plus tard, à des épisodes de "Alfred Hitchcock présente" et "Chroniques martiennes". Ce sont les seize épisodes qu'il a signés pour "La Quatrième dimension", souvent repris au cinéma, qui achèvent de faire de lui une icône culturelle, formule qui désigne ces créateurs qui ont façonné l'imaginaire de plusieurs générations, en l'espèce aussi bien spectateurs que lecteurs.

Inspiré d'un accident de voiture qu'il a eu le jour de l'assassinat du président Kennedy (son véhicule a été violemment percuté par le hayon d'un camion), il écrit pour le cinéma le scénario de "Duel", récit paranoïaque tourné en 1971 par un jeune inconnu... Steven Spielberg. "Il m'a donné ma première chance", a confié le cinéaste dans un communiqué publié à l'annonce de la mort de Matheson, dont il admirait l'imagination féconde et la verve ironique. "Pour moi, il appartient à la même catégorie que Ray Bradbury et Isaac Asimov", a-t-il ajouté.

Quarante ans après "Duel", en 2011, Richard Matheson travaillera de nouveau avec Steven Spielberg, producteur de "Real Steel", adapté d'une de ses nouvelles. Plusieurs autres titres de Richard Matheson ont été portés à l'écran, comme "Quelques part dans le temps" (1980) et "Au-delà de nos rêves" (1998).

Paru en France en 2013 aux Edition J'ai lu, son ultime livre, intitulé "D'autres royaumes", est l'histoire fantastique et teintée d'autodérision d'un vieil écrivain spécialisé dans les romans d'horreur qui entreprend de conter à ses lecteurs les événements à l'origine de sa vocation littéraire. Le narrateur n'hésite pas à se moquer de lui-même et à suggérer une piètre qualité de sa plume ("vingt-sept romans, vingt-sept saletés"). Un facétieux jeu de miroir.

Nommé Grand Maître de l'horreur, distingué par le Prix Bram Stoker pour l'ensemble de sa carrière, Matheson devait recevoir, le 27 juin 2013, le Prix Visionnaire décerné aux Etats-Unis par l'Académie des films de science-fiction, fantastique et horreur (Academy of Science Fiction, Fantasy & Horror Films). Il lui sera remis à titre posthume lors de la 39e cérémonie.


"La Maison des Damnés",
adaptation du roman de Richard Matheson,
film britannique réalisé par John Hough (1973),
avec Pamela Franklin, Roddy McDowall et Clive Revill,
scénario de Richard Matheson,
en compétition au Festival International du film fantastique d'Avoriaz en 1974

L'histoire :

Rolf Deutsch, riche propriétaire d'une chaîne de journaux et de magazines, a acheté dans le Maine la Maison Belasco, dite "la Maison des Damnés", supposée hantée. A quatre-vingt-sept ans, Deutsch veut connaître la vérité sur une possible vie après la mort. Il profite de sa fortune pour convaincre trois experts de passer une semaine sur les lieux, de réaliser toutes les analyses et expériences nécessaires, et de lui rapporter leurs conclusions.

La bâtisse de sinistre réputation a été construite en 1919 par un certain Emeric Belasco, un homme redoutable qui aurait organisé, entre ces murs glauques, des nuits orgiaques abominables au cours desquelles toutes sexualités, drogues, perversions et cruautés étaient permises. La maison de l'horreur ferma ses portes en 1929 lorsque furent découverts vingt-sept cadavres. Mais pas celui de Belasco. Sa disparition mystérieuse est à l'origine de ces histoires de revenants et de mauvais esprits dans la région.

Depuis, l'édifice fait régulièrement l'objet d'études sur d'éventuelles activités paranormales. En vain. Lors de la dernière, en 1940, sur les huit membres de l'expédition, un seul a survécu, Benjamin Franklin Fischer, jeune médium alors âgé de seize ans.

Trente ans plus tard, à l'initiative de Rolf Deutsch, quatre personnes sont en route en direction du Maine : le Docteur Lionel Barrett, chef de la mission, physicien rationnel, accompagné de son épouse et assistante, l'ingénue Edith ; Florence Tanner, spirite et révérende du Temple de la paix spirituelle ; et Benjamin Fischer, rescapé de la désastreuse enquête de 1940, devenu brillant médium. Au terme d'un voyage au cours duquel ils ont fait un peu connaissance, l'équipe nouvellement constituée arrive à la Maison des Damnées, ténébreuse, isolée de tout, noyée dans un épais brouillard à l'odeur repoussante...

Mon avis :
Roman publié en 1971, aux multiples références littéraires (Sade, Bram Stoker, Poe, les soeurs Brontë, Shirley Jackson...) et inspirations cinématographiques (Tod Browning, Alfred Hitchcock, Roger Corman, les films gothiques de la Hammer...), il s'ouvre sur une scène devenue désormais un classique du genre : une maison soi-disant hantée devient sujet d'observation de la part d'un groupe de spécialistes des ectoplasmes composé d'un scientifique, d'une spirite, d'un médium et d'une candide. Malgré quelques petites étrangetés (l'inutilité des domestiques, par exemple), le scénario est efficace, oppressant et terrifiant à souhait. Si l'histoire est diabolique, ce que découvrent les personnages sur eux-mêmes ne l'est pas moins. Frissons d'horreur garantis !!! 



A lire également :
"La maison hantée" de Shirley Jackson

mercredi 21 octobre 2020

"HEX" de Thomas Olde Heuvelt (Livre de Poche)

Thomas Olde Heuvelt est né aux Pays-Bas en 1983. Salué par la critique, "HEX" est déjà un succès traduit dans quatorze pays, et la Warner développe actuellement une série télévisée basée sur le roman.

L'histoire :

Black Spring est une ravissante petite ville américaine, située près de New York, en bordure de la réserve naturelle de la forêt de Black Rock, au pied du mont Misery où l'on retrouve régulièrement des vestiges de villages et de cimetières des Indiens munsee ou mohican.

Mais cette bourgade, paisible en apparence, couvre un terrible secret. En 1664, alors colonie de trappeurs néerlandais, une femme, Katherine van Wyler, mère de deux jeunes enfants, y fut condamnée à mort pour sorcellerie. Trois cent cinquante ans plus tard, son fantôme, un corps puant en décomposition, aux yeux et à la bouche cousus, continue de hanter les lieux et de terroriser les habitants.

Ces derniers, au fil des siècles, ont choisi de dissimuler cette malédiction. De nos jours, un système de vidéosurveillance sophistiqué, l'HEX, a été mis en place pour cacher la sorcière à la vue de tous et pour protéger la population. Car s'il est interdit de toucher Katherine, de l'écouter, de diffuser son image, de parler d'elle aux Extérieurs, il est également impossible de quitter Black Spring. Quiconque enfreint ces règles meurt de façon horrible et entraîne d'autres personnes dans la mort. Il est donc essentiel d'empêcher tout nouveau visiteur de s'installer à Black Spring.

Cette tâche revient aux membres du Conseil et au chef de la sécurité de l'HEX. Mais cinq adolescents rebelles, avides de liberté et maîtrisant parfaitement les outils de communication de leur temps ne vont pas la leur faciliter...

Mon avis :
Un thriller diablement efficace !!! Une intrigue très bien ficelée, de plus en plus angoissante chapitre après chapitre, et qui, par ailleurs, pose des questions sociétales très intéressantes. Effrayant !!!

mercredi 14 octobre 2020

"Kerfol et autres histoires de fantômes" d'Edith Wharton (Classiques - Livre de Poche)


Edith Wharton
naît à New York en 1862, en pleine guerre de Sécession, dans une famille de la haute société américaine de la côte Est, bourgeoisie qu'elle mettra en scène dans de nombreux romans. Elle mène une enfance heureuse, matériellement aisée. Avant l'âge de dix ans, elle parcourt toute l'Europe et découvre Rome, Paris, mais aussi l'Espagne et l'Allemagne. Elle se passionne pour la littérature, mais aussi pour la philosophie et l'histoire. Elle écrit son premier récit, "Fast and Loose" à l'âge de quatorze ans et elle publie un premier recueil de poèmes à seize ans.

En 1885, elle épouse Edward Wharton, dit Teddy, dont elle divorcera en 1913 après de nombreux déboires. Ils n'auront pas d'enfant. En 1897, Edith Wharton collabore à un ouvrage consacré à la décoration intérieure. En 1902, elle s'installe à The Mount, somptueuse maison qu'elle a fait construire près de Lenox, dans le Massachusetts, région où elle situera l'action de "Ethan Frome". Elle se consacre tardivement à l'écriture. "The House of Mirth" ("Chez les heureux du monde"), roman qui la rend célèbre, paraît en 1905. Il s'agit de son premier grand roman de veine new-yorkaise, puisque auparavant la romancière semblait privilégier une veine plus historique ("The Valley of Decision", paru sous le titre "Les Amours d'Odon et Fulvia", se situe dans l'Italie du XVIIe siècle). Cette histoire tragique d'une brillante jeune mondaine vivant une descente aux enfers sociale est depuis considéré comme un classique.

Edith Wharton publie régulièrement, essentiellement des romans, mais aussi des essais ou des récits autobiographiques. Ses oeuvres, de style naturaliste, sont aussi des romans psychologiques à la construction élaborée. En 1920, elle reçoit le prix Pulitzer pour "Le temps de l'innocence" qui triomphe à 60 000 exemplaires en quelques mois. C'est alors la première fois que la prestigieuse récompense est attribuée à une femme.

A partir de 1907, en partie pour s'éloigner de son mari, elle décide de venir vivre à Paris où elle fréquente Paul Bourget, Anna de Noailles, Gide, Cocteau. Elle est aussi l'intime d'Henry James, qui la surnomme "l'oiseau de feu", et qu'elle entraîne dans ses frénétiques voyages à bord des premières automobiles. Pendant la Première guerre mondiale, elle s'engage dans la collecte de fonds et multiplie les visites aux hôpitaux du front. Elle est décorée de la Légion d'honneur et faite, en 1928, première femme docteur honoris causa de l'Université de Yale. Elle partage les dernières années de sa vie entre sa villa de Hyères et Saint-Brice-sous-Forêt, près de Paris, où elle meurt en juin 1937.


Plusieurs de ses oeuvres ont été adaptées pour le cinéma comme "Ethan Frome", "Chez les heureux du monde" ou "Le temps de l'innocence", ce roman ayant même connu plusieurs versions dont la dernière avec Daniel Day-Lewis et Michelle Pfeiffer a été réalisée par Martin Scorsese en 1993.

Mon avis :

"Les yeux" (1910), "Après coup" (1910), "Kerfol" (1916), "Ensorcelé" (1925), "Le miroir" (1935)... "Kerfol et autres histoires de fantômes" est un recueil de cinq nouvelles fantastiques d'influence gothique romantique, enrichi d'une présentation très éclairante et passionnante de Jean-Pierre Naugrette, professeur de littérature anglaise à l'université Paris III-Sorbonne nouvelle et traducteur de ces textes.

Certaines de ces histoires vous happent dès les premiers mots. D'autres accrochent un peu moins. Mais toutes sont servies par l'écriture profonde et ciselée d'Edith Wharton. VOIR, dans ses différentes déclinaisons, est le sens qui les relient entre elles. VOIR, comme percevoir, ressentir, prendre conscience, regarder, visiter, examiner, envisager, constater, être en relation avec quelqu'un ou quelque chose, être un témoin visuel d'un lieu, d'un événement, d'une époque, imaginer quelqu'un ou quelque chose d'une autre façon... Les fantômes ne sont pas là pour nous effrayer mais pour mettre à nu les émotions et les souvenirs que les personnages refoulent, leurs pensées négatives, leur culpabilité parfois, leur vulnérabilité.

Lues à haute voix, ces nouvelles ont une toute autre résonance. Une idée pour le soir d'Halloween !

mercredi 7 octobre 2020

"Feu & Sang" (partie 1 + partie 2) de George R.R. Martin (J'ai lu)

George Raymond Richard Martin est un écrivain américain de science-fiction et de fantasy, également scénariste et producteur de télévision. Il est né à Bayonne, New Jersey, en 1948. En 1963 paraît dans le magazine Les Quatre Fantastiques sa première lettre de lecteur. Il passe un Master en journalisme en 1971 à l'université de Northwestern, dans l'Illinois, et vend sa première nouvelle, "The Hero", au magazine Galaxy. De 1972 à 1974, il fait son service social dans les AmeriCorps à la suite de son objection de conscience à la guerre du Vietnam. Il publie son premier recueil de nouvelles en 1975, "A Son for Lya", qui rafle de Prix Hugo. En 1977 sort son premier roman, "L'Agonie de la lumière". En 1979, il met fin à sa carrière de professeur de lettres et déménage à Sante Fe, Nouveau-Mexique. De 1984 à 1990, il st scénariste pour la télévision, notamment pour les séries "La Cinquième Dimension" et "La Belle et la Bête".

Le premier tome du "Trône de Fer" paraît en 1996 et reçoit le Prix Locus. L'année 2011 voit le lancement, sur la chaîne HBO, de la série multi-récompensée et succès planétaire "Game of Thrones" qui tiendra en haleine les téléspectateurs pendant huit saisons (le dernier épisode sera diffusé le 19 mai 2019). Toujours en 2011, George R.R. Martin est sélectionné par le magazine Time comme l'une des personnes les plus influentes du monde. Il est aujourd'hui considéré comme le "Tolkien américain". Quant au sixième tome de la saga fantastique, il avait été annoncé pour juillet 2020. Autant dire qu'il est attendu avec impatience par les fans !

***

"Feu & Sang" (Partie 1 + Partie 2)
est le premier tome de l'histoire de la dynastie Targaryen, divisé en deux volumes pour la publication française et amputé des illustrations en noir et blanc de Doug Wheatley de la version originale. "Feu & Sang - L'Intégrale illustrée" a paru en novembre 2019 aux Editions Pygmalion.

La Partie 1 couvre la Conquête de Westeros par Aegon 1er jusqu'à l'an 100 apC (après la Conquête). La Partie 2 va de l'an 100 apC à la régence d'Aegon III (136 apC). George R.R. Martin n'a pas encore communiqué la date de la sortie du second tome. Celui-ci devrait revenir sur la période allant du règne d'Aegon III Targaryen jusqu'à la rébellion de Robert Baratheon (début du "Trône de Fer").

"Feu & Sang" est la retranscription, à l'époque du "Trône de Fer", soit plus de trois siècles après les premiers événements, par un mestre de la Citadelle de Villevieille, l'archimestre Gyldayn, de chroniques anciennes retraçant l'histoire mêlée de légendes des rois Targaryen de Westeros.

L'histoire :

Douze ans avant que le Fléau n'anéantisse Valyria, centre de la civilisation, le seigneur Aenar Targaryen crut en l'étrange prédiction de sa fille. Il se réfugia avec sa famille et ses cinq dragons à Peyredragon, une lugubre île dans le détroit. Les Targaryen devinrent alors les seuls valyriens seigneurs dragons qui survécurent.

Un siècle plus tard, las des querelles incessantes entre les différents royaumes, lord Aegon, descendant d'Aenar l'Exilé, est déclaré par ses alliés Roi unique de Westeros. Les Sept Couronnes, leurs rois et leurs seigneurs, petits et grands, se doivent de ployer le genou et remettre leurs épées. Ou prendre les armes. Commence une guerre de deux ans.

Après son débarquement à l'embouchure de la Néra et après trois batailles majeures victorieuses grâce à l'aide de ses deux soeurs-épouses, Visenya et Rhaenys, et des trois dragons, Balerion la Terreur Noire, seul survivant des cinq d'Aenar, et Meraxès et Vhagar, les deux plus jeunes éclos à Peyredragon, Aegon est enfin couronné à Villevieille.

Il choisit pour étendard un dragon rouge à trois têtes crachant le feu sur champ noir. "Mon bouclier, mon défenseur, ma robuste main droite", ainsi nomme-t-il son plus proche conseiller, son demi-frère et fidèle ami de jeunesse, Orys Baratheon, qui devient la première Main du Roi.

Aegon le Conquérant établit sa cour dans la ville nouvelle de Port Royal. Des épées rendues, il en fait un grand siège duquel il donne audience et qui sera connu dans le monde entier comme "le Trône de Fer de Westeros"...

Mon avis :
"Feu & Sang" se dévore d'une traite car extrêmement passionnant, ou au contraire se déguste tranquillement, patiemment, car très dense et généreux en détails et anecdotes. Un univers épique extraordinaire, bien musclé, qui mêle avec virtuosité les genres médiéval et fantastique. Jubilatoire !!!


A lire également :

📚  Dossier "Le Trône de Fer"

📚  L'excellent "Armageddon Rag"

📚  "Dragon de glace" (conte pour enfants)