jeudi 2 mars 2017

Mars 2017 - "Littérature et Musique"


"Armageddon Rag" de George R.R. Martin (Folio-SF)


George R.R. Martin, né en 1948 à Bayonne (New Jersey), est un écrivain américain de science-fiction et de fantasy, également scénariste et producteur de télévision. Son oeuvre la plus connue est la série romanesque du "Trône de fer", adaptée sous forme de série télévisée par la chaîne HBO sous le titre "Game of Thrones". Il a été récompensé par de nombreux prix littéraires et a été sélectionné par le magazine Time comme l'une des personnes les plus influentes du monde en 2011. Il est aujourd'hui considéré comme le "Tolkien américain".

"Armageddon Rag", ouvrage peu connu, fait figure de roman à part dans la bibliographie de l'écrivain. Ce thriller fantastique plonge ses racines dans la culture musicale des années hippies, avec son lot de concerts survoltés et d'inévitables bad trips. Hommage déclaré aux Doors et aux Stooges, "Armageddon Rag" embrasse la nostalgie d'une époque révolue, et avec elle la mythologie du hard rock naissant - sorcellerie, violence, affrontement entre Bien et Mal. Avec un soupçon de surnaturel et un rythme endiablé, George R.R. Martin signe un hymne sombre à sa jeunesse perdue, le chant du cygne d'une génération aux rêves oubliés.
Julien Bisson
Magazine "Lire" - Hors-série n°20

Charles Milles Maddox, dit Charles Manson, né en 1934 dans l'Ohio, est un criminel américain. Faux prophète, inadapté social devenu chef d'une "famille" hippie, Charles Manson (36 ans), Susan Atkins (22 ans), Leslie Van Houten (21 ans) et Patricia Kren Winkel (23 ans) sont reconnus coupables, lors de leur procès le 21 janvier 1971, du meurtre très médiatisé de l'actrice Sharon Tate (épouse du réalisateur Roman Polanski, alors enceinte de huit mois) et des quatre personnes qui se trouvaient dans sa villa de Los Angeles le 9 août 1969, ainsi que de l'assassinat, quelques jours plus tard, des propriétaires d'un supermarché, les époux La Bianca. S'il n'a pas commis lui-même les crimes, Manson en a été reconnu comme le commanditaire. Il a été condamné, ainsi que ses complices, à la peine de mort, commuée en une peine de prison à vie. Susan Atkins décède en prison en 2009 des suites d'un cancer. Les autres membres condamnés de la "famille" sont encore à ce jour incarcérés.

L'histoire :
Après sept ans de silence, Sandy Blair est contacté par son ancien associé, Jared Patterson. Ensemble, dans les années 1960, ils avaient créé un journal consacré à la musique, le "Hedgehog" - ou le "Hog". Mais à la suite d'un désaccord éditorial, Patterson a viré Blair. Patterson est resté le rédacteur en chef d'un "Hog" beaucoup moins alternatif, et Blair est devenu romancier à succès. Aujourd'hui, Patterson passe outre leur brouille pour appeler son vieil ami et lui demander de travailler à nouveau pour le journal. Il lui propose d'écrire un papier sur le meurtre de Jamie Lynch, imprésario et organisateur de concerts, par le passé l'un des personnages les plus éminents de la sous-culture rock et manager de grands groupes tels que les "Nazgûl". Le crime, commis au domicile de la victime dans le Maine, a fait l'objet d'une mise en scène sordide. Il rappelle étrangement le modus operandi de Charles Manson et l'affaire Sharon Tate que Blair avait couvert à l'époque. Ses articles avaient d'ailleurs reçu plusieurs prix. Alors, bien que l'envie soit grande de dire à Patterson d'aller au diable, sa proposition est pour le moins excitante...

Mon avis :

Ce roman formidable est, hélas, peu connu du grand public. Grave erreur ! Sa bande originale est tout simplement à tomber : Jimi Hendrix, Janis Joplin, les Beatles, Paul Simon, les Doors, Bob Dylan, Joni Mitchell, les Rolling Stones, les Moody Blues, la comédie musicale "Hair"... ils sont tous là ! "Armageddon Rag" est un page-turner absolument passionnant, original et efficace. George R.R. Martin dépasse les frontières du thriller angoissant, subtilement teinté de fantastique, pour analyser les dessous de l'univers musical, les affres d'une popularité internationale, les liens qui unissent les milieux du rock et de la contestation. Parallèlement, il pose un regard nostalgique sur une jeunesse envolée. Il propose une solide réflexion sur l'Histoire, sur une époque, les années 1960, qui connut guerre du Viêt-Nam, manifestations, rassemblements, émeutes, élections, assassinats, drogues, mouvement hippie, liberté sexuelle, Woodstock... Que reste-t-il de cette génération de jeunes Américains pleins d'espoir, d'idéaux, qui rêvaient de changer le monde ?

Chef d'oeuvre à découvrir de toute urgence !

"On dit que la musique est le reflet de son temps, mais c'est également valable dans l'autre sens. Elle a un pouvoir, Sandy. Elle nous influence bien plus profondément et universellement que les mots. De tout temps, les armées sont allées s'affronter au son des tambours, en entonnant des chants martiaux. Toute révolution a eu ses hymnes. Toutes les époques. C'est ce qui façonne et définit chaque période de l'histoire."

George R.R. Martin
"Armageddon Rag"

"Tout le monde peut écrire une chanson triste" de James Crumley (Folio)


Nouvelles extraites du recueil "Le bandit mexicain et le cochon" (Folio)

James Crumley est un écrivain américain, né en 1939 à Three Rivers, au Texas, et mort en 2008 à Missoula dans le Montana.

De Martine Laval - Télérama.fr - Le 19 septembre 2008 :

"Né au Texas, il s'était retranché à Missoula, Montana, la ville des écrivains. Chaleureux et drôle dans la vie, il gardait sa détresse pour ses livres, où se débattaient une bande de rafistolés du rêve américain. James Crumley, celui du "Canard siffleur mexicain" et de "Un pour marquer la cadence" vient de disparaître. Il avait 69 ans.

Crumley est mort. C'est une blague. Lui qui aimait tant rire, raconter jusqu'à l'aube des histoires pas possibles, partager le plaisir de vivre, boire avec les amis de rencontre, parler encore et encore de livres, de poésie.

Crumley, né au Texas, s'était retranché dans la bonne ville de Missoula, Montana. N'empêche, jamais il ne put se débarrasser de son accent rocailleux. A Missoula, derrière chaque pilier de bar, se cache un écrivain. Crumley était de ceux-là, copain de Richard Hugo, poète et prof à l'université, de James Welch, le Blackfeet, son voisin, tous deux disparus aussi. Crumley, comme Jim Harrison, était un habitué du festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo. La France, qu'il connut, était sa seconde patrie, alors sans président arrogant et pédant, genre Bush famille et compagnie, qu'il s'amusait à ridiculiser.

Crumley a écrit des romans noirs, comme frappés par la foudre, bourrés de mélancolie. Lui si chaleureux, si généreux mettait sa détresse dans ses livres, dans ses personnages, Sughrue, Milo, tous des rafistolés, des hors pistes du rêve américain, hantés par la guerre du Vietnam, par le manque de tendresse. James Crumley est mort. Jeudi 18 septembre. Il avait 69 ans. Il faudra s'y habituer. On lui lance un "Dernier Baiser"... titre d'un de ses romans."

"Tout le monde peut écrire une chanson triste" 
Un journaliste accompagne un chanteur de country à succès en tournée. Ils partagent ensemble cette passion pour ce genre musical, celui que l'on appelait autrefois la "hillbilly music", la "musique des ploucs". Puis c'est devenu "musique ethnique". Jusqu'à l'arrivée d'Elvis Presley qui rassembla tout le monde. Maintenant, avec un certain snobisme, on parle de "musique néo-traditionnelle" ou de "country-politain". Mais la country est au-delà de ces considérations. Elle s'adresse aux rebelles, aux anarchistes. Elle interprète des chansons tristes qui racontent l'amour et la guerre, et qui sonnent comme des complaintes...

"Un fils rêvé pour les Jenkins"
Comme une chanson triste de country, dans une contrée rurale américaine, la vie difficile, rude, pleine de désillusions, va conduire au drame une famille ordinaire de condition modeste...

"Hot Springs"
Cavale ultime pour un jeune homme abîmé par la malchance et les mauvais choix...

Mon avis :
Une mélodie mélancolique, triste, profonde, sombre, douloureuse, parfois brutale, qui rythme la vie de petites gens. James Crumley ne peut cacher sa sincère tendresse pour ses personnages amochés, brisés par une société sans pitié.

Une littérature débordante de générosité et d'émotions !

"Le Chanteur de Gospel" de Harry Crews (Folio policier)


Harry Crews, romancier américain, est né en 1935 en Géorgie (Etats-Unis) et décédé en 2012 en Floride. Orphelin de père à deux ans, il est élevé à la dure dans une ferme par un beau-père alcoolique et violent qui fera de sa petite enfance un enfer raconté dans son autobiographie "Des mules et des hommes". Engagé à dix-sept ans dans les Marines, Harry Crews fait la guerre de Corée, commence à dévorer tous les ouvrages qui lui tombent sous la main, reprend des études puis plaque tout pour faire la route. Il fera de la prison, se fera tabasser par un Indien unijambiste, partagera un temps la vie des freaks et croisera des destins hors du commun qui peupleront ensuite ses romans. De retour en Floride, il abandonnera femme et enfant pour se retirer dans une cabane au bord d'un lac. C'est dans ce décor d'ascète, stimulé par la came et l'alcool, qu'il débutera comme écrivain. Son oeuvre, une vingtaine de livres tous situés dans le sud des Etats-Unis, a fait de lui, avec des titres comme "Body" ou "La malédiction du gitan", un auteur totalement atypique particulièrement attachant, souvent féroce avec les gens normaux et tendre avec les monstres : un auteur qui s'ingénie à prendre le contre-pied de l'apparente normalité des choses pour fustiger la bêtise, et qui s'est imposé, dans la plus grande discrétion, comme l'un des plus grands écrivains américains de romans noirs.

  • "Les portes de l'enfer" (Sonatine)
  • "Nu dans le jardin d'Eden" (Points)
  • "La malédiction du gitan" (Folio)
  • "La foire aux serpents" (Folio)

Il apparaît au cinéma dans le film de Sean Penn, "The Indian Runner" (1991), dans le rôle de M. Baker. Son roman "The Hawk is Dying" ("Le Faucon va mourir") a été adapté en 2006 sous le titre "Dressé pour vivre" par Julian Goldberger, avec Michelle Williams et Paul Giamatti.

L'histoire :

Ecrasée par la chaleur, la petite ville américaine d'Enigma, en Géorgie, attend fébrilement le retour de l'enfant prodigue, celui qui est né ici et qui désormais attire les foules partout où il passe. Le Chanteur de Gospel. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus, sa pâleur, sa gueule d'ange, sa voix puissante et envoûtante sont des signes qui ne trompent pas les esprits faibles qui voient en lui un prédicateur, un guérisseur, un faiseur de miracles. Bien entendu, le Chanteur de Gospel ne possède aucun de ces dons et souffre de cette adoration collective malsaine.

A Enigma, les habitants sont des paysans simples, durs à la tâche, d'une grande pauvreté, sans éducation, sans culture. La vie y est cruellement difficile. Alors, tous les espoirs reposent sur le Chanteur de Gospel. D'autant que la ville vient de connaître une terrible tragédie : la mort de la jolie Mary Bell, douce jeune fille promise au Chanteur de Gospel, violée et poignardée par Willalee Bookatee.

Dans sa cellule, Bookatee sait que, quoi qu'il advienne, sa peau noire fait de lui le coupable idéal et que dans quelques heures il sera pendu...

Mon avis :

"Le Chanteur de Gospel" est le premier roman de Harry Crews, paru en 1968, et l'écrivain impose déjà son style. Il décrit avec une poésie féroce et un réalisme cru une Amérique profonde en désespérance, une terre brûlée et assoiffée qui ne nourrit plus ni hommes ni bêtes. Ce texte est un hommage au "Maître", William Faulkner, et à son chef d'oeuvre "Sanctuaire". De même que le choix du Gospel, chant religieux chrétien proche du blues et pratiqué par les afro-américains et les Blancs du sud des Etats-Unis, n'est évidemment pas innocent. Le message contre le racisme que délivre ce genre musical s'oppose frontalement au fanatisme d'une population enragée. Seuls les freaks, ceux que l'on appelle les monstres, apportent un peu d'humanité, à leur façon, dans cette histoire extrêmement sombre.

Quelle plume admirable !


A lire :

"La foire aux serpents"

"Sanctuaire" de William Faulkner


"Dick Contino's Blues" de James Ellroy (Rivages/Noir)


Cet ouvrage est un recueil composé d'un court roman et de cinq nouvelles.
Cette présentation ne concerne que le roman : "Dick Contino's Blues".

James Ellroy, de son vrai nom Lee Earle Ellroy, est un écrivain et scénariste américain, né en 1948 à Los Angeles. Des débuts difficiles de junkie, allant de petit boulot en petit boulot, mènent finalement Ellroy à se consacrer à l'écriture à partir de 1984. Connu surtout pour "Le Dahlia noir" (1987), premier volet de la tétralogie de Los Angeles, plus récemment pour "American Tabloid" et pour son autobiographie romancée "Mes zones d'ombre", il n'est pas seulement un auteur de roman noir dans la lignée de Chandler ou de Hammett : ses descriptions de la corruption, de la dépravation et de la violence de Los Angeles culminent dans une vision de l'Amérique de la fin du XXème siècle comme mémoire d'une criminalité exacerbée et ridicule. Avec une ironie acide à la Beckett, il fait la chronique d'un monde dont sa propre trajectoire, de clochard drogué à écrivain à succès, serait la métaphore.

L'histoire :
Dans les années 1990, l'accordéoniste et acteur Dick Contino renoue avec la célébrité grâce au succès de la reprise d'un de ses anciens titres, "Lady of Spain", et à la sortie en vidéo de "Daddy-O", film de série B de 1958 dont il était la tête d'affiche. L'artiste revient sur cette décennie...

Mon avis :

James Ellroy a dix ans en 1958 lorsque sa mère est assassinée. Il se souvient de son état de choc, d'être parti vivre chez son père, et d'avoir vu un film de série B, "Daddy-O", dont le rôle principal est tenu par Dick Contino (1930-), musicien et acteur américain. Dès lors, les accords de l'accordéon de Contino accompagneront les souvenirs d'Ellroy. Le meurtre de sa mère, jamais résolu, hantera toute son oeuvre. En 1993, Ellroy rencontre, le temps d'un déjeuner, le "Valentino de l'Accordéon", personnage de sa vie et de son prochain roman, "Dick Contino's Blues".

Entre biographie et fiction, comme toujours avec James Ellroy, on ne sait jamais où se place la vérité. L'histoire est néanmoins représentative de Los Angeles et d'une époque. Toutefois, après avoir dévoré "Le Dahlia noir", j'avoue avec tristesse ne pas avoir été sensible à l'univers ni à l'écriture de ce court roman, et être sans doute passée à côté du propos de l'auteur.