mercredi 3 avril 2019

Avril 2019 - "Romans féministes"



"Romans féministes"

Premier Prix "Affiche"
Concours "Egalité" 2014
Ministère des Droits des femmes

par Marina Fabre et Valentine Dervaux

"La Passion selon Juette" de Clara Dupont-Monod (Livre de Poche)



Clara Dupont-Monod est née en 1973 à Paris. Diplômée en ancien français, elle commence très tôt une carrière de journaliste aussi bien pour la presse écrite que pour la radio et la télévision. Elle anime, depuis septembre 2014, une chronique littéraire dans l'émission d'actualité "Si tu écoutes, j'annule tout", sur France Inter, renommée "Par Jupiter !" à partir de septembre 2017. "La Passion selon Juette" est son quatrième roman.

Sainte Ivette de Huy (également connue sous le nom de Juette), née à Huy (actuelle Belgique) en 1158. Mariée à treize ans, mère de trois enfants dont un mort en bas âge, veuve à dix-huit ans, elle vécut trente ans recluse dans une cellule accolée à l'église de Huy, priant Dieu et soignant les lépreux. Elle est décédée le 13 janvier 1228. Sa vie nous est connue grâce au chanoine prémontré Hugues de Floreffe. Elle est liturgiquement commémorée le 13 janvier.


L'histoire :

Juette, fille de l'ambitieux receveur des impôts de l'évêque de Liège installé à Huy, dans l'actuelle Belgique, est une enfant du XIIème siècle, passionnée d'histoires et de légendes. Celle de Saint Mengold, comte et chevalier de Huy. Celle d'Arlette de Falaise, née à Huy, mère de Guillaume le Conquérant. Ou celle de Johan Coley-Malhars, plus connu sous le nom de Jean Colin-Maillard, ancien maçon, valeureux chevalier de Huy et héros aux yeux crevés. Ou bien encore celle de Perceval, Pendragon ou Lancelot.

Mais son destin ne sera pas celui des douces princesses et des preux chevaliers. A treize ans, Juette est mariée de force. De ce traumatisme naîtront sa haine des hommes, du sexe et de la maternité, puis, à son veuvage cinq ans plus tard, une détermination redoutable à consacrer sa vie et sa foi aux plus nécessiteux de l'époque : les femmes et les lépreux.

"Un corps mort fait des enfants morts. C'est normal." Elle dira cela avec un détachement malsain, comme on récite un mauvais texte. Et je comprendrai soudain que s'il y a un enfant mort ici, c'est Juette.

Au récit de la jeune femme, s'ajoute celui de Hugues de Floreffe, chanoine prémontré, homme pieux, copiste instruit et merveilleux conteur. Confident et ami de Juette depuis l'enfance, son admiration pour elle est aussi grande que son inquiétude. Sa témérité, son intransigeance envers ses compagnes de l'ordre des veuves et son insoumission face à la puissante Eglise et aux hommes de Dieu la mettent en danger. Seront-ils nombreux, à Huy, à la soutenir et à la protéger ?

Mon avis :
Une évocation forte, émouvante, d'une rebelle flamboyante et ambiguë. Ce roman historique se dévore d'une traite. Coup de coeur !!!

"Prodigieuses créatures" de Tracy Chevalier (Folio)

Tracy Chevalier est une écrivaine américaine, née en 1962 à Washington. En 1984, elle déménage en Angleterre et commence, en 1993, une année de Master of Arts en création littéraire à l'Université d'East Anglia. Ses tuteurs, lors de son parcours, sont les romanciers Malcolm Bradbury et Rose Tremain. En 1997 paraît son premier roman, "La Vierge en bleu". Le succès arrive avec "La jeune fille à la perle", un livre inspiré par le célèbre tableau de Vermeer. Le film du même nom, réalisé par Peter Webber, avec Scarlett Johansson, Colin Firth et Cillian Murphy, a obtenu trois nominations aux Oscars de 2004. Tracy Chevalier est également présidente pour l'Angleterre de la Society of Authors.

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"Prodigieuses créatures" s'inspire de personnages et de faits réels.

Elizabeth Philpot et Mary Anning
Mary Anning est née en 1799 à Lyme Regis, un village en bord de mer, dans le Dorset, en Angleterre, une région riche en fossiles datant de la période jurassique. Enfants pauvres, Mary et son frère en ramassent pour les revendre aux collectionneurs et aux touristes. C'est ainsi que Mary met à jour, en 1812, le premier fossile d'ichtyosaure.

Plus tard, autodidacte, pionnière de la paléontologie, ses découvertes ont permis de révéler de nouvelles espèces, comme le plésiosaure et le dimorphodon. Elle est aujourd'hui reconnue comme une figure incontournable dans l'histoire de la paléontologie des vertébrés.

Mary Anning est décédée d'un cancer du sein en 1847, après avoir été élue membre honoraire de la Geological Society of London, le sexisme régnant de l'époque interdisait pourtant l'élection des femmes.

Plésiosaure découvert en 1821 par Mary Anning
(Museum national d'histoire naturelle à Londres)

Elizabeth Philpot (1780 - 1857) est née à Londres. En 1805, elle emménage avec ses soeurs Louise et Margaret à Lyme Regis, dans le Dorset, le long de la côte sud de l'Angleterre. Paléontologue autodidacte et artiste, elle se lie d'amitié avec Mary Anning, de près de vingt ans sa cadette. Reconnue dans le milieu des géologues pour ses connaissances sur les fossiles de poissons, et pour sa vaste collection de spécimens, d'éminents géologues et paléontologues viennent la consulter. Quand Mary Anning découvre que des fossiles de bélemnites contiennent des sacs d'encre, c'est Elizabeth Philpot qui démontre que l'encre fossilisée mélangée à de l'eau peut être réutilisée pour des illustrations. Ce qui devient alors une pratique courante pour les artistes de la région.

Lettre de Elizabeth Philpot (1833) au paléontologue William Buckland
Dessin à l'encre fossilisée

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L'histoire :

Début du XIXème siècle en Angleterre

Dans la famille Philpot, John est le frère aîné de quatre filles. Au décès de leurs parents, John hérite des biens mais aussi de la charge de ses soeurs célibataires. Frances, mariée, ne vit plus à Londres. John étant fiancé, Louise, Elizabeth et Margaret doivent quitter la maison familiale londonienne en échange d'une rente de leur frère et d'un toit plus modeste sur la côte. Les trois soeurs choisissent la petite ville de Lyme Regis, dans le Dorset. Margaret, la plus jeune, s'y amuse très vite, participe à tous les bals et côtoie la bonne société locale. Louise se passionne pour le jardinage. Quant à Elizabeth, elle se lance avec ardeur dans la chasse aux fossiles sous l'influence de Mary Anning, une enfant de douze ans précoce et volontaire, dont les connaissances dans la discipline seront précieuses...

Mon avis :

Comme toujours, formidable conteuse, Tracy Chevalier nous emporte dans son univers et met en lumière le destin de femmes singulières. Elle dresse ici le portrait de deux découvreuses dans ce domaine scientifique alors exclusivement masculin, la paléontologie, à une époque où les hommes font loi et les femmes silence.

Ces pionnières marquent le début d'une longue fascination populaire pour les dinosaures et l'aire jurassique, jusqu'à aujourd'hui encore. Les romanciers ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, il n'y a pas meilleur sujet pour aiguiser l'imaginaire et alimenter tous les possibles. Parmi eux, Jules Verne et son "Voyage au centre de la Terre" (1864), Sir Arthur Conan Doyle et "Le Monde perdu" (1912), Fernand Mysor et "Les Semeurs d'épouvante" (1923), et plus récemment Michael Crichton et "Jurassic Park" (1995).


Retrouvez Tracy Chevalier sur France Culture dans l'émission "La Marche des Sciences : Sur les traces de la paléontologie

https://www.franceculture.fr/emissions/la-marche-des-sciences/sur-les-traces-de-la-paleontologie

"Les Suprêmes" de Edward Kelsey Moore (Babel)




Edward Kelsey Moore est né dans l'Indiana. Violoncelliste installé à Chicago, il a cinquante-trois ans lorsqu'il publie son premier roman, "Les Suprêmes" (Actes Sud, 2014), suivi de "Les Suprêmes chantent le blues" (Actes Sud, 2018).






"The Supremes" ou "Diana Ross and The Supremes" était un groupe de rythm and blues, pop & soul féminin américain populaire originaire de Détroit (Michigan) ayant évolué au sein de la Motown de 1959 à 1977. Parmi leurs plus grands succès, on se souvient de "You keep me hangin'on", "Baby Love", "Stop ! In the name of love !".


L'histoire

Plainview, Indiana (Etats Unis)

Elles sont quinquagénaires, amies depuis les années 1960. On les surnomme "Les Suprêmes", comme le célèbre groupe pop de l'époque. Chaque dimanche, depuis trente ans, avec leurs époux, elles déjeunent Chez Earl. Aujourd'hui, c'est ensemble qu'elles assistent aux funérailles de Big Earl, premier Noir à avoir monté une affaire en centre-ville à la fin de la ségrégation.

Odette, ronde et joyeuse, est mariée à James, ancien policier, et le couple a trois enfants. Elle est née il y a cinquante-cinq ans dans un sycomore sur lequel sa mère, enceinte jusqu'au cou, s'était installée. Cette originalité valut à la petite fille les prédictions les plus farfelues. Comme sa mère avant elle, Odette discute avec les défunts, mais elle n'en parle à personne, on la prendrait pour une folle.

Clarice fut le premier bébé noir à naître au University Hospital et fit la une des journaux jusqu'à Los Angeles. Jeune fille, brillante pianiste, malgré les avertissements de tous, elle épousa Richmond, alcoolique et coureur de jupons, qui lui fit quatre enfants et enterra sa carrière artistique. Trois décennies plus tard, solidaires, ses amies lui pardonnent son caractère bougon, curseur de l'ambiance conjugale.

Barbara Jean, la plus jolie des trois, est celle que la vie a le moins épargnée. Fille de prostituée, elle a grandi sous les regards lubriques des clients de sa mère. Son mari, un paysagiste fortuné, de vingt ans son aîné, lui a apporté une forme de revanche sociale et matérielle, mais Lester a toujours été de santé fragile. En 1977, le destin leur arracha un petit ange, leur fils unique, Adam. La douleur ne s'est jamais estompée pour Barbara Jean. Seul Big Earl, et ce depuis qu'elle était enfant, était capable d'adoucir ses peines d'un gentil compliment, d'un clin d'oeil complice ou d'un sourire chaleureux. Big Earl, et Les Suprêmes, ses fidèles amies...

Mon avis :

Elles ne militent pas, ne manifestent pas, ne revendiquent pas, mais ce sont des battantes. Leur féminisme, elles le vivent au quotidien, en faisant face courageusement, silencieusement, aux aléas qui jalonnent l'existence, jour après jour, année après année. Leur force, elles la puisent dans leur amitié indéfectible.

Quinquagénaires, leur corps ne manque pas de leur rappeler qu'elles sont à l'automne de leur vie, mais c'est une nouvelle histoire qui commence, et certainement pas une fin. Cependant, c'est peut-être le temps des bilans et de quelques regrets.

Entre instants présents et souvenirs de jeunesse dans l'Amérique des Sixties en pleins bouleversements, ces trois amies afro-américaines, tour à tour, nous font rire aux éclats ou nous émeuvent aux larmes.

Un roman choral enchanteur teinté de nostalgie et de mélancolie ! Coup de coeur !!!

"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage" de Maya Angelou (Livre de Poche)

Maya Angelou (de son vrai nom Marguerite Johnson), née en 1928 à Saint-Louis (Missouri) et morte en 2014 à Winston-Salem (Caroline du Nord), est une écrivaine afro-américaine et une importante représentante du Mouvement pour les droits civiques. Elle débute comme chanteuse et danseuse. Plus tard, elle adhère au Mouvement pour les droits civiques et côtoie notamment Martin Luther King, Malcolm X et James Baldwin. A partir de 1969, elle commence à publier ses premiers ouvrages, des récits autobiographiques : "Je sais pourquoi l'oiseau chante en cage", 1969 ; "Tant que je serai noire", 1981 ; des recueils de poésie, des essais ou des livres pour les enfants. Ses livres sont étudiés dans les écoles aux Etats-Unis.


"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage" libère le lecteur, simplement parce que Maya Angelou met en scène sa vie avec une maîtrise émouvante et une lumineuse dignité. Les mots me manquent pour décrire un tel exploit, mais je sais que jamais depuis les jours lointains de mon enfance, lorsque les personnages de roman étaient plus réels que les gens que je voyais tous les jours, je ne me suis senti à ce point ému.
James Baldwin


L'histoire :

A la séparation de leurs parents, Marguerite, trois ans, et son frère Bailey, quatre ans, quittent la Californie pour la petite ville de Stamps, dans l'Arkansas. Ils sont désormais confiés aux bons soins de Momma, leur grand-mère paternelle, et de leur oncle infirme, Willie.

Fait remarquable pour l'époque dans le Sud des Etats-Unis, Momma, personne valeureuse et respectée, est une des rares femmes noires à posséder son propre magasin, sorte de bazar où l'on peut - presque - tout acheter. Les conditions de vie sont modestes, mais les enfants ne manquent de rien. L'éducation de leur grand-mère, appuyée sur la religion, est stricte mais juste.

Marguerite, que son frère appelle toujours Maï, et Bailey, vifs et curieux de tout, apprennent vite à lire et les romans tiennent une place importante dans leur quotidien et dans leurs jeux.

Malheureusement, cinq ans plus tard, les portes du bonheur et de l'insouciance vont brutalement se refermer lorsque les parents décideront de reprendre leurs enfants et de les ramener à Saint-Louis, dans le Missouri...


"Nous étions des femmes et des hommes à tout faire, des servantes ou des lavandières, et aspirer à quoi que ce fût de plus ambitieux était de notre part grotesque et présomptueux."
Maya Angelou
"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage"

Mon avis :

Un récit autobiographique extraordinaire et poignant ! Maya Angelou évoque la première partie de sa vie, jusqu'à ses dix-sept ans et la naissance de son fils Guy. L'écriture est magnifique, simple, posée, presque douce, mais la colère qu'elle libère nous lacère le coeur jusqu'au sang. Le mot "résignation" ne fait assurément pas partie du vocabulaire de cette femme de lettres exceptionnelle, courageuse, assoiffée de justice, infatigable militante qui a prêté sa voix aux femmes et aux minorités à travers le monde jusqu'à son dernier souffle.

Un livre à proposer et à conseiller sans hésitation à tous, et aux adolescents en particulier...