vendredi 12 août 2016

Prochaines présentations : fin septembre 2016





"Littérature de l'Intime"

Voyage en "Country Noir"


Le "Country Noir" est une expression américaine que la langue française traduit de plusieurs manières : "polar rural", "polar campagnard", "polar champêtre". En réalité, aucune de ces formulations ne semble vraiment convenir.

Le "Country Noir" dénonce l'Amérique provinciale et ses hypocrisies. Il se confond souvent avec le "Nature Writing", qui remonte à Henry David Thoreau et qui mêle observation de la nature, écologie, considérations autobiographiques et exploration de l'âme humaine. Nombreux auteurs, comme Jim Harrison, David Vann ou d'autres, se retrouvent d'ailleurs inscrits dans les deux genres.

Contrairement à ce que l'on peut imaginer, ce n'est pas un genre nouveau. Il naît dans les années 1930 avec William Faulkner, premier romancier du Sud, à travers les douze romans qu'il consacre à un lieu imaginaire, le comté de Yoknapatawpha au Mississippi, et dans lesquels il est en quête de l'identité culturelle de l'Amérique.

Dans les années 1950, les écrivains du Sud cherchent le salut d'une terre maudite. Carson McCullers dépeint la solitude des innocents, seuls capables de lucidité ("La Ballade du café triste", nouvelles, 1951). Flannery O'Connor adopte une perspective rédemptrice et dénonce la tiédeur et l'aveuglement des bien-pensants face à la misère du monde ("Les braves gens ne courent pas les rues", nouvelles, 1955). Eudora Welty se passionne pour le rôle de la mémoire ("La fille de l'optimiste", Prix Pulitzer 1973).


Le genre se poursuit dans les années 1990 avec Cormac McCarthy ("De si jolis chevaux", 1992). Mais on découvre le terme pour la première fois dans le titre même d'un roman de Daniel Woodrell. L'auteur accole à son roman "Give us a kiss" ("Faites-nous la bise") le sous-titre "a country noir" pour souligner la violence de l'intrigue sur fond d'Amérique profonde. L'expression sera ensuite reprise par la critique pour désigner tous les romans (et pas seulement les romans policiers) se déroulant en milieu rural, dans une atmosphère angoissante et brutale.

Dans sa formule célèbre, André Malraux a dit que l'écriture de Faulkner permettait "l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier". De fait, les particularités des romans "Country Noir" (leur structure tragique, un milieu reculé, l'isolement, la marginalité, la loi du silence, les problématiques familiales, les liens étroits entre les personnages, la contradiction entre la beauté de la nature et la laideur de l'âme humaine) mettent souvent en échec l'enquête.

Terrorisme, crise économique, financière et immobilière sans précédent, élection du premier président Noir, prises de conscience écologiques... les écrivains américains tentent de comprendre ce début du XXIème siècle avec ses tragédies et ses espoirs. De nouvelles voix s'élèvent, venues de Californie, du Sud profond ou des montagnes rocheuses. La littérature américaine s'épanouit, avec la découverte de terres, réinventées dans les romans. Le Nord-Michigan de Jim Harrison ("Nord-Michigan"), le Sud de Brad Watson ("Le paradis perdu de Mercury"), les Grandes Plaines de Dan O'Brien ("Wild Idea"), l'Alaska de David Vann ("Sukkwan Island").

Héritage du western, le "Country Noir" donne la parole aux laissés-pour-compte des territoires ruraux, au milieu d'une nature "préservée" ou en friche.

Le succès de ce genre littéraire se répercute également en Europe, depuis quelques années déjà, dans les pays scandinaves (l'Islande d'Indridason ; la Scanie, province de Suède, de Mankell), en Ecosse (les romans "Tartan Noir" de Val McDermid, la tétralogie des "Shetland" d'Ann Cleeves), en Grande-Bretagne (la lande du Northumberland d'Ann Cleeves) et en France où certains désignent Fred Vargas comme ayant posé les premières pierres du genre avec son roman "L'armée furieuse" (Viviane Hamy, 2011) dont l'intrigue se passe dans un petit village normand. Plus récemment, on a pu découvrir Sandrine Collette, qui aime situer ses romans dans un univers rural ("Il reste la poussière", Denoël) ; et Benoît Minville, dont le roman "Rural noir" (Gallimard) oscille entre le polar de terroir français et le "redneck*" américain.

*(redneck = rustre, péquenaud)



Craig Johnson

Craig Johnson est un écrivain américain né en 1961. Il vit à Ucross, à quelques miles de Buffalo, dans le Wyoming, état le moins peuplé des Etats-Unis, avec son épouse, Judy, leurs chevaux, leurs chiens et leurs chats. Comme son héros, il a construit lui-même son ranch. Il y travaille depuis l'âge de vingt ans.
La nature à perte de vue, il contemple les collines et au loin les Big Horn Mountains. Autour de bons whiskys et bourbons, Craig Johnson adore discuter avec ses amis shérifs et Indiens qu'il connaît depuis longtemps. Il aime cette nation indienne, apprécie ses traditions, et entend les inquiétudes de ces femmes et de ces hommes appartenant aux réserves des Crows et des Cheyennes.
Grand lecteur, son maître est Tony Hillerman et ses modèles sont Steinbeck, Faulkner, Dickens et Hugo. Il avoue s'être inspiré du persnnage de Jean Valjean pour façonner son héros, le shérif Walt Longmire, large carrure, fort, juste, courageux, et meilleur ami de l'Indien Henry Ours Debout.
Dans son oeuvre, Craig Johnson mêle relations familiales, intrigues policières, sociologie, place des Indiens dans l'Amérique contemporaine, respect de la nature et humour. Adaptées à la télévision, les histoires du shérif Longmire (quatre saisons pour l'instant) rencontrent un très beau succès. Mais même s'il participe parfois aux scénarios, Craig Johnson préfère garder ses distances pour se consacrer en toute liberté à l'écriture de ses romans. Toutefois, il accueille chez lui, une fois pas an, l'équipe du tournage et l'acteur principal, Robert Taylor, pour un barbecue.

Quelques mots sur le personnage principal :
Walter Longmire et son épouse Martha, natifs et amoureux du Wyoming, ont acheté un terrain et un ranch "en kit" face aux Big Horn Mountains. Lorsque les lieux sont enfin habitables, Martha meurt des suites d'un cancer. Walt reste seul avec leur fille Cady, aujourd'hui avocate à Philadelphie. Shérif du comté d'Absaroka (comté fictif) depuis vingt-cinq ans, ancien Marine, il est passé par le Vietnam avec son ami d'enfance, l'Indien Cheyenne Henry Ours Debout, aujourd'hui propriétaire du bar de la ville, le "Red Pony". Walt Longmire, fidèle en amitié, respectueux des droits, de la justice, et contre toute forme de violence, est un colosse au charme irrésistible, doté de beaucoup d'humour, de délicatesse et de touchantes maladresses. Sa nouvelle adjointe, la belle Victoria Moretti, au caractère pourtant bien trempé, ne peut rien lui refuser. Particulièrement entêté, seule Ruby, la réceptionniste du bureau, en poste depuis plus longtemps que lui, peut parfois le raisonner. Parfois...

Tous les romans de Craig Johnson sont publiés aux Editions Gallmeister.

"Little Bird"
La jeune Cheyenne Melissa Little Bird, déficiente mentale, a été violée et martyrisée par quatre adolescents, élèves au même lycée qu'elle. Melissa est la nièce de Henry Ours Debout, le meilleur ami du shérif Longmire qui, ému et horrifié par ce crime, en fait une affaire personnelle et met tout en oeuvre pour arrêter les coupables. Mais lorsque ceux-ci n'écopent que d'une courte peine de prison avec sursis à la suite d'un procès bâclé, le shérif et la famille de la victime se sentent bafoués. Deux ans plus tard, le corps d'un des agresseurs, Cody Pritchard, est découvert dans la plaine, vers les pâturages d'hiver. La carabine d'un modèle rare utilisée pour l'abattre et la plume placée avec soin sur le cadavre excluent l'accident de chasse. La mise en scène macabre ressemble beaucoup à une vengeance communautaire. Pour Walt Longmire, proche des Indiens et respectueux de leur culture, l'enquête s'annonce affectivement douloureuse...

"Le camp des morts"
Il y a quelques années, le shérif Walter Longmire perdait Martha, sa compagne et son amour d'enfance, emportée par un cancer. Il a élevé seul leur fille Cady, aujourd'hui avocate à Philadelphie. Il y a quelques semaines, Vonnie Hayes, première femme après Martha pour qui il ressentait plus que de l'amitié, s'est donné la mort. Alors, lorsque Lucian Connally, son ami et ancien shérif de la ville, lui apprend que la personne, comme lui résidente du Foyer des Personnes dépendantes, décédée ce soir, était son épouse, et lorsque Connally dénonce avec force un assassinat, Longmire est le plus à même de comprendre le chagrin du vieil homme et d'écouter patiemment l'histoire de son idylle secrète commencée cinquante ans auparavant avec Mari Baroja, une jeune Basque très belle...

"L'Indien Blanc"
Henry Ours Debout est invité à exposer sa collection de photographies mennonites* et à donner une conférence à Philadelphie. Le shérif Walter Longmire profite du voyage de son meilleur ami pour rendre visite à sa fille, avocate dans cette grande métropole. Chaussé de ses bottes de cow-boy, coiffé de son inséparable chapeau, son chien sans laisse à ses côtés, il fulmine quand on l'appelle "le Texan". Cady était vraiment la seule capable de l'entraîner ainsi "en ville" où il étouffe ! Ce soir, tous deux vont dîner avec Lena Moretti, la mère de son adjointe Victoria. Walt ne l'a encore jamais rencontrée et n'est pas très à l'aise. Et voilà que Cady lui annonce qu'elle ne pourra pas se joindre à eux à cause d'un dossier urgent à terminer ! Réticent, le shérif se dirige vers le lieu de rendez-vous, un restaurant italien. Finalement, Lena Moretti s'avère être de très charmante compagnie. Elle est belle, spontanée, drôle, partage les mêmes sensibilités que lui, et la soirée se déroule au mieux. C'est alors qu'Anthony Moretti, un des fils de Lena, lui aussi officier de police, apporte une très mauvaise nouvelle. Cady vient d'être victime d'un grave accident. Elle a été transportée à l'hôpital, dans le coma. Son petit-ami, Devon Conliffe, avocat comme elle, dont Walt devait faire la connaissance le lendemain, semble être impliqué dans la chute de la jeune femme...

Mennonites : Groupe chrétien issu de la Réforme qui, considérant le baptême des enfants comme nul à cause de l'absence de tout acte personnel de foi, rebaptise les adultes. Les mennonites refusent également de prêter serment et d'effectuer un service militaire. Leur doctrine vise à restituer l'Eglise des apôtres en organisant des communautés de "purs" autour de règles de vie totalement conformes aux commandements du Christ. Ecartant toute emprise des autorités politiques et religieuses, ces communautés vivent séparées du monde.

Mon avis :
Des romans qui font un bien fou ! Apaisantes, relaxantes, drôles, légères, de belles balades dans des paysages grandioses... si les histoires de Craig Johnson sont tout ceci à la fois, elles n'en sont pas pour autant superficielles. Par l'intermédiaire de ses deux héros, le shérif Longmire et l'Indien Henry Ours Debout, l'auteur évoque les traumatismes de la guerre du Vietnam et ne cache pas son opinion sur la façon dont est traitée la communauté indienne. Les réserves, exclues du monde des Blancs par leur autonomie (administrations, écoles...), sont des formes de ghettos. Chômage, pauvreté, suicides, alcoolisme, drogue, jeux, prostitution, violence, racisme, entraînent la perte de repères culturels et l'illusion que ressembler aux Blancs est pour les Indiens le salut vers leur liberté... ou leur vengeance.
Chaque enquête n'est pas l'oeuvre d'un seul homme, ni d'un "super-héros", ni d'un flic dépressif alcoolique. Longmire, aux allures d'un Athos des "Trois Mousquetaires" de Dumas, ou d'un Jean Valjean des "Misérables" d'Hugo (références citées par Craig Johnson), est "normal", sympathique, compétent, et il aime la littérature. Humain, il a aussi quelques vilains défauts, il se trompe parfois, et sans son équipe et les atouts de chacun, rien ne serait possible.

Lectures parfaites pour les vacances... et plus encore !!!

"La colline des potences" de Dorothy M. Johnson (Gallmeister) - Nouvelles

Dorothy Marie Johnson est née en 1905 dans l'Iowa et a passé son enfance dans la petite ville de Whitefish, dans le Montana. Après ses études, elle s'installe à New York et travaille quinze ans comme rédactrice dans des magazines féminins tout en publiant ses premières nouvelles. Peu après la Seconde Guerre mondiale, elle retourne vivre dans le Montana où elle enseignera à l'école de journalisme de l'Université de Missoula. En 1959, elle est faite membre honoraire de la tribu Blackfoot. Elle meurt en 1984.

Elle est l'auteur de nombreuses nouvelles, dont plusieurs seront adaptées au cinéma, comme :
  • "La colline des potences" (1959), réalisé par Delmer Daves, avec Gary Cooper et Maria Schell
  • "L'homme qui tua Liberty Valance" (1962), réalisé par John Ford, avec James Stewart et Vera Miles
  • "Un homme nommé Cheval" (1970), réalisé par Elliot Silverstein, avec Richard Harris

Ce recueil est présenté pour la première fois dans son intégralité, trois nouvelles étant jusqu'à présent restées inédites en français.

Il était une fois dans l'Ouest américain...

"Une soeur disparue" :
Une petite fille Blanche, âgée de six ans, a été enlevée par les Indiens. Quarante ans plus tard, elle est libérée par l'armée américaine. Ses soeurs, nées après sa disparition, préparent son retour à la maison...

"Une dernière fanfaronnade" :
La ballade des pendus...

"Au réveil j'étais un hors-la-loi" :
Willie Jackson est un jeune cow-boy gentil, fauché et très naïf, toujours embarqué dans de sales histoires à son insu. La chance tournera-t-elle un jour en sa faveur ?

"L'homme qui connaissait le Buckskin Kid" :
Qu'est devenu Buckskin Kid, l'un des plus célèbres bandits de l'Ouest, disparu sans laisser de trace il y a un demi-siècle ? Tous les hommes d'un certain âge se vantent de l'avoir connu. Tous, sauf John Rossum...

"Un présent sur la piste" :
Un homme nommé Caleb, ensanglanté et sans connaissance, est découvert dans un champ par deux frères. Accueilli et soigné par la famille des jeunes garçons, Caleb se remet lentement de ses blessures. Et de vagues souvenirs de ces lieux et de ces gens, qu'il croyait ne pas connaître, lui reviennent...

"Une époque de grandeur" :
L'été de ses dix ans, Buck fut engagé par la fille de Cal Crawford pour veiller sur son père âgé, aveugle, à l'esprit affaibli. La plupart des gens la surnommaient "Face de singe" car elle était à moitié indienne par sa mère. D'abord humilié d'être au service de la "sauvage", Buck va vivre un été inoubliable et fondateur...

"Journal d'aventure" :
Observateur dans des camps de chercheurs d'or, puis dans un village Crow, attaqué par des Cheyennes, blessé, la jambe cassée, Edward Morgan se réfugie dans une grotte et se prépare à mourir. Il écrit son testament...

"L'histoire de Charley" :
Charity est décédée. Sa belle-fille, Leona, accepte de se charger de la nécrologie pour les obsèques. Mais elle réalise très vite qu'elle ignore beaucoup de choses de la vie de sa belle-mère. Aussi demande-t-elle de l'aide à Duke, le mystérieux second mari de Charity...

"Une squaw traditionnelle" :
Aujourd'hui, la nouvelle route de High Valley est inaugurée à grands renforts de fanfares et de parades. Lorsque les Indiens défilent, dignes sur leurs magnifiques montures et dans leurs tenues traditionnelles, Miss Bunny croit reconnaître, en tête du cortège, Mary Waters, une Squaw avec qui elle a grandi il y a bien des années de cela...

"La colline des potences" :
La petite ville de Skull Creek n'est pas une ville comme les autres. C'est un camp de chercheurs d'or. Bons, brutes, doux, dingues, rêveurs, voleurs, courageux, paresseux, religieux, filles de joie... Tous sont réunis dans un même fol espoir : trouver le filon et devenir millionnaires. Lorsque la jeune et délicate Elizabeth, blessée, est recueillie à Skull Creek après l'assassinat de son père dans l'attaque de leur diligence, le fragile équilibre de la ville vacille dangereusement et le destin de chaque personnage s'en trouve bouleversé...

Mon avis :
Plaines arides à perte de vue, cow-boys et Indiens, shérifs et hors-la-loi légendaires, vols de bétail et attaques de banques, hommes d'honneur et femmes puissantes... Ces dix aventures humaines nous content l'histoire d'une époque âpre et mythique, celle de l'Ouest américain. Sous la plume pure et libre de Dorothy M. Johnson, ces dix westerns nous prennent aux tripes. Une grande femme de lettres américaine que l'on redécouvre avec un véritable bonheur !


"Les Pieds dans la boue" d'Annie Proulx (Grasset) - Nouvelles

Annie Proulx est née en 1935 dans le Connecticut. Pour son premier roman, "Cartes postales" en 1992, elle reçoit le PEN/Faulkner Award, et l'année suivante, avec "Noeuds et dénouements", elle obtient le prestigieux Prix Pulitzer et le National Book Award. Suivront "Les crimes de l'accordéon" (Grasset, 2004), "Un as dans la manche" (Grasset, 2005), et la nouvelle "Brokeback Mountain" (Grasset, 2006), qui a inspiré le célèbre film d'Ang Lee. Considérée comme l'un des plus grands écrivains américains, Annie Proulx vit aujourd'hui dans la Wyoming.

"Les pieds dans la boue" :
Diamond Felts, plus petit que la moyenne, a toujours été moqué par tout le monde, y compris par sa mère. Et puis un jour, par hasard, il découvre le rodéo, se passionne, et entre à l'école de bullriding en Californie...

"Le bouvillon à moitié dépouillé" :
Il y a bien des années de cela, Miro a fui la ville de Cheyenne, son père, le ranch de son père, et Rollo, son frère. La vie de paysan, ce n'était pas pour lui. Il a maintenant quatre-vingts ans et habite une belle maison coloniale dans le Massachusetts. Un matin, il reçoit un appel téléphonique d'une femme, Louise. Elle lui annonce la mort de Rollo et lui demande de venir assister aux obsèques, dans le Wyoming...

"Le pur-sang bai" :
La rencontre, dans le Wyoming, au coeur du terrible hiver 1886-1887, de trois marqueurs de vaches du coin et d'un jeune cow-boy du Montana...

"Une goutte d'eau en enfer" :
Extrait : "Une terre indifférente et dangereuse : dans cette masse statique les tragédies humaines comptent peu, bien qu'apparaissent partout les signes du malheur. Pas un seul massacre du temps passé, pas un acte de cruauté, aucun des accidents et meurtres qui surviennent dans les petits ranches, aux carrefours isolés avec leurs trois-quatre habitations, ou dans les mauvais camps de caravanes aux abords des villes minières, il n'est rien qui retarde le flot de la lumière matinale. Clôtures, bétail, routes, raffineries, mines, carrières, feux de circulation, graffitis célébrant une victoire sportive sur un pont d'autoroute, plaque de sang séché sur la plate-forme de chargement d'un supermarché, couronnes défraîchies de fleurs en plastique signalant les morts survenues sur l'autoroute, tout est éphémère. D'autres cultures se sont installées là pendant un temps et ont disparu. Seuls comptent la terre et le ciel. Le flot sans cesse répété de la lumière du matin. Vous comprenez alors que Dieu ne nous doit pas grand-chose d'autre."

"L'orée herbeuse du monde" :
Quel avenir peut espérer une adolescente obèse, perdue au fin fond du Wyoming, à part discuter en cachette avec les tracteurs du ranch familial ?

"Une paire d'éperons" :
Le Wyoming ne fait pas exception. Il est lui aussi victime de la mode du tofu et des légumes verts. Mais une poignée d'irréductibles ranchers a décidé de passer à l'action et de placarder partout des affiches "Mangez du boeuf !"...

"Une vie de travail" :
Extrait : "Leeland Lee est né dans la maison familiale de Cora, dans le Wyoming, le 17 novembre 1947, le dernier de six enfants. Dans les années 50, ses parents s'installent à Unique, quand sa mère hérite d'un ranch grand comme un mouchoir de poche. Le ranch est situé à quelques miles de la ville. Ils élèvent des moutons, quelques poules et des cochons. Le père est colérique et, dès qu'ils le peuvent, les plus âgés se tirent."

"Une côte désolée" :
La vie de Josanna Skiles va basculer en un claquement de doigts, entraînant d'autres pauvres âmes avec elle, sans que personne n'y comprenne rien...

"Cinquante-cinq miles jusqu'à la prochaine pompe" :
La macabre solitude de Croom le Rancher...

"Les gouverneurs du Wyoming" :
Extrait : "Le bref orage avait pris fin, les rues étaient mouillées, des tranches de bleu vif rayaient le ciel moutonné. Elles attendaient dans le pick-up. Roany s'était garée près du kiosque à journaux, à l'arrêt du car de Denver. Quelques dernières gouttes d'eau tombèrent, dures comme des dés. A cinq heures trente-cinq le bus s'arrêta, puant, avec un soupir."

"Brokeback Mountain" :
L'histoire d'un amour impossible entre deux jeunes cow-boys qui commença en l'été 1963 à Brokeback Mountain...

Mon avis
Chaque nouvelle est un tableau aux couleurs flamboyantes et ardentes sur lequel Annie Proulx s'attarde. Elle souligne avec la plus grande minutie tous les détails, même les plus infimes. Elle démasque ses personnages, dévoile leur extrême solitude, révèle leur complexité, dénude leur âme. Dans cette ruralité brutale, où les sentiments sont aveu de faiblesse, où l'on travaille dur, où les destins dépendent d'une terre aride, des caprices du ciel et des instincts primaires des hommes, tout être est, d'une manière ou d'une autre, un estropié de l'existence et doit se battre sans pitié pour trouver sa place.
Un recueil de nouvelles d'une puissance saisissante qui se conclut en apothéose avec l'émouvante et remarquable "Brokeback Mountain" !


"Un hiver de glace" de Daniel Woodrell (Rivages/Noir)

Daniel Woodrell, né en 1953 à Springfield, dans le Missouri, est un écrivain américain de romans policiers. En 1996, il accole à son roman "Give us a kiss" ("Faites-nous la bise") le sous-titre "a country noir" pour souligner la violence de l'intrigue sur fond d'Amérique profonde. L'expression sera ensuite reprise par la critique pour désigner tous les romans se déroulant en milieu rural, dans une atmosphère angoissante et brutale. Deux de ses romans ont été adaptés au cinéma : "Chevauchée avec le diable" (1999), réalisé par Ang Lee, avec Toby Maguire ; et "Winter's Bone" ("Un hiver de glace") (2010), réalisé par Debra Granik, avec Jennifer Lawrence et John Hawkes.

Aux Editions Rivages/Noir :
  • "Give us a kiss : a country noir"
  • "La fille aux cheveux rouge tomate"
  • "La mort du petit coeur"

L'histoire :
Le shérif-adjoint Baskin arrive chez les Dolly, une famille en grande difficulté, habitant une vieille baraque mal entretenue, perdue dans le froid polaire hivernal des monts Ozark, au sud du Missouri. Il rassure immédiatement l'aînée, Ree, sur la défensive. Il reconduit simplement ses petits frères en voiture car l'école est fermée et le car ne circule pas à cause de la neige. Pour les aider un peu, il apporte également une réserve de bois coupé. Jessup Dolly, le père, a été récemment libéré sous caution. Il fabriquait de la coke. Il doit passer au tribunal dans une semaine. S'il ne se présente pas, sa famille n'aura plus de toit puisqu'il a hypothéqué sa maison et ses hectares de bois pour payer sa caution. Or, Jessup a disparu. Il a sauté un jour dans sa voiture et a abandonné, sans argent, sans nourriture, sans bois coupé pour l'hiver, sa femme déficiente mentale et ses trois enfants de 16, 10 et 8 ans. C'est Ree qui assure comme elle peut la survie de tous. A présent, elle n'a plus le choix. Elle doit impérativement retrouver son père...

Mon avis :
Ce récit est celui d'un combat dangereux mené avec courage et obstination par une adolescente prête à tout affronter pour la survie de sa famille et préserver sa dignité. Dans une contrée isolée, reliée à la civilisation par des routes défoncées la plupart du temps impraticables, dans ce lieu propice aux trafics les plus glauques, pour la jeune fille, les épreuves vont se multiplier et de nombreux pièges se refermer sur elle. Rien ne lui sera épargné. L'histoire est cruelle, bleue de glace et d'ecchymoses, noire de boue et de crasse, rouge de colère et de sang. On s'accroche, pourtant, à l'espoir d'un peu de lumière et de chaleur. L'écriture de Daniel Woodrell est saisissante de réalisme et de poésie. Un livre coup-de-poing et coup de coeur !



"Winter's Bone" : Film américain de Debra Granik (2010) avec Jennifer Lawrence et John Hawkes - Prix du Jury au Festival du cinéma américain de Deauville en 2010 et quatre nominations aux Oscars.

"La demeure éternelle" de William Gay (Seuil)

William Gay est né en 1941 à Hohenwald, dans le Tennessee. Il combat au Vietnam, puis, en rentrant "au pays" en 1978, il retrouve le Tennessee et travaille comme couvreur et charpentier. Il publie ses deux premières nouvelles en 1998, à l'âge de cinquante-sept ans. Il est mort en 2012. "La demeure éternelle" (Seuil), son premier roman, a reçu le James A. Michener Memorial Prize, et son troisième roman, "La Mort au crépuscule" (Folio), le Grand Prix de littérature policière 2010.

L'histoire :
- Printemps 1933
A Mormon Springs, Tennessee, Nathan Winer, un peu charpentier, un peu agriculteur, mène une vie tranquille et sans histoires avec sa femme et son petit garçon de sept ans prénommé Nathan lui aussi. Son voisin, Thomas Hovington, gravement malade, s'est acoquiné avec un sale type, Dallas Hardin, qui, non seulement s'est installé chez lui, mais a fait main basse sur son trafic d'alcool et sur sa femme. Un jour, Winer trouve un alambic à whiskey sur ses terres. N'ayant aucune envie d'être mêlé à toutes ces combines, il s'en va dire deux mots à Hardin. Personne ne reverra plus Nathan Winer.
- 1943
Nathan Winer Jr a aujourd'hui dix-sept ans. Il travaille dur à la ferme du vieux Weiss. Contrairement à sa mère, jamais il n'a cru que son père les avait abandonnés dix ans auparavant...

Mon avis :
Une ville de campagne délaissée par la plupart de ses habitants partis chercher une vie meilleure dans les grandes métropoles. Des hommes manquant à l'appel, envoyés à la guerre au-delà de l'Atlantique. Des usines et des magasins fermés, fantomatiques avec leurs vitres cassées et leurs murs noircis, livrés à la vermine, aux chiens errants, aux vagabonds et aux transactions nauséabondes. Des quartiers abandonnés, des maisons vidées de leurs occupants, des terres en friche, de maigres récoltes, la faim, la crasse, la chaleur, l'humidité. Et dans cet univers poisseux, dirigé par un mafieux local violent, une poignée de taiseux tous détenteurs de secrets, dont William Gay nous conte la subsistance entre désillusion et instinct de survie. Une écriture sublimement douloureuse et crépusculaire. Un texte où les dialogues, débarrassés de ponctuations comme les guillemets ou les tirets, intensifient l'implacable férocité de la destinée de chaque personnage. Un roman d'une beauté et d'une poésie sinistres et ténébreuses !

Extrait :
"Dans cette lave en fusion qui l'emprisonnait, il pouvait observer les lentes machinations de l'éternité, le miracle cosmique de chaque seconde qui vient au monde, en forme d'oeuf, argentée, phallique, le temps qui se plante, étincelant, dans le fourreau usé et inutile de la microseconde précédente, puis qui hésite, car il commence à trahir la lente et infinitésimale progression de son propre déclin alors que s'égrène la vie dans un mécanisme encodé à l'instant de sa conception, et il s'atrophie, chassé par le prochain assaut orgasmique du temps, tout cela étant rythmé par le battement de quelque coeur galactique, par des voix, par les marmonnements d'un fou pris au piège dans la trame de l'univers."

"La foire aux serpents" de Harry Crews (Gallimard)

Harry Crews, romancier américain, est né en 1935 en Géorgie (Etats-Unis) et décédé en 2012 en Floride. Orphelin de père à deux ans, il est élevé à la dure dans une ferme par un beau-père alcoolique et violent qui fera de sa petite enfance un enfer raconté dans son autobiographie "Des mules et des hommes". Engagé à dix-sept ans dans les Marines, Harry Crews fait la guerre de Corée, commence à dévorer tous les ouvrages qui lui tombent sous la main, reprend des études puis plaque tout pour faire la route. Il fera de la prison, se fera tabasser par un Indien unijambiste, partagera un temps la vie des freaks et croisera des destins hors du commun qui peupleront ensuite ses romans. De retour en Floride, il abandonnera femme et enfant pour se retirer dans une cabane au bord d'un lac. C'est dans ce décor d'ascète, stimulé par la came et l'alcool, qu'il débutera comme écrivain. Son oeuvre, une vingtaine de livres tous situés dans le sud des Etats-Unis, a fait de lui, avec des titres comme "Body" ou "La malédiction du gitan", un auteur totalement atypique particulièrement attachant, souvent féroce avec les gens normaux et tendre avec les monstres : un auteur qui s'ingénie à prendre le contre-pied de l'apparente normalité des choses pour fustiger la bêtise, et qui s'est imposé, dans la plus grande discrétion, comme l'un des plus grands écrivains américains de romans noirs.

  • "Les portes de l'enfer" (Sonatine)
  • "Nu dans le jardin d'Eden" (Points)
  • "La malédiction du gitan" (Folio)
  • "Le Chanteur de Gospel" (Folio)

Il apparaît au cinéma dans le film de Sean Penn, "The Indian Runner" (1991), dans le rôle de M. Baker. Son roman "The Hawk is Dying" ("Le Faucon va mourir") a été adapté en 2006 sous le titre "Dressé pour vivre" par Julian Goldberger, avec Michelle Williams et Paul Giamatti.

L'histoire :
La petite ville de Mystic, en Géorgie, prépare activement la Fête des Serpents, manifestation locale qui attire chaque année de plus en plus de visiteurs, et parmi eux un certain nombre de cinglés. Quelques-uns viendront avec leurs animaux de compagnie enroulés autour de leur cou pour quelque concours ou rencontre entre aficionados. Il y aura des stands de produits divers liés aux reptiles et d'objets artisanaux fabriqués en peau de serpent. Des spectacles de danse acrobatique seront donnés par les pom-pom girls de l'équipe de football du lycée, les Crotales Fatals. Les majorettes arboreront fièrement un tee-shirt à l'effigie d'un serpent pailleté lové au creux de leurs seins. Les festivités se poursuivront avec l'élection de la Reine des Crotales. La bière coulera à flots, et après les combats de chiens, la journée se clôturera autour d'un serpent de papier géant transformé en feu de joie. Le lendemain, lorsque tout le monde sera bien dans l'ambiance, commencera la chasse aux serpents. Ceux-ci seront ensuite rassemblés dans une fosse, construite à cet effet au milieu du terrain de football. Des prix seront décernés en fonction de la taille, du poids, et de l'heure de capture des reptiles. Les gastronomes pourront les déguster plus tard lors du barbecue. De bien belles réjouissances, mais qui, pour les autochtones, ne veulent rien dire et ne changeront rien à leur quotidien maudit. Les miséreux seront toujours aussi crève-la-faim, les alcoolos aussi bourrés, les sadiques aussi cruels, les gros dégueulasses aussi répugnants, les paumés aussi minables. La vie sera toujours aussi reptilienne : onduleuse, sinueuse, sournoise, perfide...

Mon avis :
Ce roman formidable diffuse implacablement une atmosphère vénéneuse redoutable. C'est une tragédie pessimiste, amère, inéluctable, dans laquelle les serpents grouillent de partout et personne ne semble pouvoir échapper au poison de la fatalité et de la folie. Un énorme coup de coeur !!!