mercredi 31 mars 2021

Mars 2021 - "Littérature de l'Intime"

 

"La femme rompue" de Simone de Beauvoir (Folio)

Simone de Beauvoir est née en 1908 à Paris. Elle a suivi des études de lettres puis a passé le concours de l'agrégation de philosophie en 1929. Elle y est reçue deuxième, juste derrière Jean-Paul Sartre rencontré l'année précédente à la Sorbonne. Simone de Beauvoir enseigne quelques années puis se fait connaître en 1949 avec la publication de son essai féministe et existentialiste "Le Deuxième Sexe". Son oeuvre alterne ainsi essais, romans (dont "Les Mandarins" publié en 1954 et couronné par le Prix Goncourt), et récits autobiographiques (comme "Mémoires d'une jeune fille rangée" en 1958, "La force des choses" en 1963, "La cérémonie des adieux" en 1981). Elle participe également, aux côtés de Jean-Paul Sartre, à la création de la revue existentialiste Les temps modernes en 1945. Considérée par les mouvements féministes comme une pionnière de la libération de la femme, toute sa vie a été la démonstration que l'on peut être une femme et mener une existence indépendante et libre. Ainsi sa relation avec Jean-Paul Sartre en est l'illustration car si elle répond à "un amour nécessaire", elle n'y est pas réduite, Sartre comme Beauvoir prônaient en effet des "relations contingentes". Leur histoire légendaire a duré jusqu'à la mort de Sartre en 1980. Simone de Beauvoir décède six ans plus tard. Elle est enterrée dans la même tombe que son compagnon de route, dans le cimetière de Montparnasse.

Simone de Beauvoir fut sans doute l'une des femmes les plus influentes de son siècle. Son oeuvre, considérable, se déploie dans trois directions principales : une série de romans dont les meilleurs se situent au début de son parcours ; un vaste ensemble autobiographique commencé en 1958 et achevé, en même temps que son oeuvre même, en 1981 ; et plusieurs essais , enfin, d'où émerge "Le Deuxième Sexe". Depuis le succès de son premier roman, "L'invitée" (1943), elle n'a cessé, sa vie durant, d'occuper une place dans l'actualité et de susciter des controverses. Attaquée avec virulence, elle recueillit aussi l'admiration inconditionnelle d'autres lecteurs. Mais ses partisans furent à leur tour désorientés par l'épilogue amer de "La force des choses" (1963), comme par le ton nouveau qu'elle adopta dans ses dernières fictions. L'impact de ses différentes oeuvres s'est modifié : au cours de sa vie , l'autobiographe a fini par éclipser la romancière ; quant au rayonnement du "Deuxième Sexe", il n'a cessé de s'amplifier. Par ailleurs, alors que la critique française semble la bouder depuis les années 1980, les études anglo-américaines qui lui sont consacrées se développent, substituant à la perspective philosophique ou politique qui prévalait en France antérieurement, une approche surtout féministe de sa vie comme de son oeuvre.

(cf : France Culture, Encyclopédie Universalis)

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"La femme rompue", dernière oeuvre romanesque de Simone de Beauvoir (1967), est un recueil de trois nouvelles.

⇒ "L'âge de discrétion" :
Deux intellectuels sexagénaires (elle, professeure de lettres à la retraite et écrivaine ; lui, savant toujours en activité ; tous deux engagés et militants de gauche) confrontent leurs impressions divergentes sur leur vie professionnelle et conjugale. Ils se confient leurs peurs, leurs regrets, leurs espérances sur leur avenir, sur la retraite, sur la vieillesse. Est-ce que tout s'arrête à partir d'un certain âge ou est-ce l'opportunité d'un nouveau départ ? Comment accepte-t-on les signes du temps qui passe ? Peut-on poursuivre un travail intellectuel à tout âge ? Peut-on se renouveler ? Peut-on avoir encore des projets, des ambitions ?...

⇒ "Monologue" :
Une femme, que le destin n'a pas épargné, brisée de douleur, brisée de chagrin, hurle sa colère et sa détresse...

⇒  "La femme rompue" :
Monique tient son journal intime. Femme au foyer, mère de deux filles à présent adultes (Colette est mariée et Lucienne termine ses études aux Etats-Unis), elle est totalement dévouée à sa famille et à son époux, Maurice. Lorsque ce dernier lui avoue qu'il a une maîtresse, Monique accuse le coup, puis finit par accepter la situation plutôt que de perdre son mari. Encore une fois, elle fait preuve d'abnégation, se montre arrangeante. Mais malgré cela, Maurice continue de lui mentir. Ce manque d'honnêteté la blesse davantage que l'adultère. Non seulement elle en souffre, mais petit à petit, les amants sont en train de l'effacer, de gommer son image comme sur un croquis...

Mon avis :
Trois nouvelles sans concession sur la place des femmes dans une société capable d'envoyer bientôt des hommes sur la lune mais résolument patriarcale. Trois femmes, trois regards sur le couple, la parentalité, la vieillesse, et la liberté. Trois cas de figure qui font réagir. C'est cela, lire Simone de Beauvoir. On écoute, on s'imprègne, on réfléchit, on se fâche, on débat, on échange, on s'affirme, on avance, on grandit...

mercredi 24 mars 2021

"Le journal secret d'Amy Wingate" de Willa Marsh (J'ai lu)

Willa Marsh (pseudonyme de Marcia Willett) est née en 1945 en Angleterre dans le Somerset. Elle a commencé à écrire vers l'âge de cinquante ans et est l'auteure d'une vingtaine de romans, dont "Meurtres entre soeurs" et "Meurtres au manoir", également paru aux Editions J'ai Lu.

L'histoire :

Lorsqu'elle hérita de son oncle sa petite maison victorienne au bord de l'océan, Amy Wingate s'empressa de quitter l'enseignement pour profiter de son nouveau refuge plein de souvenirs heureux d'enfance et de vacances passées sur la côte.

La cinquantaine et quelques poussières, retraitée, de condition modeste, célibataire, seule, sans enfant, Amy remplit toutes les cases du stéréotype parfait de la "vierge ménopausée nigaude sans relation sociale". Les préjugés sont tenaces ! Parmi les bonnes âmes persuadées d'accomplir un acte charitable en invitant "la vieille fille" à déjeuner le dimanche, il y a Francesca.

La trentaine, riche, mère au foyer, des jambes magnifiques, un mari charmant, quatre enfants splendides, un ancien presbytère pour demeure, Francesca ne sait rien de la vie professionnelle et sentimentale d'Amy, mais elle la traite avec pitié et condescendance.

Si Amy a fait preuve de retenue et de politesse jusqu'ici, la moutarde commence sérieusement à lui monter au nez. Sa colère gronde chaque jour un peu plus. Avant de commettre une indélicatesse irréparable, elle demande l'avis de son amie et médecin, Marion. Cette dernière, après s'être moquée d'elle avec gentillesse, lui conseille de tenir un journal intime...

" - Une de mes amies a abordé la ménopause une bouteille dans chaque main, m'a-t-elle dit, m'invitant à en rire avec elle. Ce n'est pas une si mauvaise idée, tu sais. Il ne faut pas broyer du noir. C'est le plus important. Il faut sortir, voir du monde. Tiens-tu un journal ? [...] C'est une simple suggestion. Prends note de ce qui t'irrite, analyse tes émotions, et ainsi de suite.
        [...] Je me dis que je vais écrire comme cela vient, de manière naturelle."

Mon avis :
Contrairement aux idées reçues, il n'est pas si simple d'écrire son journal intime. Willa Marsh le raconte avec beaucoup de justesse et de sincérité. Elle décrit le soin avec lequel tout diariste choisit son matériel et son environnement. Il y a plusieurs raisons de vouloir tenir un journal. Ce peut être une forme de thérapie, une libération salutaire du déni, du refoulement de certains souvenirs, comprendre certains événements, un exercice d'introspection. Ce peut être tout simplement vouloir mettre des mots sur des émotions, des sensations, des pensées, des sentiments. Un roman tendre et intelligent, bourré d'humour, délicieux comme toutes les meilleures comédies dramatiques britanniques ! Coup de 💗 !!!

mercredi 17 mars 2021

"Carol" de Patricia Highsmith (Livre de Poche)

Patricia Highsmith est une romancière américaine (Fort Worth, Texas, 1921 - Locarno, Suisse, 1995)

Après un premier roman, "L'inconnu du Nord-Express" (1950), elle publie la série des Ripley ("Monsieur Ripley", 1955 ; "Sur les pas de Ripley", 1979) où elle démonte les mécanismes de la vie quotidienne. Le récit policier se centre sur le coupable, objet mouvant d'une étude psychologique, dans un style qui associe des origines classiques (Tchekhov, Tennessee Williams) à l'horreur la plus crue ("Le Journal d'Edith", 1977 ; "Le jardin des disparus", 1982) et où la limite entre animalité et humanité est indécise ("L'amateur d'escargots", 1975 ; "Le rat de Venise", 1977 ; "Les sirènes du golf", 1984). Son dernier roman, "Petit G" (1995), est publié après sa mort.

De très nombreuses adaptations cinématographiques, les plus fameuses étant "L'inconnu du Nord-Express" d'Alfred Hitchcock (1951), "Plein Soleil" de René Clément (1960) et "L'ami américain" de Wim Wenders (1977), ont contribué à populariser l'univers de Patricia Highsmith. Un univers qui, s'il s'appuie sur les formes et les conventions du roman policier, sait aussi en jouer à merveille pour distendre au maximum le temps de la narration, et introduire le lecteur dans un univers équivoque où le dédoublement est la loi. Si elle a connu le succès avec "L'inconnu du Nord-Express" et la série des Ripley, Patricia Highsmith, "poète de l'angoisse plus que de la peur" (Graham Greene), est aussi l'auteure d'une oeuvre plus secrète, qui culmine avec "Le Journal d'Edith".

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"Carol" ("The Price of Salt" ou "Carol", dans l'édition originale américaine), est un roman lesbien de Patricia Highsmith, d'abord publié sous le pseudonyme de Claire Morgan en 1952 dans une première version censurée. La version intégrale du texte, titrée "The Price of Salt", paraît au Royaume-Uni, sous le pseudonyme, puis sous la signature Patricia Highsmith.

Le roman est inspiré par une rencontre entre Patricia Highsmith et Mrs E.R. Senn (Kathleen Wiggins Senn). Son roman "L'inconnu du Nord-Express" ne devait paraître qu'en 1949. En cette fin d'année 1948, un peu déprimée et à court d'argent, Patricia Highsmith fut engagée comme vendeuse au rayon des jouets, chargée des poupées, au Bloomingdale's de Manhattan pour la période des fêtes. Un vendredi matin, une femme blonde, mystérieuse, en manteau de fourrure, vint acheter une poupée. Pour la livraison, la jeune vendeuse prit le nom et l'adresse de la troublante cliente. Ce soir-là, Patricia Highsmith écrivit un plan de huit pages. Au cours du week-end, elle se sentit fiévreuse et ne put reprendre le travail le lundi. Elle avait attrapé la varicelle.

"Un petit enfant au nez renifleur avait dû me passer le microbe, mais il m'avait aussi, d'une certaine manière, inoculé le germe d'un livre : la fièvre stimule l'imagination."

Elle développa l'histoire quelques semaines plus tard et l'acheva en 1951. Elle ira jusque chez Mrs Senn sans oser la rencontrer. Mrs Senn, dépressive, se suicida au monoxyde de carbone avant la publication du livre.

En France, le roman est d'abord traduit par Emmanuèle de Lesseps en 1985, reprenant pour l'auteure de l'oeuvre originale en anglais le pseudonyme de Claire Morgan et le titre "Les eaux dérobées", puis sous son titre actuel et le nom de Patricia Highsmith à partir de 1990 et pour toutes les éditions ultérieures. 

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En 2015, "Carol", film britannico-américain réalisé par Todd Haynes, est l'adaptation du roman éponyme de Patricia Highsmith, avec Cate Blanchett dans le rôle-titre, Rooney Mara (récompensée par le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes de 2015), Sarah Paulson et Kyle Chandler. L'histoire se déroule en 1952 et 1953 à New York. Le film fait écho au film "Loin du paradis", où le même réalisateur, homosexuel affiché, filmait une histoire d'amour interdite dans l'Amérique des années 1950.

Au New York Critics Circle Awards de 2015, "Carol" reçoit les Prix du Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario, Meilleure photographie. Il a été bien reçu par les groupes de cinéphiles LGBT : un sondage organisé en mars 2016 par le Festival londonien du film Gay et Lesbien le sacre en effet "Meilleur film LGBT de tous les temps", devant "La vie d'Adèle" et "Le secret de Brokeback Mountain". Par ailleurs, lors du Festival de Cannes 2015, le film a reçu la Queer Palm.

L'histoire :

Therese est une décoratrice de théâtre new-yorkaise de dix-neuf ans, trop jeune encore pour avoir une expérience professionnelle. Elle attend la confirmation de son premier contrat pour l'année prochaine auprès d'une petite compagnie de Greenwich Village, dirigée par Phil McElroy, une connaissance de Richard. En attendant, à l'approche de Noël et à court d'argent, elle répond à une annonce et est engagée comme vendeuse au rayon des jouets du grand magasin Frankenberg, à Manhattan, pour la période des fêtes.

Therese et Richard sont amis d'enfance et se fréquentent depuis dix mois. C'était le cours des choses mais il n'y a guère de passion amoureuse ni d'un côté ni de l'autre. Pour la jeune femme, cette relation est loin d'être une évidence mais elle ne parvient pas à s'expliquer la raison de cette mise à distance de ses sentiments. Sa confusion ne fait que croître davantage lorsque, ce matin-là au magasin, elle croise le regard gris d'une élégante femme blonde en manteau de fourrure qui sort de l'ascenseur du sixième étage, celui du rayon des jouets, et avance lentement vers son comptoir...

Mon avis :

Quand le roman a été publié, il y a maintenant plus de soixante-dix ans, l'Amérique puritaine était en pleine guerre froide. Elle menait une chasse aux sorcières contre les communistes, mais aussi contre les homosexuels, des "pervers" et des "malades".

Dans ce contexte, Therese, jeune ingénue, indécise, inexpérimentée, entre dans la vie active et fait une rencontre qui sera décisive pour le reste de son existence. En un regard, son corps va soudain s'enflammer d'un désir puissant qui la dépasse, qu'elle n'a jamais ressenti auparavant, pas même pour son compagnon, et qu'elle s'efforce de refouler. Carol, riche, belle, raffinée, femme avertie, autoritaire et capricieuse comme se le permettent les gens de son rang, est consciente de la fascination qu'elle exerce sur Therese. Si elle semble en profiter au début, son armure se fend petit à petit. Therese et Carol vont entretenir une relation ambigüe, dans la retenue des sentiments, mais romantique, passionnelle, érotique. Au fil du temps, Therese gagne en force et Carol gagne en fragilité. Puis, l'amour pressenti devient une certitude.

Entre roman d'apprentissage et témoignage d'une société, "Carol" est un récit heureux, et pourtant empreint de tristesse et de solitude. Les émotions du lecteur bouillonnent et se bousculent. Patricia Highsmith est à la fois extrêmement pudique sur les sentiments profonds ressentis par ses personnages et généreuse dans l'écriture de tous ces détails faussement anodins qui accompagnent ses héroïnes : les cigarettes consumées, les verres bus, les mets consommés, une haleine alcoolisée, le brouhaha des magasins, des bars, des restaurants et de la rue, le logement sans joie d'une vendeuse âgée, l'écho des talons sur le macadam, le roulement d'une voiture, le parfum d'un inconnu, la poussière d'une chambre d'hôtel, le craquement d'un parquet, le bruissement d'une robe...

Enorme coup de 💗 !!!

mercredi 10 mars 2021

"Blonde" de Joyce Carol Oates (Livre de Poche)

Joyce Carol Oates naît en 1938 à Lockport, dans l'Etat de New York. Elle grandit dans une ferme à mi-distance des lacs Erié et Ontario, non loin des chutes du Niagara. De son enfance, elle a - tardivement - raconté les secrets : un double meurtre, un abandon, une adoption, le suicide d'une amie, la naissance d'une soeur autiste...

Après des études de littérature à l'université de Syracuse puis à celle de Madison, dans le Wisconsin, elle rencontre Raymond Smith, professeur accompli de huit ans son aîné, qu'elle épouse en 1961. Hospitalisé pour une maladie bénigne, Raymond Smith décède en février 2008 d'une infection nosocomiale foudroyante. Joyce Carol Oates raconte son deuil et son veuvage dans "J'ai réussi à rester en vie" (Ed. Philippe Rey, 2011). En 2009, elle se remarie avec Charlie Gross, un chercheur en neurosciences, mort à son tour en avril 2019.

Surnommée aux Etats-Unis "la quatrième soeur Brontë", elle a publié depuis 1964 plus de cent romans, nouvelles, poésie, essais, enquêtes, mémoires, et même romans pour adolescents et thrillers (sous les pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly). Elle vit à Princeton (New Jersey) où elle enseigne toujours à l'université l'écriture créative depuis 1978.

Membre de l'Académie américaine des arts et des lettres, titulaire de multiples et prestigieuses récompenses littéraires, parmi lesquelles le National Book Award, Joyce Carol Oates reçoit en 2011, en même temps que Philip Roth, des mains du président Barack Obama, la National Humanities Medal pour sa contribution au renom de la littérature américaine.

Publiée en France aux éditions Philippe Rey, Joyce Carol Oates est l'auteure, entre autres, de "Les Chutes" (Prix Femina étranger 2005), "Mudwoman" (meilleur livre étranger 2013 pour le magazine Lire), "Un livre de martyrs américains", "Le Petit Paradis". A paraître bientôt un recueil de nouvelles, "Dé mem brer", et "Petite soeur, mon amour", roman inspiré d'un fait réel aux Etats-Unis, l'assassinat à Noël 1996 d'une mini-Miss âgée de six ans.


L'histoire :

Différent des autres titres de Joyce Carol Oates, "Blonde" est une biographie fictionnelle, celle d'une icône, Marilyn Monroe. Enfant blessée, femme fragile, star adulée et traquée, "produit" utilisé à des fins politiques et mercantiles, devenue un mythe, sa vie commence au sein d'une famille dysfonctionnelle, un père inconnu, une mère bientôt internée pour schizophrénie, ballotée de foyers en familles d'accueil. Sa mort le 4 août 1962, à trente-six ans, fera de son destin l'une des tragédies hollywoodiennes les plus populaires à travers le monde.

Construit en cinq actes (L'enfant 1932-1938 - La jeune fille 1942-1947 - La femme 1949-1953 - "Marilyn" 1953-1958 - La vie après la mort 1959-1962), "Blonde" mêle réalisme et surréalisme, vérités et hallucinations. Joyce Carol Oates imagine la jeune Norma Jeane se rêvant Belle Princesse, jouant des scènes de vie comme au cinéma, admirant les acteurs comme des modèles, lisant son histoire comme un script. Un portrait fantasmé, intime, intérieur...

Mon avis :
Joyce Carol Oates est une femme de lettres qui me passionne. Je découvre petit à petit l'ensemble de son oeuvre et je lis avec bonheur chacun de ses romans. Malheureusement, je suis passée à côté de celui-ci. Pourtant, tout y est : la perfection de l'auteure, son style inégalable, son réalisme cru, sa noirceur, une héroïne mythique. Mais il est "trop" : trop long (1110 pages), trop fouillé, trop étrange, trop baroque pour la cartésienne que je suis. "Blonde" n'en reste pas moins un chef-d'oeuvre que je recommande absolument !


A lire :
"Délicieuses pourritures"

lundi 8 mars 2021

"Passion simple" d'Annie Ernaux (Folio)

Annie Ernaux est une romancière française. De son premier roman, "Les armoires vides" (1974), à "La honte" (1997), en passant par "Ce qu'ils disent ou rien" (1977), "La femme gelée" (1981), "La place" (Prix Renaudot 1984), "Une femme" (1988) et "L'événement" (2000), elle décrit, sans déploration mais avec une précision chirurgicale, la banalité d'une expérience, la sienne, mais, sur bien des points, commune à nous tous : au fond du café-épicerie de ses parents, une adolescente échappe, avec une culpabilité douloureuse, aux déterminismes familiaux en accédant à la culture littéraire grâce à l'école. Sa langue explore et superpose les différents registres de l'oralité, populaire et distinguée. Dans ses derniers textes ("Passion simple", 1992 ; "Se perdre", 2001), Annie Ernaux se fait la diariste de plus en plus minimaliste et impudique de son expérience amoureuse, dans des "récits-vrais" sans concession, au style épuré et au plus près des émotions et des sensations.

Ecrivain majeur de la Littérature française, pionnière d'un nouveau style, l'écriture de soi, son oeuvre suit, presque en temps réel, l'accès des femmes à l'autonomie sociale et sexuelle. Annie Ernaux est née en 1940 à Lillebonne (Seine-Maritime), dans un milieu social modeste. Ses parents sont d'abord ouvriers avant de tenir un café-épicerie. Puis, après la guerre, ils déménagent à Yvetot, ville martyrisée par les bombes, et ouvrent à nouveau un café-mercerie-épicerie dans un quartier très modeste. Après son baccalauréat, Annie Ernaux commence des études de Lettres à Rouen, ville symbole d'une certaine liberté pour la jeune étudiante qu'elle est, loin de sa famille. C'est bien avant 1968 et l'accès à la contraception. Elle prend alors de plein fouet sa condition de femme, un avortement clandestin, puis une nouvelle grossesse acceptée, un mariage obligé et des examens à passer dans des circonstances difficiles.

Institutrice puis professeure agrégée de Lettres modernes, divorcée, mère de deux garçons, elle fait son entrée en littérature en 1974 avec "Les armoires vides", un roman autobiographique. Sa vie, ses expériences heureuses ou douloureuses, le statut de la femme seront les matériaux essentiels d'une oeuvre réaliste et crue. "La place" remporte le Prix Renaudot en 1984. A la croisée de l'expérience historique et de l'expérience individuelle, son écriture, dépouillée de toute fioriture stylistique, dissèque le parcours de ses parents ("La place", "La honte"), son adolescence ("Ce qu'ils disent ou rien"), la sexualité et ses relations amoureuses ("Passion simple", "Se perdre"), son mariage ("La femme gelée"), son avortement ("L'événement"), son environnement ("Journal du dehors", "La vie extérieure"), la maladie d'Alzheimer de sa mère ("Je ne suis pas sortie de ma nuit"), puis la mort de sa mère ("Une femme"), son cancer du sein ("L'usage de la photo", en collaboration avec Marc Marie).

En 2008, Annie Ernaux touche et émeut un très large public avec "Les Années" (Gallimard), formidable et mélancolique récit écrit à la troisième personne du singulier, différent de l'ensemble de son travail, et qui fait figure de mémoire collective des Français. Tous les lecteurs, même parmi les plus jeunes, se reconnaissent quelque part dans cette évocation de la période de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Le livre est récompensé par le Prix Marguerite Duras, le Prix François Mauriac de la région Aquitaine, le Prix de la langue français et le Prix Strega européen. Il a été finaliste du prestigieux Man Booker International Prize en 2019.

En 2017, Annie reçoit le Prix Marguerite Yourcenar décerné par la Société civile des auteurs multimédia pour l'ensemble de son oeuvre.




Son roman "Passion simple", paru en 1992, a été de nombreuses fois adapté pour le théâtre, puis pour le cinéma, en 2020, pour le film éponyme français réalisé par Danielle Arbid, avec Laetitia Dosch et Sergueï Polounine.




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L'histoire :

Elle est professeure en région parisienne, est divorcée, à deux fils étudiants qui ne résident pas chez elle. Il est homme d'affaires, marié, originaire d'un pays de l'Est, parle peu le français, voyage beaucoup, se pose de temps en temps à Paris où il rejoint le lit de la femme pour quelques heures d'amour.

Elle veut y croire, à cet amour. Depuis qu'elle a rencontré A., sa vie ne tient qu'à trois mots : attente, absence, désir. Cet homme l'obsède, la vampirise. Elle est habitée par lui, ne pense qu'à lui, ne vit que pour lui, plus rien n'a d'importance. Mais lui, éprouve-t-il pour elle les mêmes sentiments ? Elle sait bien que non. Alors qu'attend-t-elle ? Des fleurs ? Des messages tous les jours ? Des confidences ? Un peu de jalousie ? Du sexe ? Désirer, être désirée ? Se laisser dévorer, se perdre ?

C'est l'histoire d'une passion, d'un amour fantasmé, érotique, sans lendemain, qui durera pourtant deux ans. Qu'en restera-t-il ? De quoi chacun se souviendra-t-il ? Passion simple... Passé simple... Il a été...

De son écriture épurée, Annie Ernaux aborde sans tabou et, comme toujours, avec justesse et sensibilité, la sexualité féminine et la passion amoureuse au féminin. Brillant, évidemment !


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Retrouver Annie Ernaux dans :

"Les armoires vides" (Folio) - "La vie extérieure" (Folio) - "L'événement" (Folio) - "Retour à Yvetot" (Mauconduit)
https://cappuccinochezlouguitar.blogspot.com/2014/04/annie-ernaux.html


"La femme gelée" (Folio)

"L'écriture comme un couteau" - Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet (Folio)

"Ce qu'ils disent ou rien" (Folio)

mercredi 3 mars 2021

"Les Lettres d'Esther" de Cécile Pivot (Calmann-Lévy)

Cécile Pivot n'est pas seulement la fille de Bernard Pivot. Elle a été correctrice au "Le Papotin", où les journalistes sont des autistes qui ont entre 15 et 35 ans. Depuis 2015, elle est journaliste indépendante (Groupe Altice Media). En 2017, elle publie un récit, "Comme d'habitude" (Calmann-Lévy), dédié à son fils Antoine, autiste. Puis deux essais : "Lire", avec Bernard Pivot (Flammarion, 2018), et "Le Papotin", avec Driss et Kesri (Kéro, 2019). "Battements de coeur", son premier roman paru chez Calmann-Lévy en 2019, a été salué par la critique et a reçu le Prix de la littérature 2020 du Lions Club Île de France. "Les Lettres d'Esther" (Calmann-Lévy) a paru en 2020.

L'histoire :

Esther Urbain a quarante-deux ans. Après avoir été documentaliste et correctrice pour l'édition, spécialisée dans les correspondances, elle est à présent libraire à Lille. Il y a trois ans, son père, auteur de romans policiers, avec qui elle partageait la passion des mots, mourrait brutalement. Le temps n'a pas atténué sa douleur, toujours aussi vive. Est-ce pour cette raison qu'Esther décide de créer un atelier d'écriture épistolaire ?

Très vite, elle publie une annonce en ligne sur le site de la librairie et dans quatre quotidiens régionaux. L'atelier durera trois mois. Une première et unique rencontre aura lieu à Paris. La suite se fera par courriel, téléphone ou courrier postal. Chaque participant devra choisir un ou deux correspondants dans le groupe. Les réponses sont moins nombreuses que l'espérait la libraire. Elle ne sait pas du tout où cette soudaine idée va la mener et c'est avec appréhension qu'elle arrive à Paris ce 31 janvier 2019. Le moment est venu de faire la connaissance de Jean, Juliette, Nicolas, Jeanne et Samuel...

"Cet atelier était leur bouée de sauvetage. Il allait les sauver de l'incompréhension, d'un deuil qu'ils ne faisaient pas, d'une vie à l'arrêt, d'un amour mis à mal. Quand j'en ai pris conscience, il était trop tard, j'étais déjà plongée dans l'intimité et l'histoire de chacun d'eux."

Mon avis :
Très vite, à la surprise des participants eux-mêmes, l'atelier d'écriture devient une chaîne humaine précieuse où chaque correspondant se révèle, se libère, s'allège d'un poids qu'il se sent seul à porter. Les confidences échangées sont fortes, intimes, sincères, à fleur d'émotions. Les chagrins et les accidents de la vie, les bonheurs et les victoires, tout peut se dire, tout peut s'écrire. Cécile Pivot le réussit remarquablement, avec pudeur, avec douceur, avec bienveillance. Chaque lecteur appréciera les mots à sa manière. J'ai personnellement ressenti, à la lecture de ces textes, une très heureuse mélancolie et une réelle nostalgie pour les lettres manuscrites.

Parmi les nombreux livres cités par Cécile Pivot, "L'ami retrouvé" de Fred Uhlman (Folio)