mercredi 29 septembre 2021

Septembre 2021 - "Rural Noir"

(Jamie Heiden photography)
 

"Nord-Michigan" de Jim Harrison (10/18)


Jim Harrison (Grayling, Michigan, 1937 - Patagonia, Arizona, 2016) est considéré comme le chantre de la littérature américaine et l'un des plus importants écrivains des grands espaces. Scénariste pour Hollywood, critique gastronomique et littéraire, journaliste sportif et automobile, il est l'auteur d'une oeuvre considérable (poésies, romans, nouvelles, essais, autobiographie, littérature jeunesse), dans laquelle on compte de grands succès comme "Légendes d'automne" (recueil de nouvelles, 1979), "Dalva" (1988), "Un bon jour pour mourir" (1973).


L'histoire :

Juin 1956

Sa mère est décédée il y a un mois, dix ans après son père. A cause de sa jambe invalide, Joseph a dû mettre au repos la ferme familiale où il a toujours vécu, dans laquelle il a si durement travaillé avec ses parents, et où il a d'innombrables souvenirs avec ses trois soeurs, ses amis, et tous les animaux.

Depuis l'enfance, Joseph a une passion pour la mer. Il lit tous les livres et tous les magazines qui étudient les fonds marins, et il rêve de voir un jour l'océan. Mais, à quarante-trois ans, il n'a jamais quitté son trou perdu du Nord-Michigan. Depuis trente ans, il est amoureux de Rosealee, mais ne l'a toujours pas épousée. Depuis vingt-cinq ans, immuablement, il chasse la grouse à l'automne et pêche la truite au printemps. Depuis vingt-trois ans, il enseigne de son mieux à l'école de campagne pour les gosses de fermiers qui deviendront fermiers à leur tour. Joseph est apprécié de tous et mène une vie tranquille et fort peu aventureuse.

Alors que s'est-il passé, depuis la rentrée de septembre, pour qu'il ressente si violemment une telle lassitude de tout ce qui était sa raison d'être il y a encore quelques mois ? L'arrivée de Catherine a tout chamboulé. Elève de dernière année, jeune fille de dix-sept ans belle, épanouie, espiègle, sensuelle, provocante et libre, elle a bousculé sa routine monotone, elle a mis à nu son introversion et elle a éveillé en lui des sens dont il ignorait jusque là l'existence...

Mon avis :
Véritable ode à la Nature, à l'amour, aux femmes, à la littérature et en particulier à la poésie... Le personnage de Joseph est profondément touchant... Remarquable plume !!!

"Le dimanche matin, lendemain de sa rencontre avec Catherine, il alla s'asseoir au bord de l'étang pendant deux longues heures, pour observer les oiseaux et la quiétude de cette immobilité prolongée dans un environnement d'une telle beauté l'amena à se poser des questions fondamentales sur l'humanité. Il s'arrêta à l'idée que la vie n'était qu'une danse de mort, qu'il avait traversé trop rapidement le printemps et puis l'été et qu'il était déjà à mi-chemin de l'automne de sa vie. Il fallait vraiment qu'il s'en sorte un peu mieux parce que chacun sait à quoi ressemble l'hiver."

mercredi 22 septembre 2021

"Une journée d'automne" de Wallace Stegner (Gallmeister)

Wallace Stegner est né en 1909 à Lake Mills, dans l'Iowa. Romancier, nouvelliste, historien, professeur et militant écologiste, celui qu'on appelle souvent le "doyen des écrivains de l'Ouest" s'est imposé aussi bien à travers ses textes de fiction que ses essais.

Pendant son enfance, il vit notamment à Great Falls, dans le Montana, puis à Eastend dans le Saskatchewan (Canada). De manière générale, il déménage beaucoup à travers les Etats de l'Ouest américain - il dit plus tard avoir vécu "à vingt endroits, dans huit Etats et au Canada". Il passe cependant la plupart de ses étés plus à l'est : à Greensboro, dans le Vermont.

Il étudie d'abord à l'université d'Utah, où il obtient un Bachelor of Arts, puis fait son master et son doctorat à l'université d'Iowa. Une fois diplômé, il enseigne dans plusieurs universités, dont l'université du Wisconsin et Harvard, avant de créer un département de creative writing à Stanford, qu'il dirige de 1945 à 1972. On compte parmi ses élèves Larry McMurtry, Edward Abbey, Raymond Carver et Thomas McGuane.

C'est en 1937 qu'il publie son premier roman, "Une journée d'automne". Il est suivi par trois autres, puis, en 1943, Wallace Stegner rencontre son premier succès critique et populaire avec "La Montagne en sucre". Parmi ses romans les plus notables, on peut notamment citer "The Preacher and the Slave" (1950 - plus tard rebaptisé "Joe Hill : A Biographical Novel"), "Une étoile filante" (1961), "L'Envers du Temps" (1961), et "En lieu sûr" (1987).

Acclamé par la critique, Wallace Stegner est couronné par le Prix Pulitzer de la fiction en 1972 pour "Angle d'équilibre" (1971) et par le National Book Award en 1977 pour "Vue cavalière" (1976).

Il s'est aussi consacré à des essais, abordant des sujets très variés. On trouve notamment, parmi ses textes de non-fiction, deux histoires de l'implantation des Mormons dans l'Utah, une biographie de l'explorateur et naturaliste John Wesley Powell, ainsi qu'une histoire des débuts de l'exploitation pétrolière au Moyen-Orient. Engagé en faveur de l'environnement, il a co-fondé, en 1962, le Commitee for Green Foothills, une organisation non-gouvernementale qui agit au niveau local pour protéger les "collines, forêts, baies, marécages et zones côtières" de la péninsule de San Francisco. Le recueil "Lettre pour le monde sauvage" (2015) réunit douze de ses textes consacrés à des réflexions sur l'environnement et la nature.

Wallace Stegner décède en 1993 des suites d'un accident de voiture à Santa Fe, au Nouveau-Mexique.

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L'histoire :
La jeune et jolie Elspeth MacLeod arrive de son Ecosse natale pour s'installer en Amérique, dans une ferme du Midwest, chez sa soeur Margaret et son beau-frère Alec. Dans cette grande bâtisse austère, Eslpeth apporte une fraîcheur et une naïveté qui tranchent avec la rigueur puritaine de la maîtresse de maison. Alec n'y est pas insensible...

Mon avis :
Tout commence dans un bol de guimauves, mais très vite le sucre tourne à l'aigre et l'histoire prend une amplitude dramatique et douloureuse. Deux êtres vont s'aimer d'un amour impossible. Autour d'eux, les coeurs vont s'éteindre, les voix se taire, les joies s'envoler. Quelle peut être l'issue à toutes ces blessures infligées ? Avec subtilité, l'auteur s'empare des sentiments les plus intimes et profonds de chacun de ses personnages. Un roman très émouvant !

mercredi 15 septembre 2021

"Céline" de Peter Heller (Babel)

Peter Heller est né en 1959 à New York. Poète, grand reporter nature et aventure, ardent pratiquant du kayak, de la pêche et du surf, et adepte des voyages à sensations fortes, Peter Heller est devenu romancier avec son page-turner post-apocalyptique et néanmoins solaire "La constellation du chien" (Actes Sud, 2013) et salué comme une révélation. Talent confirmé par "Peindre, pêcher et laisser mourir" (Actes Sud, 2015), son troisième roman "Céline" (Actes Sud, 2015 et 2019) est certainement inspiré par sa mère à qui il voue une belle admiration. Il vit actuellement à Denver.

L'histoire :

En 2001, lors des attentats du 11 septembre, quand Céline vit de chez elle, à Brooklyn, les tours jumelles s'effondrer, au-delà de l'horreur et de la sidération s'ajoutait une autre douleur, le souvenir de ses soeurs, toutes deux décédées en cette année maudite. Regarder la majesté des deux tours chaque matin lui rappelait Mimi et Bobby. Et voilà qu'elles aussi disparaissaient à jamais sous ses yeux.

Un an s'est écoulé depuis ces tragédies, et aujourd'hui, à soixante-huit ans, ancienne alcoolique, ancienne grande fumeuse souffrant d'emphysème, Céline se sent fragilisée. Aura-t-elle longtemps la force de continuer son activité ? Elle que l'on surnomme "la détective privée qui s'habille en Prada", une aristocrate au service des "causes perdues". Dans son milieu huppé, elle est considérée comme une originale, et ce n'est pas un compliment. Mais Céline s'en fiche tant que son carnet d'adresses mondaines lui donne un coup de pouce, à l'occasion, dans ses enquêtes. Aider les pauvres gens, retrouver des personnes disparues, réunir des familles, gracieusement s'il le faut, voilà ce qui compte vraiment pour elle.

C'est à ce moment de sa réflexion que Céline reçoit une visite qui va très vite lui rappeler de quel bois elle est faite et ce à quoi elle a consacré sa vie. Gabriela, jeune femme d'une quarantaine d'années, vient de passer deux décennies à rechercher en vain son père, Paul, photographe pour le National Geographic, disparu à Yellowstone il y a vingt ans et déclaré mort bien que son corps n'ait pas été retrouvé. L'homme aurait été attaqué par un grizzly, mais sa fille n'a jamais cru à cette histoire, son père était trop aguerri pour se laisser surprendre par un ours. Céline est son dernier espoir.

La détective privée accepte l'affaire, soutenue par Pete, son adorable mari rencontré aux Alcooliques Anonymes. Le couple s'envole pour Denver. Ils vont retrouver Hank, le fils unique et tant aimé de Céline. Mi-amusé, mi-inquiet, Hank accepte de leur prêter son camping-car tout équipé qui doit les mener sans encombre à destination, quelque part entre le Wyoming et le Montana...

Mon avis :
Comme j'ai aimé les personnages de la volcanique Céline et de son amour de mari Pete !!! Quel roman formidable, sensible et généreux !!! L'histoire se déroule sur les deux dernières semaines de septembre, ce temps où l'automne éconduit l'été et prend doucement sa place. Les paysages sont de toute beauté. L'intrigue, solide et captivante, mène les deux héros dans un road-trip à la fois divertissant et intelligent. La vieillesse est abordée avec beaucoup de drôlerie et de tendresse. L'auteur n'hésite toutefois pas à égratigner ici et là les écueils de la société américaine. Grand coup de 🧡 !!!

mercredi 8 septembre 2021

"Plateau" de Franck Bouysse (Livre de Poche)

Franck Bouysse est un écrivain né en 1965 à Brive-la-Gaillarde. Il a enseigné la biologie et l'horticulture avant de se consacrer à sa passion pour l'écriture. Il a publié une quinzaine de romans dont "Grossir le ciel" (2014), couronné par de nombreux prix (Prix SNCF du polar 2017, Prix Sud-Ouest du polar 2016...), et "Né d'aucune femme" (Prix des libraires 2019, Prix Babelio 2019, Grand Prix des lectrices de Elle 2019...). Il partage aujourd'hui sa vie entre Limoges et un hameau de Corrèze.

Extrait :
"Ici, c'est le pays des sources inatteignables, des ruisseaux et des rivières aux allures de mues sinuant entre le clair et l'obscur. Un pays d'argent à trois rochers de gueules, au chef d'azur à trois étoiles d'or. Ici, c'est le Plateau."

L'histoire :

Trois fermes dans un hameau isolé, au Plateau de Millevaches, dans le Massif central. La ferme de Virgile : sur ces terres depuis plusieurs générations, sa femme Judith et lui à présent âgés et malades - lui perd la vue et elle s'enfonce dans la maladie d'Alzheimer -, ils n'attendent plus grand-chose de la vie. La ferme de Georges : recueilli à quatre ans par son oncle Virgile à la mort accidentelle de ses parents, aujourd'hui adulte, paysan à son tour et célibataire, Georges ne parvient toujours pas à entrer dans la maison familiale et habite tout près de là dans une caravane. Et la ferme de Karl : la soixantaine, célibataire, arrivé il y a peu au Plateau, très bon chasseur, ancien bourlingueur, proche de Virgile, il reste néanmoins secret sur son passé. L'arrivée imprévue de Coralie, nièce de Judith, fuyant son ex-mari violent, va bouleverser la routine en apparence paisible de ce trio masculin et pousser chacun à tomber le masque...

Extrait :
"Regarde, comme elles sont toutes piquées, ces pommes, pleines de défauts, mais c'est pourtant pas à toi que je vais apprendre le goût qu'elles ont... bien meilleures que celles qui en ont pas... des défauts."

Mon avis :
Chaque roman de Franck Bouysse est un poème en prose. Rien n'échappe à sa plume, de l'âme de la faune et de la flore à l'âme humaine. On frémit pour ses personnages, tous un peu chasseurs, tous un peu proies, tous un peu héros, tous un peu salauds. C'est féroce, c'est beau, et c'est encore un coup de ♡ pour moi dans l'oeuvre de ce romancier !!!

A lire également :

mercredi 1 septembre 2021

"Les Mal-aimés" de Jean-Christophe Tixier (Livre de Poche)

 
Prix Transfuge du meilleur polar français 2019
Prix Méditerranée polar du premier roman 2019

Jean-Christophe Tixier est né en 1967 à Pau. Après vingt ans passés dans l'enseignement et la formation, il se consacre aujourd'hui totalement à l'écriture. Il a écrit une trentaine de romans dans des genres et pour des âges différents. Il est aussi l'auteur de nouvelles et de fictions radiophoniques qui ont été diffusées sur France-Inter. Début 2019 sont parus un roman adulte et une bande-dessinée dont il a écrit le scénario. Désormais, il partage son temps entre Pau et Paris.

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Quelques mots d'Histoire

(Eglise de Vailhauquès)
En juillet 1850, le Parlement français autorise la création de colonies agricoles pénitentiaires pour délinquants mineurs dans un but de punition et de moralisation. Est alors fondée, à Vailhauquès, dans l'Hérault, la colonie agricole pénitentiaire de Montlobre, dit "le bagne". Entre 1860 à 1884, l'institution basée sur les châtiments et le travail forcé verra passer près de deux mille garçons de huit à dix-huit ans. Les Archives Départementales de l'Hérault comptent plus de deux cents décès (connus) parmi les jeunes condamnés. Quelques-uns reposent dans le cimetière du "bois des enfants morts". Personne ne sait ce que sont devenus les survivants. Le domaine de Montlobre est aujourd'hui une propriété privée. Du "bagne", il ne reste, dit-on, qu'un escalier usé et des cachots tels qu'ils furent laissés lors de sa fermeture en 1884.

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L'histoire :

Vailhauquès, 24 février 1884

Les gosses quittent le bagne. Libres. Mais pour quelle autre prison ? Rachitiques, hagards, affamés, ils suivent les hommes armés sur le chemin sans connaître la destination, marchent dans la neige, grelottent. Au loin, un des gamins reconnaît le visage de la cantinière qui leur servait une soupe claire comme de l'eau en guise de repas ; celui de la lingère qui obligeait les punis à rincer le linge pendant des heures dans l'eau glacée du lavoir ; celui du gardien qui chaque soir choisissait une cellule différente mais d'où ils entendaient toujours les mêmes cris et les mêmes interminables sanglots.

Sur le bord de la route, une petite fille leur fait un signe de la main mais personne ne répond à son geste. De cet endroit de cruauté et de mort, au pied de la montagne, il leur en restera la mémoire. Et elle ne s'effacera jamais.

"Il se prend à espérer que jamais la bâtisse ne s'effondrera. Car il sait que tant qu'elle sera debout, ses murs épais garderont la mémoire de ce qu'ils ont vu et entendu. Tant qu'elle tiendra bon, les gens d'ici se souviendront. Et jamais ils ne pourront passer à autre chose. Jamais personne n'oubliera."

Dix-sept ans plus tard, à l'ombre des hauts murs noircis du bagne, la population de Vailhauquès a peur. Des phénomènes étranges et inexpliqués se multiplient : lueurs dans le cimetière, animaux malades, accidents mortels, feux de meules de foin... Les rumeurs se répandent. Pour certains, c'est l'oeuvre du diable. Pour d'autres, c'est pire encore : ce sont les enfants qui reviennent...

"Le diable. Les gens de la campagne ont toujours eu besoin d'attacher un mot ou une présence à chaque acte qui leur échappe."


Mon avis :

"Les Mal-aimés" est le genre de livres que l'on veut lire jusqu'au bout parce qu'il est vraiment beau mais que l'on tient à bonne distance des lunettes, comme si des éclaboussures de malheur pouvaient nous atteindre au-delà du papier et de l'encre des mots. Les monstres sont autant présents à l'intérieur du "bagne" qu'à l'extérieur. Chaque ferme de cette petite communauté rurale occitane de la fin du XIXème siècle abrite son lot de secrets inavouables. On espère en vain un peu de couleur dans cette peinture très noire d'une ruralité isolée, rompue à ses plus bas instincts primaires, et où le mot "Amour" n'a aucun sens. En tête de chaque chapitre, Jean-Christophe Tixier a eu l'excellente idée de rappeler le nom de quelques petits martyres du "bagne" et de retranscrire des extraits glaçants des registres d'écrou. En leur mémoire...

Coup de ♡ et coup au coeur...