mercredi 27 octobre 2021

Octobre 2021 - "So British !"

 

"Tout ira bien" de Damian Barr (Le Cherche midi)

Damian Barr est né en 1976 à Newarthill, en Ecosse. Diplômé de l'Université de Lancaster en sociologie et littérature anglaise, son récit autobiographique, "Maggie & Me", raconte son passage à l'âge adulte et la révélation de son homosexualité dans la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. Cet essai a été déclaré "Livre de la semaine" par BBC Radio 4 et "Mémoire de l'année" par le Sunday Times. Il a également remporté le Prix Paddy Power du livre politique dans la catégorie "Satire" et le Prix Stonewall dans la catégorie "Auteur de l'année". Damian Barr tient une rubrique dans Big Issue et High Life et parle régulièrement sur BBC Radio 4. Il est le créateur et le présentateur de son propre salon littéraire, qui fait connaître des oeuvres d'auteurs établis comme émergents. Il vit avec son mari à Brighton.

"Tout ira bien" est son premier roman. Il s'inspire d'un terrible fait réel ayant eu lieu en 2011 en Afrique du Sud : Raymond Buys, âgé de quinze ans, a été battu, électrocuté et torturé dans un camp "de rééducation de garçons efféminés", semblable à celui d'Aube Nouvelle dans le livre. Damian Barr a consacré cinq ans à l'écriture de ce roman. Il a rencontré de nombreuses personnes en Afrique du Sud. Parmi les plus marquantes, celle de Wilna Buys, la mère de Raymond, et celle de l'inspecteur Cornell qui a mené un travail sans relâche et dont l'enquête a conduit à l'arrestation et la condamnation de deux hommes.

* * *

Quelques mots sur les Boers

En Afrique du Sud, le terme néerlandais "Boer", littéralement paysan, a servi à désigner les habitants d'origine hollandaise ou française et de langue néerlandaise, par opposition aux Blancs d'origine britannique. Le mot Boer a été progressivement supplanté à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle par celui d'Afrikaner. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on a distingué les Boers, ou paysans, des Burghers, habitants de la ville. Au XIXe siècle, l'expression Boer désigne notamment les éleveurs de bétail réfractaires à l'autorité anglaise qui entreprennent le Grand Trek, migration vers le nord qui aboutira à la fondation des républiques dites Boers du Transvaal et de l'Orange.

* * *

Quelques mots sur l'histoire de l'Afrique du Sud

En 1880, les Boers se révoltent contre les Britanniques. Ils sont dirigés par Pretorius, Joubert et Kruger. En 1881, les Boers sont vainqueurs des Britanniques à la bataille de Majuba Hill. Ils obtiennent l'indépendance des républiques Boers. Mais dès 1870, on a découvert des diamants, en particulier autour de Kimberley. De nombreux aventuriers s'installent dans les territoires Boers. En 1885, on découvre de l'or dans l'Etat libre d'Orange.

Une compagnie britannique s'intéressant à ces richesses est dirigée par Cecil Rhodes. Devenu premier ministre de la colonie britannique du Cap, Cecil Rhodes tente vainement de s'emparer du Transvaal. Il échoue et décide alors de faire la guerre aux Boers (11 octobre 1899). De 1899 à 1902, les républiques Boers sont en guerre contre les Britanniques. Cette guerre provoque une vingtaine de milliers de civils Boers morts dans des camps de concentration britanniques.

L'Union sud-africaine naît en 1910, avec cinq millions d'habitants. En 1911, les Afrikaners et les Britanniques mettent en place les premières lois de l'Apartheid. Les mouvements de résistance de l'élite noire s'organisent en 1912 et l'African National Congress (ANC) prend son nom en 1923.

En 1961, l'Afrique du Sud prend le statut de République indépendante de la Grande-Bretagne. Après des dizaines d'années de lutte du peuple noir et un isolement international du régime de l'Apartheid, Nelson Mandela, l'icône de cette lutte, est libéré en 1990 après vingt-sept années passées en prison.

L'Apartheid, en vigueur depuis 1948, est aboli en 1991. En 1994, les Sud-Africains participent aux premières élections démocratiques jamais organisées dans leur pays. Nelson Mandela devient le premier Président noir de l'Afrique du Sud. Pour promouvoir l'unité nationale et la réconciliation, une gestion exceptionnelle du passé est mise en place. La "nation Arc-en-Ciel" naît alors dans cette société plurale.

L'Afrique du Sud occupe une place importante sur la scène africaine et mondiale. Des townships de Pretoria aux grandes universités du Cap, ce grand pays tente encore de résoudre les inégalités héritées du régime de l'Apartheid : 30% de la population est au chômage et plus de la moitié vit sous le seuil de pauvreté. Depuis février 2018, l'Afrique du Sud est dirigée par Cyril Ramaphosa.

Pretoria
capitale de l'Afrique du Sud

* * *
L'histoire :

1er octobre 2010 - Au sud de Johannesburg
Willem, bel adolescent de seize ans, aux cheveux blonds bouclés et aux yeux bleu vif hérités de son père, est déposé sans grande émotion par sa mère et son beau-père aux portes du camp de formation "Aube Nouvelle"...

1er janvier 1901 - Ferme du Mûrier, près de Ventersburg, Etat libre d'Orange
Sarah van der Watt commence un Journal intime. Elle écrit à Samuel, son mari parti combattre les Anglais. Elle vit seule avec son fils de six ans et ses deux domestiques noirs, Lettie et Jakob. Dans son carnet bleu, elle raconte le quotidien à la ferme mais aussi son angoisse grandissante. Les Khakis, surnom donné aux soldats britanniques, approchent et brûlent tout sur leur passage...

Mon avis :
Malgré son rythme parfois un peu lent, le texte ne perd jamais de son intensité, de sa puissance, de sa violence. Le récit traverse un siècle de l'histoire douloureuse de l'Afrique du Sud, de la seconde guerre des Boers à nos jours. Les destins des personnages se croisent sur trois époques différentes pour se rejoindre dans un épilogue bouleversant. Le roman est plus poignant encore lorsque l'on sait que le terrible fait réel dont il s'inspire s'est déroulé au XXIe siècle, il y a dix ans... seulement dix ans...

jeudi 21 octobre 2021

"Qu'elle était verte ma vallée !" de Richard Llewellyn (Libretto)

Richard Llewellyn disait être né à St. Davids, au Pays de Galles. En réalité, il est né de parents gallois à Hendon, dans la banlieue nord de Londres, en 1906. Il mena une vie pleine de péripéties. Il travailla dans l'hôtellerie, écrivit une pièce de théâtre, fut un temps mineur, servit dans les Welsh Guards (gardes gallois) durant la Seconde Guerre mondiale. Lors du bombardement de Londres en juin 1944, il perdit sa soeur et ses deux nièces.

Après la guerre, il devint journaliste et couvrit le procès de Nuremberg. Il fut ensuite scénariste pour la MGM. Tout au long de sa vie, il voyagea beaucoup et vécut notamment en Italie, en Chine, au Brésil, en Argentine, au Kenya et en Israël, mais il montra un attachement constant au Pays de Galles, cadre de la plupart de ses romans. Le plus célèbre, "Qu'elle était verte ma vallée !" ("How Green Was My Valley"), publié en 1939, lui a offert une renommée internationale et est devenu l'un des grands classiques de la littérature britannique du XXe siècle. Richard Llewellyn est décédé d'une crise cardiaque à Dublin en 1983.

 L'histoire :

C'est une jolie vallée galloise, enneigée et impitoyable en hiver, verdoyante et fleurie au printemps. C'est ici que Huw Morgan commence le récit de son histoire familiale. Il a alors sept ans et il est le benjamin d'une fratrie de huit enfants (six garçons et deux filles).

Si à Londres la reine Victoria va bientôt célébrer son jubilé et que la "métropole", en pleine révolution industrielle, creuse dans ses entrailles pour développer le chemin de fer, dans la vallée, la mine de charbon emploie presque tous les hommes du village. Les Morgan ne se soustraient pas à la règle. Le père et quatre des fils travaillent au charbonnage pendant que la mère entretient le foyer et les filles s'occupent de la ferme.

La famille mène une existence simple et laborieuse dans la petite maison ouvrière. Mais ils y sont heureux. Les parents, tendrement unis, entourent d'un amour inconditionnel leurs enfants, les élèvent du mieux possible dans le respect et la justice, et affrontent solidement les épreuves. Lorsque Huw reste cloué dans son lit pendant plusieurs années après un terrible accident, il peut compter sur l'aide de ses frères, sur la générosité du pasteur et celle de l'épouse d'un mineur malade pour continuer sa scolarité, devenir un esprit brillant et pouvoir espérer, s'il le souhaite, entrer à l'université. Rares sont ceux qui échappent à la mine...

"Oui, c'était vraiment le bonheur ; nous avions bonne maison, bonne nourriture, bon travail. Le soir, rien ne nous appelait au-dehors sinon le culte à la chapelle, une répétition de la chorale, parfois une lecture en commun. Malgré cela, nous trouvions toujours à employer notre temps jusqu'au moment d'aller nous coucher. Nous lisions, étudiions, bricolions dans les communs, ou partions chanter quelque part, de l'autre côté de la montagne. Je ne me souviens pas que nous ayons jamais manqué d'occupations."

Mon avis :
Au-delà de l'histoire d'une famille, ce roman admirable, entre "Nord et Sud" de Elizabeth Gaskell (1855) et "Germinal" d'Emile Zola (1885), raconte avec un réalisme cru les conditions de travail dans les mines de charbon, les dangers quotidiens, les accidents, et les implications de ces risques sur la vie des femmes et des enfants. Il raconte l'histoire du Pays de Galles et la fierté d'être gallois. Il raconte aussi la fin d'une époque et les bouleversements humains et environnementaux que crée l'industrialisation grandissante. Aux valeurs morales, patriarcales et religieuses des ères victorienne et edwardienne s'opposent les premiers mouvements sociaux, la question de l'émigration, les conflits de classes, les conflits générationnels, les conflits d'opinions, les nouvelles pensées philosophiques et politiques, les contestations sociales, les premiers syndicats, les grèves, la place des femmes, la place de l'éducation, le rôle de la littérature... Remarquable !!!


"Qu'elle était verte ma vallée !"
Film américain (1941)
adapté du roman et réalisé par John Ford
avec Maureen O'Hara, Anna Lee,
Walter Pidgeon, Donald Crisp et Roddy McDowall



A lire :

mercredi 13 octobre 2021

"Le passé" de Tessa Hadley (10/18)

Tessa Hadley est née à Bristol en 1956. Elle a étudié la littérature à l'université de Cambridge avant de suivre des cours d'écriture créative à l'université Bath Spa, où elle enseigne aujourd'hui cette matière. Elle est l'auteure de cinq romans largement acclamés dont "Incidents domestiques", qui fut sélectionné pour le Guardian First Book Award. En 2016, elle a reçu le Windham-Campbell Literature Prize pour l'ensemble de sa carrière. Ses textes paraissent régulièrement dans The New Yorker et d'autres magazines.

 L'histoire :

Suite au décès de leur grand-mère, Alice organise une rencontre avec ses deux soeurs et son frère sur place, chez leurs grands-parents, dans l'espoir de prendre ensemble une décision quant à la maison familiale. Située à Kington, dans les Midlands, à la frontière avec le Pays de Galles, la demeure, construite vers 1820, est un ancien presbytère aux allures de celui des Brontë à Haworth (Yorkshire) ou de celui des Austen à Steventon (Hampshire). Le grand-père d'Alice, pasteur et poète, et sa grand-mère s'y sont installés dans les années 1970. Les pièces n'ont guère changé depuis cette époque.

Ce séjour de trois semaines en famille est aussi l'occasion de se retrouver, de tisser des liens avec les neveux et nièces qui grandissent, d'apprendre à connaître les nouveaux conjoints, de prendre des nouvelles des uns et des autres, d'évoquer le passé, de partager des souvenirs d'enfance. C'est un bel été, le soleil est au rendez-vous, l'endroit est toujours aussi bucolique et reposant, et le vin et la nourriture simple sont appréciés.

On ouvre les portes et les fenêtres. On respire à pleins poumons ce nouvel oxygène. On explore les placards et les tiroirs. On débloque quelques serrures. On dérange le passé dans sa quiétude. Jusqu'au moment où il se rebiffe. Alors les murs commencent à se lézarder...

Mon avis :
Tessa Hadley décrit avec sensibilité, et une pointe d'humour et de mélancolie, des personnages déchirés entre leurs certitudes et leurs contradictions. Un très beau roman intime et psychologique !

mercredi 6 octobre 2021

"L'Ecart" de Amy Liptrot (Pocket)

Amy Liptrot est née en 1986 dans les îles Orcades, un archipel situé au nord de l'Ecosse, à la même latitude qu'Oslo et Saint-Pétersbourg. Elle est lauréate du Pen Ackerley Prize et du Wainwright Prize. "L'Ecart", son premier roman, a paru aux éditions Globe en 2018.

L'histoire :
Fille d'agriculteurs anglais installés sur l'archipel des Orcades avant sa naissance, un père maniaco-dépressif et une mère évangéliste, à dix-huit ans, la narratrice quitte sa famille et son île natale pour continuer ses études à Londres. La plupart du temps saoule et défoncée, elle se perd de plus en plus dans les nuits agitées de la capitale. Dix années plus tard, elle décide de rentrer aux Orcades où son père vit désormais seul dans sa caravane, ses parents se sont séparés et la ferme a été vendue. La jeune femme va alors entamer une lutte lente et difficile contre ses vents contraires, contre son alcoolisme, contre ses démons, conte elle-même, pour redresser la barre, pour se reconstruire...

Mon avis :
Aux Orcades, archipel au nord de l'Ecosse, les "écarts" sont des terres à demi-défrichées, éloignées des habitations et des exploitations agricoles. Ce sont des lieux à l'origine de nombreux contes folkloriques où se côtoient esprits, fées, lutins et farfadets. Sur le modèle de ces "écarts", Amy Liptrot construit son roman, largement autobiographique, et généreusement documenté sur le patrimoine historique, naturel et légendaire des îles. Cette région du monde, battue été comme hiver par les vents et les tempêtes, est le poumon de son texte, entre introspection et témoignage, qu'elle porte d'une écriture belle et indéniablement sincère. Une jolie découverte !