lundi 5 juin 2017

Juin 2017 - "Faits divers et de société"

     

"L'amante anglaise" de Marguerite Duras (Gallimard/L'Imaginaire)

Marguerite Duras (Marguerite Donnadieu, dite) est une femme de lettres et cinéaste française, née à Gia Dinh au Vietnam (Cochinchine à l'époque) en 1914 et décédée en 1996 à Paris.

Figure majeure de la littérature du XXème siècle, elle cultive dans son oeuvre romanesque et théâtrale une esthétique du mystère. Elle s'illustre également dans le cinéma, qu'elle considère comme le "lieu idéal de la parole".

Ses romans ("Un barrage contre le Pacifique", 1950 ; "Moderato cantabile", 1958 ; "L'amant", 1984), son théâtre ("Savannah Bay", 1982) et ses films ("India Song", 1975 ; "Le camion", 1977) amènent les souvenirs obsédants de l'enfance et la violence de l'amour aux limites de l'extrême dépouillement.

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Marguerite Duras, le 20 octobre 1984 - A propos de l'écriture...

"Je suis un écrivain. Rien d'autre qui vaille la peine d'être retenu. Quand on écrit, si vous voulez, on est cette absence permanente à l'autre qui dure pratiquement le temps que dure la vie, le temps que dure l'écriture. Je ne sais pas jusqu'à quel âge j'écrirai, mais je sais que depuis l'âge de dix-huit ans, dix-huit ans oui, je ne pense qu'à écrire. J'ai eu des accidents de parcours, des enfants, des hommes. Mais je ne sais pas si ces accidents ne sont pas eux-mêmes allés dans l'écrit. C'est un dédoublement, c'est comme... c'est l'équivalent d'un déplacement de soi. J'en parle mal. Je ne peux pas en parler bien. Parce que je pense à l'ambiguïté fondamentale de l'écrit, qui se reporte sur l'écrivant, si vous voulez, qui doit être l'ambiguïté fondamentale d'écrire. Cette personne qui est entière, qui voit et qui entend et qui parle, a besoin de ne plus parler, d'être aveugle, de se boucher les yeux, de se boucher les oreilles, pour retrouver ce qu'elle a vécu. Pour en écrire. Sans ça, dans la littéralité des faits, il n'y a pas d'écriture. Il n'y a rien."

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Les faits :

Marguerite Duras a toujours lu les faits divers. Elle était fascinée par le fait que rien ne peut combler le "pourquoi" des meurtres, quelles que soient les raisons avancées. Elle avait le goût des monstres, des femmes tragiques comme absentes d'elles-mêmes et des autres.

En mars 1952, elle découvrait, dans les colonnes du Monde, l'histoire d'Amélie Rabilloud, qui répondait devant la cour d'assises des Yvelines, à Versailles, de l'assassinat de son mari. En 1949, elle l'avait tué avec un marteau, puis dépecé. Chaque jour, dans son filet à provisions, elle en emportait un morceau pour le jeter dans divers endroits de Savigny-sur-Orge (Essonne), où elle habitait. Jamais Amélie Rabilloud n'a expliqué la raison de ses actes.

Ce sordide fait divers inspire à Marguerite Duras l'écriture d'une pièce de théâtre, "Les viaducs de la Seine-et-Oise", montée en 1960 par Claude Régy. En 1967, Duras modifie la pièce pour en faire un roman, "L'amante anglaise". La pièce, "L'amante anglaise", sera présentée un an plus tard, toujours mise en scène par Claude Régy, avec Madeleine Renaud, Claude Dauphin et Michaël Lonsdale. En 2017, "L'amante anglaise", mise en scène par Thierry Harcourt, avec Judith Magre, a été jouée du 25 janvier au 9 avril au Lucernaire, à Paris.

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L'histoire :
Au coeur des années 1960, en ce soir du 13 avril, à Viorne, ville paisible de Seine-et-Oise, trois habitués, Claire, Pierre et Alfonso, se retrouvent au Balto. Entre eux et Robert, le patron du bar, et deux inconnus, une jeune fille et un homme, la conversation s'engage inévitablement sur l'annonce faite dans la journée par la Gendarmerie et qui confirme ce que racontent les journaux depuis une semaine. Des morceaux du corps d'une femme ont été découverts un peu partout en France dans des wagons de marchandises. L'enquête a permis d'établir un point commun entre chacun des trains. Ils sont passés par un même endroit, le viaduc de Viorne, duquel les pièces macabres auraient été jetées...

Mon avis :

Un écrivain prépare un livre sur le crime de Viorne. Pour cela, il rencontre les trois protagonistes principaux de la tragédie. Robert Lamy, le patron du bar dans lequel la vérité a été révélée ; Pierre Lannes, le mari de la meurtrière, qui paraît si loin des événements, étrangement détaché des faits ; et Claire Lannes, la coupable, dont beaucoup disent, sans grande originalité, "qu'elle avait tout pour être heureuse", sauf peut-être la liberté.

Sous la forme d'un entretien particulier, Marguerite Duras s'approche au plus près de l'intime de ses personnages mais elle respecte aussi leurs silences, leurs secrets, leurs non-dits. Entre les époux Lanne, si l'ennui semble avoir été la cause de la faillite de leur couple, est-il pour autant l'explication du meurtre ? Elle et lui ont tous deux leurs côtés sombres. Pour quelle(s) raison(s) Claire a-t-elle assassiné sa cousine handicapée ? Si certains concluent rapidement à la folie, il y a en cette femme mystérieuse des blessures profondes et inavouées.

Un roman qui se dévore d'une traite !


"Jack l'Eventreur" de Robert Desnos (L'Herne)

Robert Desnos est un poète français (Paris, 1900 - Terezin, Tchécoslovaquie, 1945)

Amoureux de Paris, très attaché au quartier des Halles, où il est né et a passé son enfance, Desnos a la gouaille et la verve populaire de ses habitants. Aussitôt après avoir obtenu le brevet élémentaire (1916), il exécute divers travaux d'écriture afin d'assurer son indépendance. Secrétaire de Jean de Bonnefon, le catholique anticlérical, il apprend à connaître le monde des lettres.

Le service militaire qu'il accomplit au Maroc (1920-1922) le tient éloigné de Dada, que son ami Benjamin Péret lui avait fait découvrir. Son tempérament rebelle et ses attaches libertaires le conduisent vers le surréalisme. Il participe à une séance de sommeil hypnotique en 1922, où il se montre très doué, et dès lors alimente le groupe en poèmes et en dessins automatiques, prétendant être en correspondance mentale avec Rrose Sélavy (pseudonyme de Marcel Duchamp). Son aptitude aux jeux verbaux ("Corps et Biens", 1930), son refus de toute entrave ("Deuil pour deuil", 1924 ; "La Liberté ou l'Amour", 1927), son amour romantique et douloureux pour une vedette de music-hall, Yvonne George ("La Place de l'Etoile", antipoème, 1927-1945), en font un surréaliste exemplaire.

Pourtant, son individualisme et son refus d'adhérer au parti communiste le conduisent à quitter le mouvement avec éclat, après la publication du "Second Manifeste". Il donne alors libre cours à un lyrisme nervalien, qui ne refuse pas la versification classique. Il cherche à faire surgir l'expression populaire et la poésie du monde moderne à travers ses nouvelles activités : journalisme, radio ("La Complainte de Fantômas"), publicité, cinéma (scénarios recueillis dans Cinéma, 1966).

La poésie et l'action se trouvent conciliés dans ses poèmes de la clandestinité ("Le Veilleur du Pont-au-Change", diffusé sous le nom de Valentin Guillois) qui affirment l'amour, l'espérance et la révolte contre l'envahisseur. Cette activité au service de la Résistance relance sa création littéraire : il publie des recueils de poèmes ("Fortunes", 1942 ; "Etat de veille", 1943), un roman ("Le vin est tiré", 1943), "Trente Chantefables pour les enfants sages" (1944) et il prépare le regroupement d'écrits antérieurs quand il est interné puis déporté. Il meurt du typhus quelques jours après sa libération du camp. 

Son audience est assurée auprès d'un large public par la publication de ses poèmes dans "Domaine public" (1952), complétée par "Destinée arbitraire" (1975) et "Nouvelles Hébrides" (1978), qui regroupent ses écrits de 1922 à 1930.

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Les faits :

Les surréalistes étaient fascinés par le crime. A la suite de la découverte d'une femme assassinée et démembrée rue Saint-Denis, à Paris, au début de l'année 1928, Robert Desnos décide de consacrer, pour le journal Paris matinal, une série d'articles à des criminels sadiques, dont Joseph Vacher (qui inspira Jean Aurenche et Bertrand Tavernier pour le film "Le Juge et l'Assassin"), et celui qu'il considère comme un "génie du mal", Jack l'Eventreur.

Jack l'Eventreur, le tueur de femmes, le dépeceur. Entré dans la légende autant pour l'horreur de ses crimes que pour leur impunité. On ne l'a jamais démasqué. Dans ses articles, Robert Desnos décrit les faits sans s'attarder sur les victimes. Ce sont des femmes, pauvres, édentées, prostituées, déjà perdues. Leur supplice les fait entrer dans la légende, comme leur assassin. Sans lui, personne ne se souviendrait d'elles, comme personne ne se souciait d'elles à l'époque. Ce qui intéresse Desnos, dans l'évocation de Jack l'Eventreur, c'est avant tout le Londres de la fin du XIXème siècle qui, en 1928, n'a encore rien d'historiquement exotique.

Jack l'Eventreur est le surnom donné à ce tueur qui terrorisa Londres en 1888. Il a assassiné cinq prostituées en quatre mois dans le misérable quartier de Whitechapel. Malgré le long travail de la police, il n'a jamais été arrêté. Les théories les plus folles courent encore sur son identité et il continue aujourd'hui de passionner, notamment de nombreux ripperologues, écrivains, cinéastes...

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Mon avis :
Ce texte est assez déroutant, dérangeant parfois. Les descriptions des scènes de crimes sont totalement surréalistes et décalées. Dans certains paragraphes, Whitechapel ressemblerait presque à un charmant petit village de la campagne anglaise. Desnos ne nomme pas les victimes, elles ne sont que des numéros, et il ne montre guère beaucoup d'empathie à l'égard de ces malheureuses. En revanche, il ne nous épargne aucun détail anatomique sur leur calvaire ni sur les monstruosités infligées à leur corps. "Si la norme rassure, l'anormalité fascine", dit-on. Desnos semble bien être dans ce cas de figure : la fascination pour le monstre. Très étrange...


"Est-ce ainsi que les femmes meurent ?" de Didier Decoin (Livre de Poche)


Didier Decoin est né en 1945 à Boulogne-Billancourt. Il est le fils du cinéaste Henry Decoin. Journaliste à France-Soir, au Figaro, aux Nouvelles Littéraires, à Europe 1, il participe à la création de VSD. Passionné de navigation, il est actuellement chroniqueur à la revue Neptune Moteur.

Egalement romancier, il reçoit le Prix Goncourt en 1977 pour "John l'Enfer" et, en 1999, le Sept d'Or du meilleur scénario pour "Le Comte de Monte-Cristo".

Elu Secrétaire général de l'Académie Goncourt en 1995, il est aussi Président des Ecrivains de Marine depuis 2007 et membre de l'Académie de Marine.

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Les faits :

Dans la nuit du 13 mars 1964, une jeune femme de 29 ans, Catherine "Kitty" Genovese, fut assassinée en pleine rue, près de son appartement new-yorkais. Malgré ses cris et ses appels à l'aide, personne ne lui porte secours. Les circonstances du meurtre et la non-intervention de nombreux témoins présents lors de l'agression en font un crime célèbre. A la une du New York Times, deux semaines plus tard, l'article évoquant ces circonstances déclencha une énorme polémique. Le comportement des témoins dans le meurtre de Kitty Genovese fut le point de départ de nombreuses recherches en psychologie sociale qui aboutirent à la formalisation d'un "effet du témoin" ou "effet spectateur". Le crime inspira l'intrigue du film "L'homme des Hautes Plaines" de Clint Eastwood sorti en 1973.


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L'histoire :

Lorsque le 27 mars 1964, le journaliste Martin Gansberg publie, dans le New York Times, son enquête sur la mort de Kitty Genovese, une violente onde de choc secoue une Amérique encore bouleversée par l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy et suscite d'importantes controverses. Le monde découvre avec horreur que dans notre société dite "civilisée", une jeune femme peut être cruellement agressée et tuée sous les yeux de trente-huit de ses voisins sans qu'aucun d'entre eux ne tente quoi que ce soit pour lui venir en aide.

Dans la nuit du 12 au 13 mars 1964, Catherine "Kitty" Genovese, barmaid de vingt-neuf ans, quitte son travail et rentre directement chez elle à Kew Gardens, dans le Queens. Deux heures plus tard, elle est retrouvée agonisante dans l'entrée de son immeuble, après avoir été torturée et violée. Son calvaire a duré plus de trente douloureuses minutes au cours desquelles personne ne vint à son secours...

Mon avis :

Nathan Koschel, voisin (fictif) de Kitty Genovese, absent, ainsi que son épouse, le soir du drame, raconte avec beaucoup de justesse et de sincérité, la façon dont il a appris les faits et ses sentiments contradictoires. Sa tristesse à l'annonce de la mort horrible de cette jeune femme qu'il appréciait. Sa culpabilité de ne pas avoir été là pour elle. Sa colère contre la lâcheté des témoins de la scène. Ses doutes quant à son propre courage et sa propre implication s'il avait été présent cette nuit-là. Sa curiosité de tout savoir et tout lire sur cette affaire, l'excitation et à la fois le malaise que cet intérêt lui procure. Sa fierté de pouvoir assister au procès du tueur, forme d'hommage posthume qu'il veut rendre à la victime.

Nathan et Guila Koschel, observateurs de l'intérieur en tant que voisins et amis de la victime, et observateurs extérieurs car absents au moment du meurtre, sont nos témoins, à nous, lecteurs. Ils découvrent les événements et partagent leurs interrogations et leurs émotions.

Un roman sensible et passionnant sur une tragédie qui conduira à d'importants progrès en psychologie sociale.



A voir :

"38 témoins", film de Lucas Belvaux (2012),
avec Yvan Attal, Sophie Quinton et Nicole Garcia,
d'après le roman de Didier Decoin.

"The Girls" d'Emma Cline (Quai Voltaire/La Table Ronde)


Rentrée littéraire - Automne 2016
Premier roman


Emma Cline est née en 1989 en Californie. Elle a grandi à Sonoma avec six frères et soeurs, dans une riche famille de viticulteurs. A 17 ans, elle déménage sur la côte Est pour faire des études d'histoire de l'art, habite un temps à Los Angeles puis intègre le prestigieux programme d'écriture créative de l'université Columbia à New York. A 24 ans, elle a déjà travaillé au New Yorker et publié dans la Paris Review. Les droits de "The Girls", son livre phénomène, ont été vendus aux Etats-Unis pour la somme record de deux millions de dollars. Du jamais vu pour un premier roman, écrit par une jeune inconnue de 27 ans.

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Les faits :

Charles Manson, né Charles Milles Maddox en 1934, est un criminel américain.

En 1967, après plusieurs séjours en prison, Charles Manson se fond dans le milieu hippie de San Francisco. A 32 ans, il crée "La Famille", une communauté essentiellement composée de jeunes femmes, dont il devient le leader et à qui il offre le cadre rassurant de la famille que les jeunes adeptes ont perdue. Parmi eux : Tex Watson, Bobby Beausoleil, Marie Brunner, Susan Atkins, Leslie Van Houten, Patricia Krenwinkel...

Fort de son charisme, en associant des extraits de la Bible avec des textes de l'"Album blanc" des Beatles, Charles Manson conçoit une étrange prophétie selon laquelle les Noirs domineront bientôt les Blancs et qu'ils se tourneront vers lui pour diriger leur nouvelle nation. Manson demande alors à ses plus fidèles disciples d'assassiner des membres influents de la communauté blanche à Los Angeles. Par des crimes qui pourraient être imputés aux Noirs en raison de la trace laissée sur les lieux de l'agression, des slogans attribués aux Black Panters, il espère déclencher une guerre civile entre les Noirs et les Blancs.

En juillet 1969, le professeur de musique Gary Hinman est la première victime de Bobby Beausoleil, Marie Brunner et Susan Atkins.

Puis, dans la nuit du 8 au 9 août 1969, au domicile des Polanski, Tex Watson, Susan Atkins et Patricia Krenwinkel tuent sauvagement l'actrice Sharon Tate, épouse du réalisateur Roman Polanski et enceinte de huit mois, ainsi que les quatre amis du couple présents dans la villa.

La nuit suivante, Tex Watson, Leslie Van Houtten et Patricia Krenwinkel poignardent à mort les époux LaBianca, propriétaires d'un supermarché.

Dénoncé par Susan Atkins, Charles Manson est arrêté en décembre 1969. Le procès de "La Famille Manson" débute le 15 juin 1970 et ce sera le plus long et le plus coûteux procès de l'histoire judiciaire américaine.

Si les "Girls" continuent de voir en Manson une figure christique, les hommes, en particulier Tex Watson, témoignent contre le gourou.

Le 19 avril 1971, la peine de mort est prononcée à l'encontre de Charles Manson, reconnu coupable pour avoir dirigé les assassins, et à l'encontre de Tex Watson, Susan Atkins, Patricia Krenwinkel et Leslie Van Houten. Le 16 février 1972, la peine de mort est abolie en Californie et leur peine est commuée en peine de prison à perpétuité. "La Famille" a certainement commis d'autres meurtres mais la police n'avait pas suffisamment de preuves.

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L'histoire :

De nos jours, en Californie

Eva Boyd occupe pour quelques semaines une villa prêtée par un couple d'amis, Dan et Allison. Installée dans une des chambres, à la nuit tombée, elle entend soudain des bruits inquiétants et se prépare au pire. Elle est la mieux placée pour savoir ce qu'elle risque de subir. Ses souvenirs la glacent encore d'effroi. Mais ce ne sera pas un cambriolage sanglant. Tel n'est pas son étonnement de reconnaître "l'intrus", Julian, le fils de Dan et Allison. A leur dernière rencontre, il n'avait que treize ans. Aujourd'hui, il est de passage à l'improviste chez ses parents avec sa petite amie. Surpris l'un et l'autre, Eva rappelle au jeune homme qui elle est, qu'elle habitait un appartement à Berkeley, près de chez son professeur de violoncelle. Elle a connu son père dans les années 1960 à Los Angeles. Ensemble ils ont vécu une courte idylle. Puis Dan a épousé Allison mais ils ont gardé des liens très forts. Julian se souvient bien d'elle mais Eva est troublée de constater qu'il ne retient de son histoire que la période que lui a racontée son père, celle où elle a été, comme dit le garçon avec fascination, "la fille de la secte". Quelques mois de sa vie qu'Eva aurait préféré oublier...

Mon avis :
En toile de fond de ce premier roman remarquable, Emma Cline s'inspire d'une époque, et de l'affaire Manson qui traumatisa les Etats-Unis. Mais son propos n'est pas de narrer ce fait divers macabre. Changer les noms des protagonistes et ne pas relater les événements réels lui laissent une liberté totale d'immersion, de dialogues, et ainsi de nous raconter de très poignantes histoires au féminin. Passant régulièrement des années 1960 à nos jours, nous suivons le destin de femmes de tous les âges. Et en particulier celui d'Eva Boyd. De cette dame à présent à l'automne de sa vie, nous partageons son parcours initiatique d'adolescente, sa vie à jamais marquée par ses expériences, sa culpabilité de n'avoir pu empêcher l'innommable, ses souvenirs à la fois douloureux et nostalgiques, ses sentiments ambigus pour ces compagnes et compagnons de route inqualifiables qui ont croisé son chemin, et son regard de femme âgée et éprouvée sur la jeunesse d'aujourd'hui.

Un premier roman d'une grande force, sensible, profond et vibrant !


"Agatha, es-tu là ?" de Nicolas Perge et François Rivière (Le Masque)


Nicolas Perge est né en 1981 à Alès (Gard). Touche à tout insatiable, il s'illustre depuis plusieurs années dans divers domaines : la télévision, le cinéma expérimental, l'art, et plus récemment, l'écriture.

François Rivière est né en 1949 à Saintes (Charente-Maritime). Il est romancier et critique littéraire. Il a publié des biographies de Patricia Highsmith, Frédéric Dard, Enid Blyton et James Matthew Barrie. Il est le spécialiste incontesté de l'oeuvre d'Agatha Christie.

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Sir Arthur Conan Doyle (Edimbourg, Ecosse, 1859 - Crowborough, Sussex, 1930)

L'écrivain écossais Sir Arthur Conan Doyle s'est illustré dans un genre littéraire particulier : le roman policier, qui a connu, en partie grâce à ses créations, une vogue croissante au XXème siècle.

Né à Edimbourg, il exerce la profession de médecin, de 1882 à 1891, dans la ville portuaire de Portsmouth. En même temps qu'il s'intéresse à l'histoire, il écrit "Une étude en rouge", qui, en 1887, obtient un grand succès. Il y crée le personnage de Sherlock Holmes, détective flegmatique et ingénieux, expert en criminologie. Celui-ci, flanqué de son ami et auxiliaire, le docteur Watson, va désormais résoudre de complexes énigmes dans une suite d'ouvrages qui donnent une dignité nouvelle au genre policier.

Le succès de Sherlock Holmes est immense. Lorsque Conan Doyle, lassé de son personnage, décide de le faire mourir, il soulève la colère de ses lecteurs. Devant leurs protestations, il s'incline et il fait réapparaître son héros dans une nouvelle aventure : "Le Chien des Baskerville" (1902).

A partir de faibles indices, qu'il est seul à ne pas négliger, Sherlock Holmes remonte, par déduction, aux causes du crime. Mais cette méthode scientifique s'accompagne d'une capacité d'intuition et d'une faculté d'imagination non moins déterminante. En tant que romancier, Conan Doyle a su très habilement se servir de la déduction comme moyen de capter l'intérêt du lecteur.

Parmi les histoires du célèbre détective, il faut citer : "Le Signe des quatre" (1889), "Les Aventures de Sherlock Holmes" (1892), "Les Mémoires de Sherlock Holmes" (1893), "Le Retour de Sherlock Holmes" (1905). Conan Doyle a également composé deux romans ("Rodney Stone" et "Sir Nigel"), des récits de science-fiction ("Le monde perdu", 1912), un ouvrage à caractère humoristique ("Les exploits du brigadier Gérard") et des pièces de théâtre ("Les feux du destin", 1909 ; "La ceinture empoisonnée", 1913).

Anobli après avoir participé à la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902), il s'engage lors de la Première Guerre mondiale et tire de son expérience plusieurs ouvrages marqués par le spiritisme, auquel il s'était intéressé après la mort de son fils sur le front français. Il a laissé des Mémoires ("Ma vie aventureuse", 1923).

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Agatha Mary Clarissa Miller, dite Agatha Christie (Torquay, 1890 - Wallingford, 1976)

Fille d'une mère anglaise et d'un père américain fortuné, Agatha Christie se destine d'abord à l'opéra et au chant qu'elle étudie à Paris. Encouragée par le romancier Eden Philipotts, elle se tourne vers la littérature. En 1914, elle épouse Archibald Christie et s'engage comme ambulancière lors de la Première Guerre mondiale pour suivre son mari. Une petite fille, Rosalind, naît en 1919.

A la suite d'un pari avec sa soeur, elle publie son premier roman, "La Mystérieuse Affaire de Styles" (1920) où apparaît le fameux détective Hercule Poirot, bientôt rejoint par Miss Marple. Elle divorce en 1928, et deux ans plus tard, elle épouse l'archéologue Max Mallowan qu'elle accompagnera dans ses missions. Elle y puisera la matière de romans tels que "Meurtre en Mésopotamie" (1936) ou "Mort sur le Nil" (1937). 

Parmi ses titres les plus célèbres se distinguent "Le meurtre de Roger Ackroyd" (1926), "Le crime de l'Orient-Express" (1934), "Dix petits nègres" (1939). Agatha Christie est élevée au rang de Commandeur de l'Empire britannique par Elisabeth II en 1971.

Avec 86 romans traduits dans toutes les langues, vendus chacun à plusieurs millions d'exemplaires, et près de 20 adaptations théâtrales et cinématographiques, Agatha Christie apparaît comme la Grande Dame du detective novel. Le roman d'énigme est en effet un genre particulièrement florissant dans l'Angleterre de l'entre-deux-guerres. Héritiers de Sherlock Holmes, le détective créé par Conan Doyle, ses personnages prétendent privilégier les jeux de l'esprit et des "petites cellules grises". La rigueur tempérée d'humour de ses récits offre un charme : celui de l'attente anxieuse dont on devine en frémissant qu'elle prendra rationnellement fin.

Agatha Christie est aussi l'auteur de pièces de théâtre ("La Souricière", 1952), d'une autobiographie (1949) et de six romans "sentimentaux" publiés sous le pseudonyme de Mary Westmacott ("L'absence du printemps", 1944 ; "La Rose et l'If", 1947). Son "Autobiographie" sera publiée en 1977, au lendemain de sa mort.

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Les faits :

Le 3 décembre 1926, très affectée par la mort de sa mère et l'infidélité de son mari, Agatha Christie disparaît. Le lendemain, la police retrouve sa voiture abandonnée près de l'étang de Silent Pool dans le comté de Surrey. La presse britannique s'empare alors de l'affaire : suicide d'une femme délaissée, meurtre commandité par son époux voulant retrouver sa liberté ou coup de publicité d'une romancière voulant renforcer le succès de ses livres, les hypothèses ne manquent pas. De gigantesques battues sont organisées le mardi 7 et le dimanche 12 décembre dans les environs de Newlands Corner. Quinze mille bénévoles assistent la police dans ses recherches et les journaux promettent une récompense de 100£.

Agatha Christie est retrouvée douze jours plus tard dans le Swan Hydropathic Hotel de la station balnéaire d'Harrogate, où elle s'était inscrite comme pensionnaire sous le nom de la maîtresse de son mari, Mrs Teresa Neele. La romancière prétend alors ne se souvenir de rien et semble ne pas reconnaître son mari venu la chercher. Elle ne s'expliquera jamais sur cette disparition rocambolesque qui inspirera par la suite de nombreuses oeuvres de fiction, notamment l'intrigue du roman "Les Apparences" ("Gone Girl") de Gillian Flynn, ou "Agatha Christie mène l'enquète", un épisode de la série britannique "Docteur Who".

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L'histoire :
Ce vendredi 3 décembre 1926, Agatha Christie met à exécution, avec beaucoup de gourmandise, le plan de sa disparition. La mise en scène est particulièrement étudiée, comme dans ses romans d'énigmes. Deux jours plus tard, les journaux annoncent que la voiture de la romancière a été découverte, abandonnée au bord d'un étang, mais la jeune femme reste introuvable. Ses proches craignent le pire. Décrite comme l'héritière de Conan Doyle, ce dernier, piqué dans son orgueil, y voit un défi à relever : résoudre ce mystère...

Mon avis :
Une comédie policière extrêmement sympathique, légère et enlevée. L'intrigue est prétexte à de nombreux clins d'oeil et références aux romans et aux personnages d'Agatha Christie, avec des indices disséminés ici et là. Très vite on se prend au jeu de vouloir les réunir tous, et on relirait volontiers l'oeuvre complète de la romancière afin de ne laisser échapper aucun détail. C'est également avec beaucoup de bonheur que l'on retrouve ces grands auteurs britanniques qui ont nourri notre imaginaire : Arthur Conan Doyle, James Matthew Barrie, Dorothy L. Sayers, Rudyard Kipling, Charles Dickens.