jeudi 5 janvier 2017

Janvier 2017 - "Le premier roman de..."


"Le verger de marbre" d'Alex Taylor (Gallmeister/neonoir)


Alex Taylor vit à Rosine, dans le Kentucky. Il a fabriqué du tabac et des briquets, démantelé des voitures d'occasion, tondu des pelouses de banlieue et été colporteur de sorgho pour différentes chaînes alimentaires. Diplômé de l'Université du Mississippi, il enseigne aujourd'hui la littérature après avoir publié un recueil de nouvelles salué par la critique. "Le verger de marbre" est son premier roman.

L'histoire :

Dans le Kentucky rural, Beam Sheetmire et ses parents, Clem et Derna, ont été invités par le jeune cousin Alton à la fête annuelle de la famille Sheetmire. En dehors d'Alton, le reste du clan ne semble pas heureux de la présence de Clem et des siens. La différence physique évidente de Beam avec tous les Sheetmire n'est pas la seule raison. Il y a aussi leur différence sociale et culturelle. Clem s'occupe depuis vingt-cinq ans d'un ferry qui traverse la Gasping River d'une rive à l'autre. Il transporte passagers et véhicules en tous genres, et il est le seul lien avec les villages les plus reculés. Mais le coût de l'entretien du vieux bateau et la baisse régulière du nombre de voyageurs du fait des nouveaux aménagements routiers font que Clem et sa famille vivent très modestement et ne refusent pas, à l'occasion, quelques plans douteux.

Un soir, Beam prend à bord du ferry un curieux personnage qui ne lui inspire pas confiance. L'homme est-il saoul ? Est-il juste bizarre ? Quoi qu'il en soit, il est bavard et pose beaucoup trop de questions. Lorsque le type tente de voler la caisse, Beam s'empare d'une clé à griffe et défend le fruit de son travail. Le coup était trop fort. L'homme s'effondre, mort. Paniqué, Beam en oublie le ferry qui soudain percute un embarcadère. En pleine nuit, il court réveiller son père. Quand il révèle à Clem que l'inconnu a prononcé le nom d'un certain "Loat" en mourant, le père blêmit et ordonne à son fils de partir immédiatement loin d'ici.

Le lendemain matin, le shérif Elvis Dunne se présente chez Loat Duncan, figure locale bien connue des autorités, pour lui annoncer une mauvaise nouvelle. Le cadavre de son fils Paul, meurtrier évadé de la prison d'Eddyville, a été repêché dans la Gasping River. Après avoir identifié le corps, Loat Duncan, accompagné de ses deux calibres 44, de son chauffeur et de ses dobermans, se rend chez les Sheetmire. Il a ses raisons de croire que Clem et Beam sont impliqués dans le décès de son fils...

Mon avis :
Proie d'une chasse à l'homme sans pitié, le jeune Beam, dans sa fuite éperdue, fait face à un monde impitoyable qu'il découvre de la manière la plus violente qu'il soit. Vérité et mensonges se confondent et conduisent inévitablement à la tragédie. C'est avec fébrilité que nous plongeons dans cette descente aux enfers. Quelques étoiles, pourtant, étincellent dans les ténèbres. Malgré le drame qui se joue sous nos yeux, l'auteur parvient à nous offrir de très beaux moments de poésie.

Ce premier roman est une pure pépite littéraire !

"Avant que naisse la forêt" de Jérôme Chantreau (Les Escales)


Après une enfance parisienne et des études littéraires, Jérôme Chantreau a créé un centre équestre. Il s'est formé parallèlement à la sylviculture pour exploiter la forêt attenante à la maison familiale. Aujourd'hui professeur de lettres, il vit au Pays basque. "Avant que naisse la forêt" est son premier roman.

"Chantreau, dans une langue de plus en plus brûlante au fur et à mesure que les tentacules du mystère le saisissent à la gorge, décrit la forêt comme un incubateur des vieilles présences, conservatoire des voix qui se sont tues."
Sylvain Tesson
Magazine Lire -Octobre 2016

L'histoire :
Sa mère vient de mourir. Albert rejoint immédiatement ses proches en Mayenne, dans la propriété familiale, une maison nichée au coeur de mille hectares de forêt. Depuis plusieurs générations, les liens de la famille avec cette forêt sont singuliers et viscéraux. Au retour du crématorium, Albert se retrouve seul dans la grande demeure isolée et silencieuse...

Mon avis :
La solitude, la douleur du deuil, une bâtisse par endroits effrayante, peuplée de fantômes du passé, de légendes et de contes, tous ces éléments réunis font que les pensées et les souvenirs du narrateur défilent, de sa petite enfance à l'instant présent. La forêt, d'apparence inoffensive, qui encercle la longère, se nourrit petit à petit des émotions d'Albert, de ses terreurs, de ses pulsions, de son inconscient. Progressivement, l'homme sombre dans une forme de folie. La forêt devient à la fois son bourreau et son refuge. La prose étourdissante de l'auteur s'enflamme à mesure que son héros s'enfonce dangereusement au fond des bois et de lui-même. Des blessures mortelles que lui inflige l'Homme, la Nature se venge...

Une formidable découverte !

"La Faim blanche" de Aki Ollikainen (Héloïse d'Ormesson)



Aki Ollikainen est né en 1973. Il est photographe et journaliste. Il vit à Lohja, au sud de la Finlande. Avec "La Faim blanche", son premier roman récompensé par de nombreux prix et sélectionné par le Man Booker International Prize 2016, il s'impose d'emblée sur la scène littéraire internationale.






La Famine que subit
la Finlande de 1866 à 1868 
fut la dernière grande famine ayant des causes naturelles. Elle fit 150 000 victimes.



L'histoire :
Un Etat lourdement endetté, un hiver trop long, de mauvaises récoltes... toutes ces sombres raisons réunies font que le peuple finlandais subit, en 1867, une épouvantable famine.
Dans le nord du pays, au bord d'un lac glacial, dans leur chalet d'ordinaire confortable, une famille - Juhani, le père, sa femme Marja et leurs jeunes enfants Mataleena et Juho - tente de survivre. Il n'y a plus de céréales, plus de farine pour le pain, plus de gibier et le poisson est bien trop maigre. Ils ont froid, ils ont faim, ils savent qu'il n'y a plus aucun espoir. Ils s'accrochent à leurs rêves et à leurs fantômes.
Dans les villes, la situation n'est guère plus enviable. Le froid, la faim et la sauvagerie frappent les plus pauvres. Les nobles et les bourgeois, eux, ont encore l'illusion que l'argent les protège du malheur et du déshonneur...

Mon avis :
Un conte poétique douloureux et merveilleux à la fois qui illustre que dans les pires tragédies, il y a aussi quelques instants de grâce. Une plume d'une telle délicatesse et d'une telle sensibilité que l'on ne peut contenir nos larmes...

Remarquable !!!

"Possédées" de Frédéric Gros (Albin Michel)


Frédéric Gros, né en 1965, est un philosophe français, spécialiste de Michel Foucault. Il est professeur de pensée politique à l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences Po). "Possédées" est son premier roman, qui a été sélectionné pour le Prix Goncourt 2016.

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Résumé des faits réels :

A cette époque, le siège de La Rochelle, ordonné par Louis XIII et commandé par le cardinal de Richelieu le 10 septembre 1627, vient de se terminer par la capitulation de la cité protestante le 28 octobre 1628. L'Edit de Nantes* est toujours en vigueur. Pourtant, les tensions restent vives entre Catholiques et Protestants.

* Edit de Nantes : Edit de pacification signé par Henri IV à Nantes le 13 avril 1598, qui définit les droits des Protestants en France et mit fin aux guerres de Religion.

Toutefois, dans la Vienne, Loudun, place protestante, connaît probablement l'une des périodes les plus fastes de son histoire. Catholiques et Protestants se partagent la cité et participent à sa prospérité.

Mais dans les années 1630-1634, un homme se trouve au coeur d'un scandale qui secoue la ville : Urbain Grandier et l'affaire des "Possédées de Loudun".

Grandier est né autour de 1590, près de Sablé. A seulement vingt-sept ans, il est ordonné curé de la paroisse de Saint-Pierre-du-Marché et chanoine de Sainte-Croix à Loudun. Ce qui attise quelques jalousies. Ses sermons, marqués par sa liberté de ton, attirent les foules. Bel homme, son éloquence et son comportement libertin suscitent à la fois admiration et agacement.

En 1632, Jeanne des Anges, mère supérieure du couvent des Ursulines, suivie dans ses déclarations par d'autres religieuses, accuse, pour des raisons obscures, l'abbé Urbain Grandier de les avoir envoûtées et d'avoir pactisé avec le diable.

Pour son malheur, Grandier a un vieux contentieux avec Richelieu. Ce dernier le trouve trop complaisant à l'égard des Protestants. Le cardinal charge dont le magistrat Jean Martin de Laubardemont, parent de Soeur Jeanne des Anges, d'enquêter sur l'affaire des religieuses possédées, certes, mais surtout de veiller à la démolition du château fort de Loudun, refuge éventuel pour les Protestants.

Pour les besoins de l'enquête en sorcellerie, le cardinal de Richelieu autorise des exorcismes. Les possédées sont présentées aux prêtres afin d'être délivrées du démon : convulsions extraordinaires, proférations d'injures à connotations sexuelles et performances surnaturelles, telles que la lévitation et la maîtrise des langues bibliques que ces jeunes filles sont censées ignorer. D'abord réalisées à huis clos, les séances d'exorcisme deviennent publiques. Les curieux affluent de toute la France pour assister à ce divertissement malsain.

Accusé de sorcellerie, soupçonné d'avoir écrit un pamphlet contre Richelieu, le chanoine Grandier est emprisonné et soumis à la question. Il reconnaît avoir séduit une des soeurs mais nie tout le reste. Il est pourtant condamné à mort. Il sera brûlé vif sur la place de Loudun le 18 août 1634, laissant les couventines aux mains des docteurs et des exorcistes. Les signes de possessions disparaissent progressivement jusqu'en 1638.

Les écrits autobiographiques, et une abondante littérature consacrée à sa personnalité, ont permis de conclure que Jeanne de Belcier - ou Jeanne des Anges (1602-1665) - souffrait de troubles du comportement, et faire de son histoire clinique un cas d'école de "Grande Hystérie" (névrose).

Le compte rendu du procès d'Urbain Grandier inspirera plus tard le romancier britannique Aldous Huxley pour son ouvrage "Les Diables de Loudun" (1952).

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L'histoire :
En cette nuit du 29 mars 1623, alors que l'aube n'est pas encore levée sur Loudun, l'abbé Grandier est appelé en urgence au chevet de Scévole de Sainte-Marthe. Le Poète de la Nation, le Politique respecté, le Sage aimé de tous, l'Ami du jeune prêtre de Loudun se meurt...

Mon avis :
Ce roman historique tâtonne entre document et fiction. Mais cette valse-hésitation tend à lasser. Il manque à ce récit un peu trop académique, par ailleurs très intéressant et instructif, ce petit "plus" qui aurait suffit à nous emporter totalement, c'est-à-dire la liberté de ton, l'audace et l'impertinence d'un conteur, pour ces faits réels tout particulièrement. Car il est rare de trouver une histoire vraie qui mêle tant d'objets romanesques à la fois : affaire d'Etat, intrigues politiques, enjeux du pouvoir, règlements de comptes, jalousies, vengeances, haine, fanatisme religieux, sorcellerie, cruauté, érotisme, amour... L'auteur aurait pu s'en emparer davantage...