mercredi 9 janvier 2019

Janvier 2019 - "Coffee Book"



"L'odeur du café" de Dany Laferrière (Zulma)

Dany Laferrière est né à Port-au-Prince (Haïti) en 1953 d'un père intellectuel et homme politique, Windsor Klébert Laferrière, et d'une mère archiviste à la mairie de Port-au-Prince, Marie Nelson. Dany Laferrière passe son enfance avec sa grand-mère, Da, à Petit-Goâve, dans cet univers dominé par les libellules, les papillons, les fourmis, les montagnes bleues, la mer turquoise de la Caraïbe et l'amour fou pour Vava. Ces épisodes heureux sont relatés dans deux de ses romans : "L'Odeur du café" et "Le Charme des après-midi sans fin".

Il démarre sa carrière dans les années 1970 comme journaliste culturel à Radio Haïti, puis au sein de l'hebdomadaire Petit Samedi Soir. La situation politique en Haïti, sous le régime de Jean-Claude Duvalier alias "Baby Doc" (président de 1971 à 1986), le contraint, tout comme son père, diplomate et ancien maire de Port-au-Prince, à fuir son pays pour Montréal, "début d'un ballotage entre deux patries et deux cultures".

C'est dans cette ville que Dany Laferrière va publier, en 1985, son premier roman au titre provocateur, "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer", un livre sur les clichés raciaux "écrit avec une Remington ayant appartenu à Chester Himes".

Installé à Miami au début des années 1990, et s'inspirant d'écrivains américains tels que Henry Miller ou Charles Bukowski, Dany Laferrière compose son "autobiographie américaine", soit une dizaine de romans publiés au Québec, marqués par ses souvenirs d'enfance et d'adolescence ainsi que par ses différents séjours en Amérique du Nord.

Revenu vivre à Montréal avec sa femme et ses trois filles, Dany Laferrière renoue avec la presse écrite (chroniqueur régulier dans La Presse) et l'écriture de scénarios en adaptant plusieurs de ses romans pour le cinéma. En 2009, il obtient le Prix Médicis pour "L'Enigme du retour" où il raconte son retour à Haïti après trente ans d'exil. En 2010, Dany Laferrière publie un ouvrage-témoignage sur le tremblement de terre qui a dévasté son pays le 12 janvier 2010 ("Tout bouge autour de moi").

Il est élu à l'Académie française le 12 décembre 2013.


Extrait :

La tasse bleue

Da est assise sur une grosse chaise avec, à ses pieds, une cafetière. Je ne suis pas loin d'elle, couché sur le ventre à regarder les fourmis.
                    Les gens s'arrêtent, de temps en temps, pour parler à Da.
                    - Comment ça va, Da ?
                    - Très bien, Absalom.
                    - Et le corps, Da ?
                    - Grâce à Dieu, ça va... Une gorgée de café, Absalom ?
                    - Je ne refuserai pas, Da.
                    Le visage fermé d'Absalom en train de humer le café. Il le boit lentement et fait claquer sa langue de temps en temps. La petite tasse bleue que Da réserve aux initiés. La dernière gorgée. Absalom soupire, Da sourit. Il rend la tasse et remercie Da en soulevant son chapeau.


Mon avis :

Le récit commence à l'été 1963, à Petit-Goâve, près de Port-au-Prince, en Haïti. L'auteur a dix ans et passe le plus clair de son temps en compagnie d'une femme exceptionnelle, connue de tous, sa grand-mère, Da, veuve d'un grand négociant en café.

Dany Laferrière feuillette ses souvenirs d'enfance desquels émane une puissante et chaleureuse odeur de café. Par petites touches, des scènes simples du quotidien deviennent de véritables moments de grâce et de poésie, teintés de légendes et de folklore locaux, aux multiples éclats de couleurs, d'émotion, de sensualité et de drôlerie.

Ce livre est l'une des plus belles déclarations d'amour d'un conteur à sa grand-mère !


Extrait :

Le Paradis

Un jour, j'ai demandé à Da de m'expliquer le paradis. Elle m'a montré sa cafetière. C'est le café des Palmes que Da préfère, surtout à cause de son odeur. L'odeur du café des Palmes. Da ferme les yeux. Moi, l'odeur me donne des vertiges.

"Le Café de l'Excelsior" de Philippe Claudel (Livre de Poche)

Philippe Claudel est un écrivain, scénariste et réalisateur français, né en 1962 à Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle). Il est maître de conférences à l'Université de Lorraine au sein de laquelle il enseigne à l'Institut Européen du Cinéma et de l'Audiovisuel, en particulier l'écriture scénaristique. Philippe Claudel a également été professeur en prison et auprès d'adolescents handicapés physiques. Ses principaux romans sont traduits dans le monde entier.

Il entre à l'Académie Goncourt en 2012. Il est fait Docteur Honoris Causa de l'Université catholique de Leuven (ou Louvain, Belgique) en 2015. Il est également élu membre de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en 2016, au siège d'Assia Djebar.

Parmi ses nombreux livres récompensés, on peut citer :
  • "Les âmes grises" (Stock) : Prix Renaudot 2013, Meilleur livre de l'année 2003 du magazine Lire, Grand prix des lectrices de Elle (catégorie roman) 2004
  • "J'abandonne" (Stock) : Prix Roman France Télévisions 2000
  • "Le rapport de Brodeck" (Stock) : Prix Goncourt des lycéens 2007

"Son estaminet était l'abreuvoir des dieux à mobylettes : ils y venaient tous, été comme hiver, malgré les brumes, les soleils aveuglants, les pluies glacées d'avril que rien ne semblait devoir arrêter et qui versaient sur la petite ville de mon enfance une froideur pressée aux parfums de terre ouverte."

Mon avis :

Il a huit ans lorsqu'il perd ses parents. Il est accueilli par son grand-père, Jules, un personnage extraordinaire, aux apparences rugueuses mais d'une grande tendresse et plein de poésie. Le grand-père ne possède qu'une chose, "L'Excelsior", un café de quartier, un lieu qui va nourrir tous les sens du garçonnet et dans lequel il va vivre les trois plus belles années de sa vie, jusqu'à ce jour où les services sociaux décideront d'anéantir ce bonheur...

Un beau roman court sensible, nostalgique et très émouvant !

"Un dernier verre au bar sans nom" de Don Carpenter (10/18)

Don Carpenter est né en 1931 à Berkeley, en Californie (Etats-Unis). Son premier roman, "Sale temps pour les braves", publié en 1966 et traduit en français pour la première fois en 2012, a connu un énorme succès public et critique et l'installe dans le paysage littéraire américain. Proche des écrivains de la scène de San Francisco, et en particulier de Richard Brautigan, pendant douze ans, il travaille comme scénariste pour Hollywood, et fera de cette expérience la matière de plusieurs de ses livres. En trente ans, il publiera une dizaine de romans et de recueils de nouvelles. Il met fin à ses jours en 1995. "Un dernier verre au bar sans nom", son ultime roman, paraît après sa mort.

L'histoire :

Jaime et Charlie se sont connus en 1958 à l'Université de l'Etat de San Francisco. Elle était en première année de Lettres. Lui, étudiant du département d'anglais vétérans de la guerre de Corée. Chacun désirant plus que tout devenir écrivain, célèbre et reconnu, cela va de soi. Fille de journaliste, Jaime était particulièrement brillante. Mais Charlie, de par son expérience militaire, raflait tous les prix.

Leur première nuit d'amour se passa après une fin de soirée surréaliste au Tosca Café, sur Columbus, où, par le plus grand des hasards, Jaime croisa ses parents qui n'étaient pas censés être là. Son enfance l'abandonna, ce soir-là, entre une famille brisée par les mensonges et un coup de foudre aussi soudain que singulier.

Quelques semaines plus tard, Jaime apprend qu'elle est enceinte. Dans le même temps, son père meurt dans les bras de sa maîtresse, et sa mère perd tous ses biens et noie ses désillusions dans l'alcool. Quant à Charlie, diplômé, il obtient une bourse pour le cursus d'écriture littéraire à l'Université de l'Iowa et espère épouser Jaime...

Mon avis :

Attention ! Pépite !!! Quel roman ! Quel roman !!!

En suivant le parcours d'une poignée d'amis, futurs écrivains renommés ou rêveurs incorrigibles, l'auteur balaie de sa plume près de trois décennies d'histoire de la littérature américaine, des années 1950 à 1970 : des classiques de la Lost Generation (Fitzgerald, Hemingway) à la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg), en passant par le Hard-boiled (Hammett, Chandler), les romanciers de guerre (Norman Mailer, James Jones), la San Francisco Renaissance (poètes d'avant-garde), la Woodstock Generation (Bob Dylan, Jim Morrison, Gary Snyder), sans oublier les sirènes de Hollywood et l'écriture de scénarios.

Autour des personnages - ô combien exquis et séduisants - et du spectre de leur manuscrit, se confondent amour, amitié, ambition, concurrence, jalousie. Mais un point, néanmoins, les relie : ces cafés et ces bars qui jalonnent leur existence et où tout, finalement, se décide.

Exaltant !!!

"Sweet Mama's Café" de Elaine Hussey (Harper Collins Poche)

Elaine Hussey est née en 1942 à Lee County (Mississippi, Etats-Unis). Fan de blues, musicienne, professeure d'anglais et journaliste, elle a d'abord publié des articles humoristiques dans la newsletter d'une entreprise. Tout en préparant une thèse à l'Université du Mississippi, elle a écrit son premier roman dans les années 1980. Elle vit dans la région de Tupelo (Mississippi).

L'histoire :

Le 20 juillet 1969, le monde entier retient son souffle : l'Homme marche pour la première fois sur la Lune. Ce même jour, à Biloxi, Mississippi, Sis Blake est en chemin pour accueillir son frère, Jim, de retour du Vietnam, décoré de la Purple Heart, mais amputé d'une jambe.

Bien qu'heureuse de retrouver son petit frère, Sis ne parvient pas à se libérer d'une inquiétude croissante et rien ne peut expliquer ce mauvais pressentiment. Le Sweet Mama's Café, restaurant créé par sa grand-mère en 1921, est devenu une institution dans la région. Sweet Mama, bien vaillante malgré son âge, y travaille encore, secondée par ses petites-filles, Sis à l'intendance, et Emily, jumelle de Jim, à la confection de leur fameuse spécialité, le Amen, cobbler*.

Sis est célibataire, toute dévouée à sa famille, en charge de ses frère et soeur depuis l'âge de quatorze ans, au décès accidentel de leurs parents. Emily est fiancée. Dans quelques semaines, elle épousera l'énigmatique Larry Chastain, qui ne plaît ni à Sis, ni à Sweet Mama, ni à Andy, le petit garçon d'Emily, mais celle-ci est amoureuse. Jim, quant à lui, est un fantôme, son esprit est resté au Vietnam, mais il est revenu vivant, et sa grand-mère et ses soeurs veillent sur lui.

Tout ressemble au bonheur au Sweet Mama's Café.

Bientôt, hélas, les craintes de Sis vont se confirmer. Occupée à remettre le jardin en état avant le mariage de sa petite soeur, en creusant sous un vieux rosier, elle met à jour des ossements humains. Beulah, la fidèle amie de Sweet Mama, convainc la jeune femme de tout recouvrir et de se taire...

(* = sorte de crumble aux pêches et cerises-griottes)

Mon avis :

"[...] et la cuisine du Sweet Mama's Café où le sucre devenait accessoire de magie et les épices un moyen de transport vers le monde des rêves."

Dans la famille Blake, on adore le sucre. Il dégouline à toutes les occasions. Festif lors des événements heureux, sa douceur accompagne aussi les moments difficiles de la vie. La recette aurait pu être rapidement indigeste mais le juste dosage de l'auteure rend l'ensemble savoureux.

"Sweet Mama's Café" est une histoire de femmes fortes et libres, unies face aux écueils de la vie et face aux violences d'une Amérique des années 1960 en pleine tourmente sociale et politique. Des sujets graves, mais les personnages sont sympathiques et attachants. Et le Amen cobbler diablement tentant !