jeudi 6 février 2014

"EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULE" d'Edouard Louis (Seuil)



"En finir avec Eddy Bellegueule"
Edouard Louis
(Seuil)

Ados / Adultes

Premier roman - Rentrée Littéraire Janvier 2014

Coup de coeur !


Edouard Louis a 21 ans. Il étudie la sociologie à l'Ecole Normale Supérieure. L'an dernier, il dirigeait, à vingt ans, un ouvrage consacré à Pierre Bourdieu, "Pierre Bourdieu : l'insoumission en héritage" (PUF). "En finir avec Eddy Bellegueule" est son premier roman.

L'histoire :
Il n'y a pas de commencement. Tout semble avoir toujours été ainsi dans ce petit village d'à peine mille âmes, perdu au coeur de la campagne picarde. Là-bas, dans les familles d'ouvriers très pauvres, les hommes doivent être des durs, des mâles, savoir prendre des cuites et se battre, en finir vite avec l'école, aller à l'usine, et mettre une fille enceinte (d'un garçon, de préférence !). Les femmes, pour la plupart, donnent naissance à leur premier enfant à dix-sept ans, sont coiffeuses, caissières, aides à domicile ou mères au foyer et, de génération en génération, subissent le machisme avec fatalité. Dans ce paysage où tout est tracé d'avance, la brutalité de la vie quotidienne est marquée par une violence presque naturelle, la misogynie, la haine de l'autre, le racisme, et l'homophobie. Le tout imbibé d'une grande quantité d'alcool. Alors, dans cet univers recroquevillé sur lui-même, lorsqu'Eddy, garçon d'à peine dix ans, montre quelques différences face à une virilité imposée, ce monde, qui d'ordinaire manque cruellement de vocabulaire, est intarissable pour désigner le monstre, l'anomalie, le danger : pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze, pédale douce, baltringue, tapette, fiotte, tafiole, tanche, folasse, grosse tante, tata, ou l'homosexuel. Avant même de comprendre de lui-même qui il est, Eddy va subir de toute part la honte, le dégoût, le mépris, les humiliations, les injures, les coups, la douleur...

Mon avis :
Magnifique, cru, brut, implacable, entre témoignage, roman sociologique (cette part sombre du Nord de la France, pour ceux qui connaissent cette région, est bien réelle) et essai, ce livre d'une force rare remue les tripes. On le lit d'une traite, incapable d'abandonner Eddy. Jamais il ne juge, mais de chacun de ses mots transpire la colère de l'auteur et sa souffrance d'avoir été incompris. L'enfance construit l'adulte que nous sommes. Comme Annie Ernaux dans son oeuvre et Edouard Louis dans cet ouvrage le décrivent très bien, entre ce que nous sommes, ce que nous devenons, entre le milieu social, culturel et intellectuel auquel on appartient aujourd'hui, et entre celui d'où l'on est issu, lorsque le fossé entre ces deux mondes se creuse inéluctablement et que la communication devient impossible, une seule solution s'offre à nous : la fuite. Si cette décision est nécessaire, voire vitale, elle est loin d'être facile à prendre, ni à vivre. Même si l'on a reçu une certaine forme d'amour, amour maladroit ou égoïste, il ne peut faire oublier la douleur physique ni la douleur psychologique de l'incompréhension et du mépris.

Plus qu'une plume, plus qu'un écrivain dont on a hâte de lire le prochain roman, Edouard Louis est un être d'une sensibilité exacerbée et bouleversante que l'on aimerait rencontrer !

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