(881 pages)
Rohinton Mistry est né à Bombay en 1952. Aujourd'hui installé à Toronto, il est un des auteurs les plus impressionnants de cette littérature indienne anglophone qui, bien que poussée par les vents de la diaspora, ne cesse d'évoquer les multiples tumultes du sous-continent. De cette terre-là, Mistry est un peintre tout simplement éblouissant : l'étendue de sa palette mérite qu'on le compare à Dickens.
Finaliste du Booker Prize en 1996, son "Equilibre du monde" renoue avec la tradition du roman total, panoramique, visionnaire à force d'être réaliste. Quand le rideau tombe, le lecteur découvre une Inde à feu et à sang : Indira Gandhi vient de décréter l'état d'urgence, livrant son pays à deux années de terreur, entre 1975 et 1977...
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Rappel historique :
(Nehru et Gandhi) |
Mohandas Karamchand Gandhi, surnommé le Mahatma ("La Grande Ame") est un apôtre national et religieux de l'Inde (Porbandar, 1869 - Delhi, 1948). Avocat de formation, Gandhi exerce pendant vingt ans en Afrique du Sud, période pendant laquelle il expérimente la résistance passive et non violente pour lutter contre les autorités. Revenu en Inde en 1915, il s'engage dans la lutte contre la domination britannique et devient l'autorité morale du parti du Congrès. Son attachement aux traditions, sa vie de pauvreté et ses multiples emprisonnements lui valent une grande popularité. A partir de 1930 surtout, il mobilise les Indiens dans la désobéissance civile. Il joue un grand rôle dans l'accession à l'indépendance en 1947, mais la partition entre l'Inde et le Pakistan est pour lui un échec cuisant. Il est assassiné en 1948 par un fanatique hindou.
Indira Gandhi, née Indira Nehru en 1917 à Allâhâbâd, est une femme politique indienne. Premier ministre de l'Inde à deux reprises (1966-1977 et 1980-1984), elle est assassinée lors de son deuxième mandat le 31 octobre 1984 à New Delhi.
Elle est l'unique enfant de Jawaharlal Nehru et de son épouse Kamala. Son père lutte aux côtés du Mahatma Gandhi pour l'indépendance de l'Inde, qui fait alors partie de l'Empire britannique. Membre important du parti indien du Congrès, Nehru est emprisonné plusieurs fois par les autorités britanniques.
Indira Nehru étudie à l'université en Inde, puis à Oxford et en Suisse. De retour dans son pays, elle s'inscrit au parti du Congrès en 1937 et participe à la lutte pour l'indépendance. Elle est emprisonnée pendant quelques mois en 1942 en raison de ses activités nationalistes. La même année, elle épouse un journaliste, Feroze Gandhi (il n'a pas de lien de parenté avec le Mahatma Gandhi). Ils ont deux fils, Rajiv Gandhi (1944-1991) et Sanjay Gandhi (1946-1980).
L'indépendance de l'Inde est reconnue en 1947. Jawaharlal Nehru devient Premier ministre (il le reste jusqu'à sa mort en 1964), et sa fille est sa plus proche collaboratrice. De 1959 à 1960, elle préside pendant quelques mois le parti du Congrès. Feroze Gandhi, son mari, meurt en 1960.
Après la mort de son père en 1964, elle fait partie du gouvernement de son successeur et devient ministre de l'Information et de la Communication. En 1966, elle accède au poste de Premier ministre et en même temps, elle est ministre des Affaires étrangères (1967-1969), puis ministre des Finances (1970-1971). L'Inde étant menacée par la famine, Indira Gandhi obtient des Etats-Unis une aide alimentaire, puis elle met en place une réforme agraire. Elle fait nationaliser les grandes banques indiennes.
En conflit avec un leader important de la droite de son propre parti, Morarji Desai, elle est exclue du parti du Congrès. Elle forme alors avec ses partisans le Nouveau Congrès, sur lequel elle s'appuie pour gouverner. En 1974, l'Inde fabrique sa première bombe atomique.
Suite à des soupçons de fraude électorale, l'élection d'Indira Gandhi est invalidée en 1975. Elle refuse de quitter le pouvoir et décrète l'état d'urgence. Les libertés sont réduites, l'opposition est contrôlée, certains opposants sont emprisonnés, et les élections sont reportées. Il s'agit de la période la plus controversée de l'histoire récente de l'Inde. L'état d'urgence prend fin en 1977. Battue aux élections, Indira Gandhi perd son poste de Premier ministre. En 1978, elle redevient la présidente du parti du Congrès, puis ensuite Premier ministre en 1980, lorsque son parti gagne à nouveau les élections.
Sur le plan mondial, Indira Gandhi est reconnue comme une personnalité importante des pays émergents du sud. A l'intérieur du pays, de graves tensions existent entre les communautés hindoues et sikhs. Ces derniers réclament - parfois par la violence - leur autonomie.
En juin 1984, l'armée indienne massacre un groupe de sikhs armés dans un temple sacré. Parmi les victimes se trouvent aussi d'autres personnes venues simplement pour se recueillir. Quelques semaines plus tard, Indira Gandhi est assassinée, par balles, par deux gardes du corps sikhs.
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("Gare de Bombay" par Michèle Duretête-Brodel) |
L'histoire :
Bombay, Inde - 1975
Comme chaque jour, le train de banlieue est bondé. Soudain, il s'arrête si brusquement que les voyageurs sont violemment bousculés et les bagages, projetés un peu partout, blessent quelques personnes. Un corps vient d'être découvert sur la voie. C'est hélas une tragédie assez fréquente, mais, aujourd'hui, certains passagers s'inquiètent de l'état d'urgence annoncé le matin même à la radio.
Voilà les circonstances dans lesquelles font connaissance Maneck Kohlah, un jeune étudiant, et Ishvar et Omprakash Darji, un oncle et son neveu, tous deux tailleurs. Le plus grand des hasards conduit les trois hommes à un rendez-vous à la même adresse auprès de Mrs Dina Dalal.
L'arrivée de Maneck chez elle plonge Dina dans une profonde nostalgie. L'étudiant est le fils d'une de ses amies d'enfance. Une époque où elle était si heureuse avec son père adoré, le Docteur Schroff, médecin généraliste humble, humain et dévoué au point d'en oublier sa propre santé.
La mère de Dina était plus rude. Quant à son frère, Nusswan, son aîné de onze ans, elle n'a jamais été proche de lui. Mais après la mort prématurée de leur père, puis de celle de leur mère, atteinte de démence, Nusswan devient le tuteur autoritaire et cruel de sa petite soeur. Commença alors pour Dina une dure bataille pour gagner son indépendance et préserver en elle toutes les beautés que son père lui avait enseignées.
Quelques années plus tard, Dina tombe amoureuse de Rustom Dalal, un jeune préparateur en pharmacie, cultivé, gentil, qui lui rappelait beaucoup son père. Mais le bonheur fut de courte durée. Trois ans après leur mariage, Rustom mourut dans un accident de la circulation et Dina se trouva à nouveau l'obligée de son frère, chef de famille intransigeant, et de sa belle-soeur.
Au bout de seize mois, n'y tenant plus, Dina décida de reprendre l'appartement de son défunt mari et de se libérer de la tyrannie de Nusswan. Très vite, il lui fallut un travail pour payer son loyer. Aussi rendit-elle visite à l'oncle et la tante de Rustom, un couple généreux et attachant. La Tante Shirin lui proposa immédiatement de la seconder dans son entreprise de confection. Trop âgée, elle pensait tout abandonner mais que Dina prenne sa suite la comblait de joie.
A la mort de Tante Shirin et d'Oncle Darab, Dina dirigea l'affaire, mais elle se sentit très seule. Elle n'était pas toujours en mesure de régler toutes ses factures et devait régulièrement requérir de l'aide auprès de son frère, ravi, à cette occasion, d'humilier sa soeur. Malgré cela, Dina ne lâcha rien et se jeta à corps perdu dans son labeur...
Mon avis :
Cet ouvrage, en plus d'être une très belle fresque romanesque, est aussi un livre d'Histoire, celle de l'Inde contemporaine, des luttes du Mahatma Gandhi à l'assassinat d'Indira Gandhi.
Nous rencontrons d'abord Dina, jeune veuve avide d'indépendance, dont nous devinons qu'elle sera l'héroïne principale du roman. Puis entrent en piste : deux intouchables, Ishvar et Omprakash ; un étudiant, Maneck ; un avocat aphone, Vasantrao Valmik ; un mendiant cul-de-jatte, Shankar ; un ramasseur de cheveux, Rajaram... et tant d'autres, tous issus de régions, de conditions sociales, de culture et d'éducation différentes. Chacun fait le récit de sa vie, de celle de sa famille, de ses ancêtres.
De ce puzzle apparaît l'image de l'Inde, sa beauté, son art, ses traditions, ses valeurs, mais aussi sa violence, ses cicatrices indélébiles, et la difficulté (voire l'impossibilité) pour les femmes, les intouchables et les basses castes de s'émanciper. Le réalisme est cru, parfois insoutenable, mais toutefois apaisé par un humour très présent. Certaines scènes sont réjouissantes de rocambolesque malgré les drames qui planent au-dessus de la tête de chaque personnage.
Un roman bouleversant et passionnant !
Bouleversant et passionnant en effet, un vrai plaisir de lecture, malgré un style parfois un peu bancal mais qu'importe! Un grand roman.
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