jeudi 5 mai 2016

"La mémoire courte" et "Le Noir qui marche à pied" de Louis-Ferdinand Despreez (Phébus, 2006 et 2008) - Afrique du Sud


Louis-Ferdinand Despreez est un citoyen sud-africain qui souhaite garder l'anonymat (son nom est donc un pseudonyme) et qui signe en français des polars forts et politiquement incorrects. Né en 1955 dans la province du Transvaal, descendant de huguenots immigrés jusqu'en Afrique après la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV en 1685, d'expression anglaise, il parle et écrit parfaitement le français. Compagnon de route de l'ANC (African National Congress), le parti de Nelson Mandela, il milite, depuis 1994, fin de la ségrégation, pour la réconciliation nationale post-apartheid. Lucide à propos de son pays, il explique : "Ce pays a survécu aux camps de concentration, à la colonisation, à la guerre civile, à la ségrégation raciale, au crime organisé, à la xénophobie, il se remettra du reste" mais il ajoute toutefois : "La majorité des gens veulent les mêmes choses simples : de l'éducation, du travail et de l'ordre, et on ne leur donne pas ce qu'ils demandent par obsession communautariste, à cause de minorités multicolores qui nous tirent sans cesse en arrière ou vers le bas." Un franc-parler qu'il partage avec son héros, le superintendant Zondi. "Le genre policier me permet de raconter mon Afrique du Sud sans chercher à plaire ni aux Blancs, ni aux Noirs, ni aux intellos, ni à personne en particulier." Quant au choix du français, outre le fait que son épouse est Française, il dit : "Comme ce que j'écris dans mes romans n'est ni correct ni convenable, il m'a semblé qu'avec le français je pouvais aller beaucoup plus loin dans mes imprécations. L'argot français permet de mettre de la distance entre les mots et les situations."

"La mémoire courte" (Phébus, 2006)

L'histoire :
Le Capitaine Francis "Bronx" Zondi, policier Noir et profiler du SAPS (police nationale sud-africaine) de Pretoria, est sur le point de boucler une enquête longue et difficile lorsque sa maudite voiture de fonction pourrie tombe en panne sur l'autoroute. Peut-être deux mois de travail fichus en l'air ! Et surtout, peut-être un nouveau cadavre, ce soir, pour les tiroirs de la morgue à cause de lui... Retour en arrière...

Mon avis :
"Dans le maelström des événements, tout le monde avait la mémoire courte."
L'enquête policière n'est ici qu'un prétexte pour captiver toute l'attention du lecteur sur un pamphlet politique et social d'une terrible lucidité. Les suspects comme les témoins sont avant tout les acteurs de l'Histoire de l'Afrique du Sud. Une société où rien n'a changé malgré la fin de l'apartheid. Chaque soir, les Blancs sortent "casser du Noir" et les Noirs sortent "casser du Blanc" dans l'indifférence générale. "Les vieux démons de l'apartheid ne sont jamais bien loin sous le vernis glamour de la Rainbow Nation (Nation Arc-en-Ciel)". L'auteur porte un regard profondément pessimiste, cynique et désabusé sur une Afrique du Sud "aimée de toute son âme et de ses tripes, détestée de toute sa tête." La langue, contemporaine, percutante et brutale, assène des phrases-choc d'une violence inouïe qui laissent KO. Il faut dire que nous sommes dans un univers masculin, musclé, où quelques rares femmes sont réduites à des rôles plus que secondaires et peu flatteurs. 
Un livre édifiant et dur qui pointe du doigt la réalité quotidienne des sud-africains.

"Le Noir qui marche à pied" (Phébus, 2008)

L'histoire :
En moins d'un mois, cinq enfants ont disparu à la sortie de leur école, dans différents quartiers de Pretoria. Rien, aucun élément, aucun indice, aucune piste, ne permet d'aider les policiers dans leur enquête. Ils sont nombreux à vouloir baisser les bras lorsque les familles reçoivent une lettre anonyme des ravisseurs. C'est l'espoir qu'attendait le superintendant et profiler Francis "Bronx" Zondi...

Mon avis :
Une intrigue assez frugale mais prétexte à dépeindre sans complaisance ni tabou le chaos dans lequel se trouve l'Afrique du Sud aujourd'hui, dix ans après la fin de l'apartheid, entre espoirs déçus et, malgré tout, furieux désirs de justice et d'humanité sur des terres aussi magnifiques. La pauvreté qui n'a pas changé chez les Noirs, la misère qui touche maintenant les Blancs, l'indécence des touristes qui se promènent  dans le pays comme dans un parc d'attraction, la place ambiguë de la religion dans les prisons qui fait craindre le danger de la radicalisation... Aucun thème n'est laissé au hasard. Appuyé d'une langue formidable, enrichie d'un vocabulaire sud-africain très intéressant à découvrir, Zondi, le héros, nous emmène gamberger avec lui dans les coins les plus reculés de l'âme humaine et de ce pays qu'il aime passionnément.
Une seconde enquête du superintendant Zondi moins brutale, visuellement, que la première, mais tout aussi féroce politiquement !

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