Annie Ernaux est une romancière française née à Lillebonne en 1940. Des "Armoires vides" (1974) à "La honte" (1997), en passant par "Ce qu'ils disent ou rien" (1977), "La femme gelée" (1981), "La place" (Prix Renaudot 1984), "Une femme" (1988) et "L'événement" (2000), elle décrit, sans déploration mais avec une précision chirurgicale, la banalité d'une expérience, la sienne, mais sur bien des points commune à nous tous : au fond du café-épicerie de ses parents, une adolescente échappe, avec une culpabilité douloureuse, aux déterminismes familiaux en accédant à la culture littéraire grâce à l'école. Sa langue toute en litotes* et en ellipses* explore et superpose les différents registres de l'oralité, populaire et distinguée. Dans ses derniers textes, Annie Ernaux se fait la diariste de plus en plus minimaliste et impudique de son expérience amoureuse, dans des "récits vrais" sans concession, dont le style épuré se veut sans détours ni dérision protectrice, au plus près des émotions et des sensations douloureuses.
Litote : Figure de rhétorique consistant à affaiblir l'expression de la pensée pour laisser entendre plus qu'on ne dit.Ellipse :
1) Dans certaines situations de communication ou dans certains énoncés, omission d'un ou de plusieurs éléments de la phrase, sans que celle-ci cesse d'être compréhensible.
2) Raccourci, sous-entendu, procédé allusif.
L'histoire :
Les femmes qui ont entouré son enfance et son adolescence ne ressemblaient en rien aux fées du logis présentées dans les magazines de mode de l'époque, les années 1940 à 1960. Ces femmes fortes, volontaires, courageuses, qui parlaient haut, soumises à aucun homme ni à aucun diktact visant à faire d'elles "de parfaites ménagères", ignorantes des "bonnes manières"... ces femmes-là ont été les modèles d'Annie Ernaux. Au sein du couple parental, du fait du commerce, les tâches domestiques étaient naturellement partagées, et les filles, de l'avis de sa mère comme de son père, avaient autant le droit d'étudier que les garçons. Mais au lycée privé religieux où l'auteur était scolarisée, on lui enseignait une autre vie : fuir la gent masculine, devenir une jeune fille distinguée et studieuse, une jeune femme discrète et convenable, une future épouse suffisamment éduquée mais point trop pour ne pas porter ombrage au chef de famille. Pour l'écrivain, par le simple fait d'être issue d'un milieu social modeste, par le simple fait d'être une femme, le chemin des études sera douloureux, semé d'embûches, d'humiliations et de questions sans réponses. Dans cette société conservatrice, difficile pour une femme de revendiquer sa liberté sans s'attirer des foudres zélées. Malgré sa volonté de ne pas tomber dans le piège, la narratrice se retrouve, juste avant le capes, étudiante, mariée et mère d'un petit garçon. Continuer ou arrêter ses études... La carrière ou la famille... Choix cornélien entre la raison et ses rêves... Choix qui ne s'impose qu'aux femmes...
Mon avis :
Avec une grande justesse et toute sa sensibilité, Annie Ernaux raconte le parcours d'une jeune étudiante dans une société prise en étau entre un fort conservatisme et des mouvements féministes naissants. Un récit édifiant sur l'émancipation de la femme, un combat commencé il y a déjà plusieurs décennies, et la tristesse (et la colère !) de constater qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, de murs à abattre.
"Annie Ernaux est une exploratrice qui sort au grand jour des faits et des sentiments vécus. Loin de bâtir une autobiographie, elle parle de nous, entre le gouffre, la honte et la lucidité. Elle nous voit et nous accompagne dans une lutte perpétuelle contre l'oubli et le silence, pour "sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais". Avec elle, nous sommes vivants."
Christine Ferniot - Magazine "Lire - Avril 2016"
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