mardi 5 septembre 2017

"Justice poétique" de Amanda Cross (Rivages/Mystère)


Amanda Cross, de son vrai nom Carolyn G. Heilbrun, née en 1926 à East Orange, dans le New Jersey, est une éminente universitaire américaine, spécialiste de la littérature anglaise, du Bloomsbury Group et de l'histoire de la condition féminine, sujets auxquels elle a consacré plusieurs ouvrages qui font autorité. Mariée, mère de trois enfants, Carolyn Heilbrun enseigne la langue anglaise pendant plus de trente ans, de 1960 à 1993, à l'Université de Columbia, où elle est la première femme titulaire d'une chaire dans le département d'anglais.

Parallèlement à sa carrière universitaire, et dans le plus grand secret, depuis 1964, sous le pseudonyme de Amanda Cross, elle publie quatorze romans policiers dont l'héroïne principale, Kate Fansler, est professeur d'université, détective, féministe, politiquement engagée, et amatrice de whisky écossais. Ses intrigues policières sont toujours illustrées de références littéraires.

Carolyn Heilbrun s'est suicidée dans son appartement de New York en 2003. Selon son fils, elle ne souffrait d'aucune maladie. Elle estimait seulement avoir fait son temps.

Le roman "Justice poétique" fait largement référence au poète Wystan Hugh Auden.

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La justice poétique (ou justice immanente) est un procédé littéraire grâce auquel la vertu est récompensée et le vice puni. La justice poétique a été définie en 1678 par un théoricien de la littérature, l'Anglais Thomas Rymer. Le but de ce procédé littéraire est de suggérer au lecteur que le bien triomphe toujours du mal, et qu'il est donc plus sage d'adopter une bonne moralité.

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Wystan Hugh Auden est un écrivain anglais, naturalisé américain (York, 1907 - Vienne, 1973). Lié à Stephen Spender et Christopher Isherwood, il donne à son oeuvre poétique une tournure sociale où passe l'influence de Bertolt Brecht. Etabli en 1939 aux Etats-Unis, Auden abandonne l'inspiration marxiste pour une vision existentielle et chrétienne. "Pour le moment" (1945) est un oratorio de Noël, tandis qu'un bar new-yorkais devient l'occasion d'évoquer la solitude dans une époque privée de foi et de tradition. "L'âge de l'anxiété" (1947), "Le Bouclier d'Achille" (1955), "Hommage à Clio" (1960), "Autour de la maison" (1965) évoquent le jeu et les contrastes de la nature, de l'histoire et de l'homme. Des essais sur Kierkegaard, sur la poésie, particulièrement "La main du teinturier" (1962), couronnent une oeuvre qui reste remarquablement cohérente par le souci de diagnostiquer les maux du monde contemporain ("Mondes secondaires", 1968 ; "Ville sans murailles", 1969 ; "Merci : brouillard, derniers poèmes", 1974).

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L'histoire :

L'université de New York vient de connaître un tragique printemps. Etudiants et policiers se sont violemment affrontés durant de longues semaines et l'institution universitaire ne s'est pas montrée à la hauteur des événements. Seul le Collège d'adultes* mené par son doyen, le Professeur Frogmore, a su faire face avec intelligence et maturité. Pour l'administration et les enseignants de l'université, l'été fut consacré à remettre tout en ordre du mieux possible et préparer le nouveau programme et les prochains cours.

A la rentrée de septembre, le Professeur Kate Fansler est invitée à un déjeuner de travail organisé par le Professeur Frogmore. Des rumeurs laissent entendre que le Collège d'adultes devra bientôt fermer ses portes définitivement. La décision aurait été prise par une obscure instance appuyée par de nombreux professeurs du troisième cycle, persuadés que le Collège d'adultes dévalorise l'excellence de l'université et la valeur de ses diplômes. Le Professeur Frogmore compte bien organiser une résistance, entouré d'universitaires convaincus, comme lui, que toute personne, homme ou femme, si elle fait preuve de motivation et d'une instruction adéquate, puisse reprendre le cours de ses études supérieures à tout moment, quel que soit son âge.

Sans très bien envisager la tournure des choses, sans avoir encore la certitude que la cause est juste, Kate accepte de se lancer dans la lutte. Son compagnon de longue date, l'avocat Reed Amhearst, lui apporte son soutien, et considère même, avec humour, qu'il n'y a pas meilleur moment pour la demander en mariage.

A l'annonce de cette heureuse nouvelle, les collègues de Kate, très nombreux, lui organisent une fort sympathique réception. Hélas, le Professeur Cudlipp, tenace opposant au Collège d'adultes, fait un grave malaise et meurt quelques instants plus tard avant l'arrivée des secours...

* Le Collège d'adultes est une structure parallèle au Collège traditionnel, créée à l'origine pour récompenser les soldats qui s'étaient distingués à la guerre en leur permettant de faire des études. Puis ces écoles se sont rapidement ouvertes à toute personne, sans distinction d'âge ou de sexe, désireuse de reprendre ses études.

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Mon avis :
Ce roman, "Justice poétique", est construit en deux parties. La première est une virulente critique des universités américaines qui, en cette fin des années 1960, ont été secouées par de nombreux mouvements de contestations sociaux et politiques. Elles doivent se réorganiser et se restructurer mais se renouvelleront-elles ? Dans la seconde partie vient s'intégrer une diabolique intrigue policière. Le tout évolue sur fond d'une analyse finement ciselée de l'oeuvre de Auden. Un vrai bijou plus littéraire que policier !

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L'histoire :

Sur le vol Londres/New York, un homme se réjouit d'être seul. Malheureusement, une femme s'installe à ses côtés. Elle aurait pu être jeune et jolie. Mais non. Elle est âgée, et ronde de surcroît. Ce n'est là que le début de sa longue liste de préjugés odieux et machistes. Par exemple, il s'étonne qu'à aucun moment du voyage, sa voisine ne lui raconte ni sa vie ni ses petits bobos ; qu'à la place d'un magazine sur papier glacé, elle lise Freud et John Le Carré ; qu'au lieu d'une tisane, elle choisisse un aquavit. Elle n'est pas allée non plus quinze fois aux toilettes, c'est lui qui la dérangera le premier. Cette dame surprenante avive sa curiosité. Hélas, à l'aéroport, elle se volatilise, laissant l'homme secrètement déçu.

Quelques mois plus tard, une femme mystérieuse et volontaire va bousculer les règles immuables de la modeste et très conservatrice université Schuyler. Un couple se trouvera pris dans ses mailles. Alors que son mari, l'avocat Reed Amhearst, quitte le bureau du procureur, le temps d'un semestre, pour mettre en place un atelier judiciaire à la faculté de droit, Kate Fansler, professeur de littérature anglaise, se laisse convaincre d'organiser, au sein de la même université que son mari, un cours de littérature conjoint à un cours de droit donné par le jeune Blair Whitson...

Mon avis :
Ce roman engagé dénonce la condition des femmes, notamment dans le milieu universitaire américain, et toutes les formes d'injustices faites aux minorités en général. Généreusement ponctué de citations et de références littéraires, tantôt avec gravité, tantôt avec impertinence et humour, ce texte garde à la fois légèreté et militantisme. C'est aussi un bel hommage à John Le Carré et à l'ensemble de son oeuvre. Et puis, comment ne pas tomber sous le charme d'une héroïne qui ne refuse pas, de temps en temps, un verre de très bon whisky écossais ?

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