jeudi 7 juin 2018

"Qui a tué mon père" d'Edouard Louis (Seuil)

Edouard Louis est un écrivain français né en 1992 à Amiens. En 2013, il dirige l'ouvrage collectif "Pierre Bourdieu. L'insoumission en héritage" aux Presses Universitaires de France. Puis il crée et dirige, en 2014, la collection "Des mots" aux PUF. La même année, il publie son premier roman, "En finir avec Eddy Bellegueule" (Seuil), en grande partie autobiographique, dans lequel il raconte sa famille et son milieu social d'origine. En 2016 paraît "Histoire de la violence" dans lequel il témoigne d'un viol dont il a été victime un soir de Noël. Son troisième roman, "Qui a tué mon père", sorti en mai 2018, revient sur sa relation avec son père.

L'histoire :

Scène de théâtre.

"Un père et un fils sont à quelques mètres l'un de l'autre dans un grand espace, vaste et vide."

Après plusieurs mois passés loin de lui, le narrateur rend visite à son père, quelque part dans le nord de la France, au bord de la mer. C'est pour lui un choc de découvrir un quinquagénaire qui n'est plus que l'ombre de lui-même, éreinté par la maladie. Grâce à quelques confidences de sa mère, le fils a appris récemment que son père, lorsqu'il était jeune, se parfumait et aimait danser. S'égrainent alors des souvenirs de son enfance, des souvenirs d'un père alcoolique, colérique, obsédé par tout ce qui définit la masculinité, et pourtant, en contradiction avec les règles qu'il imposait, pris en flagrant délit d'émotion à certaines occasions...

Mon avis :

Ce roman court, construit comme une pièce de théâtre en trois actes, semble être le troisième et le dernier volet d'une trilogie commencée par "En finir avec Eddy Bellegueule" et par "Histoire de la violence". Edouard Louis y apparaît plus apaisé, mais sa colère et son engagement sont toujours aussi profonds et sincères.

Les deux premières parties racontent sa réconciliation avec un père à présent en très mauvaise santé. Un père broyé par un accident du travail et une vie de pauvreté. Un père qui, au contact de son fils adulte, se découvre et libère progressivement ses émotions, si longtemps retenues car signes de faiblesse.

Le troisième chapitre est plus politique. Parenthèse à son histoire personnelle, Edouard Louis dénonce ceux qui, à ses yeux, sont les responsables de ces violences sociales, de cette inhumanité, de la souffrance de son père, c'est-à-dire les plus hautes autorités de l'Etat, de droite comme de gauche.

"Ce sont les enfants qui transforment leurs parents, et pas le contraire" cite-t-il un ami à la fin de son texte. C'est, en conclusion, l'espoir d'Edouard Louis pour son père et lui dans leur nouvelle relation.

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A découvrir :


"En finir avec Eddy Bellegueule" (Points/Seuil)

L'histoire :
Il n'y a pas de commencement. Tout semble avoir toujours été ainsi dans ce petit village d'à peine mille âmes, perdu au coeur de la campagne picarde. Là-bas, dans les familles d'ouvriers très pauvres, les hommes doivent être des durs, des mâles, savoir prendre des cuites, se battre, en finir vite avec l'école, aller à l'usine, et mettre une fille enceinte. Les femmes, pour la plupart, donnent naissance à leur premier enfant à dix-sept ans, sont coiffeuses, caissières, aides à domicile ou mères au foyer et, de génération en génération, subissent le machisme avec fatalité. Dans ce paysage où tout est tracé d'avance, la brutalité de la vie quotidienne est marquée par une violence presque naturelle, la misogynie, la haine de l'autre, le racisme, et l'homophobie. Le tout imbibé d'une grande quantité d'alcool. Alors, dans cet univers recroquevillé sur lui-même, lorsque Eddy, garçon d'à peine dix ans, montre quelques différences face à la virilité imposée, ce monde, qui d'ordinaire manque cruellement de vocabulaire, est intarissable pour désigner le monstre, l'anomalie, le danger : pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze, pédale douce, baltringue, tapette, fiotte, tafiole, tanche, folasse, grosse tante, tata, ou l'homosexuel. Avant de comprendre de lui-même qui il est, Eddy va subir de toute part la honte, le dégoût, le mépris, les humiliations, les injures, les coups, la douleur...

Mon avis :
Magnifique, cru, brut, implacable !

"Histoire de la violence" (Points/Seuil) 

L'histoire :
Edouard, le narrateur, s'est laissé convaincre de venir "se reposer" quelques jours chez sa soeur Clara dans le nord de la France. Mais les paysages brumeux et tristes qu'il aperçoit du train lui renvoient en pleine figure des souvenirs d'enfance et d'adolescence qu'il s'efforce depuis tant d'années de chasser de sa mémoire. Une fois auprès de Clara et installé chez elle, il lui confie pour la première fois le viol et la tentative de meurtre dont il a été victime il y a un an, durant la nuit de Noël. Plus tard dans la soirée, Edouard surprend une conversation. Sa soeur raconte à son mari, à sa manière, avec ses mots, avec son interprétation des faits, son agression à lui. Soudain, la réalité n'est plus la même. Edouard se sent heurté, dépossédé de son histoire...

Mon avis :
Qui d'Edouard ou de Clara est le véritable narrateur de ce roman en partie autobiographique ? Les deux, bien sûr, car l'un est le miroir déformant de l'autre. Leur façon de raconter les mêmes faits s'opposent, se répondent, se complètent, pour finalement ne faire qu'une voix dans le récit d'un événement violent, dans le récit de toute une vie de violence. Un texte brut, écrit dans l'urgence de trouver des réponses. Un regard impitoyable et féroce tant sur la société contemporaine que sur l'auteur envers lui-même.

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