vendredi 15 novembre 2019

"Riz noir" de Anna Moï (Folio)


Anna Moï est née en 1955 à Saigon, au Vietnam. Sa mère est enseignante et son père est officier et journaliste. Dès la maternelle, elle est scolarisée dans une école francophone. Après avoir obtenu le baccalauréat au lycée français Marie Curie de Saigon, elle part pour Paris dans les années 1970 où elle étudie l'histoire à l'université de Nanterre.

Sa rencontre avec les stylistes Agnès Troublé (Agnès B.) et Philippe Guibourgé (Dior, Chanel) lui donne envie de travailler dans la mode. Dans les années 1980, grâce à son activité de styliste, elle vit à Bangkok et Tokyo, et voyage beaucoup, devenant ainsi polyglotte : elle parle vietnamien, français, thaï, japonais, anglais et allemand. En 1992, elle s'installe dans sa ville natale, Saigon, devenue Hô-Chi-Minh-Ville. Elle vit avec sa famille dans une maison traditionnelle, au coeur d'une bananeraie de la ville.

Elle commence alors à écrire des chroniques en français dans une revue francophone vietnamienne. Prenant goût à l'écriture, ses chroniques se transforment peu à peu en de véritables nouvelles. En 2001 paraît, aux Editions de l'Aube, "L'écho des rizières", recueil de truculentes nouvelles sur le Vietnam contemporain qui remporte un beau succès d'estime.

Son premier roman, publié en 2004 chez Gallimard, "Riz noir", rompt avec le style léger et humoristique de ses nouvelles. Anna Moï y raconte l'histoire tragique d'une ancienne camarade de lycée, détenue et torturée au bagne de Poulo Condor, au large de Saigon, à la fin des années 1960.

Aujourd'hui, Anna Moï vit entre Paris et Hô-Chi-Minh-Ville où elle a ouvert une boutique, et partage son temps entre l'écriture, la mode et le chant lyrique. Son roman "Le venin du papillon" a obtenu le Prix Littérature-monde, décerné lors du Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo en 2017.

Dans son dernier ouvrage, "Le Pays sans nom", publié en 2017 aux Editions de l'Aube, Anna Moï déambule avec Marguerite Duras dans des lieux qui leur sont mythes communs - le passage Eden, le bac, les bungalows, les voitures de légende, le Mékong - revisités de nos jours. En filigrane s'écrit une  histoire d'amour avec un homme auquel Anna Moï s'adresse en creux, sans jamais le nommer.

"Elles sont deux écrivaines nées dans le même pays. C'est le Vietnam... et ce n'est pas le Vietnam. C'est le Pays sans nom."

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Le bagne de Poulo Condor était un bagne installé sur l'île de Poulo Condor (aujourd'hui Côn Son), faisant partie de l'archipel de Côn Dao, situé à 230 km au sud de Hô-Chi-Minh-Ville dans la mer de Chine méridionale. Il a été un lieu de bannissement utilisé par le pouvoir annamite avant la colonisation française. Il fut réutilisé par les Français dès 1862, après le traité de Saigon. En 1955, il est transformé en "centre de rééducation" par la République du Vietnam (1955-1975) pour enfermer les opposants du Front national de libération du Sud-Vietnam (Viet Cong) pendant la guerre du Vietnam. Certains prisonniers y étaient enfermés dans des "cages à tigre", ce qui les a rendus paraplégiques après des années en position accroupie, sans pouvoir se lever ni bouger leurs jambes.

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L'histoire :

Deux adolescentes, la narratrice, âgée de quinze ans, et sa soeur Tao, seize ans, après une heure de traversée à fond de cale, arrivent au bagne de Poulo Condor. L'horreur n'en est qu'à son commencement.

Pourquoi sont-elles là ? Qui les a dénoncées ? De quoi sont-elles accusées ? La narratrice veut des réponses et se remémore des images et des anecdotes d'une enfance passée à Saigon au milieu du chaos :

L'affaire de soie laquée florissante de leur mère, Van, qui peut désormais offrir un toit à sa famille, la grande et belle Maison du Bonheur...

L'arrivée au pouvoir, en 1955, de Ngô Dinh Diêm, premier Président de la république du Sud-Vietnam, catholique et célibataire, et de la très controversée "Dragon Lady", Madame Nhu, épouse du Premier ministre, belle-soeur du Président, et richissime cliente de Van...

Les manifestations violemment réprimées, en juin 1963, de moines bouddhistes accompagnés de milliers de fidèles réclamant la liberté de culte, la liberté d'association et les libertés politiques ; l'immolation par le feu du bonze Thich Quang Duc... D'autres bonzes suivront son exemple. "Des barbecues", dira avec cynisme la Dragon Lady...

L'assassinat, en novembre 1963, du Président Ngô Dinh Diêm et de son frère...

Le début de l'"Offensive du Têt" le 31 janvier 1968, première nuit de l'année du Singe, alors que Van accueille l'étrange "Cousin Long", un criminel. Malgré les combats sanglants et les privations de nourriture, mystérieusement, la soupe de poule ne manquera pas à la Maison du Bonheur...

L'installation, à son tour, à la maison, de Nguyen Duc Minh, alias "Oncle Ba", leader étudiant, catholique et tuberculeux. Sa douceur et sa sensibilité pour la musique émeuvent la jeune narratrice...

Et puis les cages à tigre...

Mon avis :
Ce roman poignant est inspiré d'une histoire vraie, celle de deux jeunes soeurs prisonnières au bagne de Poulo Condor, et de faits historiques. Entre les corps et les âmes suppliciés, les souvenirs d'enfance, ancrés à jamais, sont comme des respirations, des souffles de vie, où la poésie la plus délicate et pure, contre la folie et la cruauté, devient Résistance.

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