mercredi 17 mars 2021

"Carol" de Patricia Highsmith (Livre de Poche)

Patricia Highsmith est une romancière américaine (Fort Worth, Texas, 1921 - Locarno, Suisse, 1995)

Après un premier roman, "L'inconnu du Nord-Express" (1950), elle publie la série des Ripley ("Monsieur Ripley", 1955 ; "Sur les pas de Ripley", 1979) où elle démonte les mécanismes de la vie quotidienne. Le récit policier se centre sur le coupable, objet mouvant d'une étude psychologique, dans un style qui associe des origines classiques (Tchekhov, Tennessee Williams) à l'horreur la plus crue ("Le Journal d'Edith", 1977 ; "Le jardin des disparus", 1982) et où la limite entre animalité et humanité est indécise ("L'amateur d'escargots", 1975 ; "Le rat de Venise", 1977 ; "Les sirènes du golf", 1984). Son dernier roman, "Petit G" (1995), est publié après sa mort.

De très nombreuses adaptations cinématographiques, les plus fameuses étant "L'inconnu du Nord-Express" d'Alfred Hitchcock (1951), "Plein Soleil" de René Clément (1960) et "L'ami américain" de Wim Wenders (1977), ont contribué à populariser l'univers de Patricia Highsmith. Un univers qui, s'il s'appuie sur les formes et les conventions du roman policier, sait aussi en jouer à merveille pour distendre au maximum le temps de la narration, et introduire le lecteur dans un univers équivoque où le dédoublement est la loi. Si elle a connu le succès avec "L'inconnu du Nord-Express" et la série des Ripley, Patricia Highsmith, "poète de l'angoisse plus que de la peur" (Graham Greene), est aussi l'auteure d'une oeuvre plus secrète, qui culmine avec "Le Journal d'Edith".

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"Carol" ("The Price of Salt" ou "Carol", dans l'édition originale américaine), est un roman lesbien de Patricia Highsmith, d'abord publié sous le pseudonyme de Claire Morgan en 1952 dans une première version censurée. La version intégrale du texte, titrée "The Price of Salt", paraît au Royaume-Uni, sous le pseudonyme, puis sous la signature Patricia Highsmith.

Le roman est inspiré par une rencontre entre Patricia Highsmith et Mrs E.R. Senn (Kathleen Wiggins Senn). Son roman "L'inconnu du Nord-Express" ne devait paraître qu'en 1949. En cette fin d'année 1948, un peu déprimée et à court d'argent, Patricia Highsmith fut engagée comme vendeuse au rayon des jouets, chargée des poupées, au Bloomingdale's de Manhattan pour la période des fêtes. Un vendredi matin, une femme blonde, mystérieuse, en manteau de fourrure, vint acheter une poupée. Pour la livraison, la jeune vendeuse prit le nom et l'adresse de la troublante cliente. Ce soir-là, Patricia Highsmith écrivit un plan de huit pages. Au cours du week-end, elle se sentit fiévreuse et ne put reprendre le travail le lundi. Elle avait attrapé la varicelle.

"Un petit enfant au nez renifleur avait dû me passer le microbe, mais il m'avait aussi, d'une certaine manière, inoculé le germe d'un livre : la fièvre stimule l'imagination."

Elle développa l'histoire quelques semaines plus tard et l'acheva en 1951. Elle ira jusque chez Mrs Senn sans oser la rencontrer. Mrs Senn, dépressive, se suicida au monoxyde de carbone avant la publication du livre.

En France, le roman est d'abord traduit par Emmanuèle de Lesseps en 1985, reprenant pour l'auteure de l'oeuvre originale en anglais le pseudonyme de Claire Morgan et le titre "Les eaux dérobées", puis sous son titre actuel et le nom de Patricia Highsmith à partir de 1990 et pour toutes les éditions ultérieures. 

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En 2015, "Carol", film britannico-américain réalisé par Todd Haynes, est l'adaptation du roman éponyme de Patricia Highsmith, avec Cate Blanchett dans le rôle-titre, Rooney Mara (récompensée par le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes de 2015), Sarah Paulson et Kyle Chandler. L'histoire se déroule en 1952 et 1953 à New York. Le film fait écho au film "Loin du paradis", où le même réalisateur, homosexuel affiché, filmait une histoire d'amour interdite dans l'Amérique des années 1950.

Au New York Critics Circle Awards de 2015, "Carol" reçoit les Prix du Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario, Meilleure photographie. Il a été bien reçu par les groupes de cinéphiles LGBT : un sondage organisé en mars 2016 par le Festival londonien du film Gay et Lesbien le sacre en effet "Meilleur film LGBT de tous les temps", devant "La vie d'Adèle" et "Le secret de Brokeback Mountain". Par ailleurs, lors du Festival de Cannes 2015, le film a reçu la Queer Palm.

L'histoire :

Therese est une décoratrice de théâtre new-yorkaise de dix-neuf ans, trop jeune encore pour avoir une expérience professionnelle. Elle attend la confirmation de son premier contrat pour l'année prochaine auprès d'une petite compagnie de Greenwich Village, dirigée par Phil McElroy, une connaissance de Richard. En attendant, à l'approche de Noël et à court d'argent, elle répond à une annonce et est engagée comme vendeuse au rayon des jouets du grand magasin Frankenberg, à Manhattan, pour la période des fêtes.

Therese et Richard sont amis d'enfance et se fréquentent depuis dix mois. C'était le cours des choses mais il n'y a guère de passion amoureuse ni d'un côté ni de l'autre. Pour la jeune femme, cette relation est loin d'être une évidence mais elle ne parvient pas à s'expliquer la raison de cette mise à distance de ses sentiments. Sa confusion ne fait que croître davantage lorsque, ce matin-là au magasin, elle croise le regard gris d'une élégante femme blonde en manteau de fourrure qui sort de l'ascenseur du sixième étage, celui du rayon des jouets, et avance lentement vers son comptoir...

Mon avis :

Quand le roman a été publié, il y a maintenant plus de soixante-dix ans, l'Amérique puritaine était en pleine guerre froide. Elle menait une chasse aux sorcières contre les communistes, mais aussi contre les homosexuels, des "pervers" et des "malades".

Dans ce contexte, Therese, jeune ingénue, indécise, inexpérimentée, entre dans la vie active et fait une rencontre qui sera décisive pour le reste de son existence. En un regard, son corps va soudain s'enflammer d'un désir puissant qui la dépasse, qu'elle n'a jamais ressenti auparavant, pas même pour son compagnon, et qu'elle s'efforce de refouler. Carol, riche, belle, raffinée, femme avertie, autoritaire et capricieuse comme se le permettent les gens de son rang, est consciente de la fascination qu'elle exerce sur Therese. Si elle semble en profiter au début, son armure se fend petit à petit. Therese et Carol vont entretenir une relation ambigüe, dans la retenue des sentiments, mais romantique, passionnelle, érotique. Au fil du temps, Therese gagne en force et Carol gagne en fragilité. Puis, l'amour pressenti devient une certitude.

Entre roman d'apprentissage et témoignage d'une société, "Carol" est un récit heureux, et pourtant empreint de tristesse et de solitude. Les émotions du lecteur bouillonnent et se bousculent. Patricia Highsmith est à la fois extrêmement pudique sur les sentiments profonds ressentis par ses personnages et généreuse dans l'écriture de tous ces détails faussement anodins qui accompagnent ses héroïnes : les cigarettes consumées, les verres bus, les mets consommés, une haleine alcoolisée, le brouhaha des magasins, des bars, des restaurants et de la rue, le logement sans joie d'une vendeuse âgée, l'écho des talons sur le macadam, le roulement d'une voiture, le parfum d'un inconnu, la poussière d'une chambre d'hôtel, le craquement d'un parquet, le bruissement d'une robe...

Enorme coup de 💗 !!!

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