mercredi 21 avril 2021

"La Maison du sommeil" de Jonathan Coe (Folio)


Prix Médicis étranger 1998


Jonathan Coe est un écrivain britannique né en 1961 à Lickey, près de Birmingham. Il a fait ses études à Trinity College à Cambridge. Il a écrit des articles pour le Guardian, la London Reviews of Books, le Times Literary Supplement... Il est l'un des auteurs majeurs de la littérature britannique actuelle. Ses oeuvres mettent en scène des personnages en proie aux changements politiques et sociaux de l'Angleterre contemporaine. S'il sait se faire grave et mélancolique dans "La femme de hasard" (2007), c'est avec "Testament à l'anglaise" (1995), Prix Femina étranger 1995 et Prix du meilleur livre étranger 1996, où il passe au vitriol l'époque thatchérienne, que son talent de romancier se fait connaître. Suivent "La Maison du sommeil" (1998), Prix Médicis étranger 1998, le diptyque "Bienvenue au club" (2003) et "Le Cercle fermé" (2006), "La pluie avant qu'elle ne tombe" (2009), "La vie très privée de Mr Sim" (2011), histoire picaresque d'un incorrigible ingénu, et "Expo 58" (2014), parodie de roman d'espionnage dans l'Angleterre des années 1950. L'essai "Notes marginales et bénéfices du doute" a paru en 2015. "Numéro 11", paru en 2016, tisse une satire sociale et politique sur la folie de notre temps.

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"Enorme, grise et imposante, la propriété d'Ashdown  se dressait sur un promontoire, à une vingtaine de mètres de la falaise à pic, qu'elle surplombait depuis plus d'un siècle. Toute la journée, les mouettes tournoyaient autour de ses flèches et de ses tourelles, avec des gémissements stridents. Jour et nuit, les vagues se brisaient furieusement contre la paroi rocheuse, et résonnaient comme un grondement de camions dans les salles glaciales et le dédale de couloirs de la vieille bâtisse. Même les recoins les plus vides d'Ashdown - qui était désormais presque entièrement vide - n'étaient jamais silencieux. Les pièces les plus habitables se concentraient frileusement au premier et au deuxième étage, face à la mer, et dans la journée un froid soleil les inondait. La cuisine, au rez-de-chaussée, était longue, en forme de L, avec un plafond bas ; elle n'avait que trois fenêtres minuscules, et était constamment plongée dans l'ombre. La beauté sinistre et arrogante d'Ashdown masquait le fait qu'elle était profondément inadaptée à toute présence humaine."

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Tout commence par un roman, "The House of Sleep" (1934) ("La Maison du sommeil") de Frank King (1892-1958), médecin et écrivain britannique, auteur de nouvelles, pièces de théâtre et romans policiers et fantastiques. Ce livre accompagne, tout au long de l'histoire, les héros de "La Maison du sommeil" de Jonathan Coe.



Terry Worth, personnage du roman de Jonathan Coe, évoque également à plusieurs reprises le film "The Ghoul" ("Le fantôme vivant"), adapté du roman éponyme de Frank King et réalisé en 1933 par T. Hayes Hunter, avec Boris Karloff. Film longtemps considéré comme définitivement perdu, une première copie en très mauvais état, tronquée de quelques minutes et possédant des sous-titres incrustés sur l'image, fut retrouvée dans les archives nationales tchèques. Par la suite, au début des années 2000, une version de bien meilleure qualité, considérée comme la version intégrale, fut retrouvée en Angleterre.

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L'histoire :

Après avoir été une résidence privée, Ashdown, grande bâtisse ancienne et de caractère, dominant l'océan, devint, au début des années 1980, un logement pour une vingtaine d'étudiants de la nouvelle université. C'est entre ces murs que Sarah vécut sa première histoire d'amour avec Gregory, étudiant en médecine.

Ensemble depuis onze mois, tous deux diplômés depuis juillet, Gregory prépare son départ pour Londres où il se spécialisera en psychiatrie. Quant à Sarah, elle a décidé de rester à l'université pour suivre une formation d'institutrice. Cet éloignement géographique n'est pas la raison de leur rupture. Sarah est une jeune femme sérieuse et discrète. Elle fuit autant que possible la vie sociale, non par timidité, mas parce que depuis l'enfance elle est victime de curieux phénomènes, comme si ses rêves se confondaient à la réalité. Gregory, intellectuel froid et dépourvu d'empathie, est immédiatement fasciné par cette singularité et impose quotidiennement à sa compagne des expériences dérangeantes. Mais ce soir, il est allé trop loin. Sarah le repousse. Humilié, il met fin à leur relation...

Une dizaine d'années plus tard, la propriété d'Ashdown est cédée à un certain Docteur Dudden qui y installe sa clinique et son laboratoire. Sorte de savant fou obsédé par l'étude du sommeil et de ses troubles, Dudden ne cherche pas à guérir ses patients. Il veut aller au bout de la connaissance. Par tous les moyens...

Mon avis :

La Maison d'Ashdown est le lieu, la base solide, le rempart indestructible, qui relie les personnages entre eux. Inconsciemment, chacun est en quête de son Graal : Sarah l'institutrice narcoleptique en quête de stabilité ; Gregory le savant fou en quête d'une métamorphose ;  Terry le passionné de cinéma insomniaque en quête d'un film disparu ; Veronica la littéraire féministe en quête de liberté ; Robert l'amoureux romantique en quête de son identité ; Ruby l'enfant somniloque (qui parle en dormant) en quête de son Marchand de sable.

Un roman remarquable par son intrigue captivante, par sa construction ingénieuse (les chapitres suivent un cycle de sommeil) et par la richesse de sa réflexion autour du sommeil, fil rouge de toute l'histoire (la place et la qualité du sommeil dans une société qui bouge tout le temps et plus vite, dans un environnement où le corps et le cerveau sont sollicités en permanence ; les conséquences d'un manque ou d'un mauvais sommeil sur notre comportement physique, mental et émotionnel).

Bien entendu, Jonathan Coe reste fidèle à sa marque de fabrique et pose son regard critique sur les années 1980 et 1990 dans leur globalité : les politiques sociales et économiques, le règne de l'argent ; mais aussi le cinéma, la littérature, le théâtre, la musique, les références culturelles sont abondantes ; ou encore la sexualité, l'amour, les nouvelles appréhensions de la psychiatrie et de la psychanalyse. N'échappent pas à ses coups de griffe les nouvelles stratégies de management, développement personnel et autre psychiatrie de communication.

Brillantissime !!!

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A noter :

⇨  Le roman est construit à l'image d'un cycle du sommeil [l'endormissement (Etat de veille) ; le sommeil lent (Stade I - Stade II) ; le sommeil profond (Stade III - Stage IV) ; le sommeil paradoxal (Sommeil Paradoxal), stade des rêves dont on se souvient et des mouvements oculaires rapides, stade dont s'est emparé Jonathan Coe pour son intrigue ; le réveil (Appendice 1, Appendice 2, Appendice 3), chapitres du roman où tout s'éclaire, où tout s'explique].

Table des matières de "La Maison du sommeil" :
Etat de veille
Stade I
Stade II
Stade III
Stade IV
Sommeil Paradoxal
Appendice 1 = Poème
Appendice 2 = Lettre
Appendice 3 = Transcription

⇨  Les chapitres impairs correspondent aux années 1983-1984 et les chapitres pairs correspondent à la période du 15 au 30 juin 1996.

A (re)lire :

⇨  "Les enfants de Longbridge"
⇨  "Numéro 11"

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