jeudi 25 juin 2015

"LA TRILOGIE BERLINOISE" de Philip Kerr (Le Livre de Poche)



Prix des lecteurs - roman policier 2010
Allemagne - Auteur écossais

Trois volumes réédités en un seul ouvrage :

"L'Eté de cristal"
Prix du roman d'aventure 1993
Prix Mystère de la critique 1994

"La Pâle Figure"

"Un requiem allemand"


Philip Kerr est né en 1956 à Edimbourg, en Ecosse. Il a fait des études de droit à l'université de Birmingham, a travaillé dans la publicité et comme journaliste indépendant avant de se lancer dans l'écriture de fictions. "La trilogie berlinoise", qui traverse Berlin de 1936 à 1947, a reçu le Prix des lecteurs - roman policier en 2010.

"Voilà ce qu'était devenue Berlin sous le gouvernement national-socialiste : une vaste demeure hantée pleine de recoins sombres, d'escaliers obscurs, de caves sinistres et de pièces condamnées, avec un grenier où s'agitaient des fantômes déchaînés qui jetaient des livres contre les murs, cognaient aux portes, brisaient des vitres et hululaient dans la nuit, terrorisant les occupants au point qu'ils avaient parfois envie de tout vendre et de partir. Pourtant, la plupart se contentaient de se boucher les oreilles, de fermer les yeux et de faire comme si tout allait bien. Tout apeurés, ils parlaient peu, faisaient mine de ne pas sentir le tapis remuer sous leurs pieds, et les rares fois où ils riaient, c'était du petit rire nerveux qui accueille poliment les plaisanteries du patron."
Philip Kerr
"L'Eté de cristal"

L'histoire :
Berlin, 1936. L'Allemagne se prépare à accueillir les Jeux Olympiques.
Bernhard Gunther, enquêteur privé, assiste aujourd'hui au mariage de sa secrétaire. Au lieu de s'en réjouir, c'est à regret qu'il félicite les mariés car Dagmarr ne travaillera plus pour lui. Plus d'une fois il eut envie de lui demander de l'épouser mais à trente-huit ans il était évidemment trop vieux pour elle. La belle préféra un jeune et beau pilote de la Lufthansa à qui Gunther ne cache pas son peu de sympathie pour le National Socialisme. Hardiesse de plus en plus risquée en cette Allemagne du Troisième Reich. Gunther le sait bien. La plupart de ses clients sont des Juifs à la recherche de proches disparus.
Passablement éméché, au milieu de la nuit, Gunther quitte la fête et n'aspire qu'à s'endormir dans son lit. Malheureusement, devant son domicile l'attendent trois hommes qui l'invitent avec conviction à monter dans une Mercedes noire. Une personne mystérieuse souhaite louer ses services. Gunther est conduit auprès de Hermann Six, un des plus gros industriels de la Ruhr. Il y a trois jours, sa fille, Grete, et son gendre, Paul Pfarr, ont été abattus de plusieurs balles, leurs corps ensuite brûlés dans l'incendie de leur maison, et des bijoux de grande valeur ont disparu du coffre-fort. Six veut le ou les coupables de ces actes abominables et exige la discrétion. Gunther accepte le contrat lucratif.
Le lendemain matin, il commence ses investigations. D'abord il apprend que le couple Pfarr battait de l'aile. Puis il obtient quelques adresses de revendeurs peu scrupuleux. Par ailleurs, il découvre avec étonnement que Hermann Goering lui-même est un grand amateur d'objets de luxe, les pierres précieuses en particulier, et qu'il est prêt à tout pour en posséder...

Mon avis :
Les deux premières parties sont un hommage à Dashiell Hammett et à Raymond Chandler. On retrouve avec beaucoup de plaisir tous les codes du roman noir américain des années 1930 à 1950 : la figure mythique du détective privé à l'imperméable sombre et au chapeau gris, solitaire, libre, élégant, un brin macho mais charmant ; cigarettes, alcool, jolies femmes, revolvers, bagarres musclées, clients fortunés, indics, mafieux, ripoux, balances, (rares) amis loyaux. De l'insolence et de l'humour mordants insufflent une brise rafraîchissante à la gravité du contexte historique.
La troisième partie, plus ténébreuse, n'est pas sans rappeler l'oeuvre de John Le Carré et les romans d'espionnage sur l'époque de la Guerre Froide.
Pour chaque épisode, l'auteur met en premier plan une enquête criminelle très bien ficelée, et en toile de fond l'Histoire, répercutant ainsi, avec un grand réalisme, le climat de suspicion et de peur dans le quotidien de ses personnages. A décrire l'horreur, Philip Kerr préfère s'interroger et réfléchir sur comment tout cela fut possible, comment un peuple cultivé a pu être entraîné dans une telle folie.
Cette trilogie évoque trois périodes de l'histoire de l'Allemagne. 1936 et 1938 : la montée du nazisme, les Jeux Olympiques de Berlin, les accords de Munich, la Nuit de Cristal, le rôle des bras droits de Hitler... 1947 : Berlin en ruine, le plan Marshall (empêcher la propagation du communisme), l'occupation de Berlin divisée en une zone soviétique et plusieurs zones occidentales (réparties entre la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis), la reconstruction, la "dénazification", et plus tard la création des deux Allemagnes...
Mille pages qui se dévorent d'une traite ! A la fois instructif et divertissant, intelligent et fluide, ce roman témoigne de la cupidité et de la cruauté humaine.

"Le pâle ciel d'automne était empli de l'exode de millions de feuilles que le vent déportait aux quatre coins de la ville, loin des branches qui leur avaient donné vie. Ici et là, des hommes au visage de pierre travaillaient avec lenteur et concentration pour contrôler cette diaspora végétale, brûlant les branches de frêne, de chêne, d'orme, de hêtre, de sycomore, d'érable, de marronnier, de tilleul et de saule pleureur, tandis que l'âcre et grise fumée flottait dans l'air comme le dernier souffle d'âmes perdues. Pourtant, d'autres feuilles continuaient à tomber, à tomber sans cesse, de sorte que les tas se consumaient sans diminuer, et tandis que je regardais rougeoyer la braise des feux en humant les gaz chaud de cette mort végétale, il me sembla sentir l'odeur de la fin de toute chose."
Philip Kerr
"La Pâle Figure"

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