jeudi 23 juin 2016

"Contes noirs" d'Ambrose Bierce (Rivages)


Ambrose Bierce (1842-env.1914) est un journaliste et écrivain américain. Vétéran de la guerre de Sécession, puis journaliste à l'Examiner de Randolph Hearst, il a laissé des nouvelles et des essais grinçants, macabres, raillant les moeurs contemporaines, et qui font de lui un maître du réalisme et de l'horreur. Alliant le fantastique à la minutie du détail, il est un des précurseurs de la nouvelle américaine moderne. Son humour noir, féroce et sophistiqué s'exprime dans l'excellent "Dictionnaire du Diable". A l'âge de soixante-et-onze ans, il rejoint l'armée de Pancho Villa et disparaît à une date inconnue en luttant aux côtés des paysans mexicains.

"Par une nuit d'été" 
Extrait : C'était une sombre nuit d'été, déchirée par de rares éclairs dont la lueur tremblotante embrasait en silence un nuage très bas à l'occident, annonciateur d'orage.

"La fenêtre condamnée"
Extrait : La douleur est un artiste aux pouvoirs aussi variés que les instruments sur lesquels elle joue ses lamentations funèbres, arrachant aux uns les notes les plus hautes et les plus perçantes, aux autres ces accords bas et graves dont les vibrations reviennent comme le lent battement d'un tambour lointain.

"Histoire de fou"
Extrait : Les yeux sont deux fenêtres circulaires ; le nez est une porte ; la bouche, une ouverture provenant de l'enlèvement d'une planche au-dessous de la porte. Il n'y a pas de marche de seuil. En tant que visage, la maison est trop grande ; en tant que demeure, elle est trop petite.

"Les funérailles de John Mortonson"
Extrait : En présence de la mort, la raison et la philosophie sont muettes.

"Le décor approprié"
Extrait : Il (l'auteur) a droit à l'attention complète du lecteur. La lui refuser est immoral. Partager votre attention entre lui et le fracas d'un tramway, le panorama mouvant de la foule sur les trottoirs et les édifices qu'elle longe (bref, une quelconque des mille distractions dont est fait notre milieu habituel), c'est le traiter avec une injustice flagrante. Pardieu, c'est infâme !

"Veillée funèbre"
Extrait : La terreur superstitieuse que les morts inspirent aux vivants, disait le docteur Helberson, est héréditaire et incurable. Il n'y a pas lieu d'en avoir honte, pas plus que d'avoir hérité, par exemple, d'une incapacité à comprendre les mathématiques ou d'une tendance à mentir.

"L'homme et le serpent"
Extrait : Juste sous le repose-pieds du lit, il discerna les anneaux d'un gros serpent : les points lumineux étaient ses yeux ! Son horrible tête plate, dardée en avant à partir de l'anneau le plus bas et reposant sur l'anneau le plus haut, était dirigée droit vers lui ; la netteté des contours de la mâchoire large et brutale, du front stupide, permettait de déterminer la direction de son regard mauvais.

"Une sacrée garce"
Extrait : De leur ombre malsaine et humide, le visiteur curieux en la matière aurait pu retirer d'innombrables souvenirs de l'ancienne splendeur du camp : bottes dépareillées enduites de moisissure verte et débordant de feuilles pourrissantes ; çà et là, un vieux chapeau de feutre ; lambeaux épars d'une chemise de flanelle ; boîtes à sardines férocement mutilées ; et une surprenante profusion de bouteilles noires réparties en tous lieux avec une impartialité vraiment universelle.

"Le troisième orteil du pied droit"
Extrait : Tandis qu'il tâtonnait au milieu des ténèbres mentales, à la recherche d'un fil conducteur dans ce labyrinthe d'incertitude, son regard, dirigé machinalement vers le sol, à l'ordinaire de ceux qui méditent un important problème, tomba sur une chose qui, là, en pleine lumière, en présence de compagnons vivants, le frappa d'une invincible terreur.

"L'inconnu"
Extrait : Un homme est pareil à un arbre : dans une forêt de ses semblables, il poussera aussi droit que le lui permet sa nature générique et individuelle ; seul en terrain découvert, il cède aux forces déformantes qui l'environnent.

"La route au clair de lune"
Extrait : Depuis déjà trois heures, la pleine lune avait surgi à l'horizon oriental ; un silence solennel régnait dans la campagne ; nous n'entendions que le bruit de nos pas et le crissement incessant des sauterelles. Les arbres en bordure de la route projetaient en travers de la chaussée des ombres noires séparées par d'étroites plages luisantes, d'une blancheur spectrale.

"Un habitant de Carcosa"
Extrait : Ces vestiges de la vanité humaine, ces monuments commémoratifs de piété et d'affection, me paraissaient si anciens, si délabrés, si usés, si tachés, et le lieu même donnait une telle impression de négligence et d'abandon, que je ne pus m'empêcher de songer que je découvrais le cimetière d'une race d'hommes préhistoriques, d'une nation dont le nom même avait disparu depuis longtemps.

Mon avis :
De sa plume agile et poétique, Ambrose Bierce met son talent d'extraordinaire "diseur d'histoires" au service de textes savoureusement sinistres. Avec un plaisir sadique et malicieux, il se joue de nos peurs les plus profondes, se servant parfois de décors mythiques comme ces villes du far-west abandonnées aux vents, à la poussière et aux créatures les plus cauchemardesques. Douze petits bijoux d'écriture !!!

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