mardi 2 mai 2017

"Aux animaux la guerre" de Nicolas Mathieu (Babel/Noir)

Nicolas Mathieu est né à Epinal en 1978. Après avoir été étudiant, stagiaire, RMIste, en CDD, en contrat aidé et auto-entrepreneur à Paris, il vit désormais à Nancy. "Aux animaux la guerre" (Actes Sud, 2014), son premier roman, a été distingué par de nombreux prix (prix Mystère de la critique, prix Erckmann-Chatrian, prix Transfuge du meilleur espoir polar, prix Sang d'Encre des lycéens, prix littéraire de la Roquette, prix du Goéland Masqué). Jean-Patrick Manchette, Harry Crews, Pete Dexter, Joe R. Lansdale, Georges Perec, Annie Ernaux... sont quelques-unes de ses influences.

"Lors de la crise de 2008, j'avais eu l'occasion d'assister à la mise en place de plusieurs plans sociaux, j'étais en quelque sorte au coeur du réacteur nucléaire, là où des gens se battent pour survivre. Cette histoire méritait me semble-t-il de remonter à la surface."
Nicolas Mathieu

*

Rappel historique :

La guerre d'Algérie est une guerre qui, de 1954 à 1962, a opposé l'armée française à des insurgés nationalistes algériens regroupés dans l'ALN (Armée de Libération Nationale) encadrée par le FLN (Front de Libération Nationale, mouvement nationaliste, puis parti politique algérien).

La guerre est surtout due au refus des gouvernements français et des colons de remettre en cause les profondes inégalités civiles, politiques et économiques entre la population d'origine européenne (les colons ou "pieds noirs" installés par vagues successives depuis 1830) et la population arabo-berbère de religion musulmane. Elle s'est déroulée en Algérie (qui était alors un territoire français) mais aussi en France métropolitaine (avec de nombreux attentats terroristes, assassinats et massacres de manifestants).

La guerre (appelée alors "événements d'Algérie") a fait entre 500 000 à 1 million de morts. Elle a abouti, en 1962, à l'indépendance de l'Algérie et au départ précipité d'environ un million de "pieds noirs". En France, la guerre a provoqué la disparition de la Quatrième République et son remplacement par la Cinquième République.

L'OAS (Organisation Armée Secrète) est une organisation clandestine civilo-militaire opposée à l'indépendance algérienne après l'échec du putsch militaire d'Alger d'avril 1961. Elle fut dirigée par les ex-généraux Salan et Jouhaud jusqu'à leur arrestation. Son action, à base d'attentats et de violence, s'exerça surtout à partir des accords d'Evian (mars 1962), contre le FLN et contre les structures gouvernementales et militaires françaises. Elle contribua à la rupture définitive des deux communautés. 

*

L'histoire :

Oran (Algérie) - Octobre 1961 
Pierre Duruy et Louis Scagna, membres de l'OAS, rivalisent de violence avec le FLN. Des attentats visant des militants de l'autre camp touchent souvent aussi des innocents.
Ce soir, le chef, le Docteur Fabregas, a chargé Pierre et Louis d'éliminer Latifa et Kamel Biraoui, un jeune couple de concierges. La mission est rapidement exécutée mais les tueurs ignoraient que dans l'appartement, il y avait aussi un bébé. Au moment où Pierre vise de son arme la tête de l'enfant, Louis s'interpose et sauve la vie du petit. Les deux hommes n'ont pas le temps de se disputer. Ils s'engouffrent dans la Simca Vedette. Au volant de la voiture, Pierre prend soudain une initiative personnelle. Il se dirige vers le centre de la ville et abat un livreur musulman devant la terrasse du Météor.

Vosges - Années 2000
Après une jeunesse chaotique à la limite de la grande délinquance, Martel, la quarantaine, installe sa mère démente dans la plus confortable maison de retraite de la région, mais largement au-dessus de ses moyens d'ouvrier de chez Velocia, l'usine d'aménagements automobiles. Grâce au piston de Bruce Duruy, un collègue de travail bobybuildé, il arrondit ses fins de mois en étant occasionnellement videur dans une salle de concerts.
Rita est inspectrice du travail, proche de la CGT. Aujourd'hui, suite à une plainte, elle se rend à la boucherie Colignon, rare commerce d'un petit village vosgien perdu dans un paysage de brume et de givre...

Mon avis :
Une région qui subit la crise de plein fouet et qui s'appauvrit. Grèves, plans sociaux, fermetures d'usines, chômage, coups tordus pour assurer les fins de mois, alcoolisme, drogue, dépressions, maladies prématurées, racisme, xénophobie, une jeunesse désabusée, sans avenir... voilà ce que vivent les personnages de cette histoire sociale très noire et, hélas, terriblement réaliste. "Aux animaux la guerre" ou quand la détresse pousse des hommes à se conduire comme des bêtes. On passe de la résignation à la colère face à un tel gâchis humain, face à l'impuissance des uns et au mépris des autres. Pourtant, on s'accroche vaille que vaille à l'espoir, aussi ténu soit-il.
A la façon de Jean-Patrick Manchette et d'Annie Ernaux, ce premier roman social aux dialogues percutants de Nicolas Mathieu nous interroge sur nos propres engagements et ranime notre mémoire collective, agitant devant nous, un brin nostalgiques, les souvenirs des années 1990-2000 qui semblent déjà si loin...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire