lundi 1 octobre 2018

"Chez les fous" d'Albert Londres (Arléa)

Albert Londres est né en 1884 à Vichy. Il monte à Paris et commence sa carrière de journaliste au Matin en 1906.

En 1914, réformé, il se rend à Reims, pendant le bombardement de la ville, comme correspondant de guerre, et dénonce dans son journal ses démêlés avec la censure militaire ("Contre le bourrage de crâne"). Il entre ensuite au Petit Journal dans lequel il va publier de nombreux reportages, avant de rejoindre Excelsior qui l'envoie en URSS ("Dans la Russie des soviets").

En 1922, il se rend au Japon et en Chine et en ramène une série d'articles qui connaîtra un grand succès ("La Chine en folie").

En 1923, il entreprend une enquête sensible sur le bagne de Cayenne ("Au bagne"), qui, publiée dans le Petit Parisien, aura un tel retentissement qu'elle aboutira à la fermeture du pénitencier de Saint-Laurent-du-Maroni. Un autre témoignage, lié à l'épouvante du bagne guyanais, lui est alors fourni par Dieudonné, bagnard en cavale au Brésil, que le reporter ramènera avec lui en France, et dont il obtiendra finalement la réhabilitation ("L'homme qui s'évada"). Soumises elles aussi au travail forcé, les prostituées françaises d'Argentine sont pour Albert Londres l'occasion d'un reportage dans le "milieu" ("Le chemin de Buenos Aires"). Après le bagne civil de Cayenne, le journaliste va régler son compte au bagne militaire, dont il dénonce une fois encore avec véhémence les abus ("Dante n'avait rien vu") ; après une longue polémique avec les autorités, tous les pénitenciers militaires sont abolis.

C'est l'impossibilité d'entrer dans la Mecque, où il comptait réaliser un "scoop", qui conduit le grand reporter sur les bords de la mer Rouge, où il passe quelques jours sur un boutre avec les plongeurs miséreux qui risquent leur vie pour ramener les très recherchées huîtres perlières ("Les pêcheurs de perles").

En 1926, il décide de s'intéresser de plus près à Marseille, d'où il est souvent parti pour ses lointains reportages ("Marseille, porte du Sud").

On peut être grand reporter et s'intéresser aux événements nationaux, et c'est ainsi qu'Albert Londres couvre le Tour de France en 1928 ("Les forçats de la route").

En France encore, il parvient à pénétrer l'univers des hôpitaux psychiatriques, où la contrainte, les brutalités et l'horreur sont la norme ("Chez les fous").

Toujours pour le Petit Parisien, il se rend au Sénégal et au Congo et dénonce l'esclavage pur et simple auquel sont soumis les ouvriers noirs sur les chantiers de construction des voies ferrées ("Terre d'ébène").

En 1929, au moment où l'antisémitisme gagne partout du terrain, il enquête en Israël et dans toute l'Europe centrale sur le devenir du peuple élu ("Le Juif errant est arrivé"). Puis, dans les Balkans, il tente de comprendre ce qui pousse les nationalistes macédoniens au terrorisme ("Les Comitadjis").

C'est en rentrant de Shanghai, en 1932, où il était allé enquêter sur les "triades" chinoises, l'opium et les réseaux de trafiquants, et d'où, avait-il câblé, "il ramenait de la dynamite", qu'Albert Londres trouva la mort dans l'incendie du paquebot Georges-Philippar, en mer Rouge.


Le Prix Albert Londres a été créé en 1932 par Florise Martinet-Londres, en souvenir de son père. Il récompense un jeune journaliste de moins de quarante ans. Il a été décerné pour la première fois en 1933 et couronne chaque année, à la date anniversaire de la mort d'Albert Londres (16 mai 1932), le meilleur "Grand Reporter de la presse écrite" et, depuis 1985, le meilleur "Grand Reporter de l'audiovisuel". Parmi les nombreux lauréats, on peut citer Bernard Guetta (1981), Sorj Chalandon (1988) ou Anne Nivat (2000).


Mon avis :

En mai 1925 paraissait dans le Petit Parisien un reportage édifiant signé par Albert Londres. Après les bagnes, puis le Tour de France cycliste, le journaliste choisissait de s'intéresser aux asiles d'aliénés français.

Mais la tâche fut rude car il ne reçut aucune autorisation pour visiter les hôpitaux ou rencontrer les soignants et les patients. L'administration invoquait le secret professionnel et les ministres le droit de censure. Le préfet de la Seine n'ouvrait que les portes des cuisines et les directeurs des structures refusaient tout net de discuter avec un reporter. Quant à simuler la folie, c'était faire offense à la perspicacité des médecins.

Pourtant, le sujet était loin d'être anodin, déjà à cette époque, et Albert Londres ne renonça pas. Le pays comptait quatre-vingt mille malades pour seulement quatre-vingts établissements, et la psychiatrie n'était qu'à ses balbutiements. Tour à tour dans le rôle d'un parent, d'un interne, d'un gardien, ou encore d'un assistant de dentiste, le journaliste opiniâtre parvint à infiltrer suffisamment de services et à recueillir assez de confidences pour livrer son enquête et ouvrir une fenêtre sur ceux que le monde extérieur d'alors rejetait.

"Rejetait" ? Ce témoignage terrible nous laisse horrifiés, abasourdis, tétanisés. Certes, ces articles datent du siècle dernier. Ils ont été écrits il y a près de cent ans. Depuis, les soins médicaux ont évolué de manière considérable. Mais qu'en est-il de notre regard sur les malades souffrant de troubles psychiatriques ? De nos jours, la question reste posée et doit être réfléchie tant individuellement que collectivement...

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