vendredi 6 mars 2020

Mars 2020 - "Littérature de l'Intime"




"Notes de chevet" de Sei Shônagon (Connaissance de l'Orient / Gallimard / Unesco)

Sei Shônagon (vers 966 - ?) est une femme de lettres et poétesse japonaise. Fille du poète Kiyohara no Motosuke (908-990), elle est issue d'une famille de fonctionnaires lettrés et, comme sa contemporaine Murasaki Shikibu, elle reçoit une éducation, fait exceptionnel pour une femme à l'époque.

Elle appartient à la cour de l'empereur Ichijo et elle devient, en 991, la dame de compagnie de l'impératrice Fujiwara no Teishi (Sadako). C'est sans doute pendant cette période qu'elle reçoit le surnom de Sei Shônagon. Fameuse à la cour pour l'étendue de son savoir, elle rivalise d'esprit avec de grands lettrés de son temps, mais c'est surtout grâce au chef-d'oeuvre qu'elle rédige à cette époque, le Makura no soshi ("Notes de chevet"), que la personnalité de cette femme brillante, à l'esprit mordant, se révèle avec le plus de netteté.

Composé au début du XIe siècle, cet ouvrage constitue le premier zuihitsu (ou "essai") de la littérature japonaise. Ce recueil est le journal intime de Sei Shônagon. Il n'est pas destiné à la publication. Il se présente sous la forme de près de 300 notes éparses, jetées sur le papier sans ordre thématique apparent, et sans le déroulement chronologique propre aux nikki ("notes journalières"). La liberté dans le choix des sujets et des traitements (descriptions, anecdotes ou listes), la pureté de la langue et la puissance du style permettent l'élaboration de véritables poèmes en prose, où au don du raccourci et à l'humour incisif se mêle parfois un lyrisme glacé, révélant ainsi toutes les facettes d'une personnalité littéraire exceptionnelle.

Après la mort en couches de l'impératrice Teishi en 1001, Sei Shônagon quitte la cour impériale. On ne sait rien de certain de sa vie ensuite. Elle meurt après 1013.

Mon avis :

Une lecture un peu ardue de premier abord. Il faut accepter de lâcher prise, de se laisser porter dans une époque ancienne, dans une culture ancestrale, dans une civilisation mal connue en France, souvent représentée de manière caricaturale et violente. Dès lors, on peut accéder à la magistrale beauté de ces "écrits intimes".

Il n'est pas nécessaire de vouloir tout lire en un bloc linéaire. On a le droit - mais oui ! - de faire confiance au hasard, d'accorder aux pages de se choisir elles-mêmes, de découvrir par petites touches ce riche témoignage de la vie quotidienne à la cour impériale, de savourer ces illustrations détaillées, réalistes, critiques aussi, du Japon au XIe siècle. Admirable !!!

"Un dimanche à Ville-d'Avray" de Dominique Barbéris (Arléa)

Dominique Barbéris est une romancière française née en 1958 au Cameroun (Afrique centrale). Agrégée de lettres modernes, enseignante universitaire, spécialiste en stylistique et ateliers d'écriture romanesque, elle est l'auteure de neuf romans dont "La Ville" (Arléa, 1996), "Les autres" (Gallimard). "L'année de l'éducation sentimentale" (Gallimard) a reçu le Prix Jean Freustié en 2018. Son dixième roman, "Un dimanche à Ville-d'Avray" a été sélectionné pour le Prix Goncourt et pour le Prix Femina à l'occasion de la rentrée littéraire 2019.

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Le film :
Le titre du roman de Dominique Barbéris, "Un dimanche à Ville-d'Avray", fait référence à "Cybèle ou les dimanches à Ville-d'Avray" (souvent abrégé en "Les dimanches de Ville-d'Avray"), film dramatique français réalisé en 1962 par Serge Bourguignon, récompensé par l'Oscar du meilleur film international en 1963.

Années 1960 en France.
Pierre, un ancien pilote de guerre, est devenu amnésique à la suite d'un accident d'avion en Indochine et ne parvient pas à se réintégrer au monde. Madeleine, une amie infirmière, lui consacre toute sa vie et sa tendresse de femme seule. Un jour, en la raccompagnant à la gare de Ville-d'Avray, Pierre rencontre Françoise, dix ans, orpheline de mère, qui vit dans un pensionnat religieux. La vision de l'enfant lui rappelle l'image d'une fillette qu'il pense avoir tuée en opération. Il se prend rapidement d'amitié pour Françoise. Puis, se faisant passer pour son père, il lui rend visite tous les dimanches. Une tendre et pure complicité s'établit entre eux. Mais cette relation fait bientôt scandale dans la ville...

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"Qui nous connaît vraiment ? Nous disons si peu de choses, et nous mentons presque sur tout. Qui sait la vérité ?"

L'histoire :

Deux soeurs. L'une, la narratrice, vit heureuse et épanouie dans l'agitation de Paris mais elle appréhende les dimanches ennuyeux et guindés chez sa soeur. L'autre, Claire Marie, s'efface pour sa famille, traditionnelle et sans surprises, en banlieue, à Ville-d'Avray, et elle déteste les dimanches chez sa soeur dont les amis sont trop expansifs pour elle.

Ce dimanche d'automne n'a rien de différent des autres dimanches. Profitant de l'absence de son compagnon, la narratrice décide de rendre visite à sa soeur. Est-ce le fait de se retrouver seules, toutes les deux, quelques instants dans l'après-midi, ou est-ce la lenteur morose d'une journée déprimante qui ravive en elles des souvenirs communs ? Leur enfance dans les années 1960, l'éducation qu'elles ont reçue, leurs jeux, leurs rêves, leurs passions pour des héros de télévision, Thierry la Fronde d'abord, puis Rochester, personnage du roman de Charlotte Brontë, "Jane Eyre", interprété au cinéma par le troublant Orson Welles.

Ce dimanche d'automne, comme tout autre dimanche, écrasant d'ennui, de nostalgie, de tristesse, devient, au détour d'une confidence inattendue lâchée presque par hasard, un dimanche particulier...

Mon avis :
On se reconnaîtra tous un peu dans la description de ces dimanches pesants, étranges, hors du temps, où tout peut arriver, où tout peut être dit, puis s'évanouir comme n'avoir jamais existé, comme ces petites scènes théâtrales inventées par les enfants. Ce livre est un bruissement de pas dans les feuilles mortes. Ce livre est le clapotis d'une pluie continue sur la surface d'un étang. Ce livre est un murmure, on tend l'oreille, on veut tout entendre, parce que c'est beau, romanesque, poétique, et profondément intime.

"La passion suspendue" - Marguerite Duras - Entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre (Points)

Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, est née en 1914 à Saïgon (alors en Indochine française) d'une mère institutrice et d'un père professeur de mathématiques qui meurt de dysenterie en 1921. En Indochine, la famille est ruinée et Marguerite rentre en France suivre des études de Droit.

Pendant la guerre, elle participe à la Résistance et voit son mari, Robert Antelme, déporté à Dachau et revenir malade du typhus. Elle en fera le récit dans "La Douleur" paru en 1985. A la Libération, Marguerite Duras s'engage au Parti Communiste Français, en est exclue en 1950 mais continue de militer pour différentes causes comme la guerre en Algérie ou encore le droit à l'avortement.

Cette année-là (1950), elle publie son troisième livre, "Un barrage contre le Pacifique", roman autobiographique qui sera adapté au cinéma. Elle-même se mettra plus tard à écrire des scénarios ("Hiroshima mon amour" en 1959) puis passera à la réalisation, adaptant ses propres livres (comme "India Song" en 1975). Elle écrit également des pièces de théâtre dès 1955 avec "Le square" puis viendront "Des journées entières dans les arbres" (1965) et aussi "Savannah Bay" (1982).

Parmi ses livres-clé on peut citer "Moderato cantabile" (1958), "Le Ravissement de Lol V. Stein" (1964) ou encore "Le Vice-consul" (1966). En 1984, Marguerite Duras connaît un immense succès avec son roman "L'Amant" qui reçoit le Prix Goncourt. Malade de l'alcool depuis les années 1980, l'écrivaine renouvelle les cures de désintoxication. Elle meurt à Paris en 1996 à l'âge de 81 ans.

Leopoldina Pallotta della Torre est une journaliste italienne. Après la lecture de "L'Amant", elle décide d'écrire un article puis un livre sur Marguerite Duras, qu'elle rencontre entre 1987 et 1989.

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Mon avis :

"On me reprochait toujours d'être folle, illogique. Mais en moi il n'y avait qu'une apparence de désordre, de contradictoire."

On l'adore ou on la déteste. Elle agace ou elle fascine. Marguerite Duras est une personne complexe. Elle n'aime pas ce qui est linéaire, en littérature comme dans tout autre domaine. Elle affectionne la solitude et le silence autant qu'elle en souffre. Dans cet entretien qu'elle accorde à la journaliste italienne Leopoldina Pallotta della Torre, l'écrivaine se dévoile de manière exceptionnelle avec beaucoup de liberté et de franc-parler, modeste (rarement), le propos amer (parfois), sévère avec ses contemporains (souvent), passionnée (toujours)... Nostalgique lorsqu'elle évoque son enfance en Cochinchine où elle est née... Touchante lorsqu'elle raconte son arrivée à Paris, jeune étudiante en Droit de dix-huit ans, ses rencontres, la guerre, les hommes... Lucide face au succès de "Un barrage contre le Pacifique", "L'Amant" et "La Douleur"... Captivante lorsqu'elle analyse son écriture, ses personnages, la littérature, le théâtre, le cinéma... Troublante lorsqu'elle confie sa conception de l'amour... Emouvante lorsqu'elle aborde son alcoolisme, la maternité, sa vie de femme entière et passionnée...

"Ecrire, ce n'est pas raconter une histoire : mais évoquer ce qui l'entoure, on crée autour de l'histoire un instant après l'autre."

"Né d'aucune femme" de Franck Bouysse (La Manufacture de livres)

Prix des libraires 2019
Prix du roman inspirant
"Psychologies Magazine" 2019
Grand Prix des lectrices "Elle" 2019
Prix Babelio - Littérature française 2019


Franck Bouysse est un écrivain né en 1965 à Brive-la-Gaillarde. Il a enseigné la biologie et l'horticulture avant de se consacrer à sa passion pour l'écriture. Ses romans "Grossir le ciel" (2014), "Plateau" (2016) et "Glaise" (2017) ont rencontré un large succès, public comme critique, et remporté de nombreux prix littéraires. Il partage aujourd'hui sa vie entre Limoges et un hameau de Corrèze.

L'histoire :
Gabriel, prêtre septuagénaire, se souvient avec une émotion toujours aussi vive et présente, de cette confession étrange entendue il y a de cela plus de quarante ans. C'était une voix féminine inconnue, hésitante, apeurée, une ombre fantomatique à peine aperçue dans l'église mais qui l'a mené aux carnets secrets de Rose, pensionnaire de l'asile. Après tant d'années, l'évocation de ces journaux intimes bouleverse encore le Père Gabriel...

Mon avis :
On pourrait situer l'histoire dans la France rurale du début du XXe siècle. Mais à dessein, l'auteur ne le précise pas. Au fond, quelle importance ? Car le destin de la jeune héroïne, sa force et son courage ont une résonance étrangement contemporaine. Violent et éprouvant, mais à la fois poétique et sensible, ce roman est tout simplement remarquable !

A noter la grande beauté de la photographie en première de couverture...

mercredi 12 février 2020

Février 2020 - "Polars glacés"



"Tous les démons sont ici" de Craig Johnson (Gallmeister)

Craig Johnson est un écrivain américain né en 1961 à Huntington, dans l'Etat de la Virginie-Occidentale. Il a fait des études de littérature classique et a obtenu un doctorat en art dramatique. Avant d'être écrivain, il a exercé différents métiers : policier à New York, professeur d'université, cow-boy, charpentier, pêcheur professionnel, ainsi que conducteur de camion ou ramasseur de fraises. Tous ces métiers lui ont permis de financer ses déplacements à travers les Etats-Unis, notamment dans les Etats de l'Ouest, et lui servent d'inspiration pour écrire ses livres et donner crédibilité à ses personnages.

Craig Johnson finit par s'installer à Ucross, à quelques miles de Buffalo, dans le Wyoming, état le moins peuplé des Etats-Unis, avec son épouse, Judy, leurs chevaux, leurs chiens et leurs chats. Comme son héros, il a construit lui-même son ranch. Il y travaille depuis l'âge de vingt ans.

La nature à perte de vue, il contemple les collines et au loin les Bighorn Mountains. Autour de bons whiskys et bourbons, Craig Johnson adore discuter avec ses amis shérifs et Indiens qu'il connaît depuis longtemps. Il aime cette nation indienne, apprécie ses traditions, et entend les inquiétudes de ces femmes et de ces hommes appartenant aux réserves des Crows et des Cheyennes.

Grand lecteur, son maître est Tony Hillerman et ses modèles sont Steinbeck, Faulkner, Dickens et Hugo. Il avoue s'être inspiré du personnage de Jean Valjean pour façonner son héros, le shérif Walt Longmire, large carrure, fort, juste, courageux, et meilleur ami de l'Indien Henry Standing Bear.

Dans son oeuvre, Craig Johnson mêle relations familiales, intrigues policières, sociologie, place des Indiens dans l'Amérique contemporaine, respect de la nature et humour. Adaptées à la télévision, les histoires du shérif Longmire rencontrent un très beau succès. Mais même s'il participe parfois aux scénarios, Craig Johnson préfère garder ses distances pour se consacrer en toute liberté à l'écriture de ses romans, tous publiés, en France, aux Editions Gallmeister.

L'histoire :

Walt Longmire, shérif du comté d'Absaroka, et son adjoint Santiago Saizarbitoria, dit "le Basque", sont chargés d'escorter Raynaud Shade, Hector Otero et Marcel Popp. Ces trois dangereux criminels vont être remis au FBI. Le lieu de rendez-vous est prévu à Meadowlark Lodge, au coeur des Bighorn Mountains. L'opération est conjointement menée par les comtés d'Absaroka, de Big Horn et de Washakie, le FBI et une société privée de transport de prisonniers.

Ce qu'ignoraient les shérifs locaux, c'est que, durant ce transfert, le FBI comptait obtenir les confessions de Raynaud Shade sur le meurtre d'un enfant de la région commis il y a dix ans. Longmire est sous le choc lorsqu'il entend le nom de la petite victime, Owen White Buffalo, une famille qui a déjà eu son lot de souffrances.

La sécurité de l'échange a été minutieusement préparée et les agents sont nombreux. Mais personne n'avait anticipé une tempête de neige en plein mois de mai...

"Nous étions installés dans la salle déserte, écoutant les réfrigérateurs ne rien réfrigérer et la pluie glacée tomber en sifflant sur le toit en zinc, tandis qu'un léger vent réveillait des fantômes de neige sur le lac couvert de glace. A priori, on était au printemps, mais chaque année, quelqu'un oubliait de le dire aux montagnes."

Mon avis :

Au beau milieu des forêts denses, inhospitalières, sauvages des Bighorn Mountains, terres sacrées pour les Indiens, sources des légendes les plus fabuleuses, à mesure que le rideau de neige s'épaissit et que le blizzard redouble de force, une chasse à l'homme musclée se transforme en expérience mystique, en quête intérieure, en quête de sens.

Magnifique épopée humaine et littéraire !

"Pendant les mois d'hiver, les bibliothécaires gardaient toujours un feu allumé dans la petite cheminée en marbre, et il y avait une immense table en chêne sur laquelle ont pouvait étaler ses livres. L'exemplaire qui s'y trouvait ("L'Enfer" de Dante) était un magnifique et vieux volume, la traduction du révérend Henry Francis Cary avec des illustrations de Gustave Doré."

"ADN" de Yrsa Sigurdardottir (Babel/noir)

Yrsa Sigurdardottir est née en 1963 à Reykjavik, en Islande. Elle est aujourd'hui l'un des auteurs de polar majeurs de la scène littéraire scandinave. Ses romans sont traduits dans une trentaine de langues et ont été récompensés par de nombreux prix littéraires dont le Icelandic Crime Fiction Award en 2011 et en 2014. "ADN" (paru en format poche chez Babel/noir en 2019) est le premier volet d'une série mettant en scène Freya, psychologue pour enfants, et Huldar, officier de police.

L'histoire :

1987
Suite à l'avis des services de la Protection de l'enfance, incertains de leurs réels liens de parenté, trois orphelins - deux frères de quatre et trois ans et leur petite soeur d'un an - vont être proposés à l'adoption séparément. En quelques instants, si elle ne l'est pas vraiment de sang, une fratrie de coeur sera brisée. Cette décision risque d'être lourde de conséquences à l'avenir.

Hiver 2015

Après le départ de son mari au bureau, Vedis s'étonne de voir les deux petits garçons, hagards, errant dans la rue, si tôt ce matin. Il n'est pas dans les habitudes de sa voisine de laisser traîner ainsi ses enfants dehors. Les frères racontent qu'à leur réveil, ils ont trouvé la porte de leur chambre fermée à clef. Personne ne répondant à leurs cris, ils sont sortis par la fenêtre. Vedis n'obtient pas davantage de réponse. Elle décide d'appeller la police.

Ce que découvrent l'inspecteur Huldar et ses collègues est un cauchemar. La jeune maman est retrouvée morte, assassinée dans sa chambre. La scène de crime est effroyable. Mais le comble de l'horreur est atteint lorsque l'inspecteur Huldar aperçoit Margret, l'aînée des enfants âgée de sept ans, blottie sous le lit de la victime, les mains pressées sur ses oreilles. La petite fille a été témoin du meurtre sadique de sa mère...

Mon avis :
Yrsa Sigurdardottir s'attarde peu sur la technique et la méthodologie de l'enquête. En revanche, elle consacre beaucoup de soin à la description de ses personnages, à leur vie, à leur personnalité. Ce qui offre un regard fouillé et très intéressant sur la société islandaise contemporaine. Le jeu du chat et de la souris entre la psychologue et le policier apporte un peu de sensualité dans cette histoire sombre et sensible.

"Hors cadre" de Stefan Ahnhem (Livre de Poche)

Stefan Ahnhem est né en 1966 à Stockholm (Suède). Scénariste pour la télévision et le cinéma, il a notamment écrit pour la série suédoise "Wallander" (2005), inédite en France et dans laquelle le rôle de Wallander est tenu par l'acteur suédois Krister Henriksson et non le britannique Kenneth Branagh. "Hors cadre" (Albin Michel, 2016) est son premier roman, récompensé du Prix de la révélation du polar en Suède en 2015. Son adaptation pour la télévision est en préparation. 

L'histoire :

Juillet 2010

Fabian Risk, inspecteur de police, sa femme Sonja, artiste-peintre, et leurs enfants, Theodor et Matilda, découvrent avec enthousiasme leur nouvelle maison située dans un charmant quartier de Helsingborg, ville d'enfance de Fabian. Ils arrivent tout juste de Stockholm et attendent le camion de déménagement. Après une période difficile dans la capitale suédoise et la démission de Fabian, la famille compte s'installer au plus vite et profiter de chaque instant des six semaines de vacances au terme desquelles le policier prendra ses fonctions à la brigade criminelle de Helsingborg. Malheureusement, le schéma de Stockholm semble se reproduire : le travail avant tout le reste. La première journée n'est pas encore terminée que Fabian reçoit la visite de sa future patronne, la commissaire Tuvesson. Elle n'avait pas d'autre choix que de le prévenir car la situation est singulière. Un meurtre a été commis et la victime est un ancien camarade d'école de Fabian. Une photographie de leur classe de troisième de 1982 était posée sur le cadavre...

Mon avis :
Harcèlements et violences en milieux scolaire et professionnel sont la toile de fond de cet excellent premier roman. Quand un polar vous tient ainsi en haleine jusqu'à la dernière ligne, il n'est pas nécessaire d'en ajouter davantage. Hormis se précipiter en librairie pour dévorer au plus vite le nouveau thriller de Stefan Ahnhem, paru chez Albin Michel en septembre 2019, "La neuvième tombe", avec l'espoir de retrouver la même intensité !

"Boréal" de Sonja Delzongle (Folio Policier)


Prix des Lecteurs au Festival du polar
de Villeneuve-lez-Avignon 2018


Sonja Delzongle est née en 1967 à Troyes d'un père français et d'une mère serbe. Elle a grandi entre Dijon et la Serbie. Diplômée en Langues, Lettres Modernes et de l'Ecole des Beaux-Arts de Dijon, elle a exercé le métier de journaliste pendant six ans, tout en commençant à écrire, riche de sa culture franco-slave et de sa passion pour le noir. C'est avec "Dust" (2015) qu'elle fait une entrée remarquée dans le monde du thriller. Suivent "Quand la neige danse" (2016), "Récidive" (2017), "Boréal" (2018) et "Cataractes" (2019), tous publiés chez Denoël.


inlandsis : glacier continental
pulka : traineau traditionnel des expéditions polaires
inukshuk (pl. inuksuit) : monticule de pierres à forme humaine, construction anthropomorphe inuite
nalluni : ensemble d'inuksuit


L'histoire :

Janvier 2017

La  Base ARCTICA, au nord-ouest du Groenland, accueille une nouvelle équipe scientifique internationale : Roger Fergusson, chef du groupe et sismologue danois ; Anita Whale, chef en second de la mission et climatologue britannique ; Atsuko Murata, géologue japonaise ; Dick Malte, glaciologue canadien ; Akash Mouni, cuisinier indien ; Mathieu Desjours, étudiant en sciences de l'environnement et photographe français, et son chien Lupin, un loup tchèque. Ensemble, ils sont chargés de veiller sur les conséquences du réchauffement climatique à l'endroit le plus reculé du globe avant le pôle.

Profitant d'une journée de météo favorable, bravant les températures polaires hivernales comprises entre - 29 et - 45°C, Roger, Anita, Atsuko, Dick et Mathieu avancent lentement, avec précautions, sur l'inlandsis pour récupérer des échantillons, quand soudain, stupéfaits, ils découvrent le cadavre d'un boeuf musqué, puis un autre, puis un autre encore... près d'un millier au total, prisonniers de la glace. Depuis combien de temps sont-ils là ? Pourquoi ? Epidémie ? Empoisonnement ? Frappés par la foudre comme récemment un troupeau de rennes en Norvège ? Les analyses le diront. Entouré d'inuksuit, l'endroit a des airs de cimetière sacré...

Mon avis :
Thriller scientifique intelligent, ce roman polaire traite aussi de la parentalité et, plus largement, de la transmission au sein d'une famille, d'un groupe, d'un peuple. Le rythme de l'ensemble est un peu lent. Certains lecteurs le regretteront, d'autres considéreront ce tempo en parfaite corrélation avec l'histoire.

mardi 14 janvier 2020

Janvier 2020 - "Le premier roman de..."





"Chroniques d'une station-service" d'Alexandre Labruffe (Verticales)

Alexandre Labruffe est né en 1974 à Bordeaux. Après des études de chinois, il a été en poste dans les Alliances françaises en Chine puis en Corée du Sud. A cette époque, il a publié avec Benjamin Limonet un récit expérimental à quatre mains, "Battre Roger" (Editions D'ores et déjà, 2008). Depuis son retour à Paris en 2016, tout en poursuivant sa thèse en Arts et Cinéma à l'Université Paris-3, il collabore à divers projets artistiques (avec la Villa des Arts dans le Bas-Montmartre), théâtraux (notamment avec le metteur en scène iranien Saeed Mirzaei) ou cinématographiques (avec le réalisateur coréen Jeon Soo-il, pour ses films "A Korean in Paris", "America Town" et le prochain, "Département de cinéma", en cours d'écriture).

Mon avis :
L'histoire se construit sur une suite d'anecdotes, de pensées, de récits courts ou de quelques mots. Galerie de portraits pris sur le vif, reflets de notre société contemporaine mixte et complexe, ces "brèves de station-service", recueillies par un pompiste philosophe décrivent un quotidien tantôt grotesque, tantôt inquiétant, tantôt sublime. C'est drôle, tendre, intelligent, un brin surréaliste, et totalement insolite.

Une très bonne surprise et une belle découverte !

"Court vêtue" de Marie Gauthier (Gallimard)


Prix Goncourt du premier roman 2019


Marie Gauthier est née à Annecy. Après des études de lettres à Lyon, elle s'est dirigée vers le théâtre. Elle vit à Paris.

L'histoire :

Félix est un adolescent de quinze ans mal dans sa peau, mal dans son corps et mal à l'école. La conseillère d'orientation lui propose un travail au grand air. Sans savoir ce que l'on attend de lui, le jeune garçon se retrouve dans un bourg inconnu, perdu en pleine campagne.

Le temps d'un été, il sera l'apprenti du cantonnier. L'homme au mégot est un taiseux mais bienveillant. Il accueille Félix dans sa grande maison vide et ancienne, où vivent aussi sa fille de seize ans, Gil, caissière à la superette, et le chien Dodo.

Les journées se passent dans le silence et les soirées dans la solitude. Félix découvre petit à petit tout ce qu'il ignorait de son propre corps : la musculature, les courbatures, les mains calleuses, l'apaisement d'un bain, et d'autres sensations qu'il n'imaginait pas en présence de la fille. Gil est un papillon : lumineuse, légère, virevoltante et libre de son corps...

"Il sentait vivre son corps tout à coup tandis que le désir irriguait son sang."

Mon avis :

Le corps est le fil rouge de ce très beau et poétique roman d'apprentissage. Le langage est celui des corps. Les mots ne viennent que peu à peu et ne sont guère indispensables. Le seul dont l'adolescent cherche le sens est celui du verbe "aimer". 

Coup de coeur !!!

"Il était peut-être venu ici pour ça, attendre une fille, avoir peur qu'elle ne revienne pas et s'ouvrir au pouvoir des mots."

"Le bal des folles" de Victoria Mas (Albin Michel)


Prix Renaudot des Lycéens 2019
Prix Stanislas du premier roman 2019


Victoria Mas est née en 1987 au Chesnay, dans les Yvelines. Fille de la chanteuse Jeanne Mas, elle passe une partie de son enfance dans le sud de la France, puis en Californie où elle poursuit sa scolarité. Elle étudie le cinéma et la littérature anglo-américaine. En 2014, elle publie un guide de la cuisine française "The Farm to table French Phrasebook" qui rencontre un beau succès aux Etats-Unis. Elle revient ensuite en France et continue ses études littéraires à La Sorbonne. Son premier roman, "Le bal des folles", s'inspire de faits réels.

Les faits réels :
En cette fin du XIXème siècle, le neurologue Jean-Martin Charcot tente de sauver ses patientes de la folie en organisant pour elles, à l'Hospice de la Salpêtrière, un bal chaque année lors de la Mi-Carême. La presse parisienne en parlait. De nombreuses personnalités, notamment du monde médical, y assistaient. Un autre bal était également donné pour les enfants épileptiques.

L'histoire :

Geneviève, Auvergnate, fille d'un médecin de campagne, est depuis plus de vingt ans l'assistante du Docteur Charcot, neurologue à Paris, autorité respectée sur qui reposent de grands espoirs pour tous les aliénés. Charcot est aussi à l'initiative du célèbre Bal de la Mi-Carême, qui aura lieu bientôt à la Salpêtrière, sorte de cabinet de curiosités où, derrière les déguisements, les fous sont exhibés au Tout-Paris.

Aujourd'hui, l'éminent spécialiste donnait un de ses cours publics très attendus : une séance d'hypnose, mise en scène comme un spectacle, dont l'objectif est de recréer une crise chez une patiente choisie jeune, jolie et sensible à un petit moment de gloire.

Ce 3 mars 1885, devant une assemblée exclusivement masculine composée de médecins, écrivains, journalistes, internes, personnalités politiques et artistes, le cas de Louise, jeune hystérique de seize ans, internée à la Salpêtrière il y a trois ans, était présenté.

Après cette journée de travail harassante, dans le silence de son modeste studio parisien, face au jardin du Luxembourg où, à la nuit tombée, déambulent encore quelques promeneurs, les pensées de Geneviève vont à sa soeur Blandine...

Mon avis :
C'est une impression en demi-teinte que laisse ce premier roman largement médiatisé et encensé. Très intéressante et instructive par son sujet, indiscutablement bien documentée, l'histoire, hélas sans surprise, manque de souffle, de profondeur et d'originalité. La petite touche de spiritisme à la Laura Kasischke ne suffit pas à convaincre. Néanmoins, il faut reconnaître à ce Prix Renaudot des Lycéens d'être une excellente base de réflexion et de discussion autour de ce thème de la condition des femmes et du traitement des maladies mentales en France à la fin du XIXème siècle.

mercredi 18 décembre 2019

Joyeuses Fêtes !!!




A vous tous...

Joyeux Noël !!!

Très Heureuse Année 2020 !!!


Décembre 2019 - "Voyage dans l'Histoire"






"L'écrivain public" de Dan Fesperman (Cherche-midi)

Dan Fesperman est né en 1955 à Charlotte, en Caroline du Nord (Etats-Unis). Reporter de guerre et auteur de romans policiers, il a couvert la plupart des conflits en Europe et au Moyen-Orient.

L'histoire :

Séparé de sa femme, sa fille de douze ans confiée à sa soeur, Woodrow Cain quitte la petite ville de Horton, en Caroline du Nord, où il était inspecteur principal. Le poids de son passé et de ses secrets sur les épaules, il arrive à New York le 9 février 1942, précisément le jour de l'incendie qui va détruire le Normandie, paquebot destiné à transporter les troupes américaines, sinistre dont certains accusent les Allemands d'être les auteurs. En ces temps de guerre, la City fourmille d'étrangers, européens pour la plupart fuyant le nazisme, mais parmi eux des espions sympathisants au régime d'Hitler.

Deux mois plus tard, Cain termine sa première journée en tant qu'inspecteur au New York City Police District lorsqu'un cadavre est repêché dans le fleuve, sans papiers sur lui ni aucun élément permettant de l'identifier. Le corps présente des traces de brûlures de cigarette sur le torse et un coup violent porté à la tête. Après le départ du fourgon de police, une voiture s'arrête près de Cain, resté seul sur les quais. Sans plus d'explications, un homme lui donne rendez-vous le lendemain à 12h30 au quartier général du 14e et l'ordre de n'en parler à personne.

Impressionné par la beauté du bâtiment abritant le siège de la police de New York, Cain l'est d'autant plus qu'il est reçu par le commissaire divisionnaire Valentine en personne. Ce dernier confie au nouvel inspecteur une mission difficile et possiblement dangereuse. Quelques jours après sa rencontre avec le grand patron, Cain fait la connaissance d'un vieux monsieur étrange et mystérieux, Danziger, écrivain public...

Mon avis :

Sur les trottoirs de New York, en cette année 1942, se presse une foule cosmopolite où se mêlent toutes les origines, nationalités, confessions religieuses, idéologies. Loin des combats et du feu, l'inquiétude est grande pour chacun, mais Gotham continue de bouillonner. Certains profitent de cette période trouble et la Mafia joue un rôle ambigu.

Très documenté, appuyé sur des faits historiques et un grand nombre de personnages réels, ce roman brillamment écrit bénéficie d'une intrigue solide, dense et absolument passionnante !

Coup de coeur !!!

"Les heures indociles" d'Eric Marchal (Pocket)

Eric Marchal est un écrivain français né à Metz en 1963. Après un diplôme de pharmacien, il entreprend une thèse de sciences à l'Université de Nancy. En 1995, il produit et présente le magazine de l'actualité des sciences Polaris avec France 3 Grand Est. Chercheur en immunologie, passionné par l'histoire de la médecine, il se lance dans le roman historique. Son premier roman, "Influenza", paru en deux tomes aux éditions Anne Carrière ("Les ombres du ciel", 2009, et "Les lumières de Géhenne", 2010), a reçu le Prix Carrefour Savoirs en 2009. Suivront "Le soleil sous la soie" (2011), "La part de l'aube" (2013), "Là où rêvent les étoiles" (2016), "Les heures indociles" (2018) et "Villa Imago" (2019), tous aux éditions Anne Carrière.

L'histoire :

Londres, 1908

Dans un pays gouverné par des hommes politiques conservateurs, attachés aux valeurs traditionnelles et opposés à tous mouvements avant-gardistes, les chemins de trois personnages au destin singulier vont se croiser.

Olympe Lovell est une jeune suffragette à l'énergie farouche. Militante déterminée, elle va connaître, avec ses soeurs de lutte, l'emprisonnement et des conditions de détention d'une grande brutalité.

Thomas Belamy est un brillant chirurgien français d'origine annamite, en poste à l'hôpital St Bartholomew de Londres grâce à l'Entente cordiale. Sa pratique de l'acupuncture, une médecine asiatique encore inconnue en Europe à l'époque, et ses excellents résultats étonnent mais ne font pas l'unanimité autour de lui.

Horace de Vere Cole, poète irlandais, compte parmi ses meilleurs amis Adrian Stephen, le frère de Virginia Woolf. Totalement imprévisible, autant insupportable par son irrévérence que touchant par son romantisme, il aime manigancer des canulars rarement de bon goût, maîtrisant à la perfection l'art de la provocation.

Mon avis :

Généreux (850 pages pour le format poche !), foisonnant d'aventures et de personnages, ce roman est une reconstitution soignée et très documentée, à la fois politique, sociétale et culturelle, de Londres, du Palais de Buckingham aux quartiers pauvres de l'East End, au tout début du XXème siècle, sous le règne d'Edouard VII, héritier de la longue ère victorienne. 

Captivant !

"Dissolution" de C. J. Sansom (Pocket)

C. J. Sansom est un écrivain britannique né en 1952 à Edimbourg (Ecosse). Après des études de lettres et un doctorat en Histoire, il exerce différents métiers, dont celui d'avocat-conseil. Il se consacre désormais à l'écriture de romans historiques.

     "La dissolution des monastères anglais entre 1536 et 1540 fut mise en oeuvre du début à la fin par Thomas Cromwell, vice-régent et vicaire général. Après avoir fait inspecter les monastères et recueilli une grande quantité de preuves accablantes, Cromwell fit voter en 1536 une loi parlementaire qui dissolvait les monastères de moindre importance. Mais, lorsque ses agents commencèrent à la mettre en application, une puissante révolte armée, le "Pèlerinage de la grâce", éclata dans le nord de l'Angleterre. Henri VIII et Cromwell la calmèrent en proposant aux meneurs l'ouverture de négociations, tout en attendant de lever une armée capable d'anéantir la rébellion."

L'histoire :

En cet hiver 1537, alors que la reine Jeanne, troisième épouse de Henri VIII, meurt en mettant au monde un fils, le prince Edouard, Thomas Cromwell, vicaire général et vice-régent du roi, orchestre depuis un an, au nom de la Réforme, la dissolution des monastères anglais.

Matthew Shardlake, avocat en mission pour Cromwell dans le Surrey, reçoit de son maître une convocation à le rejoindre sur-le-champ au Palais de Westminster à Londres. Au monastère de Scarnsea, un des grands domaines de la côte sud que la Couronne compte confisquer et sur lequel planent d'infâmes rumeurs, le commissaire Robin Singleton, chargé de soumettre les moines, a été assassiné.

Envoyés sur les lieux sur fond de menaces à peine voilées, Shardlake, le commissaire bossu, et son jeune protégé Mark Poer doivent désigner le ou les coupables au plus vite avant que Sa Majesté apprenne le crime et que sa colère bouleverse tous les plans de son ministre...

Mon avis :

Impossible de ne pas penser au célèbre Guillaume de Baskerville et à son novice Adso de Melk, créés par Umberto Eco dans "Le Nom de la Rose" (roman paru en 1980 soit deux décennies avant "Dissolution"), eux-mêmes inspirés des fameux personnages de Conan Doyle.

Au-delà de ces comparaisons élogieuses, C. J. Sansom se distingue par le choix de son époque, la Renaissance et le règne de Henri VIII, monarque parfaitement romanesque, illustre pour ses six épouses, la Réforme qu'il engagea, son goût pour les arts d'agréments et sa tyrannie.

L'excellente intrigue fictionnelle de Sansom dépeint avec précision la vie ecclésiastique, la répartition des tâches au sein d'un monastère, les liens complexes entre les moines, et leur rapport à l'argent. La narration est savoureuse. Les héros principaux sont séduisants et touchants. 

Un voyage dans le temps royalement réussi !

vendredi 15 novembre 2019

Novembre 2019 - "Ils ont écrit... la guerre du Vietnam"



La guerre du Vietnam


















La guerre du Vietnam est un conflit qui, après le désengagement français, a opposé, de 1954 à 1975, le Nord-Vietnam au Sud-Vietnam. Suite aux accords de Genève (1954), la France quitte l'Indochine après quelque cent ans de présence, et le Vietnam voit son indépendance reconnue. Mais les puissances lui imposent, en attendant des élections générales, une partition au niveau du 17e parallèle. Ce compromis fera de la paix un leurre.

A l'issue de la guerre d'Indochine, deux Etats sont fondés, l'un communiste au Nord, et l'autre soutenu par les Américains au Sud. En 1960, le FNL (Front national de libération) est créé ; il lutte contre le dictateur en place au Sud-Vietnam, Ngô Dinh Diêm, et contre l'influence américaine. En 1963, après la chute de Diêm, le gouvernement américain prend en charge la lutte contre le FNL. Son engagement militaire est massif à partir de 1964. Mais le Nord-Vietnam, soutenu par l'URSS et la Chine, oppose une forte résistance. Cette guerre, engageant 500 000 hommes de troupe américains, largement couverte par la télévision qui montre les horreurs vécues par les soldats et la population vietnamienne, devient impopulaire aux Etats-Unis. En mars 1973, les accords de Paris aboutissent à l'évacuation par les Américains du Sud-Vietnam. La chute de Saigon a lieu en 1975 : la capitale du Sud-Vietnam devient Hô-Chi-Minh-Ville.



~ Histoire du Vietnam en quelques dates ~

939 :
Jusqu'alors possession de la Chine, le Dai Viêt gagne son indépendance mais reste vassal de la Chine.

Xème siècle :
Processus de conquête territoriale appelé le Nam Tiên (la "marche vers le Sud").

jusqu'au XVIème siècle :
Outre les Viêt, l'histoire du Vietnam se confond avec celle d'autres peuples : les Hoa (Vietnamiens d'origine chinoise), les Khmers Krom (minorité khmère) et les Chams (du royaume de Champa), ainsi que d'un grand nombre d'autres minorités.

de la fin du XVIème siècle au XVIIIème siècle :
Le Dai Viêt est divisé en deux : les seigneurs de la famille Trinh au Nord, et les seigneurs de la famille Nguyen au Sud. Après une insurrection, la dynastie Nguyen l'emporte et règne sur le pays rebaptisé Viêt Nam, puis Dai Nam ou Annam en Occident.

Statue en bois laqué du XVIIIème siècle
Déesse de la Miséricorde, Déesse aux "Mille yeux, mille bras"
(Musée des beaux-arts du Vietnam de Hanoï)


1859 :
A la suite du massacre de missionnaires français en Annam, notamment dans la région de Cochinchine, la flotte française entre dans Saigon.

1862 :
Le Second Empire français s'empare de la Cochinchine, au sud.


1880 :
Expédition du Tonkin. La République française parachève la conquête du territoire vietnamien et le divise administrativement en trois entités sous son contrôle : la colonie du Cochinchine et les protectorats du Tonkin et d'Annam.

1887 :
Ces trois régions sont intégrées à l'Indochine française. La dynastie Nguyen n'a plus qu'un pouvoir symbolique.


1930 : 
Fondation du Parti communiste indochinois sous la direction de Hô Chi Minh.

1932 :
Bao Dai, empereur du Vietnam, est soumis à la France.

1940 :
Entrée des troupes japonaises dans plusieurs secteurs stratégiques du pays.

1941 :
Fondation du Front de l'indépendance du Vietnam (Viêt Minh).

mars 1945 :
Les Japonais mettent fin à l'autorité française. Insurrection générale.

19 août 1945 :
Le Viêt Minh, mouvement indépendantiste contrôlé par le Parti communiste indochinois, dirigé par Hô Chi Minh, profite de la capitulation du Japon pour entrer à Hanoï. L'empereur Bao Dai abdique. Les Français vont reprendre le contrôle du pays mais l'échec de leurs pourparlers avec les indépendantistes va conduire à la guerre d'Indochine.

2 septembre 1945 :
Hô Chi Minh proclame l'indépendance du Vietnam et l'établissement de la République démocratique de Vietnam.

décembre 1946 :
La guerre d'Indochine commence.

1949 :
Création de l'Etat du Vietnam au Sud par l'administration française, avec pour chef d'état Bao Dai et Premier ministre Ngô Dinh Diêm.

8 mai 1954 :
La place forte de Diên Biên Phu tombe aux mains du Viêt Minh.

20-21 juillet 1954 :
Une conférence internationale à Genève crée la ligne de démarcation provisoire du 17e parallèle qui divise le Vietnam en deux, en attendant que l'on soit parvenu à un règlement politique par des élections nationales qui doivent avoir lieu avant juillet 1956. Le gouvernement de l'empereur Bao Dai, qui a le soutien de la France, dénonce ces accords.

octobre 1954 :
Départ des troupes et de la communauté françaises de Hanoï.

1955 :
A Saigon, le Premier ministre de Bao Dai, Ngô Dinh Diêm, l'emporte sur Bao Dai dans un référendum et devient président de la République du Vietnam. Il rejette les accords de Genève et refuse de participer à une élection nationale, une décision qui reçoit le soutien des Etats-Unis.

1956 :
Départ des dernières troupes françaises du Sud-Vietnam. Diêm lance une sévère contre-offensive dans le but de soumettre le Viêt Minh et les autres dissidents du Sud. L'insurrection commence l'année suivante.

1960 :
Création du Front de libération nationale (FNL) par les communistes dans le Sud. Le régime de Saigon donne le nom de "Viêt Cong" à ses membres, les communistes vietnamiens, bien que le Front compte un bon nombre de non-communistes. Le Nord-Vietnam commence à infiltrer des hommes et des armes dans le Sud grâce à la piste Hô Chi Minh.

mai 1961 :
Début de l'intervention américaine au Nord-Vietnam (opérations de sabotage et de renseignement).

1964 :
Le président Lyndon Johnson décide l'intervention directe des Etats-Unis au Vietnam.

24 février 1965 :
Les Etats-Unis commencent un bombardement soutenu du Nord-Vietnam.


8 mars 1965 :
Les premières troupes de combat américaines arrivent au Vietnam. Elles atteignent le chiffre de 
500 000 hommes à la fin de 1967.

31 janvier 1968 :
Les troupes du Nord et du Viêt Cong lancent "l'Offensive du Têt", attaquant les villes, grandes et petites, du Sud.

31 mars 1968 :
Le président Lyndon Johnson demande un arrêt partiel des bombardements du Nord, accepte de négocier avec Hanoï et annonce qu'il ne se représentera pas aux élections.

mai 1968 :
Les pourparlers de paix au Vietnam entre les Etats-Unis et la République démocratique du Vietnam commencent à Paris.

janvier 1969 :
Les pourparlers de paix de Paris s'élargissent pour inclure la République du Vietnam et le Gouvernement révolutionnaire provisoire, récemment formé, qui représente le Viêt Cong.

18 mars 1969 :
Le président Richard Nixon commence le bombardement du Cambodge, bombardement tenu secret.

8 juin 1969 :
Nixon annonce le premier d'une série de retraits des troupes américaines du Vietnam.

3 septembre 1969 :
Hô Chi Minh meurt à Hanoï.

27 janvier 1973 :
Les Accords de Paris sont conclus et signés.

29 mars 1973 :
Les dernières troupes de combat américaines quittent le Sud-Vietnam, les prisonniers de guerre sont échangés. Mais le cessez-le-feu ne dure pas.

1975 :
Les troupes nord-vietnamiennes commencent une offensive majeure au début du mois de mars. Le 30 avril, elles prennent Saigon. Fin de la guerre.

1976 :
Le pays est officiellement réunifié sous son nom actuel de la République socialiste du Vietnam. Hanoï en est la capitale et Saigon devient Hô-Chi-Minh-Ville. Il demeure un régime à parti unique dont le marxisme-léninisme reste l'idéologie officielle.

1978 :
A la suite d'un massacre de paysans Viêt par les Khmers rouges soutenus par la Chine, le Vietnam, épaulé par l'URSS, envahit le Cambodge. Guerre contre la Chine. Exode apocalyptique des boat people vietnamiens et chinois.

1989 :
Retrait des dernières troupes vietnamiennes du Cambodge. Dans les rizières du delta, premiers pas concrets du "décollectivisme".

1991 :
Normalisation des relations avec la Chine.

1994 :
Levée de l'embargo américain.

1995 :
Reprise des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le Vietnam.


***










  • "The Vietnam War", série documentaire en dix parties de Ken Burns et Lynn Novick - Prix spécial de l'American Film Institute en 2017 (Netflix et DVD)
  • "Apocalypse : la guerre des mondes 1945-1991", série documentaire en six parties d'Isabelle Clarke et Daniel Costelle, avec la collaboration de Mickaël Gamrasni et la narration de Mathieu Kassovitz (France 2 et DVD)
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"War"
chanson protestataire contre la guerre du Vietnam
écrite et composée par Norman Whitfield et Barrett Strong
interprétée par Edwin Starr en 1970
reprise ensuite par de nombreux artistes
dont Bruce Springsteen lors de sa tournée de 1985

"Les carnets retrouvés (1968-1970)" - Dang Thuy Trâm (Picquier poche)


Dang Thuy Trâm est née à Hanoï, au Nord-Vietnam, le 26 novembre 1943. Elle est l'aînée de cinq enfants, joue du violon et de la guitare, adore la poésie vietnamienne et les romans français et russes. Son père est chirurgien, passionné de musique classique occidentale, et sa mère est chargée de cours à la faculté de pharmacologie. Dang Thuy Trâm devient elle-même chirurgien en 1966, à un moment où l'engagement américain dans la guerre est au plus fort, avec des bombardements aériens contre le territoire nord-vietnamien et des combats sur le terrain contre la guérilla au sud.

Dang Thuy Trâm part pour le Sud-Vietnam comme volontaire au sein des forces vietnamiennes communistes, opposées aux Américains et aux troupes du gouvernement de Saigon. A vingt-cinq ans, elle est responsable d'un hôpital civil de campagne situé dans les montagnes au centre du Vietnam. Elle devient membre du parti communiste en 1968. Deux ans plus tard, le 22 juin 1970, elle est tuée dans le maquis de Quang Ngai. Les circonstances de sa mort sont mal connues.

Un agent des renseignements américain, Fred Whitehurst, trouve les carnets de Dang Thuy Trâm et les ramène aux Etats-Unis en 1972. Trente ans plus tard, il retrouve la famille de l'auteure qui va les publier. L'ouvrage devient un best-seller au Vietnam, puis en Amérique, et sera traduit en vingt langues.

Le journal de Dang Thuy Trâm commence le 8 avril 1968, exactement deux mois après l'"Offensive du Têt"...

"Thuy avait commencé à tenir son journal quand elle avait quitté Hanoï pour le Sud. Malheureusement, son premier carnet a été perdu, et ceux qui nous sont parvenus commencent une année après son arrivée à Quang Ngai, à un moment où elle était affreusement malheureuse.

Thuy était descendue dans le Sud par pur esprit patriotique mais aussi à cause d'un homme qu'elle appelle "M", et qu'elle aimait depuis l'âge de seize ans."

Extrait de l'Introduction de Frances Fitzgerald
Correspondante de guerre au Vietnam pour le New Yorker
Prix Pulitzer en 2008 pour "Fire in the Lake"

Mon avis :

Que de responsabilités reposent sur de si jeunes épaules !

Gérer un hôpital de campagne sous le feu des balles et des bombes... Accueillir les soldats blessés, les soigner, les opérer, les écouter, les réconforter, les encourager, atténuer leurs souffrances... Les voir repartir au front à peine valides... Quitter ceux avec qui, inévitablement, on a tissé des liens d'affection... Accompagner les mourants, leur apporter un peu de chaleur et de douceur dans leurs derniers instants...

Entendre la douleur, le chagrin, les émois de chacun... Affronter la tourmente, la mort, la peur, la haine, les doutes, les espoirs sans réponse... Craindre pour sa famille au loin, souffrir de son absence... Accepter la disparition de proches, d'amis, de camarades...

Continuer de s'émerveiller d'un rayon de soleil, de gouttes de pluie glissant sur les feuilles des arbre, d'une fleur épanouie au milieu du chaos, de l'odeur de la forêt après un orage, ou de quelques vers de poésie...

Dans ses carnets, Dang Thuy Trâm consigne des faits, mais aussi toutes ses émotions et ses sentiments, partageant sur une même page les horreurs de la guerre sur les corps et la blessure d'un amour perdu, ou encore la conduite héroïque des uns et la mesquinerie des autres...

"La vie se déroule devant nos yeux avec ses aspects multiples : l'amour, la douleur, l'espoir et la jalousie. Un être humain n'a pas que du sang rouge, la moitié de son coeur est pleine de sang noir."

Un témoignage déchirant...