mercredi 3 avril 2019

Avril 2019 - "Romans féministes"



"Romans féministes"

Premier Prix "Affiche"
Concours "Egalité" 2014
Ministère des Droits des femmes

par Marina Fabre et Valentine Dervaux

"La Passion selon Juette" de Clara Dupont-Monod (Livre de Poche)



Clara Dupont-Monod est née en 1973 à Paris. Diplômée en ancien français, elle commence très tôt une carrière de journaliste aussi bien pour la presse écrite que pour la radio et la télévision. Elle anime, depuis septembre 2014, une chronique littéraire dans l'émission d'actualité "Si tu écoutes, j'annule tout", sur France Inter, renommée "Par Jupiter !" à partir de septembre 2017. "La Passion selon Juette" est son quatrième roman.

Sainte Ivette de Huy (également connue sous le nom de Juette), née à Huy (actuelle Belgique) en 1158. Mariée à treize ans, mère de trois enfants dont un mort en bas âge, veuve à dix-huit ans, elle vécut trente ans recluse dans une cellule accolée à l'église de Huy, priant Dieu et soignant les lépreux. Elle est décédée le 13 janvier 1228. Sa vie nous est connue grâce au chanoine prémontré Hugues de Floreffe. Elle est liturgiquement commémorée le 13 janvier.


L'histoire :

Juette, fille de l'ambitieux receveur des impôts de l'évêque de Liège installé à Huy, dans l'actuelle Belgique, est une enfant du XIIème siècle, passionnée d'histoires et de légendes. Celle de Saint Mengold, comte et chevalier de Huy. Celle d'Arlette de Falaise, née à Huy, mère de Guillaume le Conquérant. Ou celle de Johan Coley-Malhars, plus connu sous le nom de Jean Colin-Maillard, ancien maçon, valeureux chevalier de Huy et héros aux yeux crevés. Ou bien encore celle de Perceval, Pendragon ou Lancelot.

Mais son destin ne sera pas celui des douces princesses et des preux chevaliers. A treize ans, Juette est mariée de force. De ce traumatisme naîtront sa haine des hommes, du sexe et de la maternité, puis, à son veuvage cinq ans plus tard, une détermination redoutable à consacrer sa vie et sa foi aux plus nécessiteux de l'époque : les femmes et les lépreux.

"Un corps mort fait des enfants morts. C'est normal." Elle dira cela avec un détachement malsain, comme on récite un mauvais texte. Et je comprendrai soudain que s'il y a un enfant mort ici, c'est Juette.

Au récit de la jeune femme, s'ajoute celui de Hugues de Floreffe, chanoine prémontré, homme pieux, copiste instruit et merveilleux conteur. Confident et ami de Juette depuis l'enfance, son admiration pour elle est aussi grande que son inquiétude. Sa témérité, son intransigeance envers ses compagnes de l'ordre des veuves et son insoumission face à la puissante Eglise et aux hommes de Dieu la mettent en danger. Seront-ils nombreux, à Huy, à la soutenir et à la protéger ?

Mon avis :
Une évocation forte, émouvante, d'une rebelle flamboyante et ambiguë. Ce roman historique se dévore d'une traite. Coup de coeur !!!

"Prodigieuses créatures" de Tracy Chevalier (Folio)

Tracy Chevalier est une écrivaine américaine, née en 1962 à Washington. En 1984, elle déménage en Angleterre et commence, en 1993, une année de Master of Arts en création littéraire à l'Université d'East Anglia. Ses tuteurs, lors de son parcours, sont les romanciers Malcolm Bradbury et Rose Tremain. En 1997 paraît son premier roman, "La Vierge en bleu". Le succès arrive avec "La jeune fille à la perle", un livre inspiré par le célèbre tableau de Vermeer. Le film du même nom, réalisé par Peter Webber, avec Scarlett Johansson, Colin Firth et Cillian Murphy, a obtenu trois nominations aux Oscars de 2004. Tracy Chevalier est également présidente pour l'Angleterre de la Society of Authors.

***

"Prodigieuses créatures" s'inspire de personnages et de faits réels.

Elizabeth Philpot et Mary Anning
Mary Anning est née en 1799 à Lyme Regis, un village en bord de mer, dans le Dorset, en Angleterre, une région riche en fossiles datant de la période jurassique. Enfants pauvres, Mary et son frère en ramassent pour les revendre aux collectionneurs et aux touristes. C'est ainsi que Mary met à jour, en 1812, le premier fossile d'ichtyosaure.

Plus tard, autodidacte, pionnière de la paléontologie, ses découvertes ont permis de révéler de nouvelles espèces, comme le plésiosaure et le dimorphodon. Elle est aujourd'hui reconnue comme une figure incontournable dans l'histoire de la paléontologie des vertébrés.

Mary Anning est décédée d'un cancer du sein en 1847, après avoir été élue membre honoraire de la Geological Society of London, le sexisme régnant de l'époque interdisait pourtant l'élection des femmes.

Plésiosaure découvert en 1821 par Mary Anning
(Museum national d'histoire naturelle à Londres)

Elizabeth Philpot (1780 - 1857) est née à Londres. En 1805, elle emménage avec ses soeurs Louise et Margaret à Lyme Regis, dans le Dorset, le long de la côte sud de l'Angleterre. Paléontologue autodidacte et artiste, elle se lie d'amitié avec Mary Anning, de près de vingt ans sa cadette. Reconnue dans le milieu des géologues pour ses connaissances sur les fossiles de poissons, et pour sa vaste collection de spécimens, d'éminents géologues et paléontologues viennent la consulter. Quand Mary Anning découvre que des fossiles de bélemnites contiennent des sacs d'encre, c'est Elizabeth Philpot qui démontre que l'encre fossilisée mélangée à de l'eau peut être réutilisée pour des illustrations. Ce qui devient alors une pratique courante pour les artistes de la région.

Lettre de Elizabeth Philpot (1833) au paléontologue William Buckland
Dessin à l'encre fossilisée

***

L'histoire :

Début du XIXème siècle en Angleterre

Dans la famille Philpot, John est le frère aîné de quatre filles. Au décès de leurs parents, John hérite des biens mais aussi de la charge de ses soeurs célibataires. Frances, mariée, ne vit plus à Londres. John étant fiancé, Louise, Elizabeth et Margaret doivent quitter la maison familiale londonienne en échange d'une rente de leur frère et d'un toit plus modeste sur la côte. Les trois soeurs choisissent la petite ville de Lyme Regis, dans le Dorset. Margaret, la plus jeune, s'y amuse très vite, participe à tous les bals et côtoie la bonne société locale. Louise se passionne pour le jardinage. Quant à Elizabeth, elle se lance avec ardeur dans la chasse aux fossiles sous l'influence de Mary Anning, une enfant de douze ans précoce et volontaire, dont les connaissances dans la discipline seront précieuses...

Mon avis :

Comme toujours, formidable conteuse, Tracy Chevalier nous emporte dans son univers et met en lumière le destin de femmes singulières. Elle dresse ici le portrait de deux découvreuses dans ce domaine scientifique alors exclusivement masculin, la paléontologie, à une époque où les hommes font loi et les femmes silence.

Ces pionnières marquent le début d'une longue fascination populaire pour les dinosaures et l'aire jurassique, jusqu'à aujourd'hui encore. Les romanciers ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, il n'y a pas meilleur sujet pour aiguiser l'imaginaire et alimenter tous les possibles. Parmi eux, Jules Verne et son "Voyage au centre de la Terre" (1864), Sir Arthur Conan Doyle et "Le Monde perdu" (1912), Fernand Mysor et "Les Semeurs d'épouvante" (1923), et plus récemment Michael Crichton et "Jurassic Park" (1995).


Retrouvez Tracy Chevalier sur France Culture dans l'émission "La Marche des Sciences : Sur les traces de la paléontologie

https://www.franceculture.fr/emissions/la-marche-des-sciences/sur-les-traces-de-la-paleontologie

"Les Suprêmes" de Edward Kelsey Moore (Babel)




Edward Kelsey Moore est né dans l'Indiana. Violoncelliste installé à Chicago, il a cinquante-trois ans lorsqu'il publie son premier roman, "Les Suprêmes" (Actes Sud, 2014), suivi de "Les Suprêmes chantent le blues" (Actes Sud, 2018).






"The Supremes" ou "Diana Ross and The Supremes" était un groupe de rythm and blues, pop & soul féminin américain populaire originaire de Détroit (Michigan) ayant évolué au sein de la Motown de 1959 à 1977. Parmi leurs plus grands succès, on se souvient de "You keep me hangin'on", "Baby Love", "Stop ! In the name of love !".


L'histoire

Plainview, Indiana (Etats Unis)

Elles sont quinquagénaires, amies depuis les années 1960. On les surnomme "Les Suprêmes", comme le célèbre groupe pop de l'époque. Chaque dimanche, depuis trente ans, avec leurs époux, elles déjeunent Chez Earl. Aujourd'hui, c'est ensemble qu'elles assistent aux funérailles de Big Earl, premier Noir à avoir monté une affaire en centre-ville à la fin de la ségrégation.

Odette, ronde et joyeuse, est mariée à James, ancien policier, et le couple a trois enfants. Elle est née il y a cinquante-cinq ans dans un sycomore sur lequel sa mère, enceinte jusqu'au cou, s'était installée. Cette originalité valut à la petite fille les prédictions les plus farfelues. Comme sa mère avant elle, Odette discute avec les défunts, mais elle n'en parle à personne, on la prendrait pour une folle.

Clarice fut le premier bébé noir à naître au University Hospital et fit la une des journaux jusqu'à Los Angeles. Jeune fille, brillante pianiste, malgré les avertissements de tous, elle épousa Richmond, alcoolique et coureur de jupons, qui lui fit quatre enfants et enterra sa carrière artistique. Trois décennies plus tard, solidaires, ses amies lui pardonnent son caractère bougon, curseur de l'ambiance conjugale.

Barbara Jean, la plus jolie des trois, est celle que la vie a le moins épargnée. Fille de prostituée, elle a grandi sous les regards lubriques des clients de sa mère. Son mari, un paysagiste fortuné, de vingt ans son aîné, lui a apporté une forme de revanche sociale et matérielle, mais Lester a toujours été de santé fragile. En 1977, le destin leur arracha un petit ange, leur fils unique, Adam. La douleur ne s'est jamais estompée pour Barbara Jean. Seul Big Earl, et ce depuis qu'elle était enfant, était capable d'adoucir ses peines d'un gentil compliment, d'un clin d'oeil complice ou d'un sourire chaleureux. Big Earl, et Les Suprêmes, ses fidèles amies...

Mon avis :

Elles ne militent pas, ne manifestent pas, ne revendiquent pas, mais ce sont des battantes. Leur féminisme, elles le vivent au quotidien, en faisant face courageusement, silencieusement, aux aléas qui jalonnent l'existence, jour après jour, année après année. Leur force, elles la puisent dans leur amitié indéfectible.

Quinquagénaires, leur corps ne manque pas de leur rappeler qu'elles sont à l'automne de leur vie, mais c'est une nouvelle histoire qui commence, et certainement pas une fin. Cependant, c'est peut-être le temps des bilans et de quelques regrets.

Entre instants présents et souvenirs de jeunesse dans l'Amérique des Sixties en pleins bouleversements, ces trois amies afro-américaines, tour à tour, nous font rire aux éclats ou nous émeuvent aux larmes.

Un roman choral enchanteur teinté de nostalgie et de mélancolie ! Coup de coeur !!!

"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage" de Maya Angelou (Livre de Poche)

Maya Angelou (de son vrai nom Marguerite Johnson), née en 1928 à Saint-Louis (Missouri) et morte en 2014 à Winston-Salem (Caroline du Nord), est une écrivaine afro-américaine et une importante représentante du Mouvement pour les droits civiques. Elle débute comme chanteuse et danseuse. Plus tard, elle adhère au Mouvement pour les droits civiques et côtoie notamment Martin Luther King, Malcolm X et James Baldwin. A partir de 1969, elle commence à publier ses premiers ouvrages, des récits autobiographiques : "Je sais pourquoi l'oiseau chante en cage", 1969 ; "Tant que je serai noire", 1981 ; des recueils de poésie, des essais ou des livres pour les enfants. Ses livres sont étudiés dans les écoles aux Etats-Unis.


"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage" libère le lecteur, simplement parce que Maya Angelou met en scène sa vie avec une maîtrise émouvante et une lumineuse dignité. Les mots me manquent pour décrire un tel exploit, mais je sais que jamais depuis les jours lointains de mon enfance, lorsque les personnages de roman étaient plus réels que les gens que je voyais tous les jours, je ne me suis senti à ce point ému.
James Baldwin


L'histoire :

A la séparation de leurs parents, Marguerite, trois ans, et son frère Bailey, quatre ans, quittent la Californie pour la petite ville de Stamps, dans l'Arkansas. Ils sont désormais confiés aux bons soins de Momma, leur grand-mère paternelle, et de leur oncle infirme, Willie.

Fait remarquable pour l'époque dans le Sud des Etats-Unis, Momma, personne valeureuse et respectée, est une des rares femmes noires à posséder son propre magasin, sorte de bazar où l'on peut - presque - tout acheter. Les conditions de vie sont modestes, mais les enfants ne manquent de rien. L'éducation de leur grand-mère, appuyée sur la religion, est stricte mais juste.

Marguerite, que son frère appelle toujours Maï, et Bailey, vifs et curieux de tout, apprennent vite à lire et les romans tiennent une place importante dans leur quotidien et dans leurs jeux.

Malheureusement, cinq ans plus tard, les portes du bonheur et de l'insouciance vont brutalement se refermer lorsque les parents décideront de reprendre leurs enfants et de les ramener à Saint-Louis, dans le Missouri...


"Nous étions des femmes et des hommes à tout faire, des servantes ou des lavandières, et aspirer à quoi que ce fût de plus ambitieux était de notre part grotesque et présomptueux."
Maya Angelou
"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage"

Mon avis :

Un récit autobiographique extraordinaire et poignant ! Maya Angelou évoque la première partie de sa vie, jusqu'à ses dix-sept ans et la naissance de son fils Guy. L'écriture est magnifique, simple, posée, presque douce, mais la colère qu'elle libère nous lacère le coeur jusqu'au sang. Le mot "résignation" ne fait assurément pas partie du vocabulaire de cette femme de lettres exceptionnelle, courageuse, assoiffée de justice, infatigable militante qui a prêté sa voix aux femmes et aux minorités à travers le monde jusqu'à son dernier souffle.

Un livre à proposer et à conseiller sans hésitation à tous, et aux adolescents en particulier...

lundi 4 mars 2019

Mars 2019 - "Ecrire"


"Ecrire" de Marguerite Duras (Folio)

Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, est née en 1914 à Saïgon (alors en Indochine française) d'une mère institutrice et d'un père professeur de mathématiques qui meurt de dysenterie en 1921. En Indochine, la famille est ruinée et Marguerite rentre en France suivre des études de Droit. 

Pendant la guerre, elle participe à la Résistance et voit son mari, Robert Antelme, déporté à Dachau et revenir malade du typhus. Elle en fera le récit dans "La Douleur" paru en 1985. A la Libération, Marguerite Duras s'engage au Parti Communiste Français, en est exclue en 1950 mais continue de militer pour différentes causes comme la guerre en Algérie ou encore le droit à l'avortement. 

Cette année-là (1950), elle publie son troisième livre, "Un barrage contre le Pacifique", roman autobiographique qui sera adapté au cinéma. Elle-même se mettra plus tard à écrire des scénarios ("Hiroshima mon amour" en 1959) puis passera à la réalisation, adaptant ses propres livres (comme "India Song" en 1975). Elle écrit également des pièces de théâtre dès 1955 avec "Le square" puis viendront "Des journées entières dans les arbres" (1965) et aussi "Savannah Bay" (1982). 

Parmi ses livres clé on peut citer "Moderato cantabile" (1958), "Le Ravissement de Lol V. Stein" (1964) ou encore "Le Vice-Consul" (1966). En 1984, Marguerite Duras connaît un immense succès avec son roman "L'Amant" qui reçoit le Prix Goncourt. Malade de l'alcool depuis les années 1980, l'écrivaine renouvelle les cures de désintoxication. Elle meurt à Paris en 1996 à l'âge de 81 ans.

***

Ce livre réunit cinq textes de Marguerite Duras construits autour de l'acte d'écriture, mais le plus remarquable et le plus influent reste le premier, "Ecrire".

***

"Ecrire" :

"La solitude de l'écriture, c'est une solitude sans quoi l'écrit ne se produit pas, ou il s'émiette exsangue de chercher quoi écrire encore."

L'écriture, c'est d'abord une maison, un pièce, une table à soi. L'écriture, c'est s'isoler du monde extérieur. L'écriture, c'est le silence et la solitude. L'écriture, c'est l'histoire singulière qui a façonné l'écrivain. Marguerite Duras évoque avec une sincérité et une humilité touchantes l'enfance, l'amour, la guerre, la maternité, l'amitié, la politique, le cinéma, l'alcool, la folie, le crépuscule... et la nécessité d'écrire. Elle donne à ses mots une résonance musicale toute particulière. Une lecture publique offrirait à ce texte une profondeur et une émotion plus intenses encore...

"L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie."


"La mort du jeune aviateur anglais" :

Comment écrire deux jeunes vies prises par la folie des hommes ? Comment mettre en parallèle le souvenir d'un jeune aviateur anglais de vingt ans, tué en Normandie aux derniers jours de la guerre et enterré dignement dans le petit cimetière d'un village, et le souvenir de Paulo, petit frère de Marguerite Duras, mort pendant la guerre du Japon et jeté dans une fosse commune ?

"Ecrire par le dehors peut-être, en ne faisant que décrire peut-être, décrire les choses qui sont là, présentes. Ne pas en inventer d'autres."


"Roma" :

Rome d'hier... Rome d'aujourd'hui...
Ecrite comme un scénario
Une histoire d'amour d'hier... Une histoire d'amour d'aujourd'hui...


"Le nombre pur" :

Comment écrire le mot "pur" quand, en son nom, l'Homme a commis tant d'horreurs...


"L'exposition de la peinture" :

Le peintre est comme l'écrivain. La peinture est son écriture...

"L'homme dit que ce sont des toiles de la même personne qui ont été faites dans le même moment de la vie de cette personne. C'est pourquoi il veut les accrocher toutes ensemble, ça le préoccupe beaucoup, il voudrait non pas qu'elles ne fassent qu'un, non, ce n'est pas ça du tout, du tout, mais qu'elles soient toutes les unes auprès des autres dans un rapprochement naturel, juste, dont lui seul est responsable, dont lui seul devrait savoir de quelle valeur il doit être."

"Les Personnages" de Sylvie Germain (Folio)

Sylvie Germain est une écrivaine et philosophe française, née en 1954 à Châteauroux. Son premier roman, "Le Livre des Nuits" suivi de "Nuit d'Ambre", une saga familiale de près de huit cents pages, reçoit, en 1984, six prix littéraires : Prix du Lions Club International, Prix du Livre Insolite, Prix de Passion, Prix de la Ville du Mans, Prix Hermès et Prix Grevisse. Sylvie Germain part alors vivre à Prague où elle enseigne la philosophie et le français au Lycée français et publie "Jour de colère" (Prix Femina). De retour en France en 1993, elle vit entre Paris et La Rochelle. "Magnus", paru en 2005, est récompensé par le Prix Goncourt des lycéens. En 2013, elle est élue à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Elle reçoit en 2016 le Prix mondial Cino Del Duca. Elle fait partie des présidents d'honneur du Prix Marguerite Duras.

Mon avis :

"Ils naissent d'un rapt commis là-bas, aux confins de notre imaginaire où, furtivement, dérivent des rêves en archipel, des éclats de souvenirs et des bribes de pensée. Et ils savent des choses dont nous ne savons rien."

Lorsque les personnages apparaissent, envahissent ses songes et s'animent, que fait l'écrivain ? Soit il les accueille avec méfiance, craint leur imprévisibilité, leurs débordements. Soit il les accueille avec joie, joue le jeu, met à leur profit son imaginaire, son inspiration. Dans un cas comme dans l'autre, le romancier va devoir leur donner "chair et vie", leur inventer une histoire, leur trouver un nom, leur créer une image, un langage, un style, un caractère...

"Mais cela suffit-il ? Les personnages vivront-ils ? Ne leur manque-t-il pas encore l'esprit ?"

Philosophie, poésie, méditation, érudition, cette analyse approfondie du geste d'écrire est tout cela à la fois. On y croise, entre autres, Simone Weil, Milan Kundera ou Marguerite Duras. Cérébral par endroits, il faut bien le reconnaître, ce texte mérite une seconde lecture afin d'en saisir toutes les subtilités et toutes les références culturelles et littéraires.

Mais avant tout, c'est une formidable invitation à dévorer des romans, encore et encore, à libérer de nombreux personnages, à nous les approprier, à les laisser déambuler dans notre tête, et à leur offrir l'esprit que l'auteur n'a pu leur donner !

"Les personnages n'habitent qu'en apparence dans les livres qui les ont délivrés de leurs limbes, ils n'aspirent qu'à s'en aller déambuler en tous sens, à transhumer d'un imaginaire à un autre, à visiter beaucoup de pays mentaux. Ils n'appartiennent pas à leur seul auteur, mais à une communauté.

               Ils n'appartiennent à personne. Ils attendent juste la chance d'être lus, pour exister davantage, et toujours autrement."

Les deux nouvelles, à la fin de l'ouvrage, "Le tremble" et "Magdiel", teintées de fantastique, sont délicieuses et illustrent parfaitement la réflexion de Sylvie Germain.

"Mais on ne choisit pas ses personnages comme on le souhaiterait, pas plus qu'on ne se débarrasse facilement des fâcheux, Paulin Féborgue, auteur d'une vingtaine de romans et d'une cinquantaine de nouvelles, le savait parfaitement. Parmi les nombreux personnages qu'il avait mis en scène dans ses livres, beaucoup lui avaient donné du fil à retordre, et certains, lorsqu'ils s'étaient présentés la première fois à son imagination, ne lui avaient inspiré aucun désir d'écriture tant ils paraissaient insignifiants. Malgré tout, le désir avait chaque fois fini par s'éveiller, fût-ce tardivement, et par persévérer, au prix d'innombrables louvoiements entre les doutes et le découragement."

"L'écriture comme un couteau" de Annie Ernaux - Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet (Folio)

Annie Ernaux est née en 1940 à Lillebonne (Seine-Maritime), dans un milieu social modeste : ses parents étaient d'abord ouvriers avant de tenir un café-épicerie. Elle grandit à Yvetot, en Normandie, et poursuit ses études à Rouen. Institutrice puis professeure agrégée de Lettres modernes, divorcée, mère de deux garçons, elle fait son entrée en littérature en 1974 avec "Les armoires vides", un roman autobiographique. Sa vie, ses expériences heureuses ou douloureuses, le statut de la femme seront les matériau essentiel d'une oeuvre réaliste et crue. "La place" remporte le Prix Renaudot en 1984. A la croisée de l'expérience historique et de l'expérience individuelle, son écriture, dépouillée de toute fioriture stylistique, dissèque le parcours de ses parents ("La place", "La honte"), son adolescence ("Ce qu'ils disent ou rien"), la sexualité et ses relations amoureuses ("Passion simple", "Se perdre"), son mariage ("La femme gelée"), son avortement ("L'événement"), son environnement ("Journal du dehors", "La vie extérieure"), la maladie d'Alzheimer de sa mère ("Je ne suis pas sortie de ma nuit"), puis la mort de sa mère ("Une femme"), son cancer du sein ("L'usage de la photo", en collaboration avec Marc Marie).

En 2008, Annie Ernaux touche et émeut un très large public avec "Les années", formidable et mélancolique récit écrit à la troisième personne du singulier, différent de l'ensemble de son travail, et qui fait figure de mémoire collective des Français. Tous les lecteurs, même parmi les plus jeunes, se reconnaissent quelque part dans cette évocation de la période de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Le livre est récompensé par le Prix Marguerite Duras, le Prix François Mauriac de la région Aquitaine, le Prix de la langue française et le Prix Strega européen.

En 2017, Annie Ernaux reçoit le Prix Marguerite Yourcenar décerné par la Société civile des auteurs multimédia pour l'ensemble de son oeuvre.

Frédéric-Yves Jeannet est un écrivain mexicain, d'origine et d'expression française, né en 1959 à Grenoble. Il quitte la France en 1975 et s'installe au Mexique en 1977, pays dont il adopte la nationalité en 1987. Il est professeur de littérature française et père de deux enfants. Il enseigne au Mexique, en Suède, en France, à Genève, à New York et en Nouvelle-Zélande. Il habite à Rabat au Maroc depuis 2017. Son oeuvre contient des romans ainsi que plusieurs livres d'entretiens (Annie Ernaux, Michel Butor, Hélène Cixous, entre autres).

***

A propos de Marguerite Duras...

F.-Y. J.[...] j'aimerais que vous me précisiez ce qui vous est étranger dans l'entreprise de Duras : est-ce l'étrangeté de son écriture, de sa syntaxe, de sa personnalité, ou de son projet lui-même ? A première vue, en effet, on pourrait estimer qu'il existe entre vos entreprises, malgré toutes leurs différences, certaines affinités : comme vous, elle a "osé" parler de son enfance, de sa sexualité, de ses amants, et prendre sa vie comme matière de ses livres..

A. E. : J'ai toujours su que je n'écrirais pas comme Duras et j'avoue être un peu étonnée que vous me trouviez des affinités avec elle. Entre nous, est-ce que, à votre insu, vous n'obéiriez pas à cette tendance inconsciente, généralisée, qui fait qu'on compare spontanément, en premier lieu, une femme écrivain à d'autres femmes écrivains ? Symétriquement, il est plutôt rare qu'on compare un homme écrivain à une femme écrivain...

***

Mon avis :

Frédéric-Yves Jeannet admire Annie Ernaux pourtant l'apparente opposée de lui-même. Il aime son écriture. Ce livre est une correspondance électronique entre les Etats-Unis et la France que les deux écrivains ont entretenue pendant un an, de 2001 à 2002. La forme entièrement écrite de l'échange a séduit Annie Ernaux qui s'est volontiers prêtée au jeu avec sincérité et précision.

A. E. : Ma méthode de travail est fondée essentiellement sur la mémoire qui m'apporte constamment des éléments en écrivant, mais aussi dans les moments où je n'écris pas, où je suis obsédée par mon livre en cours. J'ai écrit que "la mémoire est matérielle", peut-être ne l'est-elle pas pour tout le monde, pour moi, elle l'est à l'extrême, ramenant des choses vues, entendues (rôles des phrases, souvent isolées, fulgurantes), des gestes, des scènes, avec la plus grande précision. Ces "épiphanies" constantes sont le matériau de mes livres, les "preuves" aussi de la réalité. Je ne peux pas écrire sans "voir" ni "entendre", mais pour moi c'est "revoir" et "réentendre".

Cet ouvrage se place en marge de l'oeuvre d'Annie Ernaux. Il pourra agacer autant que ravir. S'il donne parfois au lecteur le sentiment de n'être qu'un spectateur passif d'une discussion entre deux intellectuels, les réponses d'Annie Ernaux sont passionnantes pour ses "inconditionnels" (dont je suis !), pour celles et ceux qui s'intéressent au travail en amont, du "chantier" (mélange de projets, de notes, de phrases, de recherches... le tout classé dans des chemises cartonnées) à la parution d'un roman, d'un récit ou d'un texte.

A. E. : J'emploie le passé composé par impossibilité absolue de rendre compte des choses au passé simple. Je le sens comme une mise à distance - le comble de la distance étant tout de même pour moi l'imparfait du subjonctif, et c'est pourquoi je ne respecte jamais les concordances, volontairement - et je suis d'accord avec Barthes quand il dit que le passé simple signifie, proclame avant tout : "Je suis la littérature".

Avec son immense générosité et toute la sensibilité que nous lui connaissons, Annie Ernaux nous permet d'approcher au plus près du processus littéraire qui est le sien.

A. E. : Je crois qu'un petit nombre de critiques ne me pardonne pas cela, ma façon d'écrire le social et le sexuel, de ne pas respecter une sorte de bienséance intellectuelle, artistique, en mélangeant le langage du corps et la réflexion sur l'écriture, en ayant autant d'intérêt pour les hypermarchés, le RER, que pour la bibliothèque de la Sorbonne, ça leur fait violence...

"Buvard : une biographie de Caroline N. Spacek" de Julia Kerninon (Babel)

Julia Kerninon est née en 1987 à Nantes. Docteur en littérature américaine, son premier roman, "Buvard", publié en 2014, a été distingué par le Prix Françoise Sagan et le Prix René Fallet. Son deuxième roman, "Le dernier amour d'Attila Kiss", a reçu le Prix de la Closerie des Lilas en 2016.

"J'avais le vertige face à l'abondance de mes propres titres qui semblaient essayer de me dire quelque chose. Je n'arrivais même pas à comprendre que j'aie pu en écrire autant. Les livres dégageaient de ma table de travail pour se poser sur les étagères des librairies, d'abord en vitrine puis dans les rayonnages plus lointains." - (extrait de "Buvard")

L'histoire :
Lou, un jeune étudiant, est fasciné par l'écrivaine Caroline N. Spacek. Il a lu tous ses livres. Il s'est même risqué à lui demander un interview, sans réel espoir car la romancière quadragénaire n'en donne plus depuis des années. Mais à sa grande surprise, le jeune homme est invité à rencontrer la femme de lettres un après-midi de juillet dans sa propriété du Devon, au sud-ouest de l'Angleterre. Prévu quelques heures, l'entretien durera neuf semaines...

"L'art d'écrire obéit à des lois immuables, Lou, mais comme toutes les lois, on ne peut peut-être pas les éprouver autrement qu'en les violant et en le regrettant amèrement après. Il faut se les approprier sauvagement. Que la langue devienne une matière aussi tangible que la viande d'un corps sur un ring. Qu'elle finisse par avoir un goût et une odeur."

Mon avis :

C'est l'histoire d'un amour fusionnel enchevêtré dans la création artistique, ou de la création artistique au coeur d'un amour fusionnel, ou les deux à la fois. Cet amour-là, passionnel, intense, entre deux êtres talentueux et libres, va très vite se confondre en duel littéraire. Un homme et une femme, auteurs célèbres, habités par l'écriture, source d'inspiration l'un pour l'autre, vont s'asphyxier dans une liaison dangereuse, vampirisante, aliénante. La folie n'est jamais loin. Parviendront-ils à briser leurs chaînes ?

"Je ne savais plus à quoi je m'étais attendu en venant ici. Ses livres étaient bons, pas de doute là-dessus, mais est-ce que ça pouvait suffire à en faire une bonne personne ou est-ce qu'elle n'était qu'une imposture ?"

Etonnant roman sur l'écrivain, son travail et ses relations aux "autres"...

mercredi 6 février 2019

Février 2019 - "Polars glacés"



"L'expédition" de Monica Kristensen (Babel noir)

Monica Kristensen est née en 1950 à Torsby, en Suède, et a grandi en Norvège. Glaciologue, elle est la première femme à avoir dirigé une expédition en Antarctique. Elle vit actuellement à Oslo. "L'expédition", son dernier roman, s'inscrit dans une série de polars se déroulant au Svalbard. Une région que connaît très bien l'auteure puisqu'elle a séjourné pendant six ans dans cet archipel le plus septentrional d'Europe, situé à la jonction des océans Atlantique et Arctique.

L'histoire :

Un hélicoptère a quitté l'aéroport de Longyearbyen, capitale de l'archipel du Svalbard, au nord de la Norvège. Il survole la banquise avec à son bord deux pilotes, un mécanicien et un policier. Une expédition, attaquée par un ours polaire, a envoyé un appel de détresse. Arrivée sur les lieux, l'équipe de sauvetage découvre un carnage et quatre hommes entassés dans une tente minuscule, la seule encore en bon état. Le musher est malade. Neuf chiens sont morts. Le dixième tient à peine debout. Ils n'ont pas de blessure apparente, mais tous ont vomi du sang. Aucune trace d'ours nulle part. Le campement offre un paysage d'abandon et les explorateurs apportent des explications peu convaincantes.

Joint par radio, face à ces constatations inquiétantes, le gouverneur ne veut prendre aucun risque et ordonne le retour de l'expédition à Longyearbyen. Le policier Knut Fjeld annonce à tous la décision. Il y aura deux voyages. Les sauveteurs emmèneront en premier le musher, le chien survivant, et divers échantillons que Knut a prélevés pour les médecins et vétérinaires. Lui-même partira au second tour avec les trois aventuriers valides et le matériel qu'ils auront rassemblé.

L'hélicoptère est parti et ne reviendra que dans vingt-quatre heures. Le policier est contraint d'attendre sur cette banquise hostile, sans y avoir été préparé, et avec des compagnons d'infortune au comportement pour le moins étrange...

Mon avis :
Vous refermerez ce livre transis de froid, glacés jusqu'aux os, tant l'histoire est terrifiante et captivante ! Tout en partageant avec nous son expérience des expéditions polaires et sa connaissance des conditions de survie dans ce paysage extrême, l'auteure nous immerge dans les abîmes de l'âme humaine et nous lâche seuls avec nos propres peurs au beau milieu de l'immensité effrayante de la banquise. C'est d'une beauté à la fois merveilleuse et menaçante. Monica Kristensen le conte formidablement bien !
Grand coup de coeur !!!

"La trilogie écossaise : L'île des chasseurs d'oiseaux ; L'homme de Lewis ; Le braconnier du lac perdu" de Peter May (Rouergue)


Peter May est né en 1951 à Glasgow (Ecosse). D'abord journaliste, il quitte la presse écrite pour la télévision et crée deux séries pour la BBC. Il est également co-créateur et producteur de la série en langue gaélique "Machair", qui se déroule sur l'Ile de Lewis. Après avoir quitté la télévision en 1996, il écrit "Meurtres à Pékin", le premier d'une série de polars situés en Chine. Sa trilogie écossaise, d'abord publiée en français par les Editions du Rouergue, a connu un immense succès dans le monde entier. Peter May a reçu la naturalisation française en 2016. Il vit depuis de nombreuses années dans un petit village du Lot.

"L'île des chasseurs d'oiseaux"

L'histoire :
Il y a un mois, Fin Macleod a perdu son petit garçon. Son mariage ne se relèvera probablement pas de ce drame, et lui non plus ne s'en relèvera pas s'il continue de s'enfermer dans sa douleur. Malgré l'insistance de son entourage, il n'a pas repris son travail d'inspecteur de police à Edimbourg. Son chef décide alors de ne plus lui laisser le choix. Un meurtre sordide a été commis à Crobost, sur l'Ile de Lewis. Le mode opératoire ressemble étrangement à un homicide perpétré à Edimbourg, une affaire dont s'occupait Macleod avant la mort de son fils. Contraint et forcé, Fin prend le chemin de l'Ile de Lewis, son île natale où il n'a pas remis les pieds depuis dix-huit ans, pour s'ajouter à une équipe d'enquêteurs déjà nombreuse et qui ne l'accueille pas de bon coeur. A peine arrive-t-il sur les lieux que les fantômes du passé l'assaillent...

"L'homme de Lewis"

L'histoire :
Sur l'Ile de Lewis, en pleine récolte de la tourbe, une famille met brusquement à jour un corps momifié. Découverte archéologique ou dépouille contemporaine ? Un expert, le professeur Colin Mulgrew, arrive d'Irlande pour l'autopsie. Pendant ce temps, à Edimbourg, deux histoires prennent fin dans la vie de Fin Macleod : son mariage avec Mona et sa carrière dans la police. Après avoir fui pendant près de deux décennies son île natale, c'est vers elle qu'il s'en retourne à présent. Mais quoi qu'il advienne et où qu'il aille, jamais il ne cessera de traquer le chauffard qui a tué son fils de huit ans...

"Le braconnier du lac perdu"

L'histoire :
Fin Macleod habite maintenant sur l'Ile de Lewis et retape la vieille maison de ses parents. Après avoir été policier pendant près de quinze ans, il vient d'être embauché comme chef de sécurité au domaine de Red River. Des braconniers de grande envergure sévissent sur cette propriété de deux mille hectares. C'est là que Fin retrouve un ancien camarade d'école, Whistler Macaskill, un marginal peu apprécié du grand patron du domaine. Après avoir passé une nuit dans la montagne, sous la tente, à discuter du bon vieux temps, les deux amis ont une surprise de taille à leur réveil. Au fond de la vallée, le lac a disparu. Une poussée de tourbière est sans doute à l'origine de ce phénomène extrêmement rare et, dans le cas présent, le lit de boue a dû glisser dans un loch de niveau inférieur. Intrigué par une forme brillante à l'intérieur de l'espace vide, Fin s'empare de ses jumelles et découvre avec stupéfaction qu'il s'agit d'un petit avion monomoteur, étonnamment en bon état. Il reconnaît l'immatriculation. L'appareil est celui de Roddy Mackenzie, jeune star du rock celtique, porté disparu il y a dix-sept ans...

***

Mon avis :

Dès les premières pages, on se fond littéralement dans ce décor des Hébrides d'une beauté à couper le souffle et aussi inquiétant que l'épais brouillard qui le recouvre parfois. A travers le destin trouble et complexe de ses personnages, Peter May nous raconte, avec une passion communicative, l'Ecosse, son histoire, sa culture, ses traditions. Mais sa trilogie s'ouvre également à d'autres thèmes : la protection de l'environnement, la cause animale, les amis/ennemis de l'enfance, les émois de l'adolescence, la rudesse de la vie insulaire, la promiscuité, les secrets, les non-dits, le sentiment d'isolement et l'appel de la ville, la parentalité, la vieillesse et la maladie, la religion et les homers, ces enfants venant d'orphelinats catholiques, placés chez des inconnus et traités comme des esclaves jusqu'aux années 1960.

Ambiance "embruns, tempêtes, tartans et Shortbread trempés dans du thé au lait bien chaud" pour quelques heures délicieuses de lecture addictive !

"Fermé pour l'hiver" de Jorn Lier Horst (Folio policier)

Jorn Lier Horst, ancien officier de police et auteur de romans policiers, est né en 1970 à Bamble, dans le comté de Telemark, en Norvège. Les enquêtes du détective William Wisting, récompensées par de nombreux prix, ont fait de lui un des auteurs les plus populaires en Scandinavie. Une adaptation est en cours par les producteurs de "Millénium" et de la série TV "Wallander".

L'histoire :

Ove Bakkerud arrive en début de soirée à Stavern, petit port du comté de Vestfold, au sud de la Norvège. Comme chaque année avant l'hiver, il vient protéger les fenêtres du chalet familial et il se réjouit de profiter de ces instants de solitude que lui offrent les derniers jours de l'automne.

Mais son bonheur est de courte durée. Il trouve l'intérieur de sa maison dévasté. Etonné de voir de la lumière chez son voisin, le célèbre présentateur de talk-show Thomas Ronningen, Ove se dirige vers les lieux. La propriété a également été mise à sac et un corps gît sur le sol. Ove appelle immédiatement la police.

Ce soir-là, dans la petite ville touristique, un meurtre s'ajoute à six effractions de résidences secondaires. L'enquête est confiée au commissaire William Wisting...

Mon avis :

Ni super héros, ni flic désabusé, Wisting est un homme ordinaire : une vie privée équilibrée, heureux auprès de sa compagne, père attentionné, et détective respecté pour son expérience et son professionnalisme.

L'auteur pointe, dans cette affaire, la vague de violences liées au crime organisé que subit le sud de la Norvège depuis quelques années de part sa proximité géographique avec le Danemark et le continent européen. Le Skagerrak, région où l'histoire se passe, est une mer de détroit entre le sud de la Norvège, le sud de la Suède et le nord du Danemark. La circulation maritime est intense car c'est l'unique passage reliant la mer du Nord à la mer Baltique, unique passage devenu aujourd'hui la plaque tournante de trafics illicites de toutes sortes.

Pour son premier roman, l'auteur a su apporter de son passé de policier le réalisme et une dynamique soutenue à cette intrigue prenante, riche en rebondissements. Une belle découverte ! Et les amoureux des plages sous la pluie et les bourrasques seront comblés !

mercredi 9 janvier 2019

Janvier 2019 - "Coffee Book"



"L'odeur du café" de Dany Laferrière (Zulma)

Dany Laferrière est né à Port-au-Prince (Haïti) en 1953 d'un père intellectuel et homme politique, Windsor Klébert Laferrière, et d'une mère archiviste à la mairie de Port-au-Prince, Marie Nelson. Dany Laferrière passe son enfance avec sa grand-mère, Da, à Petit-Goâve, dans cet univers dominé par les libellules, les papillons, les fourmis, les montagnes bleues, la mer turquoise de la Caraïbe et l'amour fou pour Vava. Ces épisodes heureux sont relatés dans deux de ses romans : "L'Odeur du café" et "Le Charme des après-midi sans fin".

Il démarre sa carrière dans les années 1970 comme journaliste culturel à Radio Haïti, puis au sein de l'hebdomadaire Petit Samedi Soir. La situation politique en Haïti, sous le régime de Jean-Claude Duvalier alias "Baby Doc" (président de 1971 à 1986), le contraint, tout comme son père, diplomate et ancien maire de Port-au-Prince, à fuir son pays pour Montréal, "début d'un ballotage entre deux patries et deux cultures".

C'est dans cette ville que Dany Laferrière va publier, en 1985, son premier roman au titre provocateur, "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer", un livre sur les clichés raciaux "écrit avec une Remington ayant appartenu à Chester Himes".

Installé à Miami au début des années 1990, et s'inspirant d'écrivains américains tels que Henry Miller ou Charles Bukowski, Dany Laferrière compose son "autobiographie américaine", soit une dizaine de romans publiés au Québec, marqués par ses souvenirs d'enfance et d'adolescence ainsi que par ses différents séjours en Amérique du Nord.

Revenu vivre à Montréal avec sa femme et ses trois filles, Dany Laferrière renoue avec la presse écrite (chroniqueur régulier dans La Presse) et l'écriture de scénarios en adaptant plusieurs de ses romans pour le cinéma. En 2009, il obtient le Prix Médicis pour "L'Enigme du retour" où il raconte son retour à Haïti après trente ans d'exil. En 2010, Dany Laferrière publie un ouvrage-témoignage sur le tremblement de terre qui a dévasté son pays le 12 janvier 2010 ("Tout bouge autour de moi").

Il est élu à l'Académie française le 12 décembre 2013.


Extrait :

La tasse bleue

Da est assise sur une grosse chaise avec, à ses pieds, une cafetière. Je ne suis pas loin d'elle, couché sur le ventre à regarder les fourmis.
                    Les gens s'arrêtent, de temps en temps, pour parler à Da.
                    - Comment ça va, Da ?
                    - Très bien, Absalom.
                    - Et le corps, Da ?
                    - Grâce à Dieu, ça va... Une gorgée de café, Absalom ?
                    - Je ne refuserai pas, Da.
                    Le visage fermé d'Absalom en train de humer le café. Il le boit lentement et fait claquer sa langue de temps en temps. La petite tasse bleue que Da réserve aux initiés. La dernière gorgée. Absalom soupire, Da sourit. Il rend la tasse et remercie Da en soulevant son chapeau.


Mon avis :

Le récit commence à l'été 1963, à Petit-Goâve, près de Port-au-Prince, en Haïti. L'auteur a dix ans et passe le plus clair de son temps en compagnie d'une femme exceptionnelle, connue de tous, sa grand-mère, Da, veuve d'un grand négociant en café.

Dany Laferrière feuillette ses souvenirs d'enfance desquels émane une puissante et chaleureuse odeur de café. Par petites touches, des scènes simples du quotidien deviennent de véritables moments de grâce et de poésie, teintés de légendes et de folklore locaux, aux multiples éclats de couleurs, d'émotion, de sensualité et de drôlerie.

Ce livre est l'une des plus belles déclarations d'amour d'un conteur à sa grand-mère !


Extrait :

Le Paradis

Un jour, j'ai demandé à Da de m'expliquer le paradis. Elle m'a montré sa cafetière. C'est le café des Palmes que Da préfère, surtout à cause de son odeur. L'odeur du café des Palmes. Da ferme les yeux. Moi, l'odeur me donne des vertiges.

"Le Café de l'Excelsior" de Philippe Claudel (Livre de Poche)

Philippe Claudel est un écrivain, scénariste et réalisateur français, né en 1962 à Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle). Il est maître de conférences à l'Université de Lorraine au sein de laquelle il enseigne à l'Institut Européen du Cinéma et de l'Audiovisuel, en particulier l'écriture scénaristique. Philippe Claudel a également été professeur en prison et auprès d'adolescents handicapés physiques. Ses principaux romans sont traduits dans le monde entier.

Il entre à l'Académie Goncourt en 2012. Il est fait Docteur Honoris Causa de l'Université catholique de Leuven (ou Louvain, Belgique) en 2015. Il est également élu membre de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en 2016, au siège d'Assia Djebar.

Parmi ses nombreux livres récompensés, on peut citer :
  • "Les âmes grises" (Stock) : Prix Renaudot 2013, Meilleur livre de l'année 2003 du magazine Lire, Grand prix des lectrices de Elle (catégorie roman) 2004
  • "J'abandonne" (Stock) : Prix Roman France Télévisions 2000
  • "Le rapport de Brodeck" (Stock) : Prix Goncourt des lycéens 2007

"Son estaminet était l'abreuvoir des dieux à mobylettes : ils y venaient tous, été comme hiver, malgré les brumes, les soleils aveuglants, les pluies glacées d'avril que rien ne semblait devoir arrêter et qui versaient sur la petite ville de mon enfance une froideur pressée aux parfums de terre ouverte."

Mon avis :

Il a huit ans lorsqu'il perd ses parents. Il est accueilli par son grand-père, Jules, un personnage extraordinaire, aux apparences rugueuses mais d'une grande tendresse et plein de poésie. Le grand-père ne possède qu'une chose, "L'Excelsior", un café de quartier, un lieu qui va nourrir tous les sens du garçonnet et dans lequel il va vivre les trois plus belles années de sa vie, jusqu'à ce jour où les services sociaux décideront d'anéantir ce bonheur...

Un beau roman court sensible, nostalgique et très émouvant !

"Un dernier verre au bar sans nom" de Don Carpenter (10/18)

Don Carpenter est né en 1931 à Berkeley, en Californie (Etats-Unis). Son premier roman, "Sale temps pour les braves", publié en 1966 et traduit en français pour la première fois en 2012, a connu un énorme succès public et critique et l'installe dans le paysage littéraire américain. Proche des écrivains de la scène de San Francisco, et en particulier de Richard Brautigan, pendant douze ans, il travaille comme scénariste pour Hollywood, et fera de cette expérience la matière de plusieurs de ses livres. En trente ans, il publiera une dizaine de romans et de recueils de nouvelles. Il met fin à ses jours en 1995. "Un dernier verre au bar sans nom", son ultime roman, paraît après sa mort.

L'histoire :

Jaime et Charlie se sont connus en 1958 à l'Université de l'Etat de San Francisco. Elle était en première année de Lettres. Lui, étudiant du département d'anglais vétérans de la guerre de Corée. Chacun désirant plus que tout devenir écrivain, célèbre et reconnu, cela va de soi. Fille de journaliste, Jaime était particulièrement brillante. Mais Charlie, de par son expérience militaire, raflait tous les prix.

Leur première nuit d'amour se passa après une fin de soirée surréaliste au Tosca Café, sur Columbus, où, par le plus grand des hasards, Jaime croisa ses parents qui n'étaient pas censés être là. Son enfance l'abandonna, ce soir-là, entre une famille brisée par les mensonges et un coup de foudre aussi soudain que singulier.

Quelques semaines plus tard, Jaime apprend qu'elle est enceinte. Dans le même temps, son père meurt dans les bras de sa maîtresse, et sa mère perd tous ses biens et noie ses désillusions dans l'alcool. Quant à Charlie, diplômé, il obtient une bourse pour le cursus d'écriture littéraire à l'Université de l'Iowa et espère épouser Jaime...

Mon avis :

Attention ! Pépite !!! Quel roman ! Quel roman !!!

En suivant le parcours d'une poignée d'amis, futurs écrivains renommés ou rêveurs incorrigibles, l'auteur balaie de sa plume près de trois décennies d'histoire de la littérature américaine, des années 1950 à 1970 : des classiques de la Lost Generation (Fitzgerald, Hemingway) à la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg), en passant par le Hard-boiled (Hammett, Chandler), les romanciers de guerre (Norman Mailer, James Jones), la San Francisco Renaissance (poètes d'avant-garde), la Woodstock Generation (Bob Dylan, Jim Morrison, Gary Snyder), sans oublier les sirènes de Hollywood et l'écriture de scénarios.

Autour des personnages - ô combien exquis et séduisants - et du spectre de leur manuscrit, se confondent amour, amitié, ambition, concurrence, jalousie. Mais un point, néanmoins, les relie : ces cafés et ces bars qui jalonnent leur existence et où tout, finalement, se décide.

Exaltant !!!

"Sweet Mama's Café" de Elaine Hussey (Harper Collins Poche)

Elaine Hussey est née en 1942 à Lee County (Mississippi, Etats-Unis). Fan de blues, musicienne, professeure d'anglais et journaliste, elle a d'abord publié des articles humoristiques dans la newsletter d'une entreprise. Tout en préparant une thèse à l'Université du Mississippi, elle a écrit son premier roman dans les années 1980. Elle vit dans la région de Tupelo (Mississippi).

L'histoire :

Le 20 juillet 1969, le monde entier retient son souffle : l'Homme marche pour la première fois sur la Lune. Ce même jour, à Biloxi, Mississippi, Sis Blake est en chemin pour accueillir son frère, Jim, de retour du Vietnam, décoré de la Purple Heart, mais amputé d'une jambe.

Bien qu'heureuse de retrouver son petit frère, Sis ne parvient pas à se libérer d'une inquiétude croissante et rien ne peut expliquer ce mauvais pressentiment. Le Sweet Mama's Café, restaurant créé par sa grand-mère en 1921, est devenu une institution dans la région. Sweet Mama, bien vaillante malgré son âge, y travaille encore, secondée par ses petites-filles, Sis à l'intendance, et Emily, jumelle de Jim, à la confection de leur fameuse spécialité, le Amen, cobbler*.

Sis est célibataire, toute dévouée à sa famille, en charge de ses frère et soeur depuis l'âge de quatorze ans, au décès accidentel de leurs parents. Emily est fiancée. Dans quelques semaines, elle épousera l'énigmatique Larry Chastain, qui ne plaît ni à Sis, ni à Sweet Mama, ni à Andy, le petit garçon d'Emily, mais celle-ci est amoureuse. Jim, quant à lui, est un fantôme, son esprit est resté au Vietnam, mais il est revenu vivant, et sa grand-mère et ses soeurs veillent sur lui.

Tout ressemble au bonheur au Sweet Mama's Café.

Bientôt, hélas, les craintes de Sis vont se confirmer. Occupée à remettre le jardin en état avant le mariage de sa petite soeur, en creusant sous un vieux rosier, elle met à jour des ossements humains. Beulah, la fidèle amie de Sweet Mama, convainc la jeune femme de tout recouvrir et de se taire...

(* = sorte de crumble aux pêches et cerises-griottes)

Mon avis :

"[...] et la cuisine du Sweet Mama's Café où le sucre devenait accessoire de magie et les épices un moyen de transport vers le monde des rêves."

Dans la famille Blake, on adore le sucre. Il dégouline à toutes les occasions. Festif lors des événements heureux, sa douceur accompagne aussi les moments difficiles de la vie. La recette aurait pu être rapidement indigeste mais le juste dosage de l'auteure rend l'ensemble savoureux.

"Sweet Mama's Café" est une histoire de femmes fortes et libres, unies face aux écueils de la vie et face aux violences d'une Amérique des années 1960 en pleine tourmente sociale et politique. Des sujets graves, mais les personnages sont sympathiques et attachants. Et le Amen cobbler diablement tentant !

vendredi 7 décembre 2018

Décembre 2018 - "La Nouvelle-Orléans"




2018 - Tricentenaire de La Nouvelle-Orléans

(La Nouvelle-Orléans, 1803)

En ce mois de décembre 2018 s'achève une joyeuse année durant laquelle La Nouvelle-Orléans a célébré trois cents ans d'une histoire singulière, complexe, métissée, romantique, artistique, ensorcelante. Les festivités ont commencé le 5 janvier par son jumelage avec la ville française d'Orléans.

Bâtie sur le delta du Mississippi, terre de bayous, devenue capitale du jazz et des jambalayas, La Nouvelle-Orléans a été fondée en 1718 par un Français, Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville. Elle a été baptisée ainsi en hommage au duc Philippe d'Orléans, régent du jeune roi Louis XV. Aujourd'hui plus grande ville de Louisiane, cet héritage colonial se résume surtout à une fête, Mardi Gras, et aux noms des rues étrangement familiers : Bordeaux, Saint-Louis, Toulouse, Chartres... toutes groupées dans le quartier historique du Vieux Carré.

Sous domination espagnole au XVIIIème siècle, puis vendue aux Etats-Unis par Napoléon Bonaparte en 1803, La Nouvelle-Orléans s'est nourrie de ce brassage de cultures française, espagnole et afro-américaine. C'est à de dernier groupe de population que l'on doit l'émergence du blues et du jazz en Louisiane.

Les peuples amérindiens, cajuns et créoles ont eux aussi beaucoup influencé la culture locale. Ils ont importé des Caraïbes leurs rites vaudous et une gastronomie très riche. Ainsi, la ville possède quantité de restaurants où l'on peut déguster un sandwich aux écrevisses, des haricots rouges, des beignets et des paellas créoles.

Puis les vagues successives d'immigration (Irlande, Italie, Allemagne, Grèce, Vietnam...) ont renforcé le multiculturalisme de la ville aux nombreux surnoms (NOLA, Big Easy, la Ville en forme de croissant, le Paris du Mississippi, la Ville flottante...). Environ 135 festivals et des dizaines de parades et de défilés sont organisés chaque année.

Mais La Nouvelle-Orléans a aussi subi l'une des pires catastrophes naturelles de son histoire, l'ouragan meurtrier Katrina en 2005. Depuis, la ville a su se reconstruire. Et ce climat tropical parfois dévastateur lui vaut un paysage d'une beauté exceptionnelle.

(Sazerac cocktail)

"Who's happy ?" de Hugh Coltman (Okey/Sony)

Hugh Coltman, né en 1972, est un chanteur et musicien britannique, vivant en France, ancien leader du groupe blues-rock The Hoax avant de se muer en songwriter folk-pop puis en quadragénaire explorateur du plus beau patrimoine du jazz.

Sacré "Voix de l'année" aux Victoires du jazz 2017 pour son album "Shadows - Songs of Nat King Cole" (Okey/Sony), après cet hommage au grand crooner, Hugh Coltman est parti à La Nouvelle-Orléans enregistrer de nouvelles compositions avec, en plus de ses compagnons de route habituels, un brass band local et le guitariste, et co-réalisateur de l'album, Freddy Koella.

Des drums qui dansent comme dans un des légendaires enterrements de La Nouvelle-Orléans, des cuivres gorgés de soul, des guitares mêlant blues et folk... Hugh Coltman s'est offert un écrin sublime pour onze chansons dans lesquelles il fait entendre sa voix chaleureuse de routier des sentiments et de grand connaisseur des émotions humaines, toujours indulgent pour l'amoureux du soir, le paumé de l'aube ou le mélancolique du plein soleil... "Who's happy ?" demande son dernier album, paru chez Okey/Sony. "Personne et chacun" semble-t-il répondre...


Mon avis :
Ambiance jazz, blues, soul, folk, l'esprit de La Nouvelle-Orléans envoûte ce très bel album d'une chaleur apaisante et joyeuse. A découvrir et à écouter très vite !!!

"Carnaval" de Ray Celestin (10/18)

Ray Celestin vit à Londres. Après avoir étudié l'art et les langues asiatiques, il devient scénariste pour la télévision et publie plusieurs nouvelles. Il s'impose dans le thriller avec son premier roman, "Carnaval", élu Meilleur premier roman de l'année 2015 par l'Association des écrivains anglais de polar. Annoncé comme le premier épisode d'une tétralogie dont chaque volet sera consacré à une ville, "Carnaval" est basé sur l'histoire réelle d'un tueur en série qui sévit en 1919 à La Nouvelle-Orléans, "le Tueur à la hache". Le second roman, "Mascarade", paru aux Editions 10/18 en 2018, lui aussi inspiré de faits réels, a pour toile de fond le Chicago des années 1930.

L'histoire :

La Nouvelle-Orléans, mai 1919...

Après une nuit blanche alcoolisée, le journaliste John Riley arrive péniblement au New Orleans Times-Picayune. Dans l'état dans lequel il se trouve, il ne pourra se concentrer sur aucun article, aussi se plonge-t-il dans la lecture d'un courrier des lecteurs de plus en plus nombreux depuis le début, il y a quelques mois, des attaques meurtrières du Tueur à la hache. Soudain, une lettre attire son attention. Signée du Tueur à la hache, elle annonce de nouvelles agressions mardi prochain à minuit quinze. Authentique ou non, le document paraîtra le lendemain...

Un mois plus tôt...

A l'ouest du Quartier Français, un cortège funèbre, accompagné de cinq fanfares, revient du cimetière dans une atmosphère de carnaval et d'ivresse. A l'écart de la procession, une jeune femme, Ida Davis, recherche parmi les musiciens Lil' Lewis Armstrong. Voilà tellement longtemps qu'ils ne se sont pas vus... la joie de Lewis culpabilise Ida car c'est l'ambition personnelle plus que l'affection qui l'amène auprès de son ami d'enfance.

Ida a dix-neuf ans. Deux ans plus tôt, elle avait rejoint la Pinkerton, célèbre agence privée de détectives et d'agents de sécurité, avec la promesse du patron d'un travail de terrain, mais cela n'a jamais été concrétisé. Reléguée au rôle de secrétaire, Ida n'a pas renoncé pour autant à son rêve et veut faire ses preuves. De sa propre initiative, elle compte interroger un témoin dans l'affaire du Tueur à la hache, une certaine Millicent Hawkes, infirmière des Romano, les précédentes victimes dont elle a découvert les corps.  Inexpérimentée, Ida préférerait être assistée d'une personne de confiance. Lewis accepte d'aider son amie...

En cette matinée brumeuse, dans une petite rue de Little Italy, se presse une foule de policiers, de journalistes, de voisins et de badauds. Une modeste épicerie sicilienne est devenue scène de crime. Les propriétaires, Monsieur et Madame Maggio, deux quinquagénaires sans histoires, ont été massacrés au milieu de la nuit par le Tueur à la hache. Toujours le même modus operandi : pas d'effraction, pas de vol, pas d'agression sexuelle, pas de cris, et une carte de tarot déposée sur chaque dépouille, ici la carte de la Justice et la carte du Jugement. Le lieutenant détective Michael Talbot dirige l'enquête...

A une trentaine de kilomètres de la ville, Luca D'Andrea, ancien inspecteur de la police de La Nouvelle-Orléans condamné en 1914 pour corruption, est libéré au petit matin. Arrivé la veille d'Angola, pénitencier de Louisiane, la seule personne qui l'attende à sa sortie du centre de transit est ce maudit journaliste, John Riley, qui se fait un plaisir de lui donner des nouvelles de la ville : les crimes du Tueur à la hache et l'enquête dans laquelle patauge son ancien protégé, le traître qui l'a dénoncé, le lieutenant détective Michael Talbot...

Mon avis :

Ce captivant roman noir, hommage à Hammett et Chandler, dépeint une ville à la fois ensorcelante et inquiétante. Une ville au lendemain de la Première Guerre mondiale avec le douloureux retour de soldats américains et afro-américains fracassés par ce qu'ils ont vécu en France. Une ville pluriculturelle à l'héritage colonial lourd. Une ville pleine de contradictions, complexe, sulfureuse, partagée entre puritanisme et vaudou, prohibition et quartiers chauds, ségrégation raciale et naissance du jazz. Une ville menacée par un ouragan et terrorisée par un tueur sanguinaire qui sévit depuis plusieurs mois. Une ville qui, quoi qu'il advienne, ne renonce pas à aimer, à danser, à chanter, à vivre chaque jour dans une atmosphère de carnaval.

L'enquête est menée parallèlement par quatre personnages qui apportent très agréablement à l'histoire leur touche personnelle et leurs motivations individuelles : le lieutenant Talbot joue sa carrière et sa famille dans cette affaire ; l'ex-flic corrompu, Luca D'Andrea, rachète sa liberté et règle une dernière dette en tentant de démasquer celui qui met à mal le "commerce" d'un parrain de la mafia néo-orléanaise ; le journaliste John Riley flaire le scoop ; Ida, jeune "Hammett" en jupon, a l'étoffe d'une vraie détective et investigue avec détermination. L'ensemble se dévore avec plaisir.

Coup de coeur !!!