Café Gourmand composé d'un assortiment de toutes les littératures, généreusement saupoudré de coups de coeur et pimenté d'un grain de folie...
jeudi 6 juin 2019
"Tout est brisé" de William Boyle (Gallmeister)
William Boyle est né et a grandi dans le quartier de Gravesend, à Brooklyn (New York). Il y a été disquaire spécialisé dans le rock indépendant américain. Il vit à présent à Oxford, dans le Mississippi. Son premier roman, "Gravesend", a été publié en France en 2016 chez Rivages/Noir. Ont suivi "Tout est brisé" et "Le témoin solitaire" (Gallmeister). L'écrivain revendique les influences de Flannery O'Connor, Larry Brown, Charles Willeford et Harry Crews.
L'histoire :
Le sort s'acharne sur Erica. Quinquagénaire, assistante de direction dans un cabinet d'urologie à New York, son métier, devenu alimentaire, ne la passionne plus.
Voilà près de deux ans que Jimmy, son fils unique, a quitté le domicile familial quelques mois seulement avant ses derniers examens universitaires pour s'envoler vers le Texas. Elle n'a plus aucune nouvelle de lui depuis.
Durant ces deux années, son mari est décédé d'un cancer. Puis, ce fut au tour de sa mère. Endettée par les frais d'enterrement successifs, elle se trouva redevable de son père lorsque, après le passage de l'ouragan Sandy, il paya les travaux de réparation de la maison qu'ils occupent ensemble depuis la mort de sa mère.
Désormais, elle est seule en charge d'un père tyrannique, fragilisé par une grave pneumonie et physiquement diminué. Sa soeur, elle-même au chevet de son compagnon atteint de la sclérose en plaques, ne peut lui venir en aide. Autrefois joyeuse et coquette, Erica est à présent au bord de l'implosion. Même la Foi semble l'avoir quittée.
A plusieurs milliers de kilomètres de là, à Austin (Texas), Jimmy, gay, en pleine rupture amoureuse, sans diplôme, sans travail, sans logement, sans amis, noie son désespoir dans l'alcool. Pour survivre, il n'a plus d'autre choix que d'appeler sa mère et lui demander un billet de retour pour New York...
Mon avis :
Des malentendus se sont installés entre une mère et son fils jeune adulte. Les épreuves de la vie ont fait ensuite leur office et ont creusé davantage le fossé. Un manque cruel de communication, d'écoute et de compréhension ont eu raison de la tendresse et de l'amour qu'ils attendent tous les deux. L'estime de soi, la confiance en soi, c'est ce qu'ils devront retrouver, chacun de leur côté, afin de saisir la seconde chance que le destin leur offre.
William Boyle observe tous ces petits détails qui font le quotidien, les petits gestes, les petits riens, si insignifiants, si ordinaires, que nous en oublions leur importance sur nous-mêmes et sur les autres.
Un roman profond et d'une infinie délicatesse !
A lire également : "Gravesend"
"Wisconsin" de Mary Relindes Ellis (10/18)

Mary Relindes Ellis est née en 1960 à Glidden, dans le Wisconsin. Elle est l'auteure de nombreuses nouvelles parues dans la presse américaine. En 2007, elle a conquis le public français avec son premier roman, "Wisconsin", publié chez Buchet-Chastel, puis avec "Bohemian Flats" (Belfond, 2014). Mary Relindes Ellis est décédée en 2016 à Saint Paul, dans le Minnesota.
L'histoire :
Claire et John Lucas se sont rencontrés à Milwaukee (Wisconsin), lors d'un bal après la guerre. Très vite, ils se marient, se faisant la promesse de continuer leurs études. John, qui bénéficie pourtant d'une aide aux vétérans, les abandonne au bout d'un an. De son côté, Claire a passé ses examens avec succès et enseigne depuis deux ans.
Paresseux, jaloux et humilié par la réussite de sa femme, John n'a de cesse de la pousser à démissionner. En 1950, il parvient finalement à la convaincre de s'installer à Olina, dans le nord du Wisconsin, pour se lancer avec lui dans une exploitation agricole. En fait d'exploitation agricole, Claire découvre une ferme au confort rudimentaire, isolée de tout, et une terre de marais et de cailloux incultivable. Leurs voisins les plus proches sont Ernie Morriseau, Indien Ojibwé, et son épouse Rosemary.
Communauté rurale composée d'immigrants allemands dupés par les autorités, à Olina il faut se contenter de peu. John sombre rapidement dans l'alcool et la violence, et Claire, déprimée, se met à parler toute seule. "John le poivrot" et "Claire la cinglée" deviennent la risée des villageois et Bill, leur petit garçon, le souffre-douleur du gros Merton Schmidt. Le départ pour le Vietnam, en 1967, de Jimmy, fils aîné du couple, est un coup dur de plus pour Claire, et pour Bill, le cadet. Mais l'épreuve semble rapprocher la mère et les deux frères...
Mon avis :
Une peinture acérée et amère de la ruralité américaine où brutalité et bonté se côtoient quotidiennement. Cette histoire familiale poignante s'étale sur une grande partie du XXème siècle, dans une Amérique en pleine tourmente. A peine après avoir pansé les plaies de la Seconde Guerre mondiale, le pays entre dans un nouveau conflit meurtrier et clivant, la guerre du Vietnam, qui brisa tant de corps, de vies et de foyers.
Roman à la fois sombre et lumineux. Bouleversant !
"Octobre" de Soren Sveistrup (Albin Michel)
Soren Sveistrup est un auteur danois né en 1968. Il est le créateur, scénariste et producteur de plusieurs séries, dont la série culte "The Killing" qui a notamment reçu le BAFTA 2011 de la meilleure série internationale et qui a réuni près de 600 000 téléspectateurs français lors de sa diffusion. Il a plus récemment écrit des scripts pour des longs métrages, par exemple pour l'adaptation du "Bonhomme de neige" de Jo Nesbo. "Octobre" est son premier roman.
L'histoire :
31 octobre 1989
Dans une ferme aux abords de Copenhague où il vient d'être appelé, Marius Larsen, policier en fin de carrière, tombe sur une scène de crimes atroces. A la cave, au milieu d'une armée de bonshommes fabriqués avec des marrons et des allumettes, se terre une petite fille. Soudain, Larsen est abattu à son tour d'un coup de hache.
6 octobre de nos jours
Naïa Thulin est affectée depuis quelques mois à la brigade criminelle de Copenhague mais elle ne rêve que d'une chose : être transférée au plus vite au NC3, département de la lutte contre la cybercriminalité. Son chef, le commissaire Nylander, lui laisse peu d'espoir. A cela, il lui adjoint un nouvel équipier, Mark Hess, tout droit débarqué d'Europol pour une raison obscure que personne ne semble vouloir lui révéler. C'est avec lui que suite au signalement d'une voisine, elle se rend au domicile de Laura Kjaer, assistante dentaire, mère d'un petit garçon autiste de neuf ans. Près du corps supplicié de la jeune femme, un bonhomme en marrons trouble profondément Naïa.
Pendant ce temps, Rosa Hartung, ministre des Affaires sociales, fait son retour dans la vie politique après un an d'absence et la disparition de sa fille Kristine âgée de douze ans. Aujourd'hui, le Premier ministre va faire son discours pour l'ouverture officielle de l'année parlementaire. Bousculée par les journalistes, un accueil embarrassé de la part de ses collaborateurs, un message de menace qui inquiète son chef de cabinet, une réunion houleuse à l'Assemblée, la première journée de Rosa au ministère est éprouvante.
La soirée à son domicile est pire encore car les inspecteurs Thulin et Hess de la brigade criminelle viennent annoncer au couple Hartung que les empreintes de leur fille disparue ont été trouvées sur un bonhomme en marrons déposé sur les lieux d'un homicide...
Mon avis :
Moins politique qu'il ne le laissait espérer, ce thriller décrit néanmoins sans fard le paysage sociétal du Danemark d'aujourd'hui. L'intrigue, glaçante et haletante, ne cède aucun répit au lecteur !
mardi 7 mai 2019
"Une Confession" de John Wainwright (Sonatine)
John Wainwright (1921 - 1995) est un écrivain britannique de roman policier. Il a également publié quatre titres sous le pseudonyme de Jack Ripley. Ancien combattant de la Royal Air Force, il a passé vingt ans dans la police avant de se consacrer à l'écriture. Son premier roman policier a été publié en 1965. Il est l'auteur de quatre-vingts romans et deux tomes d'autobiographie, "Tail-End Charlie" et "Wainwright's Beat".
L'histoire :
John Duxbury vient de fêter ses cinquante ans. Avec son fils unique, il dirige une imprimerie prospère qu'il a achetée il y a trente ans. La renommée n'a jamais été son but. Sa seule ambition est de faire tourner l'entreprise régulièrement et payer dignement ses collaborateurs.
Dans l'ensemble, sa vie est ordinaire, tragiquement banale. Chez lui, il subit les sautes d'humeur de Maude, son épouse qu'il a tant aimée, et qu'il aime encore, bien qu'il ne sache plus ce qu'elle attend de lui, ce qu'elle désire. Leur mariage n'a plus aucun sens mais les classes moyennes ne divorcent pas. Il faut endurer ses erreurs, dussent-elles faire souffrir.
Pendant ses nuits d'insomnies, John couche ses pensées dans son journal intime, comme une lettre testamentaire adressée à son fils. Il décrit sa routine quotidienne, ses souvenirs, et ses sentiments sur la médiocrité de son existence.
Ce rendez-vous professionnel avec une maison d'édition londonienne, dans un hôtel à trois heures de route de son domicile, il le vit comme des vacances, un plaisir presque coupable...
Mon avis :
Ce roman est souvent comparé, à raison, à ceux de Georges Simenon, lui-même admirateur de John Wainwright. Affrontement psychologique sans concession entre un inspecteur de police opiniâtre et un veuf introverti, critique sociale amère, ce face-à-face intense et cruel dévoile l'intime de chaque personnage. Il révèle les secrets d'un couple en plein délitement silencieux et inexorable, prisonnier du conformisme et du conservatisme de son milieu, bourgeoisie provinciale, où le divorce est inenvisageable et la vérité impossible à dire.
Extraordinaire coup de coeur !!!
Les films "Garde à vue", réalisé par Claude Miller (1981), dialogue de Michel Audiard, avec Lino Ventura, Michel Serrault et Romy Schneider, et "Suspicion", réalisé par Stephen Hopkins (2000), avec Gene Hackman, Morgan Freeman, Thomas Jane et Monica Bellucci, sont adaptés de "Brainwash" de John Wainwright ("A table !", Gallimard, 1980).
"Trois frères" de Peter Ackroyd (10/18)
Peter Ackroyd, né à Londres en 1949, est un écrivain, romancier, essayiste et critique littéraire britannique. Lauréat de la Royal Society of Literature en 1984, il est l'auteur de plusieurs best-sellers, parmi lesquels son ouvrage sur Londres, paru en 2000, "London : the biography". Il est également l'auteur de livres pour enfants et de documentaires télévisés.
L'histoire :
Dans l'Angleterre d'après-guerre, Philip et Sally se rencontrent à Soho, quartier de Londres où Philip est barman et Sally vendeuse dans une boulangerie. Ils tombent amoureux et, peu convenable pour l'époque, très vite ils s'installent ensemble sans être mariés. Philip trouve un poste de gardien de nuit mieux rémunéré. Le couple obtient un logement social, une petite maison mitoyenne en briques rouges à Camden, cité ouvrière au nord de la capitale, où vont naître trois garçons.
Malgré de modestes revenus, la famille est heureuse et les frères grandissent et s'amusent comme tous les enfants du voisinage. Mais un jour, Sally disparaît, abandonne les siens sans aucune explication et personne ne prononce jamais plus son nom. Philip élève désormais seul ses trois fils de dix, neuf et huit ans, et multiplie les heures de travail pour subvenir à leurs besoins et à leur éducation.
Les années passent. Harry, le frère aîné, passionné de football, sociable, apprécié de tous, quitte l'école à seize ans et se fait embaucher comme coursier au journal local. Daniel, le cadet, rat de bibliothèques, toujours le nez dans ses livres et ses cahiers, reçoit une bourse pour entrer au lycée privé. Le plus jeune, Sam, est un solitaire, sensible et mélancolique. Mauvais élève, il passe son temps à construire des objets en bois et en carton.
Ses qualités sportives et sa curiosité conduisent Harry sur l'affaire d'un incendiaire. Impressionné par son sang-froid, le directeur du journal lui demande un "papier". C'est par le plus grand des hasards qu'au cours de son enquête, Harry découvre la vérité à propos de sa mère...
Mon avis :
La première moitié du roman est le récit d'un drame familial. Dans la seconde, les trois frères, adultes, s'éloignent, s'approprient leur histoire et leurs blessures. Ils suivent des chemins différents, et traversent un Londres blafard, malsain et cynique. Peu de lumière, peu d'espoir chez ces personnages désabusés, amers et seuls. Roman social, roman noir, roman sensible. Emouvant !
A voir :
"Golem, le tueur de Londres" est un film britannique étonnant réalisé par Juan Carlos Medina, sorti en 2016, avec Bill Nighy. Il s'agit de l'adaptation du roman "Le Golem de Londres" de Peter Ackroyd (10/18, 1999).
"Numéro 11" de Jonathan Coe (Folio)
Jonathan Coe est un écrivain britannique né en 1961 à Lickey, près de Birmingham. Il est l'un des auteurs majeurs de la littérature britannique actuelle. Ses oeuvres mettent en scène des personnages en proie aux changements politiques et sociaux de l'Angleterre contemporaine. S'il sait se faire grave et mélancolique, dans "La femme de hasard" (2007), c'est avec "Testament à l'anglaise" (1995), Prix du meilleur livre étranger 1996, où il passe au vitriol l'époque thatchérienne, que son talent de romancier se fait connaître. Suivent "La maison du sommeil" (1998), Prix Médicis étranger 1998, le diptyque "Bienvenue au club" (2003) et "Le Cercle fermé" (2006), "La pluie avant qu'elle ne tombe" (2009), "La vie très privée de Mr Sim" (2011), histoire picaresque d'un incorrigible ingénu, et "Expo 58" (2014), parodie de roman d'espionnage dans l'Angleterre des années 1950. L'essai "Notes marginales et bénéfices du doute" a paru en 2015. "Numéro 11", paru en 2016, tisse une satire sociale et politique sur la folie de notre temps.
L'histoire :
Rachel se souvient de ces quelques jours passés à la campagne, auprès de ses grands-parents, avec son frère Nicholas, pendant que leurs parents tentaient une réconciliation. Elle n'avait alors que six ans, son frère douze. Leurs jeux les avaient menés vers une vieille église. En chemin, ils avaient croisé la terrifiante Folle à l'Oiseau.
En 2003, Rachel a dix ans lorsqu'elle retourne chez ses grands-parents, accompagnée cette fois d'une camarade d'école, Alison. Ses parents ont finalement divorcé et sa mère est partie en vacances en Grèce avec une amie, la mère d'Alison. Après un début laborieux, Rachel et Alison finissent par bien s'entendre. La campagne anglaise est un terrain idéal pour chasseuses de fantômes en herbe. La Folle à l'Oiseau vit toujours là, dit-on, chez Mrs Bates, Needless Alley, au numéro 11...
Mon avis :
Numéro 11 :
- Comme le onzième roman de Jonathan Coe. Les lecteurs de "Testament à l'anglaise" y retrouveront la famille Winshaw. Mais que celles et ceux qui ne l'ont pas lu se rassurent, les deux romans sont indépendants.
- Comme le "Number 11". "11 Downing Street", adresse de la résidence officielle du Second Lord du Trésor du Royaume Uni mais aussi résidence que choisît Tony Blair pour sa famille lorsqu'il devint Premier Ministre. Theresa May y réside à son tour.
- Comme l'inquiétant 11 Needless Alley.
- Comme le bus 11 de Birmingham dans lequel on peut s'isoler au chaud lorsqu'il fait froid dehors, chez soi, en soi.
- Comme le conteneur 11 d'un garde-meuble, rempli à bloc, et dans lequel est enfoui un obsédant souvenir d'enfance.
- Comme la table 11 d'un banquet de remise de prix.
- Comme le dangereux onzième niveau de sous-sol d'une propriété londonienne.
En toile de fond, un fait réel. David Kelly, employé du Ministère de la défense britannique, expert en guerre biologique, inspecteur de l'ONU en Irak, a été retrouvé mort à son domicile de Harrowdown Hill, Oxfordshire, en juillet 2003. Il fut l'un des premiers "lanceurs d'alerte". Il avait informé un journaliste de la BBC de la falsification d'un rapport de septembre 2002, par le gouvernement de Tony Blair, concernant les armes de destruction massive irakiennes et sur la base duquel la guerre contre le régime de Saddam Hussein fut engagée. Sa fille se prénomme Rachel, comme l'une des héroïnes du roman.
Peinture politique et sociale savoureuse d'une Angleterre contemporaine à visages et à cultures multiples, tout en sensibilité et drôlerie, mais qui donne matière à réflexion et à nombreux questionnements. Brillant, comme toujours !
A lire également :
"Les enfants de Longbridge", qui réunit "Bienvenue au club" et "Le Cercle fermé"
"Blanc mortel" de Robert Galbraith (Grasset)
Robert Galbraith est, comme chacun le sait maintenant, le pseudonyme de J. K. Rowling, créatrice de "Harry Potter".
Joanne Kathleen Rowling est née en 1965 dans le Gloucestershire, en Angleterre. Après une licence de français et de lettres classiques, et une année passée à Paris dans le cadre de ses études, elle travaille pour Amnesty International à Londres. Habitant alors à Manchester, c'est au cours d'un trajet en train qu'en 1990, l'image d'un petit garçon brun à lunettes lui vient à l'esprit.
Hélas, la même année, sa mère succombe à la sclérose en plaques à seulement quarante-cinq ans. Sous le choc, J. K. Rowling s'installe, l'année suivante, au Portugal où elle épouse un journaliste sportif et enseigne l'anglais. Le mariage est catastrophique. Mère d'une petite fille, elle revient avec son bébé à Edimbourg auprès de sa soeur Diane en 1993, et se plonge dans l'écriture de son manuscrit.
"Harry Potter à l'école des sorciers" sera publié en 1997. Depuis, les sept aventures du jeune sorcier sont lues par des millions d'enfants dans le monde entier. Les films tirés des romans reçoivent le même succès, ainsi que tous les produits dérivés. Très engagée auprès des plus démunis et pour le respect des droits des femmes, sa notoriété permet à l'écrivaine de soutenir de nombreuses actions caritatives.
En 2012, elle quitte l'univers magique de Harry Potter pour publier "Une place à prendre" (Grasset), virulente critique des inégalités au sein de la société britannique contemporaine. Mais c'est avec son duo d'enquêteurs, le détective privé Cormoran Strike et son assistante Robin Ellacott, que J. K. Rowling, sous le pseudonyme de Robert Galbraith, touche son nouveau public, toujours en abordant les faits de société qui lui tiennent à coeur. Les trois premiers tomes, "L'appel du coucou" (Grasset, 2013), "Le ver à soie" (Grasset, 2014) et "La carrière du mal" (Grasset, 2016), ont été adaptés sous forme de série pour la BBC et diffusés en France par OCS.
J. K. Rowling vit à Edimbourg avec son mari, le Docteur Neil Murray qu'elle a épousé en 2001, et leurs deux enfants.
L'histoire :
Un an s'est écoulé depuis la retentissante capture de l'Eventreur de Shacklewell. Ce succès ne fut pas sans conséquences. En premier lieu, l'enquête a été éprouvante, tant physiquement que moralement pour le détective Cormoran Strike et sa collaboratrice Robin Ellacott. Tous deux en portent encore les stigmates.
Ensuite, du jour au lendemain, Strike a vu toute sa vie défiler à la une des journaux : son père ancienne star du rock, sa mère groupie décédée, sa demi-soeur Lucy, sa carrière dans l'armée, la perte d'une moitié de sa jambe droite en Afghanistan. Cette soudaine visibilité de l'agence complique l'exercice de son métier et sa discrétion. Mais d'un autre côté, les affaires ont afflué au point de devoir recruter de nouveaux enquêteurs free lance.
Robin est sans doute celle qui souffre le plus. Elle a épousé son compagnon de longue date, Matthew Cunliffe. Un mariage calamiteux qui battait déjà de l'aile avant même d'avoir été prononcé. Par ailleurs, elle présente tous les symptômes d'un état de stress post-traumatique suite à deux violentes agressions et refuse de se reposer. Elle n'est plus la même et en parle d'autant moins à Strike que depuis son mariage, les liens d'amitié qui les unissaient se sont dégradés et ont fait place à une relation froide et strictement professionnelle. Strike le regrette et se sent responsable de cette situation.
L'étrange visite qu'il a reçue cet après-midi changera peut-être les choses. Un individu d'environ vingt-cinq ans, très perturbé, s'est présenté à son bureau. Le jeune homme a pris à peine le temps de déclarer que son frère et lui avaient été témoins du meurtre d'une petite fille lorsqu'ils étaient enfants, puis il s'est enfui précipitamment. Intrigué, Strike décide de s'intéresser à l'histoire à partir des maigres éléments qu'il a retenus. Il fait part de ses intentions à Robin et semble être parvenu à piquer la curiosité de sa collègue...
Mon avis :
Dans ce nouvel opus, J. K. Rowling nous entraîne dans les arcanes des hautes sphères de la politique, auprès des Ministres de la culture et des sports et leurs lots de secrets, chantages et autres luttes de pouvoir, pendant que Londres se prépare à accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques.
On retrouve avec plaisir les qualités de l'écrivaine : son souci des détails, son humanisme, le réalisme de ses personnages et des situations, son sens du suspense, ses intrigues solides et fouillées, sa capacité à nous tenir en haleine jusqu'à la dernière ligne, et son choix de thèmes toujours en lien avec notre société contemporaine.
Page-turner divertissant et efficace, on regrette seulement que ses sept cents pages se dévorent aussi vite !!!
mercredi 3 avril 2019
Avril 2019 - "Romans féministes"
"Romans féministes"
Premier Prix "Affiche"
Concours "Egalité" 2014
Ministère des Droits des femmes
par Marina Fabre et Valentine Dervaux
"La Passion selon Juette" de Clara Dupont-Monod (Livre de Poche)
Clara Dupont-Monod est née en 1973 à Paris. Diplômée en ancien français, elle commence très tôt une carrière de journaliste aussi bien pour la presse écrite que pour la radio et la télévision. Elle anime, depuis septembre 2014, une chronique littéraire dans l'émission d'actualité "Si tu écoutes, j'annule tout", sur France Inter, renommée "Par Jupiter !" à partir de septembre 2017. "La Passion selon Juette" est son quatrième roman.
Sainte Ivette de Huy (également connue sous le nom de Juette), née à Huy (actuelle Belgique) en 1158. Mariée à treize ans, mère de trois enfants dont un mort en bas âge, veuve à dix-huit ans, elle vécut trente ans recluse dans une cellule accolée à l'église de Huy, priant Dieu et soignant les lépreux. Elle est décédée le 13 janvier 1228. Sa vie nous est connue grâce au chanoine prémontré Hugues de Floreffe. Elle est liturgiquement commémorée le 13 janvier.
L'histoire :
Juette, fille de l'ambitieux receveur des impôts de l'évêque de Liège installé à Huy, dans l'actuelle Belgique, est une enfant du XIIème siècle, passionnée d'histoires et de légendes. Celle de Saint Mengold, comte et chevalier de Huy. Celle d'Arlette de Falaise, née à Huy, mère de Guillaume le Conquérant. Ou celle de Johan Coley-Malhars, plus connu sous le nom de Jean Colin-Maillard, ancien maçon, valeureux chevalier de Huy et héros aux yeux crevés. Ou bien encore celle de Perceval, Pendragon ou Lancelot.
Mais son destin ne sera pas celui des douces princesses et des preux chevaliers. A treize ans, Juette est mariée de force. De ce traumatisme naîtront sa haine des hommes, du sexe et de la maternité, puis, à son veuvage cinq ans plus tard, une détermination redoutable à consacrer sa vie et sa foi aux plus nécessiteux de l'époque : les femmes et les lépreux.
"Un corps mort fait des enfants morts. C'est normal." Elle dira cela avec un détachement malsain, comme on récite un mauvais texte. Et je comprendrai soudain que s'il y a un enfant mort ici, c'est Juette.
Au récit de la jeune femme, s'ajoute celui de Hugues de Floreffe, chanoine prémontré, homme pieux, copiste instruit et merveilleux conteur. Confident et ami de Juette depuis l'enfance, son admiration pour elle est aussi grande que son inquiétude. Sa témérité, son intransigeance envers ses compagnes de l'ordre des veuves et son insoumission face à la puissante Eglise et aux hommes de Dieu la mettent en danger. Seront-ils nombreux, à Huy, à la soutenir et à la protéger ?
Mon avis :
Une évocation forte, émouvante, d'une rebelle flamboyante et ambiguë. Ce roman historique se dévore d'une traite. Coup de coeur !!!
Mais son destin ne sera pas celui des douces princesses et des preux chevaliers. A treize ans, Juette est mariée de force. De ce traumatisme naîtront sa haine des hommes, du sexe et de la maternité, puis, à son veuvage cinq ans plus tard, une détermination redoutable à consacrer sa vie et sa foi aux plus nécessiteux de l'époque : les femmes et les lépreux.
"Un corps mort fait des enfants morts. C'est normal." Elle dira cela avec un détachement malsain, comme on récite un mauvais texte. Et je comprendrai soudain que s'il y a un enfant mort ici, c'est Juette.
Au récit de la jeune femme, s'ajoute celui de Hugues de Floreffe, chanoine prémontré, homme pieux, copiste instruit et merveilleux conteur. Confident et ami de Juette depuis l'enfance, son admiration pour elle est aussi grande que son inquiétude. Sa témérité, son intransigeance envers ses compagnes de l'ordre des veuves et son insoumission face à la puissante Eglise et aux hommes de Dieu la mettent en danger. Seront-ils nombreux, à Huy, à la soutenir et à la protéger ?
Mon avis :
Une évocation forte, émouvante, d'une rebelle flamboyante et ambiguë. Ce roman historique se dévore d'une traite. Coup de coeur !!!
"Prodigieuses créatures" de Tracy Chevalier (Folio)
Tracy Chevalier est une écrivaine américaine, née en 1962 à Washington. En 1984, elle déménage en Angleterre et commence, en 1993, une année de Master of Arts en création littéraire à l'Université d'East Anglia. Ses tuteurs, lors de son parcours, sont les romanciers Malcolm Bradbury et Rose Tremain. En 1997 paraît son premier roman, "La Vierge en bleu". Le succès arrive avec "La jeune fille à la perle", un livre inspiré par le célèbre tableau de Vermeer. Le film du même nom, réalisé par Peter Webber, avec Scarlett Johansson, Colin Firth et Cillian Murphy, a obtenu trois nominations aux Oscars de 2004. Tracy Chevalier est également présidente pour l'Angleterre de la Society of Authors.
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"Prodigieuses créatures" s'inspire de personnages et de faits réels.
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Elizabeth Philpot et Mary Anning |
Mary Anning est née en 1799 à Lyme Regis, un village en bord de mer, dans le Dorset, en Angleterre, une région riche en fossiles datant de la période jurassique. Enfants pauvres, Mary et son frère en ramassent pour les revendre aux collectionneurs et aux touristes. C'est ainsi que Mary met à jour, en 1812, le premier fossile d'ichtyosaure.
Plus tard, autodidacte, pionnière de la paléontologie, ses découvertes ont permis de révéler de nouvelles espèces, comme le plésiosaure et le dimorphodon. Elle est aujourd'hui reconnue comme une figure incontournable dans l'histoire de la paléontologie des vertébrés.
Mary Anning est décédée d'un cancer du sein en 1847, après avoir été élue membre honoraire de la Geological Society of London, le sexisme régnant de l'époque interdisait pourtant l'élection des femmes.
Elizabeth Philpot (1780 - 1857) est née à Londres. En 1805, elle emménage avec ses soeurs Louise et Margaret à Lyme Regis, dans le Dorset, le long de la côte sud de l'Angleterre. Paléontologue autodidacte et artiste, elle se lie d'amitié avec Mary Anning, de près de vingt ans sa cadette. Reconnue dans le milieu des géologues pour ses connaissances sur les fossiles de poissons, et pour sa vaste collection de spécimens, d'éminents géologues et paléontologues viennent la consulter. Quand Mary Anning découvre que des fossiles de bélemnites contiennent des sacs d'encre, c'est Elizabeth Philpot qui démontre que l'encre fossilisée mélangée à de l'eau peut être réutilisée pour des illustrations. Ce qui devient alors une pratique courante pour les artistes de la région.
L'histoire :
Début du XIXème siècle en Angleterre
Dans la famille Philpot, John est le frère aîné de quatre filles. Au décès de leurs parents, John hérite des biens mais aussi de la charge de ses soeurs célibataires. Frances, mariée, ne vit plus à Londres. John étant fiancé, Louise, Elizabeth et Margaret doivent quitter la maison familiale londonienne en échange d'une rente de leur frère et d'un toit plus modeste sur la côte. Les trois soeurs choisissent la petite ville de Lyme Regis, dans le Dorset. Margaret, la plus jeune, s'y amuse très vite, participe à tous les bals et côtoie la bonne société locale. Louise se passionne pour le jardinage. Quant à Elizabeth, elle se lance avec ardeur dans la chasse aux fossiles sous l'influence de Mary Anning, une enfant de douze ans précoce et volontaire, dont les connaissances dans la discipline seront précieuses...
Mon avis :
Comme toujours, formidable conteuse, Tracy Chevalier nous emporte dans son univers et met en lumière le destin de femmes singulières. Elle dresse ici le portrait de deux découvreuses dans ce domaine scientifique alors exclusivement masculin, la paléontologie, à une époque où les hommes font loi et les femmes silence.
Ces pionnières marquent le début d'une longue fascination populaire pour les dinosaures et l'aire jurassique, jusqu'à aujourd'hui encore. Les romanciers ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, il n'y a pas meilleur sujet pour aiguiser l'imaginaire et alimenter tous les possibles. Parmi eux, Jules Verne et son "Voyage au centre de la Terre" (1864), Sir Arthur Conan Doyle et "Le Monde perdu" (1912), Fernand Mysor et "Les Semeurs d'épouvante" (1923), et plus récemment Michael Crichton et "Jurassic Park" (1995).
Retrouvez Tracy Chevalier sur France Culture dans l'émission "La Marche des Sciences : Sur les traces de la paléontologie
https://www.franceculture.fr/emissions/la-marche-des-sciences/sur-les-traces-de-la-paleontologie
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Plésiosaure découvert en 1821 par Mary Anning (Museum national d'histoire naturelle à Londres) |
Elizabeth Philpot (1780 - 1857) est née à Londres. En 1805, elle emménage avec ses soeurs Louise et Margaret à Lyme Regis, dans le Dorset, le long de la côte sud de l'Angleterre. Paléontologue autodidacte et artiste, elle se lie d'amitié avec Mary Anning, de près de vingt ans sa cadette. Reconnue dans le milieu des géologues pour ses connaissances sur les fossiles de poissons, et pour sa vaste collection de spécimens, d'éminents géologues et paléontologues viennent la consulter. Quand Mary Anning découvre que des fossiles de bélemnites contiennent des sacs d'encre, c'est Elizabeth Philpot qui démontre que l'encre fossilisée mélangée à de l'eau peut être réutilisée pour des illustrations. Ce qui devient alors une pratique courante pour les artistes de la région.
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Lettre de Elizabeth Philpot (1833) au paléontologue William Buckland Dessin à l'encre fossilisée |
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L'histoire :
Début du XIXème siècle en Angleterre
Dans la famille Philpot, John est le frère aîné de quatre filles. Au décès de leurs parents, John hérite des biens mais aussi de la charge de ses soeurs célibataires. Frances, mariée, ne vit plus à Londres. John étant fiancé, Louise, Elizabeth et Margaret doivent quitter la maison familiale londonienne en échange d'une rente de leur frère et d'un toit plus modeste sur la côte. Les trois soeurs choisissent la petite ville de Lyme Regis, dans le Dorset. Margaret, la plus jeune, s'y amuse très vite, participe à tous les bals et côtoie la bonne société locale. Louise se passionne pour le jardinage. Quant à Elizabeth, elle se lance avec ardeur dans la chasse aux fossiles sous l'influence de Mary Anning, une enfant de douze ans précoce et volontaire, dont les connaissances dans la discipline seront précieuses...
Mon avis :
Comme toujours, formidable conteuse, Tracy Chevalier nous emporte dans son univers et met en lumière le destin de femmes singulières. Elle dresse ici le portrait de deux découvreuses dans ce domaine scientifique alors exclusivement masculin, la paléontologie, à une époque où les hommes font loi et les femmes silence.
Ces pionnières marquent le début d'une longue fascination populaire pour les dinosaures et l'aire jurassique, jusqu'à aujourd'hui encore. Les romanciers ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, il n'y a pas meilleur sujet pour aiguiser l'imaginaire et alimenter tous les possibles. Parmi eux, Jules Verne et son "Voyage au centre de la Terre" (1864), Sir Arthur Conan Doyle et "Le Monde perdu" (1912), Fernand Mysor et "Les Semeurs d'épouvante" (1923), et plus récemment Michael Crichton et "Jurassic Park" (1995).
Retrouvez Tracy Chevalier sur France Culture dans l'émission "La Marche des Sciences : Sur les traces de la paléontologie
https://www.franceculture.fr/emissions/la-marche-des-sciences/sur-les-traces-de-la-paleontologie
"Les Suprêmes" de Edward Kelsey Moore (Babel)
Edward Kelsey Moore est né dans l'Indiana. Violoncelliste installé à Chicago, il a cinquante-trois ans lorsqu'il publie son premier roman, "Les Suprêmes" (Actes Sud, 2014), suivi de "Les Suprêmes chantent le blues" (Actes Sud, 2018).

L'histoire :
Plainview, Indiana (Etats Unis)
Elles sont quinquagénaires, amies depuis les années 1960. On les surnomme "Les Suprêmes", comme le célèbre groupe pop de l'époque. Chaque dimanche, depuis trente ans, avec leurs époux, elles déjeunent Chez Earl. Aujourd'hui, c'est ensemble qu'elles assistent aux funérailles de Big Earl, premier Noir à avoir monté une affaire en centre-ville à la fin de la ségrégation.
Odette, ronde et joyeuse, est mariée à James, ancien policier, et le couple a trois enfants. Elle est née il y a cinquante-cinq ans dans un sycomore sur lequel sa mère, enceinte jusqu'au cou, s'était installée. Cette originalité valut à la petite fille les prédictions les plus farfelues. Comme sa mère avant elle, Odette discute avec les défunts, mais elle n'en parle à personne, on la prendrait pour une folle.
Clarice fut le premier bébé noir à naître au University Hospital et fit la une des journaux jusqu'à Los Angeles. Jeune fille, brillante pianiste, malgré les avertissements de tous, elle épousa Richmond, alcoolique et coureur de jupons, qui lui fit quatre enfants et enterra sa carrière artistique. Trois décennies plus tard, solidaires, ses amies lui pardonnent son caractère bougon, curseur de l'ambiance conjugale.
Barbara Jean, la plus jolie des trois, est celle que la vie a le moins épargnée. Fille de prostituée, elle a grandi sous les regards lubriques des clients de sa mère. Son mari, un paysagiste fortuné, de vingt ans son aîné, lui a apporté une forme de revanche sociale et matérielle, mais Lester a toujours été de santé fragile. En 1977, le destin leur arracha un petit ange, leur fils unique, Adam. La douleur ne s'est jamais estompée pour Barbara Jean. Seul Big Earl, et ce depuis qu'elle était enfant, était capable d'adoucir ses peines d'un gentil compliment, d'un clin d'oeil complice ou d'un sourire chaleureux. Big Earl, et Les Suprêmes, ses fidèles amies...
Mon avis :
Elles ne militent pas, ne manifestent pas, ne revendiquent pas, mais ce sont des battantes. Leur féminisme, elles le vivent au quotidien, en faisant face courageusement, silencieusement, aux aléas qui jalonnent l'existence, jour après jour, année après année. Leur force, elles la puisent dans leur amitié indéfectible.
Quinquagénaires, leur corps ne manque pas de leur rappeler qu'elles sont à l'automne de leur vie, mais c'est une nouvelle histoire qui commence, et certainement pas une fin. Cependant, c'est peut-être le temps des bilans et de quelques regrets.
Entre instants présents et souvenirs de jeunesse dans l'Amérique des Sixties en pleins bouleversements, ces trois amies afro-américaines, tour à tour, nous font rire aux éclats ou nous émeuvent aux larmes.
Un roman choral enchanteur teinté de nostalgie et de mélancolie ! Coup de coeur !!!
Odette, ronde et joyeuse, est mariée à James, ancien policier, et le couple a trois enfants. Elle est née il y a cinquante-cinq ans dans un sycomore sur lequel sa mère, enceinte jusqu'au cou, s'était installée. Cette originalité valut à la petite fille les prédictions les plus farfelues. Comme sa mère avant elle, Odette discute avec les défunts, mais elle n'en parle à personne, on la prendrait pour une folle.
Clarice fut le premier bébé noir à naître au University Hospital et fit la une des journaux jusqu'à Los Angeles. Jeune fille, brillante pianiste, malgré les avertissements de tous, elle épousa Richmond, alcoolique et coureur de jupons, qui lui fit quatre enfants et enterra sa carrière artistique. Trois décennies plus tard, solidaires, ses amies lui pardonnent son caractère bougon, curseur de l'ambiance conjugale.
Barbara Jean, la plus jolie des trois, est celle que la vie a le moins épargnée. Fille de prostituée, elle a grandi sous les regards lubriques des clients de sa mère. Son mari, un paysagiste fortuné, de vingt ans son aîné, lui a apporté une forme de revanche sociale et matérielle, mais Lester a toujours été de santé fragile. En 1977, le destin leur arracha un petit ange, leur fils unique, Adam. La douleur ne s'est jamais estompée pour Barbara Jean. Seul Big Earl, et ce depuis qu'elle était enfant, était capable d'adoucir ses peines d'un gentil compliment, d'un clin d'oeil complice ou d'un sourire chaleureux. Big Earl, et Les Suprêmes, ses fidèles amies...
Mon avis :
Elles ne militent pas, ne manifestent pas, ne revendiquent pas, mais ce sont des battantes. Leur féminisme, elles le vivent au quotidien, en faisant face courageusement, silencieusement, aux aléas qui jalonnent l'existence, jour après jour, année après année. Leur force, elles la puisent dans leur amitié indéfectible.
Quinquagénaires, leur corps ne manque pas de leur rappeler qu'elles sont à l'automne de leur vie, mais c'est une nouvelle histoire qui commence, et certainement pas une fin. Cependant, c'est peut-être le temps des bilans et de quelques regrets.
Entre instants présents et souvenirs de jeunesse dans l'Amérique des Sixties en pleins bouleversements, ces trois amies afro-américaines, tour à tour, nous font rire aux éclats ou nous émeuvent aux larmes.
Un roman choral enchanteur teinté de nostalgie et de mélancolie ! Coup de coeur !!!
"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage" de Maya Angelou (Livre de Poche)
Maya Angelou (de son vrai nom Marguerite Johnson), née en 1928 à Saint-Louis (Missouri) et morte en 2014 à Winston-Salem (Caroline du Nord), est une écrivaine afro-américaine et une importante représentante du Mouvement pour les droits civiques. Elle débute comme chanteuse et danseuse. Plus tard, elle adhère au Mouvement pour les droits civiques et côtoie notamment Martin Luther King, Malcolm X et James Baldwin. A partir de 1969, elle commence à publier ses premiers ouvrages, des récits autobiographiques : "Je sais pourquoi l'oiseau chante en cage", 1969 ; "Tant que je serai noire", 1981 ; des recueils de poésie, des essais ou des livres pour les enfants. Ses livres sont étudiés dans les écoles aux Etats-Unis.
"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage" libère le lecteur, simplement parce que Maya Angelou met en scène sa vie avec une maîtrise émouvante et une lumineuse dignité. Les mots me manquent pour décrire un tel exploit, mais je sais que jamais depuis les jours lointains de mon enfance, lorsque les personnages de roman étaient plus réels que les gens que je voyais tous les jours, je ne me suis senti à ce point ému.
James Baldwin
L'histoire :
A la séparation de leurs parents, Marguerite, trois ans, et son frère Bailey, quatre ans, quittent la Californie pour la petite ville de Stamps, dans l'Arkansas. Ils sont désormais confiés aux bons soins de Momma, leur grand-mère paternelle, et de leur oncle infirme, Willie.
Fait remarquable pour l'époque dans le Sud des Etats-Unis, Momma, personne valeureuse et respectée, est une des rares femmes noires à posséder son propre magasin, sorte de bazar où l'on peut - presque - tout acheter. Les conditions de vie sont modestes, mais les enfants ne manquent de rien. L'éducation de leur grand-mère, appuyée sur la religion, est stricte mais juste.
Marguerite, que son frère appelle toujours Maï, et Bailey, vifs et curieux de tout, apprennent vite à lire et les romans tiennent une place importante dans leur quotidien et dans leurs jeux.
Malheureusement, cinq ans plus tard, les portes du bonheur et de l'insouciance vont brutalement se refermer lorsque les parents décideront de reprendre leurs enfants et de les ramener à Saint-Louis, dans le Missouri...
"Nous étions des femmes et des hommes à tout faire, des servantes ou des lavandières, et aspirer à quoi que ce fût de plus ambitieux était de notre part grotesque et présomptueux."
Maya Angelou
"Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage"
Mon avis :
Un récit autobiographique extraordinaire et poignant ! Maya Angelou évoque la première partie de sa vie, jusqu'à ses dix-sept ans et la naissance de son fils Guy. L'écriture est magnifique, simple, posée, presque douce, mais la colère qu'elle libère nous lacère le coeur jusqu'au sang. Le mot "résignation" ne fait assurément pas partie du vocabulaire de cette femme de lettres exceptionnelle, courageuse, assoiffée de justice, infatigable militante qui a prêté sa voix aux femmes et aux minorités à travers le monde jusqu'à son dernier souffle.
Un livre à proposer et à conseiller sans hésitation à tous, et aux adolescents en particulier...
lundi 4 mars 2019
"Ecrire" de Marguerite Duras (Folio)
Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, est née en 1914 à Saïgon (alors en Indochine française) d'une mère institutrice et d'un père professeur de mathématiques qui meurt de dysenterie en 1921. En Indochine, la famille est ruinée et Marguerite rentre en France suivre des études de Droit.
Pendant la guerre, elle participe à la Résistance et voit son mari, Robert Antelme, déporté à Dachau et revenir malade du typhus. Elle en fera le récit dans "La Douleur" paru en 1985. A la Libération, Marguerite Duras s'engage au Parti Communiste Français, en est exclue en 1950 mais continue de militer pour différentes causes comme la guerre en Algérie ou encore le droit à l'avortement.
Cette année-là (1950), elle publie son troisième livre, "Un barrage contre le Pacifique", roman autobiographique qui sera adapté au cinéma. Elle-même se mettra plus tard à écrire des scénarios ("Hiroshima mon amour" en 1959) puis passera à la réalisation, adaptant ses propres livres (comme "India Song" en 1975). Elle écrit également des pièces de théâtre dès 1955 avec "Le square" puis viendront "Des journées entières dans les arbres" (1965) et aussi "Savannah Bay" (1982).
Parmi ses livres clé on peut citer "Moderato cantabile" (1958), "Le Ravissement de Lol V. Stein" (1964) ou encore "Le Vice-Consul" (1966). En 1984, Marguerite Duras connaît un immense succès avec son roman "L'Amant" qui reçoit le Prix Goncourt. Malade de l'alcool depuis les années 1980, l'écrivaine renouvelle les cures de désintoxication. Elle meurt à Paris en 1996 à l'âge de 81 ans.
***
Ce livre réunit cinq textes de Marguerite Duras construits autour de l'acte d'écriture, mais le plus remarquable et le plus influent reste le premier, "Ecrire".
***
"Ecrire" :
"La solitude de l'écriture, c'est une solitude sans quoi l'écrit ne se produit pas, ou il s'émiette exsangue de chercher quoi écrire encore."
L'écriture, c'est d'abord une maison, un pièce, une table à soi. L'écriture, c'est s'isoler du monde extérieur. L'écriture, c'est le silence et la solitude. L'écriture, c'est l'histoire singulière qui a façonné l'écrivain. Marguerite Duras évoque avec une sincérité et une humilité touchantes l'enfance, l'amour, la guerre, la maternité, l'amitié, la politique, le cinéma, l'alcool, la folie, le crépuscule... et la nécessité d'écrire. Elle donne à ses mots une résonance musicale toute particulière. Une lecture publique offrirait à ce texte une profondeur et une émotion plus intenses encore...
"L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie."
"La mort du jeune aviateur anglais" :
Comment écrire deux jeunes vies prises par la folie des hommes ? Comment mettre en parallèle le souvenir d'un jeune aviateur anglais de vingt ans, tué en Normandie aux derniers jours de la guerre et enterré dignement dans le petit cimetière d'un village, et le souvenir de Paulo, petit frère de Marguerite Duras, mort pendant la guerre du Japon et jeté dans une fosse commune ?
"Ecrire par le dehors peut-être, en ne faisant que décrire peut-être, décrire les choses qui sont là, présentes. Ne pas en inventer d'autres."
"Roma" :
Rome d'hier... Rome d'aujourd'hui...
Ecrite comme un scénario
Une histoire d'amour d'hier... Une histoire d'amour d'aujourd'hui...
"Le nombre pur" :
Comment écrire le mot "pur" quand, en son nom, l'Homme a commis tant d'horreurs...
"L'exposition de la peinture" :
Le peintre est comme l'écrivain. La peinture est son écriture...
"L'homme dit que ce sont des toiles de la même personne qui ont été faites dans le même moment de la vie de cette personne. C'est pourquoi il veut les accrocher toutes ensemble, ça le préoccupe beaucoup, il voudrait non pas qu'elles ne fassent qu'un, non, ce n'est pas ça du tout, du tout, mais qu'elles soient toutes les unes auprès des autres dans un rapprochement naturel, juste, dont lui seul est responsable, dont lui seul devrait savoir de quelle valeur il doit être."
"Les Personnages" de Sylvie Germain (Folio)
Sylvie Germain est une écrivaine et philosophe française, née en 1954 à Châteauroux. Son premier roman, "Le Livre des Nuits" suivi de "Nuit d'Ambre", une saga familiale de près de huit cents pages, reçoit, en 1984, six prix littéraires : Prix du Lions Club International, Prix du Livre Insolite, Prix de Passion, Prix de la Ville du Mans, Prix Hermès et Prix Grevisse. Sylvie Germain part alors vivre à Prague où elle enseigne la philosophie et le français au Lycée français et publie "Jour de colère" (Prix Femina). De retour en France en 1993, elle vit entre Paris et La Rochelle. "Magnus", paru en 2005, est récompensé par le Prix Goncourt des lycéens. En 2013, elle est élue à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Elle reçoit en 2016 le Prix mondial Cino Del Duca. Elle fait partie des présidents d'honneur du Prix Marguerite Duras.
Mon avis :
"Ils naissent d'un rapt commis là-bas, aux confins de notre imaginaire où, furtivement, dérivent des rêves en archipel, des éclats de souvenirs et des bribes de pensée. Et ils savent des choses dont nous ne savons rien."
Lorsque les personnages apparaissent, envahissent ses songes et s'animent, que fait l'écrivain ? Soit il les accueille avec méfiance, craint leur imprévisibilité, leurs débordements. Soit il les accueille avec joie, joue le jeu, met à leur profit son imaginaire, son inspiration. Dans un cas comme dans l'autre, le romancier va devoir leur donner "chair et vie", leur inventer une histoire, leur trouver un nom, leur créer une image, un langage, un style, un caractère...
"Mais cela suffit-il ? Les personnages vivront-ils ? Ne leur manque-t-il pas encore l'esprit ?"
Philosophie, poésie, méditation, érudition, cette analyse approfondie du geste d'écrire est tout cela à la fois. On y croise, entre autres, Simone Weil, Milan Kundera ou Marguerite Duras. Cérébral par endroits, il faut bien le reconnaître, ce texte mérite une seconde lecture afin d'en saisir toutes les subtilités et toutes les références culturelles et littéraires.
Mais avant tout, c'est une formidable invitation à dévorer des romans, encore et encore, à libérer de nombreux personnages, à nous les approprier, à les laisser déambuler dans notre tête, et à leur offrir l'esprit que l'auteur n'a pu leur donner !
"Les personnages n'habitent qu'en apparence dans les livres qui les ont délivrés de leurs limbes, ils n'aspirent qu'à s'en aller déambuler en tous sens, à transhumer d'un imaginaire à un autre, à visiter beaucoup de pays mentaux. Ils n'appartiennent pas à leur seul auteur, mais à une communauté.
Ils n'appartiennent à personne. Ils attendent juste la chance d'être lus, pour exister davantage, et toujours autrement."
Les deux nouvelles, à la fin de l'ouvrage, "Le tremble" et "Magdiel", teintées de fantastique, sont délicieuses et illustrent parfaitement la réflexion de Sylvie Germain.
"Mais on ne choisit pas ses personnages comme on le souhaiterait, pas plus qu'on ne se débarrasse facilement des fâcheux, Paulin Féborgue, auteur d'une vingtaine de romans et d'une cinquantaine de nouvelles, le savait parfaitement. Parmi les nombreux personnages qu'il avait mis en scène dans ses livres, beaucoup lui avaient donné du fil à retordre, et certains, lorsqu'ils s'étaient présentés la première fois à son imagination, ne lui avaient inspiré aucun désir d'écriture tant ils paraissaient insignifiants. Malgré tout, le désir avait chaque fois fini par s'éveiller, fût-ce tardivement, et par persévérer, au prix d'innombrables louvoiements entre les doutes et le découragement."
"Mais cela suffit-il ? Les personnages vivront-ils ? Ne leur manque-t-il pas encore l'esprit ?"
Philosophie, poésie, méditation, érudition, cette analyse approfondie du geste d'écrire est tout cela à la fois. On y croise, entre autres, Simone Weil, Milan Kundera ou Marguerite Duras. Cérébral par endroits, il faut bien le reconnaître, ce texte mérite une seconde lecture afin d'en saisir toutes les subtilités et toutes les références culturelles et littéraires.
Mais avant tout, c'est une formidable invitation à dévorer des romans, encore et encore, à libérer de nombreux personnages, à nous les approprier, à les laisser déambuler dans notre tête, et à leur offrir l'esprit que l'auteur n'a pu leur donner !
"Les personnages n'habitent qu'en apparence dans les livres qui les ont délivrés de leurs limbes, ils n'aspirent qu'à s'en aller déambuler en tous sens, à transhumer d'un imaginaire à un autre, à visiter beaucoup de pays mentaux. Ils n'appartiennent pas à leur seul auteur, mais à une communauté.
Ils n'appartiennent à personne. Ils attendent juste la chance d'être lus, pour exister davantage, et toujours autrement."
Les deux nouvelles, à la fin de l'ouvrage, "Le tremble" et "Magdiel", teintées de fantastique, sont délicieuses et illustrent parfaitement la réflexion de Sylvie Germain.
"Mais on ne choisit pas ses personnages comme on le souhaiterait, pas plus qu'on ne se débarrasse facilement des fâcheux, Paulin Féborgue, auteur d'une vingtaine de romans et d'une cinquantaine de nouvelles, le savait parfaitement. Parmi les nombreux personnages qu'il avait mis en scène dans ses livres, beaucoup lui avaient donné du fil à retordre, et certains, lorsqu'ils s'étaient présentés la première fois à son imagination, ne lui avaient inspiré aucun désir d'écriture tant ils paraissaient insignifiants. Malgré tout, le désir avait chaque fois fini par s'éveiller, fût-ce tardivement, et par persévérer, au prix d'innombrables louvoiements entre les doutes et le découragement."
"L'écriture comme un couteau" de Annie Ernaux - Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet (Folio)
Annie Ernaux est née en 1940 à Lillebonne (Seine-Maritime), dans un milieu social modeste : ses parents étaient d'abord ouvriers avant de tenir un café-épicerie. Elle grandit à Yvetot, en Normandie, et poursuit ses études à Rouen. Institutrice puis professeure agrégée de Lettres modernes, divorcée, mère de deux garçons, elle fait son entrée en littérature en 1974 avec "Les armoires vides", un roman autobiographique. Sa vie, ses expériences heureuses ou douloureuses, le statut de la femme seront les matériau essentiel d'une oeuvre réaliste et crue. "La place" remporte le Prix Renaudot en 1984. A la croisée de l'expérience historique et de l'expérience individuelle, son écriture, dépouillée de toute fioriture stylistique, dissèque le parcours de ses parents ("La place", "La honte"), son adolescence ("Ce qu'ils disent ou rien"), la sexualité et ses relations amoureuses ("Passion simple", "Se perdre"), son mariage ("La femme gelée"), son avortement ("L'événement"), son environnement ("Journal du dehors", "La vie extérieure"), la maladie d'Alzheimer de sa mère ("Je ne suis pas sortie de ma nuit"), puis la mort de sa mère ("Une femme"), son cancer du sein ("L'usage de la photo", en collaboration avec Marc Marie).
En 2008, Annie Ernaux touche et émeut un très large public avec "Les années", formidable et mélancolique récit écrit à la troisième personne du singulier, différent de l'ensemble de son travail, et qui fait figure de mémoire collective des Français. Tous les lecteurs, même parmi les plus jeunes, se reconnaissent quelque part dans cette évocation de la période de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Le livre est récompensé par le Prix Marguerite Duras, le Prix François Mauriac de la région Aquitaine, le Prix de la langue française et le Prix Strega européen.
En 2017, Annie Ernaux reçoit le Prix Marguerite Yourcenar décerné par la Société civile des auteurs multimédia pour l'ensemble de son oeuvre.
Frédéric-Yves Jeannet est un écrivain mexicain, d'origine et d'expression française, né en 1959 à Grenoble. Il quitte la France en 1975 et s'installe au Mexique en 1977, pays dont il adopte la nationalité en 1987. Il est professeur de littérature française et père de deux enfants. Il enseigne au Mexique, en Suède, en France, à Genève, à New York et en Nouvelle-Zélande. Il habite à Rabat au Maroc depuis 2017. Son oeuvre contient des romans ainsi que plusieurs livres d'entretiens (Annie Ernaux, Michel Butor, Hélène Cixous, entre autres).
***
A propos de Marguerite Duras...
F.-Y. J. : [...] j'aimerais que vous me précisiez ce qui vous est étranger dans l'entreprise de Duras : est-ce l'étrangeté de son écriture, de sa syntaxe, de sa personnalité, ou de son projet lui-même ? A première vue, en effet, on pourrait estimer qu'il existe entre vos entreprises, malgré toutes leurs différences, certaines affinités : comme vous, elle a "osé" parler de son enfance, de sa sexualité, de ses amants, et prendre sa vie comme matière de ses livres..
A. E. : J'ai toujours su que je n'écrirais pas comme Duras et j'avoue être un peu étonnée que vous me trouviez des affinités avec elle. Entre nous, est-ce que, à votre insu, vous n'obéiriez pas à cette tendance inconsciente, généralisée, qui fait qu'on compare spontanément, en premier lieu, une femme écrivain à d'autres femmes écrivains ? Symétriquement, il est plutôt rare qu'on compare un homme écrivain à une femme écrivain...
***
Mon avis :
Frédéric-Yves Jeannet admire Annie Ernaux pourtant l'apparente opposée de lui-même. Il aime son écriture. Ce livre est une correspondance électronique entre les Etats-Unis et la France que les deux écrivains ont entretenue pendant un an, de 2001 à 2002. La forme entièrement écrite de l'échange a séduit Annie Ernaux qui s'est volontiers prêtée au jeu avec sincérité et précision.
A. E. : Ma méthode de travail est fondée essentiellement sur la mémoire qui m'apporte constamment des éléments en écrivant, mais aussi dans les moments où je n'écris pas, où je suis obsédée par mon livre en cours. J'ai écrit que "la mémoire est matérielle", peut-être ne l'est-elle pas pour tout le monde, pour moi, elle l'est à l'extrême, ramenant des choses vues, entendues (rôles des phrases, souvent isolées, fulgurantes), des gestes, des scènes, avec la plus grande précision. Ces "épiphanies" constantes sont le matériau de mes livres, les "preuves" aussi de la réalité. Je ne peux pas écrire sans "voir" ni "entendre", mais pour moi c'est "revoir" et "réentendre".
Cet ouvrage se place en marge de l'oeuvre d'Annie Ernaux. Il pourra agacer autant que ravir. S'il donne parfois au lecteur le sentiment de n'être qu'un spectateur passif d'une discussion entre deux intellectuels, les réponses d'Annie Ernaux sont passionnantes pour ses "inconditionnels" (dont je suis !), pour celles et ceux qui s'intéressent au travail en amont, du "chantier" (mélange de projets, de notes, de phrases, de recherches... le tout classé dans des chemises cartonnées) à la parution d'un roman, d'un récit ou d'un texte.
A. E. : J'emploie le passé composé par impossibilité absolue de rendre compte des choses au passé simple. Je le sens comme une mise à distance - le comble de la distance étant tout de même pour moi l'imparfait du subjonctif, et c'est pourquoi je ne respecte jamais les concordances, volontairement - et je suis d'accord avec Barthes quand il dit que le passé simple signifie, proclame avant tout : "Je suis la littérature".
Avec son immense générosité et toute la sensibilité que nous lui connaissons, Annie Ernaux nous permet d'approcher au plus près du processus littéraire qui est le sien.
A. E. : Je crois qu'un petit nombre de critiques ne me pardonne pas cela, ma façon d'écrire le social et le sexuel, de ne pas respecter une sorte de bienséance intellectuelle, artistique, en mélangeant le langage du corps et la réflexion sur l'écriture, en ayant autant d'intérêt pour les hypermarchés, le RER, que pour la bibliothèque de la Sorbonne, ça leur fait violence...
"Buvard : une biographie de Caroline N. Spacek" de Julia Kerninon (Babel)
Julia Kerninon est née en 1987 à Nantes. Docteur en littérature américaine, son premier roman, "Buvard", publié en 2014, a été distingué par le Prix Françoise Sagan et le Prix René Fallet. Son deuxième roman, "Le dernier amour d'Attila Kiss", a reçu le Prix de la Closerie des Lilas en 2016.
"J'avais le vertige face à l'abondance de mes propres titres qui semblaient essayer de me dire quelque chose. Je n'arrivais même pas à comprendre que j'aie pu en écrire autant. Les livres dégageaient de ma table de travail pour se poser sur les étagères des librairies, d'abord en vitrine puis dans les rayonnages plus lointains." - (extrait de "Buvard")
L'histoire :
Lou, un jeune étudiant, est fasciné par l'écrivaine Caroline N. Spacek. Il a lu tous ses livres. Il s'est même risqué à lui demander un interview, sans réel espoir car la romancière quadragénaire n'en donne plus depuis des années. Mais à sa grande surprise, le jeune homme est invité à rencontrer la femme de lettres un après-midi de juillet dans sa propriété du Devon, au sud-ouest de l'Angleterre. Prévu quelques heures, l'entretien durera neuf semaines...
"L'art d'écrire obéit à des lois immuables, Lou, mais comme toutes les lois, on ne peut peut-être pas les éprouver autrement qu'en les violant et en le regrettant amèrement après. Il faut se les approprier sauvagement. Que la langue devienne une matière aussi tangible que la viande d'un corps sur un ring. Qu'elle finisse par avoir un goût et une odeur."
Mon avis :
C'est l'histoire d'un amour fusionnel enchevêtré dans la création artistique, ou de la création artistique au coeur d'un amour fusionnel, ou les deux à la fois. Cet amour-là, passionnel, intense, entre deux êtres talentueux et libres, va très vite se confondre en duel littéraire. Un homme et une femme, auteurs célèbres, habités par l'écriture, source d'inspiration l'un pour l'autre, vont s'asphyxier dans une liaison dangereuse, vampirisante, aliénante. La folie n'est jamais loin. Parviendront-ils à briser leurs chaînes ?
"Je ne savais plus à quoi je m'étais attendu en venant ici. Ses livres étaient bons, pas de doute là-dessus, mais est-ce que ça pouvait suffire à en faire une bonne personne ou est-ce qu'elle n'était qu'une imposture ?"
Etonnant roman sur l'écrivain, son travail et ses relations aux "autres"...
mercredi 6 février 2019
"L'expédition" de Monica Kristensen (Babel noir)
Monica Kristensen est née en 1950 à Torsby, en Suède, et a grandi en Norvège. Glaciologue, elle est la première femme à avoir dirigé une expédition en Antarctique. Elle vit actuellement à Oslo. "L'expédition", son dernier roman, s'inscrit dans une série de polars se déroulant au Svalbard. Une région que connaît très bien l'auteure puisqu'elle a séjourné pendant six ans dans cet archipel le plus septentrional d'Europe, situé à la jonction des océans Atlantique et Arctique.
L'histoire :
Un hélicoptère a quitté l'aéroport de Longyearbyen, capitale de l'archipel du Svalbard, au nord de la Norvège. Il survole la banquise avec à son bord deux pilotes, un mécanicien et un policier. Une expédition, attaquée par un ours polaire, a envoyé un appel de détresse. Arrivée sur les lieux, l'équipe de sauvetage découvre un carnage et quatre hommes entassés dans une tente minuscule, la seule encore en bon état. Le musher est malade. Neuf chiens sont morts. Le dixième tient à peine debout. Ils n'ont pas de blessure apparente, mais tous ont vomi du sang. Aucune trace d'ours nulle part. Le campement offre un paysage d'abandon et les explorateurs apportent des explications peu convaincantes.
Joint par radio, face à ces constatations inquiétantes, le gouverneur ne veut prendre aucun risque et ordonne le retour de l'expédition à Longyearbyen. Le policier Knut Fjeld annonce à tous la décision. Il y aura deux voyages. Les sauveteurs emmèneront en premier le musher, le chien survivant, et divers échantillons que Knut a prélevés pour les médecins et vétérinaires. Lui-même partira au second tour avec les trois aventuriers valides et le matériel qu'ils auront rassemblé.
L'hélicoptère est parti et ne reviendra que dans vingt-quatre heures. Le policier est contraint d'attendre sur cette banquise hostile, sans y avoir été préparé, et avec des compagnons d'infortune au comportement pour le moins étrange...
Mon avis :
Vous refermerez ce livre transis de froid, glacés jusqu'aux os, tant l'histoire est terrifiante et captivante ! Tout en partageant avec nous son expérience des expéditions polaires et sa connaissance des conditions de survie dans ce paysage extrême, l'auteure nous immerge dans les abîmes de l'âme humaine et nous lâche seuls avec nos propres peurs au beau milieu de l'immensité effrayante de la banquise. C'est d'une beauté à la fois merveilleuse et menaçante. Monica Kristensen le conte formidablement bien !
Grand coup de coeur !!!
"La trilogie écossaise : L'île des chasseurs d'oiseaux ; L'homme de Lewis ; Le braconnier du lac perdu" de Peter May (Rouergue)

"L'île des chasseurs d'oiseaux"
L'histoire :
Il y a un mois, Fin Macleod a perdu son petit garçon. Son mariage ne se relèvera probablement pas de ce drame, et lui non plus ne s'en relèvera pas s'il continue de s'enfermer dans sa douleur. Malgré l'insistance de son entourage, il n'a pas repris son travail d'inspecteur de police à Edimbourg. Son chef décide alors de ne plus lui laisser le choix. Un meurtre sordide a été commis à Crobost, sur l'Ile de Lewis. Le mode opératoire ressemble étrangement à un homicide perpétré à Edimbourg, une affaire dont s'occupait Macleod avant la mort de son fils. Contraint et forcé, Fin prend le chemin de l'Ile de Lewis, son île natale où il n'a pas remis les pieds depuis dix-huit ans, pour s'ajouter à une équipe d'enquêteurs déjà nombreuse et qui ne l'accueille pas de bon coeur. A peine arrive-t-il sur les lieux que les fantômes du passé l'assaillent...
"L'homme de Lewis"
L'histoire :
"L'homme de Lewis"

Sur l'Ile de Lewis, en pleine récolte de la tourbe, une famille met brusquement à jour un corps momifié. Découverte archéologique ou dépouille contemporaine ? Un expert, le professeur Colin Mulgrew, arrive d'Irlande pour l'autopsie. Pendant ce temps, à Edimbourg, deux histoires prennent fin dans la vie de Fin Macleod : son mariage avec Mona et sa carrière dans la police. Après avoir fui pendant près de deux décennies son île natale, c'est vers elle qu'il s'en retourne à présent. Mais quoi qu'il advienne et où qu'il aille, jamais il ne cessera de traquer le chauffard qui a tué son fils de huit ans...
"Le braconnier du lac perdu"
L'histoire :
"Le braconnier du lac perdu"
L'histoire :
Fin Macleod habite maintenant sur l'Ile de Lewis et retape la vieille maison de ses parents. Après avoir été policier pendant près de quinze ans, il vient d'être embauché comme chef de sécurité au domaine de Red River. Des braconniers de grande envergure sévissent sur cette propriété de deux mille hectares. C'est là que Fin retrouve un ancien camarade d'école, Whistler Macaskill, un marginal peu apprécié du grand patron du domaine. Après avoir passé une nuit dans la montagne, sous la tente, à discuter du bon vieux temps, les deux amis ont une surprise de taille à leur réveil. Au fond de la vallée, le lac a disparu. Une poussée de tourbière est sans doute à l'origine de ce phénomène extrêmement rare et, dans le cas présent, le lit de boue a dû glisser dans un loch de niveau inférieur. Intrigué par une forme brillante à l'intérieur de l'espace vide, Fin s'empare de ses jumelles et découvre avec stupéfaction qu'il s'agit d'un petit avion monomoteur, étonnamment en bon état. Il reconnaît l'immatriculation. L'appareil est celui de Roddy Mackenzie, jeune star du rock celtique, porté disparu il y a dix-sept ans...
Mon avis :
Dès les premières pages, on se fond littéralement dans ce décor des Hébrides d'une beauté à couper le souffle et aussi inquiétant que l'épais brouillard qui le recouvre parfois. A travers le destin trouble et complexe de ses personnages, Peter May nous raconte, avec une passion communicative, l'Ecosse, son histoire, sa culture, ses traditions. Mais sa trilogie s'ouvre également à d'autres thèmes : la protection de l'environnement, la cause animale, les amis/ennemis de l'enfance, les émois de l'adolescence, la rudesse de la vie insulaire, la promiscuité, les secrets, les non-dits, le sentiment d'isolement et l'appel de la ville, la parentalité, la vieillesse et la maladie, la religion et les homers, ces enfants venant d'orphelinats catholiques, placés chez des inconnus et traités comme des esclaves jusqu'aux années 1960.
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Mon avis :
Dès les premières pages, on se fond littéralement dans ce décor des Hébrides d'une beauté à couper le souffle et aussi inquiétant que l'épais brouillard qui le recouvre parfois. A travers le destin trouble et complexe de ses personnages, Peter May nous raconte, avec une passion communicative, l'Ecosse, son histoire, sa culture, ses traditions. Mais sa trilogie s'ouvre également à d'autres thèmes : la protection de l'environnement, la cause animale, les amis/ennemis de l'enfance, les émois de l'adolescence, la rudesse de la vie insulaire, la promiscuité, les secrets, les non-dits, le sentiment d'isolement et l'appel de la ville, la parentalité, la vieillesse et la maladie, la religion et les homers, ces enfants venant d'orphelinats catholiques, placés chez des inconnus et traités comme des esclaves jusqu'aux années 1960.
Ambiance "embruns, tempêtes, tartans et Shortbread trempés dans du thé au lait bien chaud" pour quelques heures délicieuses de lecture addictive !
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